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Le détour par la psycho-sociologie de l'interculturel

Une modélisation "intersubjectiviste" de l'entrepreneuriat immigré

3.3. Le détour par la psycho-sociologie de l'interculturel

Les approches sociologiques et psycho-sociologiques de l’acculturation117 soulignent la multiplicité des formes de compromis et d’arbitrages possibles entre les deux espaces socio-culturels de l’immigrant (son espace d’origine et l’espace d’accueil auquel il doit s’adapter). ANSART (1999) suggère que l’immigré puisse adopter une infinité de positions par rapport au modèle de l’assimilation parfaite développé par l’école de Chicago.

116 Il est, en effet, assez aisé de formaliser les dynamiques d’adoption de conventions en fonction de la fréquence et de l’intensité des contacts. Plusieurs formalisations ont ainsi été proposées qui empruntent soit à la théorie des jeux évolutionnaires (BOYER, ORLEAN, 1994 ; DUPUY, 1996 ; LEVY, 1995), soit à des modèles dérivés de la physique (DALLE, 1995). L’intérêt de ces approches dont la formalisation n’apporterait rien de plus à notre analyse, est qu’elles sont également des théories de la localisation. En soulignant qu’axiomatiquement, les contacts se font « au voisinage » de l’individu, elles introduisent l’influence du contexte local dans l’axiomatique.

117 Selon le Robert de la sociologie, l’acculturation peut être entendue comme un ensemble de phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes entraînant des changements dans les modèles culturels initiaux d’un ou plusieurs de ces groupes.

L’ « assimilation parfaite » désigne le fait qu’un individu intègre la totalité des traits culturels (langue, croyances, mœurs) de la culture dominante en abandonnant ses caractéristiques antérieures.

A partir de ce modèle d’acculturation, l’auteur propose un continuum de positionnements « depuis la totale assimilation jusqu’aux diverses formes de différenciation et de résistance à cette assimilation » et suggère qu’en l’absence d’assimilation, l’individu en situation de contact interculturel opte pour une stratégie dite « d’accommodation » en créant des formes originales d’adaptation.

On établit ainsi trois configurations de l’immigré par rapport à sa société d’accueil : l’assimilation, l’accommodation, la séparation.

Dans la même optique, le psycho-sociologue John BERRY (BERRY, 1997, BERRY, DASEN et alii, 1992)118 a proposé de représenter le positionnement interculturel de l’immigré sous la forme d’une Grille dans laquelle l’Intégration remplace en ce que les sociologues qualifient d’accommodation (Tableau 3.3). Il analyse le processus d’acculturation comme une redéfinition de son identité par l’acteur. MANCO (1998) qui propose une grille analogue parle de « stratégies ou de postures identitaires » de l’immigrant. Pour définir son identité, le migrant choisit un arbitrage entre ce qui constitue l’identité culturelle de son pays d’origine et ce qui fonde l’identité culturelle de son pays d’accueil. Ce choix est processuel et relève de la socialisation de l’individu. Il est donc affecté par les rencontres et les inscriptions sociales de l’individu.

Est-il important de conserver son identité et ses caractéristiques culturelles ?

Oui Non

Oui INTEGRATION ASSIMILATION Est-il important d’établir

et de maintenir des relations avec d’autres groupes de la société dominante ?

Non SEPARATION MARGINALISATION

Tableau 3.3 : La grille de John BERRY.

L’intégration apparaît comme une posture minimisant la distance culturelle de manière simultanée par rapport au pays d’accueil et au pays d’origine. MANCO (1998, p.10) la définit

comme une posture dans laquelle l’immigrant se distingue « dans la société d’accueil à

travers l’enrichissement de celle-ci par des éléments de la culture d’origine ». On pressent

instantanément pour l’entrepreneur que cela signifie qu’il exploitera une ressource ou un savoir-faire de sa culture d’origine pour « enrichir » la société d’accueil et se « distinguer ». A la différence des stratégies radicales que constituent l’assimilation et la séparation, l’intégration constitue une stratégie d’acculturation intermédiaire où l’identité de l’individu se construit à partir de « la recherche d’une synthèse nouvelle et cohérente entre les deux cultures » (WINSONNNEAU, 1997, p. 131). Elle peut être rapprochée de ce que WIEVORKA (2001) qualifiait de stratégie du « métissage » que nous avons présentée comme le moyen de dépasser l’opposition entre les Rawlsiens et les communautariens119.

L’assimilation est définie par MANCO (1998) comme « la recherche d’une dissolution dans la société d’accueil » et la séparation comme « le retour aux sources de la culture d’origine » (MANCO, 1998, p. 10).

La posture de la marginalisation est plus problématique pour l’individu en termes identitaires. Ce cas de figure caractérise des individus qui ne parviennent pas à se situer entre leurs deux univers culturels, ni à en faire une synthèse et qui se sentent en quelque sorte « déracinés ». BERRY (1992) souligne que la conduite déviante est une issue fréquente de cette stratégie. Selon MANCO (1998), cette stratégie est une stratégie « non conformante ».

En posant l’hypothèse axiomatique d’une homologie homme-projet, on considère que ces

quatre postures identitaires définissent quatre stratégies entrepreneuriales typées.

Dans la stratégie assimilationniste, le projet du porteur issu de l’immigration tend à converger vers les projets de l’ensemble des entrepreneurs français. Cette convergence porte à la fois sur l’orientation commerciale du projet et sur le système de gestion de l’entrepreneur.

Dans la stratégie de séparation au contraire, le projet du porteur issu de l’immigration est spécifique et il s’apparente aux modèles des théories anglo-saxonnes.

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Rappelons que, pour l’auteur, le « métissage » traduit la possibilité pour les individus de ne s’affirmer, ni dans une négation de leur culture, ni au contraire dans une affirmation communautarienne.

La stratégie d’intégration correspondrait à des projets entrepreneuriaux réalisant un arbitrage entre des éléments culturels propres à l’immigré (un savoir-faire particulier, un mode de gestion original) et des éléments non spécifiques.

La stratégie de la marginalisation est une posture identitaire non conformante s’apparentant à des projets entrepreneuriaux de nature informelle, voire illicite ou à la limite de la légalité.

Il est notable de relever que cette modélisation s’applique aussi bien aux entrepreneurs d’origine immigrée s’établissant en France qu’à ceux qui choisissent après un temps d’émigration, de « rentrer au pays » pour y entreprendre. Les travaux d’anthropologues sur ces derniers cas (GALLIOT, 2000, pp. 89-90) soulignent qu’en rentrant au pays, les porteurs de projet ont subi le processus d’acculturation aux valeurs entrepreneuriales et sociétales du pays d’accueil (la France) et doivent à nouveau mettre en place un processus d’acculturation aux valeurs de leur pays d’origine. Sur des entrepreneurs rentrés au Sénégal, C. CHARDON (1999, p. 16) a montré que l’acculturation portait notamment sur la gestion du temps en rapportant un cas problématique.

« Le cas N°4 a voulu instaurer dans son exploitation un rythme quotidien de travail ‘à la française ‘. Il s’est très rapidement retrouvé seul sur son exploitation, incompris par le reste du village. »

Comme l’assure E. DONGALA (1999, p. 26), « bien souvent, des conflits révélateurs se sont produits entre les Africains occidentalisés, acculturés (qui ont connu une autre conception du temps) et les autres ».

Ces remarques permettent d’affirmer pour « les entrepreneurs au pays » que «le séjour en France a été l’occasion, de par la confrontation avec un autre mode de fonctionnement, d’autres valeurs, d’interroger le système de valeurs et les pratiques qui sous-tendent l’organisation de la société d’origine. La vision que portent désormais sur elle les migrants est significative d’un processus d’acculturation (…). Ajoutons qu’il semble leur être parfois difficile d’outrepasser certaines pratiques et d’en introduire de nouvelles » (GALLIOT, 2000 , p. 97).

Pour les spécialistes de ces questions, ce processus d’acculturation au retour débouche sur

trois figures de l’immigré (rentrant) qui correspondent parfaitement aux trois principales stratégies d’acculturation dépeintes par BERRY.

C. QUIMINAL (1991, p. 45) souligne que tout se joue dans le rapport à l’argent du rentrant. Pour les uns, en accord avec les patriarches, l’argent doit servir à la maintenance du système villageois. Ils aspirent à retrouver leur place de retour au village »120, optant pour une stratégie de ré-assimilation.

Pour les autres, minoritaires, il s’agit de leur argent gagné à la sueur de leur front, leur donnant droit à une place dans le monde capitaliste (…) »121. Portant haut les valeurs entrepreneuriales occidentales, ces derniers adoptent vis-à-vis de leur pays d’origine et de leurs valeurs traditionnelles, une attitude de séparation.

-Enfin, tentant d’adopter une stratégie d’intégration de leurs deux univers culturels, « les troisièmes cherchent des solutions de transition, une alternative entre la simple répétition de ce qui existe au village et qui pour eux n’est plus supportable, et la rupture, l’insertion brutale et sans grande chance de succès dans un monde où la compétition ne joue pas en leur faveur, monde qui de leur point de vue, n’est pas non plus très supportable»122. Ce sont eux notamment qui sont initiateurs des associations de développement.

Ces remarques soulignent la relative universalité de l’axiomatique de John BERRY qui peut ainsi être appliquée à l’ensemble des entrepreneurs migrants quels qu’ils soient et quels que soient leurs projets.

Outre l’intérêt tenant également à sa simplicité, cette axiomatique présente pour nous celui d’être aisément rapprochable d’un modèle de la spécificité/différence des projets portés par les immigrés, proposé par PIGUET (2000).

En combinant les deux modèles, nous entendons proposer un modèle empiriquement testable de l’acculturation entrepreneuriale des porteurs de projet issus de l’immigration en France.

120 QUIMINAL, op. cit..

121 QUIMINAL, op. cit. 122 QUIMINAL, op. cit.

3.4. Une modélisation testable sur la base de l'homologie