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3.2 Intégration des modèles théoriques : l’exemple du MICC

3.2.1 La théorie du comportement planifié

3.2.1.1 Présentation de la théorie

La théorie du comportement planifié (TCP) proposée par Ajzen (1985, 1991) est une extension de la théorie de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1975) à laquelle a été rajoutée la notion de "contrôle perçu". La TCP postule que le comportement est influencé par l’intention qui est elle-même influencée par 3 facteurs qui sont (1) les attitudes, (2) les normes sociales et (3) le contrôle perçu.

1. Les attitudes évaluent la désirabilité du comportement et de ses conséquences. Elles sont de deux natures :

• Les attitudes instrumentales correspondent aux évaluations que l’individu fait des coûts et des bénéfices qu’engendrera la réalisation du comportement. • Les attitudes affectives correspondent aux évaluations favorables ou défavo-

rables que l’individu fait à l’égard du comportement.

2. Les normes sociales évaluent l’influence et l’opinion des proches sur le comporte- ment. Elles sont également de deux natures :

• Les normes descriptives tiennent compte du comportement des proches de l’in- dividu.

• Les normes injonctives représentent l’encouragement des proches à effectuer le comportement.

3. Le contrôle perçu évalue la croyance du sujet en sa capacité à réussir le compor- tement. Le contrôle perçu est très proche du concept d’auto-efficacité développé par Bandura (Bandura, 1977). Cette variable est la seule des trois à agir directement sur le comportement en plus d’agir également sur l’intention.

Attitudes

Normes sociales Intention Comportement

Contrôle perçu

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3.2.1.2 La théorie du comportement planifié et les comportements alimen- taires

La TCP est un des modèles les plus utilisés en cognition sociale pour expliquer une grande variété de comportements. Son atout majeur réside dans sa parcimonie et sa bonne capacité prédictive du comportement. Dans la méta-analyse de McEachan et al. (2011), six études concernent des comportements alimentaires. Dans ce domaine, la TCP permet d’expliquer 21,2% de la variance du comportement et 50,3% de la variance de l’intention chez l’adulte. L’intention apparaît comme le prédicteur le plus important du compor- tement et les attitudes apparaissent comme le principal prédicteur de l’intention suivi par le contrôle perçu. Les auteurs mettent également en évidence que la TCP est plus efficace dans le domaine des comportements alimentaires et de l’activité physique que dans la prévention des risques de santé, du dépistage, de l’abstinence ou de la préven- tion dans les rapports sexuels. Dans une méta-analyse plus récente portant uniquement sur les comportements alimentaires (McDermott et al., 2015), les auteurs retrouvent un résultat similaire où les attitudes apparaissent comme le principal prédicteur de l’inten- tion (r+ = 0.54) suivi par le contrôle perçu (r+ = 0.42) et les normes sociales (r+ = 0.37). L’intention apparaît également bien comme le principal prédicteur du comporte- ment (r+ = 0.45) suivi par le contrôle perçu (r+ = 0.27) comme le suppose la théorie. Nejad et al. (2004, 2005) ont réalisé deux études portant plus particulièrement sur la TCP et les comportements de régimes. La première étude porte sur 256 femmes qui ont répondu à un questionnaire sur la TCP et leur intention d’effectuer un régime. Un second questionnaire évaluant le comportement a été rempli trois mois plus tard par 77 d’entre elles afin de savoir si elles avaient effectivement réalisé un régime. Les résultats montrent que la TCP permet d’expliquer 77% de la variance de l’intention et 46% de la variance du comportement. Le prédicteur majeur de l’intention de faire un régime sont les attitudes. En revanche, le prédicteur majeur du comportement apparaît être le comportement passé (le fait d’avoir déjà réalisé un régime par le passé).

Dans l’étude de 2005, Nejad et al. comparent la capacité prédictive de la TCP par rap- port à celle du modèle de croyance en santé au regard de pratiques de régimes restrictifs ou de jeûnes par des femmes souhaitant perdre du poids. Dans cette étude, la TCP permet d’expliquer 35% de la variance du comportement (contre 29% pour le modèle de croyance en santé). De plus, la TCP possède aussi une excellente capacité prédictive de l’intention avec une variance de 67%. Cependant, une analyse ne portant que sur le questionnaire de la TCP en rapport avec le jeûne (et non celui sur le régime) met en évidence une variance explicative du comportement plus faible (14,5%) directement expliquée par l’intention. L’intention de pratiquer un jeûne est quant à elle bien expliquée par les attitudes et le contrôle perçu avec une variance explicative de 58% (les normes sociales n’étant pas cor-

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rélées à l’intention).

Cependant, les résultats de cette étude sont difficilement transférables pour étudier le jeûne en général et en cancérologie. En effet, le jeûne dans l’étude de Nadj est effectué dans l’objectif de perdre du poids. Or, dans la seule étude sociologique sur le jeûne à ce jour (Barbier-Bouvet, 2010), la perte de poids apparaît comme très secondaire et n’est mentionnée que par 10% des personnes interrogées. Dans le cadre du cancer, où la perte de poids est bien souvent un facteur aggravant le pronostic de survie, cet objectif a peu de chance d’être prépondérant. Sauf peut-être dans le cadre de traitements par certaines hormonothérapies qui peuvent favoriser une prise de poids.

3.2.1.3 Les limites de la théorie du comportement planifié

Dans les années 1970, la théorie de l’action raisonnée suivie par la TCP dans les années 1990 a apporté des nouveaux concepts (l’influence des normes subjectives et l’intention) permettant une nouvelle approche du comportement. La TCP a permis de mettre en évi- dence la consistance de l’intention et du contrôle perçu comme prédicteur psychologique du comportement (McEachan et al., 2011). Elle a également démontré l’intérêt de focaliser les interventions de changement de comportement sur l’intention pour modifier le com- portement (Webb et Sheeran, 2006). Cependant, les données scientifiques des dernières décennies mettent en évidence l’intérêt de dépasser la TCP qui fait l’objet de plusieurs critiques importantes.

Une des critiques majeures de la TCP vient de son incapacité à mettre en évidence les origines des croyances sur les comportements (Hagger et Chatzisarantis, 2009). Pour Ajzen (1985, 1991), les attitudes, les normes subjectives et le contrôle perçu pour un comportement donné se développent au cours du temps au travers d’expériences variées. Ces expériences passées peuvent porter sur le même comportement ou sur des compor- tements similaires ce qui permet de créer des schémas de pensée qui seront utilisés par l’individu pour évaluer s’il doit s’engager ou non dans le nouveau comportement. Force est de constater que cette approche est limitée et n’est plus en accord avec les données scientifiques.

Tout d’abord, la TCP est une théorie focalisée sur le raisonnement rationnel. Elle exclut le rôle des influences inconscientes sur le comportement (Sheeran et al., 2013) et le rôle des émotions au-delà des effets affectifs attendus du comportement (Conner et al., 2013). La TCP repose sur l’hypothèse que toutes les influences externes au modèle sont médiatisées par la TCP. Or si on contrôle les prédicteurs de la TCP, on remarque que diffé- rentes variables peuvent prédire le comportement. Par exemple, dans l’étude de Sniehotta

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et al. (2013), les analyses de modérations1 montrent que la relation entre la cognition

sociale2 et l’activité physique est plus forte chez les personnes ayant une meilleure santé

mentale et un meilleur niveau socioéconomique. Il apparaît donc essentiel de mesurer et d’intégrer au modèle des variables pouvant avoir un effet de modération ou de médiation en fonction de la population et du comportement mesuré.

De plus, plusieurs études mettent en avant que d’autres variables peuvent prédire le com- portement. Des mesures auto-régulatrices comme la planification (Carraro et Gaudreau, 2013), des mesures d’auto-détermination comme l’anticipation de regret (Conner et Ar- mitage, 1998) ou encore l’intensité avec laquelle le comportement est devenu une habitude (Gardner et al., 2011).

Une autre limite concerne l’écart important entre la variance expliquée de l’intention et la variance expliquée du comportement. Pour rappel, dans le cadre des comportements ali- mentaires, la TCP permet d’expliquer 50,3% de la variance de l’intention mais seulement 21,2% de la variance du comportement (McEachan et al., 2011). Cette perte importante de variance va à l’encontre de la théorie qui suppose que le comportement est médiatisé uni- quement par le contrôle perçu et l’intention. La théorie stipulant même que les influences de toutes les variables biologiques, sociales, environnementales, économiques, médicales et culturelles sont médiatisées par la TCP (Ajzen, 1985; Sutton, 2002). Cette "hypothèse de suffisance" est conceptuellement difficile à défendre. Les connaissances actuelles montrent par exemple que l’âge, le statut socioéconomique, la santé physique, la santé mentale et certaines caractéristiques de l’environnement prédisent l’activité physique mesurée objec- tivement quand les prédicteurs de la TCP sont contrôlés (Sniehotta et al., 2014). Intégrer des variables médiatrices pouvant améliorer la relation intention-comportement semble donc indispensable pour limiter la perte de variance systématiquement mise en évidence dans les études.

Sans remettre en cause ces apports majeurs dans les théories comportementales, force est de constater que la TCP à elle seule n’est plus suffisante pour comprendre un com- portement. Cependant, toutes ces critiques ne visent pas forcément à se débarrasser de la TCP mais plutôt à la faire évoluer. Une des grandes forces de la TCP réside dans sa souplesse d’utilisation car son questionnaire doit être systématiquement adapté à la population et au comportement visé. De la même façon, les modérateurs et médiateurs à intégrer à la TCP doivent être également pertinents au regard de la population et du comportement visé.

1. Les analyses de modérations permettent de diviser la variable indépendante en sous-groupes afin de voir si la variable dépendante se comporte différemment selon les différents sous-groupes. On peut donc tester l’effet de l’âge ou du sexe, par exemple, sur la relation entre la variable indépendante et dépendante. 2. La cognition sociale est l’ensemble des processus qui sont impliqués dans les interactions sociales.

Construit théorique 3.2. Intégration des modèles théoriques : l’exemple du MICC

La TCP est une théorie comportementale. Elle n’a pas pour objectif de mettre en évidence les origines et les antécédents du comportement. En revanche, la théorie de l’autodétermination, qui est une théorie motivationnelle, remplit pleinement cette fonction. Ces deux théories sont donc complémentaires.