• Aucun résultat trouvé

Un texte fondateur de la crise de la littérature (1947) et porteur de diverses révoltes :

 Contre l’ « Histoire »:

Ce qui détermine Jean-Paul Sartre à écrire cet essai en forme de discours-dialogue207 sont deux faits bien précis contre lesquels il se révolte : d’abord sa situation personnelle a été « bouleversée » par l’histoire car, même si depuis Pascal il sait que nous sommes embarqués quoi que nous fassions, l’ écrivain-professeur qui a tout juste réussi à sortir de son poêle en produisant son premier chef-d’œuvre (La Nausée, 1938) s’est retrouvé un peu malgré lui engagé dans la guerre et obligé de constater rétrospectivement l’aveuglement d’un certain nombre de ses congénères :

(…) tout à coup, pour nous aussi le grand escamotage historique commença, (…) notre vie d’individu, qui avait paru dépendre de nos efforts (…) il nous semblait qu’elle était gouvernée jusque dans ses plus petits détails par des forces obscures et collectives et que ses conséquences les plus privées reflétaient l’état du monde entier. Du coup nous nous sentîmes brusquement situés (…) les vacances étaient finies (…) Brutalement réintégrés dans l’Histoire, nous étions acculés à faire une littérature de l’historicité. (p.213) (nous soulignons)

L’histoire s’est imposée à lui et il ne veut plus avoir à subir cette imposition, il désire agir et pouvoir peser sur les événements par son activité artistique en concevant le projet ambitieux de créer une littérature qui rejoigne et réconcilie l’absolu métaphysique et la relativité du fait historique. (p. 223) Il s’agirait en ce qui le concerne de concilier ses recherches philosophiques et son talent d’écrivain pour développer une littérature de combat qu’il appelle littérature engagée où il pourrait exposer ses idées en en imprégnant ses personnages et ses récits, ce serait faire des romans où les idées tiendraient la place que la psychologie avait

206 C’est d’ ‘ailleurs une des conclusions de Renée Balibar dans son essai Les Français fictifs, 1974, 2007, Poiein, « (…) il faut se mettre à refaire la littérature sur la base (…) de l’exercice primaire. Point zéro de ma

réflexion, écrivit Camus, (…) Débattre de la démocratisation du français en ramenant (…) le problème de la

littérature sur le terrain du français qui lui est spécifique (…) c’est un moyen de rendre progressiste (…) la pratique littéraire. » (p291) (nous soulignons)

207 La première phrase de l’essai est révélatrice de cette posture choisie : Non, nous ne voulons pas « engager aussi » peinture, sculpture et musique, ou, du moins, pas de la même manière. Et pourquoi le voudrions-nous ?…

107 dans les romans antérieurs même si l’image employée des bananes mûres 208 dévalorise quelque peu son projet avant même de le réaliser ; et même si les figures de Baudelaire, de Flaubert et de Kafka déclassent ou relativisent celles de Richard Wright, de Vercors et de Nizan dans son « petit panthéon inconscient ».

 Contre l’évolution littéraire

D’autre part quand il examine attentivement l’histoire littéraire à travers tous ses « bocaux » il est bien obligé de constater qu’elle ne va pas dans le sens du développement d’un « langage-instrument » délivrant un message mais bien plutôt dans celui de l’installation d’une « prose-poétique » permettant l’expression. Cette évolution lui déplaît et il reprend la vulgate sur le style « soldatesque » développée depuis Montaigne : (le style) doit passer inaperçu, le plaisir esthétique n’est pur que s’il vient par-dessus le marché, toutes considérations convenues qui lui font envisager l’évolution survenue comme une sorte de maladie ou de dégénérescence : Si la contamination d’une certaine prose par la poésie n’avait brouillé les idées de nos critiques songeraient-ils à nous attaquer sur la forme quand nous n’avons jamais parlé que du fond ? (p. 31) En poursuivant son raisonnement il se montre assez visionnaire pour prédire une sorte de disparition ou du moins de marginalisation importante de la littérature dans cette explosion d’écrits subjectifs variés:

(…) comme si la littérature toute entière n’était qu’une vaste tautologie (p.35)

Telle est donc la vraie, la pure littérature : une subjectivité qui se livre sous les espèces de l’objectif, un discours si curieusement agencé qu’il équivaut à un silence, une pensée qui se conteste elle-même, une Raison qui n’est que le masque de la folie . (p.38)

Il s’agit en quelque sorte d’essayer d’inverser par une action personnelle volontariste la tendance évolutive de la littérature pour retrouver un langage de communication permettant de s’inscrire dans l’histoire.

Contre le présent

Enfin ce texte est bien fondateur car il « se pose » à un moment précis de l’histoire comme pour marquer une rupture avec ce qui a précédé : en effet sa dernière partie s’intitule précisément : « Situation de l’écrivain en 1947 ». Dorénavant et comme d’autres intellectuels Sartre prétend juger son activité d’écrivain, d’abord et avant tout, au regard de son utilité face à l’histoire209. Le mot-clé de cet après-guerre est le mot « situé »et il ne peut être question de renouer avec les années trente pour reprendre les expériences littéraires (a- historiques ou transhistoriques) menées depuis Proust et Gide comme si la guerre n’avait pas eu lieu. Sartre, plus que d’autres à cause de sa formation de philosophe, se pose la question de la « contingence » à laquelle est soumise la condition humaine, ce qui se traduit par une forme d’angoisse existentielle l’amenant à considérer la vie comme un sursis perpétuel d’où cette boulimie de vivre et d’écrire qui l’a saisi à la Libération. Or dès 1945, explique Michel

208

« Il paraît que les bananes ont meilleur goût quand on vient de les cueillir : les ouvrages de l’esprit, pareillement, doivent se consommer sur place. » ( p.82)

209 Cf Merleau-Ponty : « La guerre a eu lieu » TM, n°1, octobre 1945, En somme, nous avons appris l’histoire et nous prétendons qu’il ne faut pas l’oublier.

108 Contat210, Sartre devient non seulement un auteur à la mode mais il apparaît comme un chef d’école et il est investi du rôle de « maître à penser » pour toute une génération avant d’être promu rapidement ambassadeur de la pensée française à l’étranger. Cette brusque transformation fait de lui une sorte de « monument public » selon ses propres dires à un moment historique où pour compenser la défaite et effacer le désastre de Vichy se développe un nationalisme culturel dans une sorte de Nationalisation de la littérature (Situations II) qui porte à grandir les écrivains issus de la résistance. Cependant la technique du « roman de situation »211 que Sartre se propose de promouvoir n’est pas simple à mettre en œuvre car si, pendant l’occupation allemande il pouvait être assez aisé de choisir son camp et de défendre la liberté en paroles, l’après-guerre offre une situation bien plus complexe, ambiguë et incertaine, où le romancier happé par l’histoire risque d’être toujours en retard et de se lancer dans une course impossible à transcrire dans une œuvre achevée. Sartre vers 1949-1950 aboutit à une impasse : son grand projet romanesque des Chemins de la liberté restera inachevé et il sera amené à abandonner définitivement le roman.

On peut donc décrire la position de Sartre comme étant le résultat de trois révoltes concomitantes : contre l’histoire récente qui lui a volé une part de sa vie, contre l’évolution littéraire qui le prive de l’usage classique du langage et contre l’après-guerre qui obscurcit les enjeux du pouvoir politique. Ecrit dans un moment historique difficile, l’essai Qu’est-ce que la littérature ? ne se limite donc pas à circonscrire le domaine restreint d’un objet en crise (la littérature) mais il prétend se confronter aux différents problèmes exposés tout en essayant de chercher des voies d’issue. Pour cela il se propose de « refonder » la littérature sur des bases solides en retenant du passé ce qui mérite d’être retenu, en programmant l’action à mener au présent et en envisageant des évolutions à long terme.

Ce texte est malgré tout révérencieux. En effet si Sartre a eu l’ambition classique de tout dire en langue commune et de se faire « janséniste » (p.222) il a tenté également de poursuivre l’œuvre éducative des hommes de la Troisième République auxquels il adresse un hommage appuyé :

Ils possédaient tous cette forte culture intéressée que la Troisième République donnait à ses futurs fonctionnaires (…) Mais comme (ces grands hommes) venaient pour la plupart de milieux modestes ils ne se souciaient pas d’employer leur savoir à défendre les traditions bourgeoises (…) ils y ont vu seulement un instrument précieux pour devenir des hommes. (p.200)

Sartre écrivain s’est inscrit volontiers dans cette filiation incomplète (puisqu’il lui manque la figure du père) mais revendiquée : celle du grand-père et d’une « classe moyenne » à laquelle il reconnaît des qualités certaines :

Aux environs de 1900, à l’occasion de son triomphe dans l’affaire Dreyfus, une petite bourgeoisie laborieuse et libérale a pris conscience d’elle-même. Elle est anticléricale et républicaine, antiraciste, individualiste, rationaliste et progressiste. (…) Vivre, cela veut dire pour elle : choisir son métier, l’exercer avec conscience et même passion, garder dans le

210 Nous utilisons l’appareil critique de l’édition : Œuvres romanesques, bibliothèque de la Pléïade, 1981 211« Le roman de situation fonctionne selon les principes d ‘ une relativité généralisée, aucune des consciences présentées tour à tour n’a de point de vue privilégié sur les autres, sur soi, sur les événements »

109

travail une certaine initiative, contrôler efficacement ses représentants politiques, s’exprimer librement sur les affaires d’Etat, élever ses enfants dans la dignité.(…) Un de ses soucis intellectuels a été de fonder une morale laïque… (p.202, 203)

Cependant on peut dire que Sartre a « douté » de la valeur de cette appartenance culturelle et sociale et n’a pas désiré prolonger l’écriture « artistico-réaliste » à la Maupassant ou à la Daudet, écriture où l’intention d’art est réservée à la syntaxe, et à laquelle la petite bourgeoisie et les militants du PC ont adhéré comme étant le prolongement direct de la rédaction d’école primaire. Cette écriture, dit Barthes, ne peut déboucher que sur la préciosité et elle constitue le paradoxe des écrivains communistes. 212 Sartre a préféré renoncé au roman et s’ il peut être qualifié de dernier intellectuel à avoir assumé un rôle incarnateur et identificatoire213 il n’est pas sûr que son théâtre soit encore beaucoup lu ou représenté ni même que son travail de « romancier-philosophe » ou de « philosophe-romancier » soit encore apprécié ainsi que le propose Michel Contat dans ses analyses comme « des exercices » où la liberté s’essaie et se met à l’épreuve par l’écriture romanesque.214 S’il a réussi à être ce qu’il déclarait vouloir être : « un acteur de l’histoire » il le doit davantage à son infatigable et efficace parole selon le portrait dressé en 1953 par le poète Audiberti (portrait qui ne lui déplaisait pas selon les dires de son biographe) :

Tâcheron énorme, veilleur de nuit présent sur tous les fronts de l’intelligence.

Or, l’analyse le prouve, par l’éducation reçue, Sartre (comme Camus ) est le résultat d’une pédagogie que l’on peut qualifier d’insistante et de routinière mais à laquelle il faut bien attribuer le mérite, pour « ce fort en thème » et pour ses nombreux lecteurs agrégés dans le public fidèle de la 2e moitié du XXe siècle, de la création exceptionnelle, malgré son retard dû au handicap de quatre-vingts ans , d’un langage commun sur lequel nous vivons encore.215

Par quelle magie Sartre doit-il à ce handicap son originalité et son succès ? (…) il ne peut qu’exhiber ses contradictions et les résoudre à sa manière, par un dépassement dialectique (…) poussant à leurs limites les règles d’écriture transmises par un demi-siècle de routines pédagogiques, il joue au XXe siècle, auprès d’un public largement secondarisé, le rôle de Hugo dans un siècle qui venait d’apprendre à lire. Moins soucieux de singularité que d’universalité, dans son effort pour exprimer son temps, peut-être Sartre doit-il son pouvoir de fascination sur ses contemporains à une inquiétante familiarité, à une forte impression de déjà lu et pourtant de neuf.

La langue littéraire sartrienne a fait son effet de contamination et elle a irradié toute une époque (et bien au-delà parce qu’elle n’a pas été remplacée). Aucun autre écrivain n’a eu assez de force pour être une voix tutélaire c’est-à-dire pour incarner toutes les nouveautés dérangeantes mises à jour par la recherche et pour les transmettre à travers un langage

212

« Ecriture et révolution » p.50, 51 dans Le Degré Zéro de l’écriture, Roland Barthes, 1953, Points Seuil 213 Le Débat, juillet 2010 cité par Le Magazine littéraire de Juillet 2010

214 « La philosophie de Sartre (son matérialisme historique subjectif, si l’on veut) est dans sa démarche même une philosophie narrative. (…) Dans cette perspective, le roman (…) dévoile un certain type de présence au monde, il produit ce que Sartre a appelé « un universel singulier » (…) Dans l’ensemble de l’œuvre(…), le roman apparaît comme l’ancrage de la sensibilité singulière de son auteur dans la réalité historique. » 215

110 sensible. Exprimant son époque, l’œuvre de Sartre meurt avec elle, dit Michel Contat, mais elle demeure comme un fruit exotique car c’est une écriture qui invite tout un chacun à utiliser le pouvoir polémique des jeux de langage et donc à écrire.

Ce texte a aussi une portée programmatique quant à l’avenir de la littérature (ou du moins « du français ») car il propose une conception de « la littérature démocratisée » : celle-là même qui va se développer par la réforme de l’enseignement du français promue après guerre sur la lancée du Plan Langevin-Wallon et poursuivie par la Ve république qui selon A.Prost obéit aux situations, en permettant l’accès toujours plus important en nombre à des études secondaires avec la multiplication des CEG (réforme Berthoin 1959), puis des CES (Fouchet, 1963), la prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans216, la création d’un corps nouveau de professeurs par l’instauration du CAPES217 de lettres modernes. On peut dire que les vingt années de l’immédiat après guerre (1945-1965) sont pour l’Education Nationale une période de « rémission heureuse » par la conjugaison de trois facteurs : le nouveau corps de professeurs (parfois d’anciens instituteurs devenus PEGC) moins hostile que les conservateurs aux remises en question, moins optimiste que les pédagogues (…,) pratique son métier (…) avec conscience et sans illusions. Ce conformisme consciencieux, tempéré d’insatisfactions, révèle une grande disponibilité. 218 C’est-à-dire que ces professeurs de CEG comme ceux des EPS auparavant n’érigent pas de barrières culturelles entre eux et leur public mais tentent de transmettre de solides connaissances en même temps qu’ils s’efforcent d’accueillir les nouveautés sans lâcher les anciens savoirs. Cette démocratisation de l’enseignement est soutenue par un intérêt renouvelé pour la psycho-pédagogie de l’enfant qui s’appuie sur les travaux importants de Piaget et de Wallon 219 dans une forme d’optimisme et de générosité qui accompagnent les années du baby-boom. On peut également déceler un intérêt nouveau pour la culture que ce soit dans la soif de lectures nouvelles qui donne à Sartre et à Camus, entre autres, le public nombreux auquel ils aspirent, que ce soit dans la volonté de porter la culture sur tout le territoire (les Maisons de la culture d’André Malraux, les Tréteaux de France de Jean Danet, le TNP de Jean Vilar) et que ce soit l’unique chaîne de télévision (ORTF) qui accomplit une action éducative en diffusant des programmes culturels aux heures de grande écoute ( les adaptations de C.Santelli, les mises en scène de S.Lorenzi, les bonnes adresses du passé etc…) Tous ces mouvements convergent pour faire que l’attente sartrienne d’un public relativement homogène, cultivé et clairvoyant soit comblée bien au-delà de ses espérances avec l’explosion de mai 1968.

Enfin ce texte semble « visionnaire » puisqu’il prévoit l’ évolution culturelle qui mènera dans les années 70 à envisager la nécessité de pratiquer une « archéologie du savoir » pour mieux fonder les connaissances (critiques littéraires, linguistique, sémiotique…) : démarche qui, dans le domaine littéraire, amènera à une remise en cause du « dogme de l’expression »

216 L’ordonnance du 6 janvier 1959 décide de prolonger la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans à partir de 1967 217 Lui-même évolution du CAEC ( certificat d’aptitude à l’enseignement des collèges, ouvert aux licenciés en 1941) lui-même remplaçant le CAP à l’enseignement dans les EPS (intégrées au secondaire par le régime de Vichy) : les sigles changent, les structures restent un certain temps.

218 A.Prost, ibidem

219 voir toute l’actualité et la modernité que gardent les cours de Sorbonne de M.Merleau-Ponty(1949-1952) où le philosophe s’efforce « d’embrasser » et de synthétiser le savoir disponible et nécessaire

111 jusqu’alors développé par un manuel aussi répandu que le Lagarde et Michard ; 220 aboutissement de l’évolution entamée par Gustave Lanson sur l’explication de texte venue remplacée la rhétorique classique des Belles Lettres. Nous avons déjà parlé de la tentative de réforme de l’enseignement du français, initiée après le mouvement de mai 68 : elle donnera naissance à une Commission présidée par le poète résistant Pierre Emmanuel, qui produira un rapport sans dégager de ligne claire quant à l’enseignement du français. L’Institution obligée d’admettre la nécessité d’une réforme, retardera la publication du rapport et en atténuera les effets221. La crise du littéraire, sous les effets d’une « massification » et « diversification » des publics scolaires mais aussi par « l’éclatement des contenus » et « le tâtonnement des méthodes » ne fera ensuite que s’amplifier pour aboutir en 1997, comme nous l’avons décrit dans notre 1er chapitre, à une réforme réintroduisant l’étude de la langue écrite par une « néo- rhétorique »222 résultat de la pénétration des théories de l’énonciation au Collège. Il ne s’agit pas de dire que Sartre avait tout prévu mais l’on peut déjà discerner chez lui cette revendication d’une langue écrite assumée et assurée :

L’art de la prose s’exerce sur le discours, sa matière est naturellement signifiante : c’est-à- dire que les mots ne sont pas des objets, mais des désignations d’objets. (p.25)

La fin du langage est de communiquer (…) Notre premier devoir d’écrivain est donc de rétablir le langage dans sa dignité. Après tout nous pensons avec des mots. (p.282)

D’où vient alors ce sentiment d’un échec (et même d’un gâchis d’énergies) ressenti aujourd’hui rétrospectivement quand on essaie de retracer les différentes tentatives de réformes de l’enseignement du français comme d’ailleurs les mouvements de littérature engagée, minoritaire ou populaire ?

Peut-être l’erreur du projet sartrien a-t-elle consisté à vouloir être un sujet tout puissant qui décide de se servir du langage pour « dévoiler » la réalité dans le but de « libérer » l’homme ? En effet après le constat stupéfait :

… cinq ans, nous avons vécu fascinés, (…) cette fascination se reflète encore dans nos écrits : nous avons entrepris de faire une littérature des situations extrêmes. (p.222)

Vient le temps « d’un désir terroriste » où la violence se prolonge. Beaucoup de déclarations tonitruantes s’expliquent ainsi, par une sorte de revanche nécessaire sur ce qui a été subi dans une presque impuissance face au pouvoir totalitaire. On pourrait dire que pour compenser un engagement physique dans la Résistance (qui n’a pas eu lieu faute de conscience politique acquise au moment nécessaire) une attitude d’engagement incessante et inquiète est devenue presque un besoin vital et intellectuel que l’écrivain nous a légué comme le ferait un père (ou un maître) pour soulager sa mauvaise conscience et pour prémunir l’avenir :

220 Pratiques n°1, 1974 « Lagarde et Michard, le cas Diderot » par exemple : « Le dogme de l’expression est si puissant, si constant qu’il établit une circularité parfaite : l’être du sujet est constitué régressivement à partir des œuvres et l’œuvre est expliquée à partir de l’être reconstruit. »

221

voir Pratiques n°3/4 sept 1974 « De P.Emmanuel à J.Fontanet » rapport qui, refusant de poser la question de la littérature, se réfugiera dans l’idée de développement de la culture par la lecture et l’étude des textes. 222 Voir « Une néo-rhétorique d’école (1985-2005) » Dan Savatovsky (p..123 à 139) dans Le français, discipline d’enseignement : histoire, champ et terrain, dir J-L Chiss, H.Merlin-Kajman, C.Puech, Riveneuve éditions, 2011

112

Et si l’on nous dit que nous faisons bien les importants et que nous sommes bien puérils d’espérer que nous changerons le cours du monde, nous répondrons que nous n’avons aucune illusion, mais qu’il convient pourtant que certaines choses soient dites, fût-ce seulement pour sauver la face aux yeux de nos fils. (p.283)

Ce terrorisme du projet s’accompagne d’une certaine naïveté quant au pouvoir des mots comme si le langage pouvait être vraiment action à lui tout seul :