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Introduction du chapitre

3. La macroéconomie de la crise de la dette grecque : les facteurs explicatifs de l'éclatement de la crise

3.4 Les impacts d'un déficit courant persistant

En complément à l'emballement de la dette publique et à la baisse des taux de croissance économique, la faible compétitivité d'un pays est citée dans la majorité des travaux théoriques et empiriques comme une source de vulnérabilité importante dans le déclenchement du risque souverain. Ce composant constitue un facteur structurel du déclenchement de la crise souveraine qui se traduit par le déficit de la balance courante. Plusieurs auteurs ont montré que le manque de compétitivité, carence la plus citée par les souverains lors de l'engagement dans un investissement à l'étranger, est la traduction d'un déficit courant persistant. Afonso, Furceri et Gomes (2012) et Afonso, Gomes et Rother (2007) ont pris en compte ce facteur dans le but d'étudier les caractéristiques de la dette externe de ces pays reflétant en particulier leurs compétitivités. Opportunément, plusieurs auteurs ont souligné que l'endettement net à l'étranger est l'une des contraintes les plus importantes à laquelle la Grèce a dû faire face lors de la crise souveraine (Santos, 2011).

Par ailleurs, une inversion des flux des capitaux peut déclencher un renversement brusque de la balance courante (Calvo, 1998). Pourtant, pendant plus d'une décennie, les responsables grecs n'ont pas réussi à imposer la rigueur budgétaire ni à mettre fin à des politiques fiscales indisciplinées et à des déficits courants insoutenables. En Grèce, ceci se manifeste par la

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faiblesse des recettes budgétaires, handicapées par le poids de la corruption et la perte de compétitivité. Pour certains analystes, une perte de compétitivité continue et permanente peut alimenter un déficit courant persistant. Dans une tentative de justifier les mesures d'austérité, le premier ministre grec George Papandreou, avait lui-même expliqué que les causes de la crise trouvaient leurs racines dans l'administration fiscale peu organisée, minée par la corruption et le clientélisme car les fausses déclarations du gouvernement et l'évasion fiscale

étaient systématiques130.

La perte de la compétitivité internationale en Grèce est donc un dilemme structurel qu'il faut souligner. La Grèce a présenté un déficit à deux chiffres du PIB en 2006 et en 2008. Ceci constitue un mauvais signal pour une petite économie comme la Grèce qui a adhéré à la zone euro avec un solde déficitaire d'environ 7% du PIB. Au cours de la période 2001-2008, la Grèce a creusé année après année son déficit courant tout en répondant à la demande accrue des consommateurs se traduisant par des importations élevées. Ce déficit s'est accentué progressivement pour atteindre un niveau de 15% du PIB, en dépit d'une croissance

dynamique forte (3.8% du PIB)131. Cet état est lié au taux d'épargne national grec qui est le

plus bas comparé à celui des autres pays GIIPS (figure 2.2). La baisse de l'épargne est constante en Grèce. La Grèce et le Portugal sont les seuls pays de la zone euro à présenter des taux d'épargne négatifs, bien avant la crise financière de 2008, signalant un autre aspect des faibles fondamentaux budgétaires qui ont prévalu avec la crise souveraine. Cette baisse des taux d'épargne est suivie par un approfondissement du déficit du compte courant et par une accumulation de la dette extérieure (tableau 2.10). Dans ce contexte, nous pouvons déduire que la dynamique de la croissance grecque de 2007 est relativement faible par rapport à ses déficits extérieurs (figure 2.3) et comparée à d'autres pays industrialisés de l'UE.

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Et quelle meilleure preuve que la propre confession du gouvernement grec, qui en 2004 et en 2009, a admis avoir fourni des données statistiques falsifiées pour présenter un déficit budgétaire plus faible qui ne l'était en réalité afin de pouvoir entrer à la zone euro (Nelson, Belkin et Mix, 2011). Cette absence de contrôle a augmenté le niveau de corruption et a affecté aussi la compétitivité du pays.

131 Ce déficit trouve ses origines dans la demande accrue des consommateurs se traduisant par des importations

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Figure 2.2: Montant net d’épargne des GIIPS (en milliards d'euros)

Source des données : Ameco, Capital Formation and Saving, Total Economy and Sectors, Net-Saving, National (USNN), http://ec.europa.eu/economy_finance/ameco/user/serie/ResultSerie.cfm, données extraites le 04 Octobre 2018.

D'autres travaux ont souligné que l'endettement extérieur en Grèce est lié à la hausse des dépenses publiques dans une période de baisse des taux d'épargne, ce qui a engendré une illiquidité forte sur les marchés grecs (Akram et al., 2011). La nécessité d'un financement externe s'est donc manifestée, mettant plus de pression sur son système économique, ce qui a rendu la situation insoutenable. Il s'agit d'un scénario de double déficit (twin deficits), qui a été observé non seulement en Grèce, mais aussi en Espagne et au Portugal où la relation entre

déficit budgétaire et courant est avérée (Sulikova et Tykhonenko, 2017)132.

L'absence de tout ajustement budgétaire a renforcé les inégalités existantes entre les économies de la zone euro, dont la taille et les structures économiques sont différentes. Cette hétérogénéité est bien illustrée par les déséquilibres extérieurs en hausse qui distinguent les pays de la zone euro. En effet, Aizenman et al. (2011) ont signalé l'importance de la dette externe comme étant un déterminant économique du risque souverain sur le marché. Heinz et

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En effet, les données d'Eurostat montrent également une faiblesse dans les comptes extérieurs de ces pays dont le déficit courant a été supérieur à celui de l'Italie, de la France et de l'Allemagne. Au cours de la période 1995-2008, le déficit grec a augmenté de 2.4 à 14.9 % du PIB. De même, le déficit de l'Espagne a augmenté de 0.3% à 9.6% et celui du Portugal de 0.1% à 12.6%. Néanmoins, l'Italie et la France se sont déplacés du surplus (2.2 et 0.7% respectivement) au déficit (2.9 et 1.7%). Le contraste est observé en Allemagne dont le solde s'est déplacé du déficit au surplus (-1.2% à 6.2%).

-30 -10 10 30 50 70 90 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 Ireland Greece Spain Italy Portugal

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Sun (2014) ont insisté sur l'importance de ce facteur issu des activités d'importations excessives dans l'explication de l'émergence de la crise de la dette souveraine de la zone euro. Ils ont établi qu'un solde courant déficitaire constitue un facteur significatif dans la hausse du risque souverain.

Tableau 2.10 : Dette extérieure nette des GIIPS (en % du PIB)

Allemagne Espagne France Grèce Irlande Italie Portugal

1998 0.4 -31.7 -1.6 -28.2 25.7 -9.0 -22.4 1999 4.5 -32.1 -8.0 -36.5 50.4 -5.0 -31.5 2000 3.3 -32.0 -7.6 -40.1 -7.9 -7.2 -41.2 2001 8.7 -35.6 -2.0 -46.5 -15.2 -5.8 -47.5 2002 5.1 -41.6 3.0 -52.9 -17.9 -12.4 -54.6 2003 6.6 -45.2 -4.2 -58.9 -20.0 -13.6 -57.5 2004 10.7 -51.9 -4.7 -67.0 -17.9 -15.8 -64.1 2005 21.0 -55.6 1.1 -77.3 -24.5 -16.8 -66.9 2006 27.9 -65.8 1.1 -85.4 -5.3 -22.2 -78.8 2007 26.5 -78.1 -1.5 -96.1 -19.5 -24.5 -87.9 2008 25.5 -79.3 -12.9 -76.8 -75.6 -24.1 -96.2 2009 34.0 -93.8 -9.4 -89.6 -92.4 -25.3 -110.3 2010 35.4 -89.1 -12.5 -98.4 -88.0 -23.9 -107.2 2011 33.7 -90.3 -18.8 -84.5 -112.2 -21.7 -104.8 2012 41.5 -91.4 -21.1 -108.8 -112.0 -26.4 -115.4 2013 -3.9 94.7 32.4 132.7 -342.1 56.4 99.6 2014 -6.4 97.4 35.8 132.6 -399.5 58.5 104.3 2015 -8.4 93.9 35.3 137.8 -285.3 59.1 100.7 2016 -10.5 88.9 35.7 137.1 -358.5 54.8 94.0 2017 -13.0 86.9 37.8 136.2 -398.9 54.1 91.7

Source des données : Eurostat, http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/submitViewTableAction.do, données extraites le 04 Octobre 2018.

En outre, l'étude de Liu et Morley (2012) confirme la présence d'une relation positive et significative entre les facteurs macroéconomiques et le risque souverain. Cette relation implique ainsi une hausse de la probabilité d'une crise souveraine et de son déclenchement (Caceres et al., 2010 et Fabozzi et al., 2007), manifestée entre autres par une détérioration du compte courant. De leur côté, Manasse et Zavalloni (2013) ont montré que les pays ayant un solde courant déficitaire sont plus susceptibles de faire défaut sur leurs dettes souveraines. Leur étude souligne l'importance accrue de ces facteurs pendant la période de crise souveraine comparée à la période d'avant-crise.

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Figure 2.3 : Soldes des comptes courants (en % du PIB)133

Source des données : Ameco, Balances with the rest of the world, national accounts, Balances on current

transactions with the rest of the world (UBCA),

http://ec.europa.eu/economy_finance/ameco/user/serie/ResultSerie.cfm, données extraites le 09 janvier 2019.

Ce déséquilibre extérieur remet en question l'hypothèse de l'intolérance à la dette, pour laquelle le maintien d'un accès durable aux marchés de capitaux semble être indispensable, mais qui devient problématique pour ces pays (Reinhart, Rogoff et Savastano, 2003). En effet, pour la plupart des pays endettés et peu compétitifs comme la Grèce, la seule issue était l'emprunt extérieur. Malgré la divergence entre les deux dynamiques de la dette (interne et externe), celles-ci sont liées de sorte que le défaut sur la dette interne permet d'expliquer les risques et les effets de la dette externe sur l'économie grecque. Ceci est dû notamment au caractère procyclique des marchés de capitaux qui fournissent des ressources en période de relance anticipant une croissance continue et au contraire cessent de financer en cas de problème, ce qui aggrave la situation du pays débiteur.

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