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focalisant sur l’alimentation. Cette reprise en main de leur alimentation redonne à ces patientes un certain sentiment de contrôle sur leur vie. Par ailleurs, il est à noter que les changements de santé ont plus de chance d’être réalisés par les personnes qui pensent que ces comportements sont associés à leur cancer (Costanzo et al., 2011).

Cependant, les modifications alimentaires durant le cancer du sein sont fréquentes et ne s’apparentent pas toujours à des stratégies de coping.

1.3 Les modifications alimentaires dans le cancer du

sein

La modification des comportements alimentaires dans le cadre du cancer est mise en évidence dans une étude de 2017 portant sur 117 femmes atteintes par un cancer du sein (de Vries et al., 2017). Dans cette étude, les comportements alimentaires ont été mesurés avant le diagnostic de cancer, ainsi que pendant le traitement, et ont été comparés à un groupe de 88 femmes témoins (sans cancer). Il apparaît que durant les traitements par chimiothérapie, l’apport énergétique total est diminué. Cependant, si les apports en gras, protéines et alcool diminuent, les apports en glucides et fibres alimentaires restent stables. Cette diminution des graisses et des protéines s’explique notamment par une baisse de la consommation de viande et de fromage. Comme les auteurs le suggèrent, ce comportement peut s’expliquer partiellement par une altération du goût causé par la chimiothérapie qui peut provoquer une aversion pour la viande (Steinbach et al., 2009; Boltong et Keast, 2012). Les auteurs mettent en avant également l’impact des symptômes causés par la chimiothérapie (bouche sèche, manque d’énergie, nausées, difficultés à mâcher). L’aug- mentation des symptômes apparaît négativement associée à la quantité totale d’apports énergétiques. Cependant, cette association ne se retrouve pas concernant les glucides et les fibres alimentaires qui, là encore, restent stables.

Au regard des études sociologiques, il nous semble que les explications des résultats de de Vries et al. (2017) ne peuvent être uniquement d’ordre physiologique. Tout d’abord, il est à noter que 66% à 68% de leur échantillon se composent de personnes avec un haut niveau d’éducation. Or, il est largement démontré que le statut socioéconomique influence le comportement alimentaire en favorisant les personnes avec un statut socioéconomique élevé (Pechey et Monsivais, 2016). Ces personnes font donc plus souvent le lien entre comportement alimentaire et cancer et sont plus enclines à modifier leur comportement alimentaire. Déjà en 2003, Chapman et Beagan mettaient en évidence trois groupes dis- tincts de personnes en fonction de leur perception de l’alimentation dans le cadre d’un cancer du sein. Le premier groupe se compose de personnes ne faisant pas de lien entre le cancer et le régime alimentaire. Ces personnes ont donc une consommation appelée "tra-

Le cancer du sein 1.3. Les modifications alimentaires dans le cancer du sein

ditionnelle", constituée de viandes transformées, de pommes de terre et de légumes. Le second groupe se compose de personnes dont l’alimentation reflète les recommandations officielles du "courant dominant" ("mainstream"). Ces personnes émettent l’hypothèse que ce comportement alimentaire réduit les risques de cancer. Le dernier groupe se compose de personnes qui adoptent une approche "alternative" focalisée sur les toxines, les car- cinogènes et les aliments protecteurs du cancer. Ce dernier groupe privilégie donc une alimentation biologique. Cependant, le fait d’avoir des croyances sur le lien entre cancer et alimentation n’est pas suffisant pour enclencher une modification du comportement. Le soutien de la famille, le statut socioéconomique, la culture alimentaire ont également une forte influence (Beagan et Chapman, 2004). Par ailleurs, si les femmes qui associent le comportement alimentaire au cancer sont plus enclines à adopter une alimentation dif- férente pour se prémunir des récidives, les femmes qui ne croient pas en cette association peuvent également modifier leur alimentation dans le but d’améliorer leur santé générale afin de mieux combattre le cancer ou mieux résister aux traitements (Adams et Glanville, 2005). Ces résultats font échos aux travaux de deux anthropologues qui se sont penchés sur la complexe relation entre alimentation et cancer (Cohen et Legrand, 2011). Ils ont réalisé 34 entretiens sur des adultes atteints de cancer, en traitement ou en rémission. Les auteurs notent que si

"pour beaucoup de malades, cette période marque une certaine soumission aux directives et interventions médicales [...] pour d’autres, les recherches per- sonnelles, l’influence de l’entourage ou les recours à des spécialistes du non conventionnel les amènent à rechercher une intervention complémentaire à celle de la cancérologie".

Ils mettent en évidence trois types "d’interventions" de la part des patients. La première consiste à fortifier le corps pour faire face aux traitements et pour optimiser l’action thérapeutique. La seconde vise à prévenir les effets secondaires des traitements dans la stimulation de l’élimination des produits toxiques des traitements (chimiothérapie). La troisième se centre sur la consommation d’aliments ou de boissons considérées comme anti-cancer.

Par ailleurs, ces modifications du comportement alimentaire semblent persister à dis- tance des traitements. Une étude de 2002 portant sur 3084 femmes ayant eu des traite- ments pour un cancer du sein depuis moins de 4 ans, met en évidence des modifications du comportement alimentaire pour 80% d’entre elles (Thomson et al., 2002). Les modi- fications les plus fréquemment rapportées sont une diminution de la consommation de viande rouge (61%), de fromage (53%), d’aliments gras (burger, fast food, aliments frits, pizza - entre 46 et 52%) et d’aliments sucrés (gâteaux, desserts, sucreries (47%) et une augmentation de légumes (60%), de fruits (58%) et de céréales complètes (39%).

Le cancer du sein 1.3. Les modifications alimentaires dans le cancer du sein

le cadre du cancer demande donc une approche globale. Elle nécessite de prendre en compte à la fois des facteurs physiologiques (effets secondaires des traitements), psycho- sociaux, socioéconomiques, culturels ainsi que les croyances véhiculées par les médias et les différents acteurs de santé. Car le jeûne, en tant que comportement alimentaire, est un phénomène de société qui bénéficie d’une importante médiatisation dans le cadre du can- cer. Les études scientifiques récentes remettent au goût du jour une pratique finalement très ancienne, préconisée par les trois principales religions monothéistes et plébiscitée par certains professionnels de médecines non conventionnelles.

Chapitre 2

Le jeûne

2.1 Les définitions du jeûne

2.1.1 Définition clinique

À l’heure actuelle, il n’existe pas de définition consensuelle du jeûne. En novembre 2017, le réseau NACRe a produit une revue systématique des données scientifiques sur la question du jeûne (NACRe, 2017). Ce rapport, auquel nous avons contribué pendant près de 18 mois, est le fruit de la collaboration de diverses unités de recherche. Dans le cadre de ce rapport, des définitions ont donc été formulées afin de clarifier la notion de jeûne dans le cadre des études cliniques.

"Dans les études cliniques, le jeûne intermittent est défini par un arrêt complet de l’ingestion de macronutriments (glucides, lipides, protéines) et de micronu- triments (vitamines, éléments-trace, minéraux en dehors de ceux contenus dans les boissons), sans restriction hydrique, pendant une durée de quelques heures à quelques jours. Entre les périodes de jeûne, l’alimentation est ad libitum. Dans certains protocoles, le jeûne alterne avec les autres régimes restrictifs (res- triction calorique, régime cétogène). Une reprise progressive de l’alimentation solide et des apports calorico-glucidiques est parfois proposée. Certains diffé- rencient, chez l’Homme, le jeûne complet du jeûne partiel dans lequel de petites quantités d’apports alimentaires sont autorisées, sous forme de bouillons de légumes, fruits ou jus de fruits, sans dépasser 250 à 300 kilocalories par jour. Chez l’Homme, le jeûne peut être considéré comme court s’il dure moins de 72 heures, et long lorsqu’il dure plus de 72 heures. "

L’adaptation physiologique au jeûne est continue et progressive. Cependant, on peut dis- tinguer quatre phases qui se succèdent comme suit (NACRe, 2017) :

Le jeûne 2.1. Les définitions du jeûne

Figure1 – Les trois phases métaboliques du jeûne. Source : Magazine Sciences et Avenir, №820 - juin 2015

Phase 1

Les heures qui suivent la prise du repas sont caractérisées par l’utilisation de réserves de glycogène (glycogénolyse hépatique) permettant d’utiliser les dernières ressources de glucose facilement mobilisables

Phase 2

Lorsque les réserves de glycogène diminuent, la glycémie et l’insulinémie baissent, induisant une diminution de l’utilisation de glucose des tissus in- sulinodépendants (muscles), au profit des tissus très gluco-dépendants (cer- veau, globules rouges). Durant cette phase 2, la lipolyse du tissu adipeux s’accélère

Phase 3

Après 1 à 5 jours de jeûne, l’épuisement des réserves de glycogène active la néoglucogenèse à partir des acides aminés (pouvant conduire à une fonte de la masse musculaire) ou du glycérol

Phase 4

Après 5/7 jours de jeûne, une production importante de corps cétoniques et leur oxydation au niveau cérébral permet une épargne protéique par dimi- nution de la néoglucogenèse au dépend des acides aminés

2.1.2 Consensus d’experts

En 2012, un panel d’experts a rédigé des recommandations concernant la "thérapie par le jeûne" (Wilhelmi de Toledo et al., 2013). Il est à noter que les auteurs de cet article

Le jeûne 2.1. Les définitions du jeûne

sont tous favorables au jeûne. La plupart d’entre eux encadrent des jeûnes régulièrement comme la première auteure de l’article, Wilhemi de Toledo, qui dirige deux cliniques privées de jeûne (Cliniques Buchinger). Par ailleurs, l’article est publié dans une revue allemande, pays dans lequel le jeûne semble beaucoup plus pratiqué qu’en France et peut même parfois être remboursé par la sécurité sociale (Lestrade, 2013; Delaby, 2014; Dac- cord et AFP, 2014). Dans cet article, le jeûne est défini comme "l’abstinence volontaire de nourriture solide et de stimulants (caféine, nicotine) pour une période limitée". Dans cette définition, deux notions intéressantes apparaissent qui font référence à des études parfois anciennes. La première concerne l’importance de l’abstinence volontaire. Cette prise en compte d’une dimension psychologique nécessaire au bon déroulement d’un jeûne selon les auteurs diffère de la définition purement biologique du rapport NACRe. Dans son livre "L’art de jeûner ", Toledo (2005) évoque l’étude de Huether et al. (1997) sur les rats. D’après cette étude, le jeûne pourrait potentialiser les effets de la sérotonine (qua- lifiée d’hormone du bonheur) et favoriser la baisse significative des hormones du stress (adrénaline, noradrénaline, cortisone) après les premières heures de jeûne. En revanche, une personne affamée qui subirait son jeûne (cas de famine) ne pourrait profiter des ef- fets bénéfiques de la sérotonine à cause du fort stress engendré par la peur de mourir d’inanition (Keys et al., 1950; Wilhelmi de Toledo et al., 2013). Pour rappel, on estime qu’une personne en bonne santé avec un indice de masse corporelle normal peut effectuer un jeûne hydrique pendant une durée d’environ 40 jours au maximum. La seconde notion concerne l’absence de stimulant comme la caféine et la nicotine pendant le jeûne. Cette recommandation très présente chez pratiquement tous les promoteurs du jeûne semble relever d’une connaissance empirique. Qu’elle soit fondée ou non, cette recommandation n’est pas argumentée scientifiquement dans l’article tout comme les recommandations qui suivent comme le fait de devoir garder un bon équilibre entre repos et activité physique pendant le jeûne. Ce mélange entre connaissances scientifiques et empiriques met en évi- dence un manque important d’études scientifiques sérieuses sur le sujet, ce qui laisse une place importante aux différents courants du jeûne pour exprimer leur connaissance em- pirique. En l’occurrence, l’importance de l’activité physique dans le cadre du jeûne n’est pas partagée par l’ensemble des courants du jeûne.

2.1.3 Définition empirique

Dans le cadre du rapport NACRe, nous avons analysé 61 ouvrages (liste des ouvrages en annexe A.2) rédigés par des auteurs tous favorables au jeûne. Les définitions du jeûne sont très variées et impossibles à énumérer. Cependant, l’analyse de ces différentes défini- tions est importante car l’accès à l’information de la part des patients ne se fait pas par le biais d’articles scientifiques mais bien par des livres grands publics, des sites internet ou par les articles et documentaires des médias.