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Quand la science tente de « s’emparer » de l’idéologie

Gramsci se trouve à l’origine de la reprise de ce concept et de la grande diffusion qui en a suivi dans le monde culturel. Qu’est-ce que l’idéologie ?29Dans une note des Cahiers intitulée « le concept d’idéologie » Gramsci retrace l’histoire du terme : apparu d’abord dans l’école sensualiste (matérialiste) française du XVIIIe siècle, le mot signifie alors, comme son étymologie le suggère, la science des idées, au sens de l’analyse de leurs origines. Rapidement pourtant la définition se déplace vers l’acception de système d’idées. C’est de cette manière que Marx et Engels emploient le mot dans leur Idéologie allemande, (1846) qui définit l’idéologie comme une espèce d’ « illusion collective » ou plus exactement comme un « voile trompeur » masquant la réalité conflictuelle et contradictoire des rapports de production sous des principes universalistes. Antonio Gramsci choisit d’assumer entièrement la centralité du concept d’idéologie dans sa propre réflexion mais il ne lui assigne pas un sens négatif comme dans la tradition marxienne. Plutôt que de voir dans l’idéologie une forme dégradée de la conscience humaine en milieu bourgeois, Gramsci identifie cette notion à la culture même de la société, appréhendée sous son aspect de conception du monde. Sa surface sociale est donc très vaste et l’idéologie est intimement mêlée au sens commun et aux pratiques de la vie quotidienne de la population. Gramsci écrit que l’idéologie est ainsi :

une conception du monde qui se manifeste implicitement dans l’art, dans le droit, dans l’activité économique, dans toutes les manifestations de la vie individuelle et collective.

(Q11, §12)

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In Introduction à Antonio Gramsci, de G.Hoare et N.Sperber, Collection Repères, La Découverte, 2013. Comme le nom de la collection l’indique, les auteurs fournissent les éléments de repères nécessaires à l’approche de la pensée de Gramsci et nous empruntons largement leur analyse en ce qui concerne la définition du concept d’idéologie (p.76 à 88)

31 L’idéologie n’est donc pas un simple reflet déformé des données sociales matérielles mais une donnée active et opérante dans le cadre d’une praxis politique qui existe sous une forme aussi bien progressiste que réactionnaire. Elle est aussi un facteur d’union capable de mobiliser ensemble des coalitions sociales hétérogènes sous des mots d’ordre universalistes. Comme Durkheim, Gramsci souligne l’origine sociale de la religion qui réussit à « cimenter » le corps social avec les moyens de l’idéologie (croyances, rites, Eglise…) Mais il distingue d’un côté :

des idéologies historiquement organiques, c’est-à-dire nécessaires à une certaine structure

et de l’autre des idéologies arbitraires, rationalisantes ou voulues (des produits intellectuels privés du contact essentiel avec les masses).

Il est évident que pour Gramsci l’infrastructure ne « détermine » pas la superstructure au sens fort. Il semble plus fidèle de considérer que Basis et Überbau s’interpénètrent, se constituent mutuellement et agissent sans cesse en retour l’un sur l’autre formant à un moment donné de l’histoire un « bloc historique », il ne faut surtout pas voir les deux niveaux comme des réalités statiques n’entretenant qu’une relation de pure extériorité mais il faut penser leur unité dynamique à réaliser. L’attitude intellectuelle que préconise Gramsci consiste à saisir la rationalité de toute conception du monde dans les limites de son historicité par une sorte « d’absorption critique » dans une nouvelle théorie de la connaissance. La question de la relation appropriée à l’héritage culturel est une problématique sous-jacente à la pensée gramscienne. Elle attribue aux intellectuels dits « organiques » un rôle d’éducateur des masses dans une sorte de philologie vivante qui aboutirait à une réforme intellectuelle et morale. Ce rôle de persuadeur permanent a été incarné en France, nous semble-t-il par Jean Paul Sartre mais il faut ajouter que le penseur italien conçoit l’intellectuel dans un sens très large ; à la limite, pour lui tout homme possède une part d’intellectualité puisqu’il est amené à penser30. La clé de la reproduction hégémonique est l’éducation ou la relation éducative mais prise dans le sens très large, à la limite, de toute relation :

Cette relation existe dans toute la société et pour chaque individu à l’égard des autres, entre couches intellectuelles et non intellectuelles, entre gouvernants et gouvernés, entre maîtres et disciples, entre dirigeants et dirigés (…) Tout rapport d’hégémonie est nécessairement un rapport éducatif. (Q10 II, § 44)

L’utopie gramscienne conduit à concevoir une « société réglée » ou régulée c’est-à-dire là où règne « la règle » mais une règle purement consentie qui permette la « libre organisation » de l’idéal marxien. Là où l’éducation s’est muée en auto-éducation.

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« L’expression de Taylor elle-même - « gorille apprivoisé »- est une métaphore qui indique une limite dans une certaine direction : dans n’importe quel travail, même le plus mécanique et le plus dégradé, il existe un minimum d’activité intellectuelle créatrice.(…)tous les hommes sont intellectuels ; mais tous les hommes ne remplissent pas dans la société la fonction d’intellectuels(…)L’école est l’instrument destiné à élaborer les intellectuels de différents degrés » (Q12, §1)

32 Cependant il est à noter l’attitude très critique du penseur italien vis-à-vis de la réforme Gentile (1920) mise en œuvre par le ministre fasciste du gouvernement Mussolini.31C’est une série de réformes censées transformer le modèle d’enseignement traditionnel par l’inclusion d’un enseignement technique et professionnel pour les enfants issus des milieux populaires et par la valorisation de la « spontanéité » des élèves au détriment de la transmission trop mécanique des contenus. Si Gramsci peut superficiellement apparaître comme garant de la tradition, voire de l’autoritarisme à l’école, son propos est bien de montrer le caractère illusoire du progressisme gentilien : ce qui semblait « avancé » se révèle avoir des conséquences sociales réactionnaires. C’est d’une toute autre manière que l’école peut être démocratisée. D’abord il faut instituer une filière secondaire commune à toute la société et il exprime le souhait d’une symbiose des enseignements intellectuels et manuels à travers tout le système scolaire. Contre les travers de « l’intellectualisme », l’intellectuel organique doit toujours se sentir engagé dans la société concrète. Gramsci conçoit donc l’éducation comme un processus social fondamental, omniprésent à chaque stade de la vie humaine et comme Durkheim il souligne la nécessité du passage par un certain conformisme social avant toute phase critique. Le renouveau dans la conscience ne peut s’appuyer que sur un ensemble d’institutions concrètes existant au sein de la société.

Rappelons que pour Gramsci la culture est l’antithèse d’un système, et a fortiori d’un « système de valeurs ». Ce point est important puisque l’histoire de l’anthropologie a mis précisément en avant ce paradigme du système pour élucider les modes de vie des peuples. Il voit les travers potentiels inscrits dans une telle approche : le souci d’une cohérence artificielle, voire un essentialisme de la culture en « vase clos », l’absence de jonction entre pensée et pratique puis entre culture et politique, une incapacité à appréhender le changement et l’histoire32. A rebours de cette approche, Gramsci invite à voir la culture comme succession de pratiques quotidiennes. La culture désigne une certaine manière de vivre en société, c’est-à-dire d’agir en tant qu’être social et simultanément de penser sa propre action et le monde environnant. Cette perspective gramscienne prend le contre-pied aussi bien de la culture traditionnellement associée au savoir encyclopédique que celle qui entrevoit la culture comme le surplus de raffinement intellectuel d’une élite éduquée. Il conclut :

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Gramsci est un exemple de la réussite des études humanistes classiques et d’un parcours de méritocratie. Il vient d’un cursus universitaire de linguistique et de philologie (opus cité p.37)

Cette politique éducative du fascisme reléguant le formalisme et l’aridité de la théorie pour mettre la pratique au premier plan et insistant sur l’échange communicatif entre enseignants et élèves, pourrait passer aujourd’hui encore pour progressiste pourtant Gramsci va prendre le contre-pied des réformes Gentile dans une note des

Cahiers de prison intitulée « En quête du principe éducatif ». L’expérience de l’école primaire et secondaire, écrit-il, englobe nécessairement sa part de souffrances pour l’enfant dans l’imposition d’une discipline du corps et de l’esprit à laquelle l’élève est d’abord rétif. Quant à l’apprentissage poussé du latin et de la grammaire, aussi rébarbatif soit-il, il est un tremplin vers la liberté de pensée ultérieure, qui verra les capacités à l’abstraction des jeunes se convertir en outils au service de la fusion entre théorie et pratique à l’âge adulte. Dévaloriser la discipline intellectuelle à l’école, comme le font les réformes Gentile, c’est empêcher les milieux populaires d’accéder à des dispositions favorables à l’apprentissage via le système scolaire. Cela revient à affaiblir la méritocratie en lui ôtant ses outils. D’autant que l’autre pan des réformes de 1923 développait les filières d’enseignement secondaire technique : autre méthode pour consigner à un jeune âge des générations entières issues des milieux ouvriers ou paysans à des occupations manuelles subalternes.

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La culture est une chose bien différente. Elle est organisation, discipline du véritable moi intérieur ; elle est prise de possession de sa propre personnalité, elle est conquête d’une conscience supérieure. 33

Pour Gramsci, la culture n’est jamais figée, mais toujours en flux et soumise au devenir historique, loin d’un reflet mécanique des forces économiques comme le veut la thèse marxiste matérialiste. Avant Bourdieu, avant Foucault, les Cahiers de Prison proposent une des réflexions les plus poussées sur le rapport entre savoir et pouvoir , c’est-à-dire entre culture et politique et posent les questions suivantes : quel est le réseau d’institutions qui étaye la vie culturelle à l’échelle d’une société ? Quel type de relation éducative peut faire œuvre de transmission dans le domaine de la culture ? Quel est le rôle politique des intellectuels ? Pour Gramsci l’intellectuel ne se fait pas lui-même, au contraire c’est la société qui fait l’intellectuel. Son rôle social consiste dans la production et la diffusion du savoir dans la société. Du sens commun à la philosophie, de la littérature populaire à une littérature authentique, du travailleur manuel à l’intellectuel, le penseur italien dialectise tous les rapports en vue de les « retravailler » de l’intérieur pour les dépasser. Il n’a pas écrit particulièrement sur le langage mais il a consacré un cahier entier : le dernier (Il quaderno 29, 193534) à la grammaire, renouant ainsi avec ses premières recherches universitaires : les Appunti di glottologia35 effectuées sous la direction du linguiste Matteo Bartoli, s’interrogeant en même temps que Wittgenstein sur les rapports existants entre les deux pôles complémentaires que sont le langage et le pouvoir. (Lo Piparo, 2014)

Mon bon professeur Bartoli de l’Université de Turin était persuadé que c’était moi l’archange venu pourfendre définitivement les « néogrammairiens ». Pour ces derniers, l’histoire des langues est gouvernée par d’inflexibles et rigides lois naturelles ; pour les « néolinguistes » […] les causes des créations du langage sont, comme (ils) l’ont appris spécialement de Croce, des causes esthétiques- ou psychologiques selon d’autres - mais non pas physiques. (ibidem, 140, traduction proposée)

Les recherches sur l’influence qu’ont eue les idées linguistiques sur la pensée politique de Gramsci se sont intensifiées ces dernières années, il apparaît d’ores et déjà certain qu’elles sont un des piliers qui supporte tout l’édifice théorique et historique construit dans Les Cahiers. S’il n’existe aucun point de départ ou point de vue qui ne soit grammatical et si la régularité grammaticale modèle la vie entière36 la grammaire même exclue de l’école et n’étant plus «transcrite », ne pourra être exclue de la vie réelle.

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(Ecrits Politiques I, p75) cité p.24 ibidem

34 « Ho sempre trovato strano che l’ultimo dei Quaderni a noi noti (Q.29 nell’edizione Gerratana), scritto in unica stesura nel 1935, fosse interamente dedicato alla nozione di grammatica. E adesso possibile trovare una spiegazione. Il manoscritto delle Ricerche è datato novembre 1936 (…)La successione temporale dei manoscritti di Gramsci(1935) e Wittgenstein (1936) potrebbe non essere casuale. E se la riflessione, cosi’ specialistica, del

Quaderno fosse stata sollecitata dai racconti sraffiani dei problemi di filosofia del linguaggio su cui lavorava Wittgenstein ? » Lo Piparo (2014, 36)

35 Les projets de Gramsci étaient linguistiques si la politique ne l’avait tout entier requis : « In un opusculo (…) vengono annunciati (…) gli Scritti su la lingua italiana di Alessandro Manzoni a cura di Antonio Gramsci. » Lo Piparo (2014, 134)

36 On apprend la signification de « l’accord » en apprenant à suivre une règle. Celui qui veut comprendre ce que signifie « suivre une règle » doit déjà être capable de suivre une règle. La norme fait partie du « trousseau » ontologique de l’animal humain. (ibidem, 62, traduction proposée)

34 Comment est-on passé de la conception gramscienne dynamique et ouverte de l’idéologie (proche de la science des idées souhaitée par Durkheim ou de la sémiologie annoncée par Saussure) à une conception totalement négative productrice de déclarations terroristes ? Le projet sartrien semble à l’origine de ce retournement : il s’agissait bien de dévoiler la réalité par un discours libérateur censé désaliéner l’homme. Mais qu’est-ce qui a pu le revivifier dans les années soixante-dix avec un tel acharnement contre la littérature responsable de tous les maux ? Nous voyons deux causes à cette mise en accusation : la première serait la pénétration des idées structuralistes dans les études littéraires également (Barthes, Greimas, Genette, Kristeva…) ce que l’on a rassemblé sous l’étiquette de « La nouvelle critique » et qui a produit ses effets dans l’enseignement en poussant au rejet pur et simple de ce qui se faisait auparavant et que symbolisait la « bible » du Lagarde et Michard. Sans contester la richesse et l’intérêt de ces apports nouveaux pour la culture littéraire, la systématisation hâtive et parfois peu maîtrisée de leur didactisation a produit des résultats mitigés37 et surtout en s’éloignant de l’explication de texte donc d’une lecture guidée cette approche nouvelle n’a en rien favorisé l’apprentissage de l’écriture d’où le bilan critique tiré par Barthes (1976) en forme d’admonestation. Une deuxième cause plus difficile à débusquer serait celle de faire de la littérature dans son ensemble « la coupable idéale » et ce pour d’obscures raisons. A la définition sartrienne encore proche de celle de Gramsci38s’est substituée celle radicale de Pierre Barbéris, marxiste althussérien (1974)39 Or il semblerait que la caractérisation du marxisme (ou philosophie de la praxis dans les cahiers de Gramsci) en historicisme absolu ait pu engendrer des malentendus ainsi qu’une critique assez réductrice de la part de Louis Althusser (1968) 40qui, par ailleurs, s’est fortement inspiré de la

37 La didactisation de ces nouveaux savoirs ne pouvait pas se faire sans poser des problèmes. Comme l’écrit Pierre Kuentz dans l’article d’Universalis (2009) « linguistique et littérature » :

« Antérieure en droit à la linguistique qui n’en est qu’un cas particulier, la sémiologie ou sémiotique lui est postérieure en fait dans la mesure où se sont les modèles linguistiques qui en sont la première élaboration systématique. Ce qui caractérise ainsi les recherches de sémiotiques littéraires (…) c’est l’abandon de la procédure classique de l’explication de texte au fil du texte. Il s’agit ici de construire des modèles du texte c’est- à-dire des schémas abstraits destinés à rendre compte du fonctionnement de l’objet textuel, non plus au niveau des structures superficielles mais à un niveau plus profond ( cf Julia Kristeva, phénotexte et génotexte) »

38 La définition sartrienne (1946) est « mitigée », en effet à la déclaration abrupte : à chaque époque c’est la littérature toute entière qui est l’idéologie parce qu’elle constitue la totalité synthétique et souvent contradictoire de tout ce que l’époque a pu produire pour s’éclairer. (p.288) fait suite une constatation plus

désabusée : Le spirituel d’ailleurs repose toujours sur une idéologie et les idéologies sont liberté quand elles se

font, oppression quand elles sont faites. » (p.161)

39 « Si l’on prend en compte la définition althussérienne d’un savoir partagé en science et idéologie, il est clair que c’est l’enseignement des « Sciences humaines » et encore plus la littérature qui constitue un des lieux d’élection de l’idéologie dominante. » in Editorial du n°1 de la revue Pratiques

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En effet « l’historicisme absolu » était d’abord une riposte à l’historicisme « spéculatif » du penseur néo- idéaliste italien Benedetto Croce. Ensuite « l’historicisme absolu » sert à se réclamer de Karl Marx tout en condamnant la dénaturation de l’approche marxiste en un déterminisme économique réducteur qui nie le caractère ouvert de l’histoire et que Gramsci juge « vulgaire » : il a veillé à attaquer sans relâche la fétichisation de la causalité économique.

35 notion gramscienne d’ appareil d’hégémonie pour sa théorie des Appareils Idéologiques d’Etat : les AIE, théorie qui a rencontré un franc succès dans les années soixante-dix41.

Parallèlement à cette histoire et incidemment, force est de constater que les études littéraires ont été investies (même à leur détriment social) majoritairement par les femmes et que la littérature est un langage qui laisse exister d’une certaine façon l’expression du féminin autant que du masculin, un langage qui n’exclut pas le corps au profit de la raison. Que les femmes y aient recherché des voix et des styles qui ne les excluent pas n’a rien d’étonnant. Simone de Beauvoir, à laquelle Sartre a dédié ses deux ouvrages majeurs de philosophie, livre une analyse intéressante de la littérature, domaine dans lequel elle s’est pour ainsi dire « repliée» laissant à Sartre les initiatives philosophiques et politiques. Nous voudrions, si possible, éclairer ce choix en nous reportant à son ouvrage principal : Le Deuxième sexe. Dans le chapitre « Histoire », elle constate que le domaine culturel est celui où les femmes ont le mieux réussi à s’affirmer et que leur sort a été profondément lié à celui des lettres et des arts :

C’est vers elles que les hommes se tournent quand ils s’efforcent par la culture de franchir les bornes de leur univers et d’accéder à ce qui est autre. Le mysticisme courtois, la curiosité humaniste, le goût de la beauté qui s’épanouit dans la Renaissance italienne, la préciosité du XVIIe siècle, l’idéal progressiste du XVIIIe, amènent sous des formes diverses une exaltation de la féminité (…) inspiratrice, juge, public de l’écrivain, elle devient son émule ; c’est elle souvent qui fait prévaloir un mode de sensibilité, une éthique qui alimente les cœurs masculins et ainsi elle intervient dans son propre destin : l’instruction des femmes est une conquête en grande partie féminine. (Le 2e sexe, T I, p.176)

Les femmes se sont donc approprié le parcours culturel et la transmission qui l’accompagne. L’obligation scolaire et la démocratisation de l’école leur ont permis d’entrer dans le monde des hommes par le savoir et certaines se sont glissées dans les interstices élitaires du système.

L’école permettait alors de franchir des barrières, imaginaires et sociales, sans qu’on s’en rende vraiment compte, sans que les familles réalisent toujours l’espace de conquête et de liberté ainsi créé. L’excellence scolaire propulsait quelques filles dans des sphères jusque là masculines et les émancipait d’une tutelle familiale souvent conservatrice. 42

Parmi ces nouvelles privilégiées que sont les premières diplômées du siècle dernier, le cas de Simone de Beauvoir est emblématique car elle a choisi d’écrire dans la sérénité et l’objectivité puisque, pour elle, les deux sexes partagent désormais le même espace de la pensée.

Si la question des femmes est si oiseuse c’est que l’arrogance masculine en a fait une querelle ; quand on se querelle on ne raisonne plus bien. (p.31)

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Marie-Anne Paveau in « Discours et matérialisme » explique qu’Althusser concevait l’idéologie comme l’inconscient du sujet : « la théorie de l’idéologie d’Althusser naît partiellement de la psychanalyse : ce qui confirme l’importance de la psychanalyse dans la pensée d’Althusser. » Rappelons que, aux yeux de Gramsci, philosophie, idéologie et sens commun entretiennent des relations étroites et que l’hégémonie doit correspondre à une recomposition de la culture accompagnée d’un renouveau dans la conscience. Ce processus ne peut s’appuyer que sur un ensemble d’institutions très concrètes parmi lesquelles le système scolaire occupe une place