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Les théories dynamiques de la spécificité

de la spécificité de l'entrepreneuriat immigré Poser et reconnaître l’existence d’une minorité ou au moins d'un groupe spécifique méritant

2.4. Les théories dynamiques de la spécificité

Si la plupart des auteurs ayant étudié les entrepreneurs immigrés s’accordent pour leur reconnaître, au pire, des difficultés particulières (problèmes de maîtrise de la langue, voire d’adaptation aux règles et aux formalités du pays d’accueil ; nostalgie du pays d’origine – RAY et alii (1988), cités par BRENNER et alii (2001)- voire la perception de discriminations sur le marché du travail -LIGHT (1972) ; BOVENDERK et alii (1995) - ou sur le marché du crédit avec des entraves à l’accès au financement) et, au mieux, une histoire et une culture communes et partagées qui les réunissent, les théories, éclairées par des situations différentes, divergent sur les réponses apportées par les individus ou par les groupes.

Toutefois, dans son ensemble, la littérature offre l’idée que la stratégie d’insertion économique retenue dépend du projet d’intégration au pays d’accueil ou de retour au pays. Néanmoins, même si le retour est envisagé comme dans le cas de la théorie des minorités intermédiaires, son terme est tellement incertain qu’il n’est pas à l’ordre du jour immédiat. Toutes les théories admettent de la part de l’immigré le projet volontaire ou résigné de s’insérer durablement dans la vie économique du pays d’accueil. Théodore NICOLAY (1967) considère que l’immigré vient s’implanter dans une région parce qu’elle lui présente des « forces attractives ». « Pour l’immigrant, les forces attractives, ce sont les conditions du présent et les garanties de l’avenir : le travail, l’habitat, les loisirs » et, on serait tenté de rajouter, l’école.

« Pour ceux d’entre eux qui sont restés et y ont fait souche (a fortiori en entreprenant), ces forces attractives ont dû triompher des forces répulsives qui sont celles du passé : la nostalgie du pays d’origine, la langue, les coutumes et les mythes » (p. 170).

2.4.1. La Théorie des minorités intermédiaires (Middleman minority Theory)

Cette théorie, notamment développée par Edna BONACICH (1973) puis John MODELL (1980) à la suite de BLALOCK (1967), a d’abord été appliquée pour expliquer l’entrepreneuriat des juifs askhenases émigrés en Europe Centrale qui ont vécu leur migration comme un exil temporaire, mais à l’issue temporelle incertaine. Cette issue hypothétique justifie le confinement sectoriel à des activités « intermédiaires », en particulier le commerce de détail, par le fait qu’il s’agit de secteurs où l’entrée et la sortie sont assez aisées (capital de départ modeste ; facilités de revente en cas de retour au pays).

2.4.1.1. Le statut de minorité intermédiaire et la perspective du retour

« Comme le terme l’exprime, les études sur les minorités intermédiaires (middleman minorities) se concentrent sur la façon dont le groupe ethnique agit comme groupe médian dans la circulation des biens et services au sein de l’économie »82 (BUTLER et GREENE, 1997). Selon ZENNER (1991) et BONACICH et MODELL (1980), le groupe médian occuperait, de façon générale, une place intermédiaire dans la société : intermédiaire entre producteurs et consommateurs (d’où un ciblage sur le commerce) et « intermédiaire entre les élites et les masses », son ambition étant de s’intégrer à la classe moyenne.

En outre, le projet de retour impliquerait, selon les auteurs, une forte solidarité intra-ethnique. « Dans la mesure où ils souhaitent repartir, les résidents temporaires n’ont guère de raisons de tisser des liens durables dans la société d’accueil. Mais ils ont toutes les raisons de maintenir vivants les liens régionaux et ethniques qui subsisteront dans l’avenir tel qu’ils le conçoivent » (BONACICH, 1973).

Ce repli communautaire et cette non-intégration provoquent, en général, une hostilité nette de la société d’accueil qui, en retour, accentue la solidarité intra-ethnique du groupe et l’envie du retour. Les auteurs soulignent que cette tension provient du choix d’activité opéré. « La résistance à l’assimilation qui caractérise les communautés intermédiaires en résidence temporaire ne serait pas un problème si ces groupes étaient isolés économiquement» (BONACICH, op. cit.).

Toutefois, bien souvent, le retour souhaité n’a pas lieu, soit parce que les conditions politiques du pays d’origine ne le permettent pas, soit parce que l’entrepreneur estime ne pas encore

posséder l’épargne suffisante pour s’y établir, bien que selon les auteurs, « il vit

frugalement », épargnant le plus possible pour parvenir à ses fins, soit paradoxalement parce qu’il est victime de son succès dans son pays d’accueil et qu’il a conscience qu’il ne connaîtrait pas la même réussite économique dans son pays.

Dans ce cas, en devenant « minorité intermédiaire durable », les entrepreneurs immigrés ont deux attitudes possibles :

-soit cultiver le mythe du retour et rester dans une logique ethnique en refusant toute forme d’assimilation,

-soit « renoncer au rêve de la patrie et s’installer dans le nouveau pays ». Edna BONACICH (1973) souligne que cela passe par des signes forts comme l’adhésion à des associations non ethniques, l’exogamie, l’emploi de personnes d’ethnies différentes, etc.

En revanche, les auteurs notent qu’en général, les immigrés correspondant à cet idéal-type attachent une grande importance à l’éducation de leurs enfants qui, souvent, quittent l’économie ethnique et s’intègrent plus rapidement dans la société.

Enfin, il convient de préciser que certains chercheurs articulent cette théorie avec une théorie écologique de la localisation entrepreneuriale, les entrepreneurs immigrés jouant alors le rôle de « minorités de remplacement » en s’installant dans des locaux ou sur des activités que les autochtones ne veulent plus (WALDINGER et alii, 1990), soit parce que l’activité est jugée trop pénible, soit parce que le lieu d’implantation subit une régression sociale.

2.4.1.2. L’écologie entrepreneuriale, les minorités de remplacement et les secondes générations

Citant BERTEAUX, BERTEAUX-WIAME (1981 ; p. 166), Roger WALDINGER (1990, p.29) illustre cette théorie en prenant l’exemple de la transmission des boulangeries.

« Si l’activité commerciale de la boulangerie était toujours une activité prospère comme c’était le cas pendant des siècles, les fils de boulangers auraient choisis cette activité et l’un d’entre eux aurait pu reprendre l’affaire de ses parents…. Mais le secteur de la boulangerie

82« As the term sugests, studies concentrate on how ethnic groups act as middlemen in the movement of goods and services. »

n’est plus ce qu’il était… et beaucoup de boulangers orientent leurs fils vers d’autres activités…. Aussi, quand vient l’âge de leur retrait, il n’ y a plus aucun de leurs enfants pour reprendre leur affaire et ils se tournent vers les minorités ethniques. »83

Il est à noter, de surcroît, que cette théorie écologique est également appliquée pour caractériser le dessein socio-économique, voire entrepreneurial, des enfants de migrants dont il est admis qu’ils ne souhaitent pas reprendre l’activité de leurs parents84, désirant obtenir une meilleure « intégration » sociale alors que leurs ascendants ont créé en envisageant de pouvoir transmettre leur affaire à leurs héritiers. C’est ce que suggérait Murat ERPUYAN (2000) à propos des immigrés turcs créateurs :

« La création d’entreprise, c’est une réponse à l’emploi des enfants, des fils aînés. » (p. 90).

Cet idéal des primo-migrants s’opposerait en apparence à celui des secondes générations. CROSS et WALDINGER (1997, Chap. 5, p. 7) décrivent ainsi le « choix cruel » des enfants d’immigrants :

« -soit accéder aux études supérieures nécessaires pour faire partie de l’élite professionnelle/ gestionnaire,

-soit accepter les mêmes emplois inférieurs auxquels la première génération était confinée».

Herbert GANS (1992, cité par les auteurs précédents) écrit, à propos des enfants de migrants aux Etats-Unis, que « lorsque les jeunes se voient offrir des emplois d’immigrants, il y a de bonnes raisons pour qu’ils les refusent. Ils arrivent dans le monde du travail avec des normes américaines, et peut-être ne sont-ils mêmes pas familiers avec les conditions de travail du pays de leur père (…). Ils n’ont pas non plus les objectifs à long-terme qui motivaient leurs parents à travailler de longues heures à des salaires de famine (….) »85. Ils ont, en général, fait le deuil sur un hypothétique retour.

83 « If the baker’s trade was still a good trade, as it was for centuries, the sons of baker would have chosen this profession and one of them would be ready to take over his parents’business….. But the baker’s trade is not what it used to be….. So most bakers orient their sons away from the trade….. So when the time for retirement comes, they do not find any baker’s child to take over the business ; neither their own nor the children of their colleagues »

84 Lucie Cheng et Philippe Q. Yang (1995) montrent que chez les Asiatiques (p. 330), les primo migrants sont plus « entreprenants » que les secondes générations nées aux US.

85 L’auteur poursuivait : « De leur point de vue, les emplois d’immigrants sont par surcroît humiliants, les emplois illégaux et les rackets peuvent payer plus et être socialement mieux considérés – particulièrement lorsque la pression des pairs est également présente. »

Lorsqu’ils entreprennent, ils se révèlent plus ambitieux que leurs aînés et souhaitent dans la mesure du possible, quitter d’une part l’économie « frugale » et d’autre part le confinement géographique ou sectoriel dans lequel entreprenaient leurs parents.

Ceci a été souligné par SENAD (1997) qui, étudiant les boucheries hallal sur Perpignan, repérait deux logiques d’entrepreneuriat :

-les petites boutiques traditionnelles ouvertes par les primo migrants, comme « la boucherie de la rue Lucia » (Vieux Centre Ville), souvent au local étriqué et typique de l’attitude frugale supposée caractériser les entrepreneurs immigrés ;

-les boucheries périphériques créées par des plus jeunes qui ne souhaitaient pas reprendre les boucheries de leurs parents, avec plus d’espace et dont les entrepreneurs

semblent ambitieux. « Les parents de K. semblent « stopper par bonheur » ses désirs

d’ouverture. Selon eux, « Si tu l’écoutes, demain on a une boucherie au Bas-Vernet, une autre au Haut-Vernet après demain, un autre jour, je ne sais où… » (p. 28).

En complément, l’auteur rapporte un entretien avec le boucher de la rue Lucia : -« Vous avez des enfants ?

- Oui, deux garçons, ils sont étudiants comme toi. - ils doivent vous donner un sacré coup de main !

-Non, d’un, ils n’habitent pas là ; ils ont un appartement à Montpellier et ils doivent se sentir bien heureux d’être loin : et de deux, ils trouvaient que la viande, ça puait… Ces jeunes alors !

-Un jour ils reprendront la succession, lui dit sa femme.

- Tu rêves ! Le jour où l’on meurt, ils plieront vite bagages et se partageront nos 4 sous. D’un côté ils n’ont pas trop tort….. » (p. 22).

Toutefois, l’idéal d’ascension sociale des secondes générations n’est pas toujours accessible et la situation des immigrés turcs paraît significative de cette situation. Murat ERPUYAN (op. cit.) rappelait que, souvent, les jeunes sont venus en France avec une rupture de scolarité vers l’âge de 10-15 ans, ce qui à l’heure d’entrer sur le marché du travail, complexifie leur possibilité d’insertion. En créant en partie pour leurs enfants, les entrepreneurs turcs mettent en place un dispositif de solidarité intra-communautaire qui caractérise les nîches ethniques.

L’examen de l’entrepreneuriat turc86 révèle de surcroît qu’il est majoritairement localisé dans le secteur du bâtiment, c'est-à-dire dans une activité non intermédiaire. Etudiant les cubains à

Miami, PORTES et BACH (1985) sont confrontés aux mêmes données. La Théorie des

Minorités Intermédiaires semble ne pas y être vérifiée.

« Dans le cas des cubains de Miami, l’hypothèse de la Théorie des Minorités Intermédiaires semble invalidée. Premièrement, il n’est pas possible de mettre en évidence que les entrepreneurs cubains jouent le rôle d’intermédiaires économiques entre les élites américaines et les autres minorités ethniques, en particulier les noirs. Deuxièmement, contrairement aux prescriptions de la théorie de Bonacich, les entreprises cubaines ne sont pas exclusivement établies dans les secteurs du commerce et de la finance. On trouve au contraire un nombre substantiel d’entreprises industrielles ou de construction »87 (PORTES, BACH, op. cit., p. 340).

Ces critiques conduisent les auteurs à formuler une théorie alternative de l’entrepreneuriat

ethnique88, la théorie des enclaves. Leur théorie sera complétée par le modèle de

WALDINGER et alii (1990) qui suggère que le choix de l’activité entrepreneuriale du migrant n’est expliqué que par la position du groupe ethnique de l’entrepreneur dans la société. Le choix dépend surtout des opportunités structurelles de développement entrepreneurial à un moment donné. Le statut de minorité intermédiaire aurait été une réponse à une demande sociale, à un instant précis pour les juifs en Europe, les chinois en Asie du

86 Dans une étude exploratoire sur la création d’entreprises par les étrangers en Alsace, Assira IDRI de l’Observatoire Régional de l’Intégration, notait ainsi, en 1992, que 36% des entrepreneurs turcs étaient dans le secteur du Batiment de même que 32% des entrepreneurs italiens (Les Cahiers de l’Observatoire, N°7 ; Décembre 1972 ; repris dans la Note de Synthèse N°24 de l’A.N.C.E., Février 1993).

87 « In the case of Cubans in Miami, little evidence supports the middleman hypothesis. First, there are no indications that cuban businessmen have assumed or have been chanelled into the role of intermediaries between Anglo elites and other local minorities, such as blacks. Second, contrary to the description of middleman minority advanced by Bonacich, cuban firms are not exclusively found in commerce and finance but include a substantial proportion in industry and construction !»

88 Une autre remise en cause de la Théorie des Minorités Intermédiaires (TMI) a surgi de l’étonnement de certains chercheurs devant le faible taux d’auto-emploi des communautés afro-américaines aux Etats-Unis. Mais cette critique n’a pas eu les mêmes conséquences épistémologiques que la critique de PORTES et BACH (1985). Le faible engagement entrepreneurial des noirs n’a pas été perçu comme une réfutation de la Théorie des Minorités Intermédiaires, BUTLER (1991) ayant suggéré que la TMI ne pouvait leur être appliquée puisque ces populations n’avaient pas choisi leur migration, les premiers membres de cette communauté ayant été acheminés aux Amériques en tant qu’esclaves avec, dés le départ, aucun espoir de retour en Afrique. De plus, par la suite, du fait de la ségrégation raciale, l’accès aux ressources et aux marchés leur ayant été longtemps restreints, les noirs n’auraient pas été incités à entreprendre. BUTLER parle de « Théorie Tronquée des minorités intermédiaires », la troncature portant notamment sur l’hypothétique projet d’un retour au pays au moment de la migration qui était absent chez les afro-américains.

Sud-Est, les indiens en Afrique de l’Ouest. Mais il ne s’appliquerait pas universellement pour expliquer et prescrire le comportement entrepreneurial de tous les groupes de migrants.

2.4.2. Les stratégies de niche ethnique

Au contraire des minorités intermédiaires, lorsque le retour au pays n’est d’emblée pas envisagé comme mobile, WALDINGER et al. (1990) suggère que l’immigrant adoptera une stratégie de « niche ethnique».

2.4.2.1. La dynamique spatio-ethnique

Ce serait dans ce cadre que se développerait l’entrepreneuriat ethnique proprement dit. La constitution d’enclaves économiques ethniques comme les enclaves cubaines de Miami analysées par PORTES et BACH (1985) en serait la manifestation paroxysmique. Une enclave ethnique est une « concentration spatiale d’immigrés qui organisent localement en développant des entreprises qui répondent à la fois aux besoins de leur demande d’ordre ethnique mais qui peuvent également répondre à la demande du reste de la population » (p. 203), la caractéristique importante pour qualifier une enclave étant l’existence d’une division du travail d’ordre ethnique (recours à des fournisseurs ethniques ; embauches ethniques…). En France comme aux Etats-Unis, cette pratique de l’enclave serait typique de l’insertion de la communauté chinoise dans l’économie d’accueil (ZHOU, 1992), voire de l’insertion des turcs. Murat ERPUYAN (2000, p. 93-94) décrit parfaitement cette dynamique.

« La création d’entreprise par des immigrés dans des secteurs bien précis, entraîne des effets induits et incite à la création d’autres entreprises. A titre d’exemple, l’un des besoins des entreprises, c’est la tenue de la comptabilité. Dans des secteurs où il y a suffisamment de créateurs d’entreprise (turcs) tels que Paris ou Strasbourg, il y a maintenant des cabinets qui fonctionnent principalement avec des personnes d’origine turque. De même, certains avocats qui s’installent tournent essentiellement avec une clientèle de chefs d’entreprise turcs. Ensuite, les effets induits continuent dans le domaine de la publicité. Aujourd’hui, sur Paris, il y a trois journaux d’annonce gratuits qui tournent uniquement avec ces entreprises-là. La publicité donnée par ces entreprises assure la viabilité des entreprises de publicité. C’est la même chose pour les décorateurs. Maintenant, il y a plein de

restaurants. Donc le métier de décorateur devient intéressant car il permet de réaliser une décoration à la turque. Les effets induits se retrouvent même dans les activités qui prolongent le secteur. On a cité l’exemple de Metz : il y a plein de sandwicheries. Avant, on faisait avec des baguettes. Maintenant, on ne fait plus avec des baguettes parce qu’il y a un boulanger turc qui produit à la turque, le pain turc qui convient uniquement pour cet usage-là. Et donc voilà des boulangeries qui s’installent. Avant le döner se faisait d’une manière très artisanale, chaque boutique préparait sa grosse brochette. Maintenant, ce n’est plus nécessaire de s’occuper de cette tache puisqu’il y a des sociétés qui ont d’abord commencé en Allemagne, et maintenant dans notre région en Lorraine, qui assurent la distribution de ces brochettes toutes préparées, congelées (….) » .

Comme le note l’auteur, dans cette approche dynamique de l’économie ethnique, l’espace ne se limite plus à une enclave géographique, comme l’observaient PORTES et BACH sur Miami. Dans le cas des turcs, « La France n’est plus l’espace ; c’est l’Allemagne et toute l’Europe » (op. cit., p. 94).

Cette dynamique entrepreneuriale contagieuse89 est à rapprocher des propos de T. NATHAN (op. cit.). Par son caractère auto-référentiel, elle est excluante et, à l’extrême, l’étude de l’entrepreneuriat pratiqué semble particulièrement délicate pour un membre qui n’appartient pas à l’ethnie considérée. Sur un plan méthodologique, les travaux cités ont tous été réalisés par des membres de l’ethnie observée. Toutefois, comme dans les modèles de contagions spatiales, les dynamiques sociales engagées peuvent s’inverser. Allant à l’encontre des prescriptions de la théorie de l’enclave, FELD , BIREN et MANCO (1993) ont ainsi constaté, à partir d’une enquête auprès de commerçants immigrés turcs de la région de Liège, que le positionnement en enclave est susceptible d’être remis en cause par les entrepreneurs eux-mêmes. Ces derniers avaient conscience qu’une plus grande ouverture de leur activité vers les

89 La dynamique décrite ne peut, en effet, manquer de faire penser métaphoriquement aux modèles économiques de la contagion spatiale et de la diffusion des innovations (DAVID et FORAY, 1995 ; DALLE, 1995, 1997) ou des conventions (BOYER et ORLEAN 1994 ; DUPUY, 1996 ; LEVY, 1995) qui mettent l’accent sur les voisinages de l’individu et sur les interactions qu’il va nouer avec d’autres. Ces modèles qui empruntent leur formalisme à la Théorie des jeux évolutionnistes ou à la physique (modèles de percolation ou théorie des champs de Gibs) soulignent qu’en fonction de sa localisation et de son voisinage, l’individu (l’entrepreneur) adoptera certaines conventions de socialisation et de développement. Mais en contrepartie, ces modèles suggèrent aussi pour l’individu la possibilité de ne pas adhérer au modèle de ses voisins. Formellement, comme le synthétise BOUBA-OLGA (1999, p. 272), la non adhésion dépend bien souvent de la forme du réseau (est-il infini ou borné ? Y a-t-il des effets de bords ou de coins ? Est-il torique ?, etc.) et de la définition des relations de voisinage. En d’autres termes, un porteur de projet même turc pourra choisir de ne pas s’inscrire dans la dynamique ethnique qui a été dépeinte. Dès lors, cette métaphore spatio-mimétique suggère, s’il en était besoin, l’insuffisance de la théorie dynamique de l’enclave.

autochtones serait profitable pour leurs affaires. Selon l’enquête des auteurs, ils avaient également conscience que ce souhait d’ouverture commerciale impliquait une révision de leurs pratiques d’approvisionnement, notamment celles qui consistaient à accorder un avantage systématique aux fournisseurs turcs90. L’enclave ne doit pas être assimilée à un simple regroupement géographique d’immigrés. La logique ethnique prenant le pas sur la logique assimilationniste, l’entrepreneur contribuerait à la création d’une économie ethnique