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La théorie des bulles spéculatives : une identification des crises auto réalisatrices

Une crise des fondamentaux et les effets de la contagion.

I- La thèse de la crise grecque en termes de la spéculation et des comportements auto-réalisateurs

1. La théorie des bulles spéculatives : une identification des crises auto réalisatrices

Notre étude des crises auto-réalisatrices est motivée par la crise de la dette souveraine de la Grèce. Notre enquête nous conduira à travers la théorie des comportements auto- réalisateurs jusqu'à la littérature de la contagion et de la spéculation qui a suivi la crise de la dette souveraine grecque.

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Bien entendu, les modèles en termes de "prophéties auto-réalisatrices", caractérisés par des équilibres multiples et influencés par des facteurs subjectifs pendant les crises ne sont pas un domaine ignoré. Ces derniers remontent à plusieurs décennies, identifiés en premier par

Jevons (1875), qui a souligné le rôle des "sunspots" (ou tâches solaires172

) en économie. Il explique que la dimension auto-réalisatrice se manifeste par des anticipations sur le taux d'intérêt affectant les coûts d'emprunts, qui influence ensuite la solvabilité du pays. Les travaux de Minsky (1975) et Kindleberger (2000) ont avancé, dans le même contexte, l'idée keynésienne selon laquelle des comportements de type "esprits animaux" puissent constituer une source de mouvements des prix sur les marchés financiers et un déterminant de certaines crises. Selon De Grauwe et Ji (2012), la crise peut être provoquée par des comportements et des anticipations pessimistes qui, au-delà des raisons fondamentales, peuvent provoquer une

crise qui vient les confirmer173. L'idée de Keynes (1936), selon laquelle les "croyances des

croyances des autres174" auraient un rôle important, comme dans les "concours de beauté" met

en œuvre les comportements mimétiques assez sophistiqués. Les crises sont alors causées par des comportements mimétiques, une spéculation qui domine "l'esprit du marché" où les

investissements sont susceptibles de n'être pas rationnels175. Appliqué aux marchés des

actions, ceci peut provoquer une variabilité des prix des actifs, non lié aux fondamentaux mais sous l'influence de la "psychologie de masse". Ce comportement peut conduire à des bulles d'actifs qui s'auto-renforcent menant à des crises financières lorsque les sentiments ou

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Jevons (1875) a cherché à découvrir la cause des cycles économiques qui ont entrainé des fluctuations des prix sur le marché. Selon Jevons, les fluctuations des prix ne sont pas dues à un comportement cyclique, mais sont liées au nombre de tâches observées sur la surface du soleil. D'où l'hypothèse des tâches solaires qui se réfère au concept d'incertitude extrinsèque, c'est-à-dire l'incertitude économique qui ne provient pas de la variation des fondamentaux économiques.

173 En effet, l'histoire reconnait aussi trois crises, injustifiées par les conditions macroéconomiques mais qui sont

expliquées par des mouvements de prix spéculatifs : la crise de la Tulipe, la bulle du "South Sea" en Angleterre et l'effondrement de la Société Mississipi en France.

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Keynes a cherché à délimiter la spéculation sous l'influence de la "psychologie de masse", se référant à l'activité de prévision de la psychologie du marché. Il était intéressé à découvrir la manière dont le jugement individuel pourrait apparaitre dans une structure de croyances interdépendantes. Il suppose que les agents agissent en s'appuyant sur les observations et les comportements des autres investisseurs sur le marché. Keynes a souligné des itérations implicites et successives des individus qui essayaient d'anticiper comment les autres pourraient anticiper (comment les autres pourraient anticiper, etc).

175 Keynes a comparé ce processus à un pari sur un concours de beauté dans lequel les gens gagnent, non pas en

devinant quelle candidate est la plus belle mais en anticipant ce que les autres penseront des plus belles, qui à leur tour devineront les suppositions des autres et ainsi de suite.

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"l'esprit d'entreprise" changent. En d'autres termes, une bulle peut être définie comme une forme extrême de l'écart des prix des actifs de ce que suggèrent les fondamentaux (Garber, 2000). Le terme des bulles spéculatives est alors utilisé pour représenter des situations où les prix du marché dépassent largement le niveau dicté par les fondamentaux (Jones, 2014).

Dans le but d'étudier les théories des crises spéculatives et les comportements auto- réalisateurs, il sera opportun de décrire les fondements théoriques du comportement spéculatif développé par Kindleberger (2000). Bien qu'il fût intéressé par le modèle de Minsky dans le cadre de la politique économique, son modèle élucide la structure d'une bulle spéculative. Comprendre cette structure permet, dans une certaine mesure, de mieux reconnaître les symptômes d'une bulle spéculative. Selon Kindleberger, il y a un nombre d'étapes distinctes via lesquelles une crise spéculative se matérialise.

Premièrement, l'histoire financière définit une première étape de "déclenchement" qui

résulte d'un changement majeur. Par exemple, un choc extérieur sur le système économique ou financier qui modifie sensiblement les perspectives financières, les attentes et les comportements. Par exemple, dans la crise dite des "dot.com" de 2000, la spéculation a été engendrée par un certain fort développement des télécommunications et des technologies liées. Deuxièmement, l'expansion monétaire ou l'expansion du crédit prépare à la spéculation. En fait, cette expansion monétaire est emballée par un "sentiment omniprésent d'optimisme" (Galbraith, 1975 ; Kindleberger, 2000). Cela peut se projeter sous différentes formes y compris les déficits budgétaires, l'expansion du crédit bancaire ou l'utilisation des produits dérivés comme les CDS souverains, en développement depuis les années 1980. Quant à la partie économique, elle constitue la troisième étape, caractérisée par des transactions excessives de la part des investisseurs. Au cours de cette période, une tendance à la hausse des prix est engendrée par la demande des biens et des actifs financiers créant plus de demande. Ces deux dernières étapes constituent la phase "euphorie" de la spéculation où les acteurs de marchés s'éloignent des fondamentaux économiques et les comportements mimétiques dominent les marchés. Mais à un moment donné et souvent de façon inattendue, la psychologie des marchés subit des changements. Le déclenchement peut être naturel (comme, un tremblement de terre), politique (comme une guerre) ou économique comme l'effondrement d'une entreprise majeure (par exemple, l'affaire Enron, en 2001). Et finalement, la "détresse financière" constitue l'étape finale qui annonce la panique. Cette étape est déterminée par la liquidation des actifs qui est souvent désordonnée et peut dégénérer en panique. Cette phase résulte de prises excessives de risques suivies par une

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situation où les investisseurs se retrouvent insolvables et ne peuvent plus faire face à leurs engagements. Dans cette étape, les Banques Centrales peuvent intervenir, en alimentant le secteur financier de liquidité, pour éviter la panique désordonnée. Néanmoins, les plans de sauvetage du secteur immobilier en Australie en 1987, ont failli provoquer l'insolvabilité des grandes banques.

La littérature sur les crises auto-réalisatrices aborde aussi l'hypothèse des comportements mimétiques "Herding Behaviour" (Jondeau, 2001), qui reflète une imperfection de l'information. Le phénomène de mimétisme peut alors être interprété comme le fait qu'un agent trouve rationnel d'investir dans un domaine dont il connait mal les risques. Il réagit de la même manière que les autres intervenants, en tenant compte des avantages de

diversification que cette opération pourrait apporter pour son portefeuille176. Les décisions

d'investissement qui paraissent irrationnelles peuvent constituer une bulle qui se transforme en une panique bancaire ou souveraine (Kindleberger, 2000), ce qui explique les anomalies

sur les marchés177. Ces décisions instinctives et déraisonnables permettent aussi d'expliquer

l'apparition des anticipations auto-réalisatrices qui se manifestent par un phénomène de contagion, des anticipations adaptives et des comportements mimétiques qui se révèlent auto- réalisatrices (Cailleteau et Vidon, 1999). De fait, ces comportements peuvent générer un risque de sélection adverse liée à la perception d'une garantie implicite qui peut renforcer cette décision. Ils peuvent donc jouer un rôle de contagion et de prises de positions risquées d'un opérateur à l'autre.

Le diagnostic de ces symptômes devrait s'appuyer sur les observations des praticiens expérimentés. L'histoire constitue aussi un guide précieux, mais qui malheureusement ne fournit qu'un plan brut sans indication précise. Selon les observations de Friedman et Schwartz (2008), les crises sont difficiles à prévoir ex ante et peuvent se manifester d'une manière inattendue et imprévue. La crise de la dette grecque fournit un exemple cohérent avec ses observations. Les systèmes financiers ont accumulé plusieurs faiblesses fondamentales et des vulnérabilités structurelles sans aucune publication de ces mesures au

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Ils supposent que les agents ne sont pas bien informés sur le processus des variables qu'ils cherchent par exemple à anticiper, mais agissent en s'appuyant sur les comportements et les observations des autres investisseurs sur le marché.

177Ces décisions révèlent aussi les déficiences structurelles du marché qui se manifestent par une asymétrie

d'information et des comportements mimétiques qui jouent un rôle décisif dans la dynamique des crises financières (Mishkin, 1999).

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public. Pour cette raison, la crise est survenue comme une surprise (un wake-up call) pour la communauté européenne.

Enfin, plusieurs modèles ont été développés afin d'expliquer les bulles spéculatives. Certains de ces modèles (Alves, Ferrari et Paula, 2004) considèrent le comportement individuel rationnel comme vecteur de la mauvaise évaluation collective sur le marché, qui peut à son tour entrainer une bulle. En revanche, d'autres pointent l'irrationalité des investisseurs ou les ventes à prix "sacrifiés" comme indicatifs des bulles. En outre, les facteurs micro et macroéconomiques ont pris une place dans la mauvaise évaluation menant ensuite à la bulle (Allen et Gale, 2007). Ces auteurs expliquent que l'évolution des prix à la hausse plus qu'à la baisse, pousse les gestionnaires de fonds, qui sont généralement prêts à profiter de la possibilité de vente que cela représente, à choisir des portefeuilles risqués qui peuvent déclencher une bulle (Rajan, 2005). D'autres facteurs microéconomiques concernant les taux d'intérêts sur les prêts hypothécaires et la dette des entreprises nécessitent souvent d'être comptabilisés avec d'autres paramètres pour expliquer les bulles. Dans ce qui suit, nous présentons avec plus de détails ce qui est du lien entre les comportements auto-réalisateurs et la crise souveraine et, plus précisément, la dimension spéculative de la crise de la dette souveraine de la zone euro.

2. Une crise souveraine auto-réalisatrice, une crise de confiance : la

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