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Les fondations théoriques et méthodologiques de l’étude

III. Des territoires aux spatialités

A. Définir le territoire

1. Le territoire est le résultat de l’appropriation sociale de l’espace

Le territoire est un mot riche. Guy Di Méo (1998) propose de le définir à partir de deux composantes principales, l’espace social et l’espace vécu. La première composante re- groupe l’ensemble des relations sociales spatialisées. Elle agrège des lieux et les liens attachés à ces lieux et aux individus qui les fréquentent. La composante espace vécu fait référence au rapport vertical de l’homme au sol. Elle se nourrit de valeurs culturelles et témoigne de l’appartenance de chaque personne à un groupe localisé. En sus de ces deux composantes, Guy Di Méo (1998) ajoute quatre éléments de définition du territoire. Ils sont présentés sous forme de tableau pour une meilleure lisibilité.

Critères de définition du territoire Explication des critères

Insertion dans un ou plusieurs

groupes sociaux d’appartenance dans un ou plusieurs groupes localisés, comme la nation. Ce critère indique que le territoire intègre les individus Découpage et contrôle de l’espace Ce critère illustre la nature intentionnelle de la construction territoriale (aménagement, défense, lois). Existence d’un champ symbolique qui

fonde et renforce l’identité collective Ce critère concerne l’aspect subjectif du territoire, qui se matérialise notamment dans des hauts-lieuxmémoriels. Importance du temps long Ce critère souligne l’importance du temps dans la genèse territoriale, dans la fixation des frontières par exemple.

Tableau 1. Les critères de définition du territoire selon Guy Di Méo (1998)

En résumé, le territoire est un espace approprié au sens législatif (production et application de la loi), politique (création et gestion de niveaux administratifs du local au national), matériel (aménagement) ou encore idéel (héros nationaux, valeurs communes, etc.). Ces différents sens ne sont pas antagonistes. L’aménagement du territoire est influencé par les valeurs qui ont cours dans un État. En France, le principe d’égalité imprègne fortement les pratiques d’aménagement du territoire. Le déploiement de la fibre optique dans les campagnes suit une logique d’accès universel108. En retour, les aménagements font émerger ou consolident des

108Le plan « France Très Haut Débit » est lancé en février 2013. Il vise à couvrir l’intégralité du territoire en très

87 valeurs. Le développement d’Internet a par exemple donné un nouveau souffle à la notion de participation citoyenne109.

Dans la mesure où ses critères de définition sont interconnectés, le territoire est parfois envisagé comme un système (Moine, 2006). Le système territorial se décompose en trois élé- ments : les représentations, qui orientent les actions des habitants et des décideurs ; les ac- teurs, qui agissent sur le territoire ; l’espace géographique, aménagé, organisé et approprié par l’homme (Moine, 2006). Cette initiative a le mérite de penser le territoire autrement que comme le simple résultat d’une appropriation multiforme de l’espace. Le territoire est vu comme le produit de l’interaction entre des idées, des opérateurs humains et de l’espace déjà agencé (ce qui revient à prendre en considération la dimension temporelle). Mais cette con- ception du territoire ne résout pas tous les problèmes, puisque les représentations, l’existence d’acteurs et le rôle de l’histoire ne sont pas des critères propres au territoire mais communs à tous les espaces.

Les réseaux aussi sont associés à des imaginaires. L’expression « La où la route passe, le développement suit » (Ateba Noa, 2004) traduit bien une croyance, celle qu’une meilleure desserte routière est un prérequis au progrès économique et social. Les réseaux de transport impliquent un nombre significatif d’acteurs, comme nous le verrons pour le cas camerou- nais110. Ils sont enfin construits et organisés dans la durée. L’infrastructure ferroviaire en

France a exigé des siècles de travaux et son déploiement n’est pas achevé, puisqu’il s’agit aujourd’hui de bâtir des lignes à grande vitesse. L’allure générale du réseau dessine une étoile autour de Paris. Elle traduit l’importance économique, politique, symbolique de la capitale. Le territoire et le réseau partagent donc certaines caractéristiques. Comment les différencier ?

2. Le territoire et le réseau correspondent à deux métriques différentes

Deux visions s’affrontent dans les discussions sur la nature du territoire et du réseau et sur les relations entre ces notions. D’un côté, il y a ceux qui pensent que ligne et périmètres doté d’un budget de 20 milliards d’Euros (Agence du numérique, 2015). Le Cameroun développe un plan com- parable, dont l’un des nombreux objectifs est d’assurer la connexion haut débit dans les lycées, les bureaux de poste, les TCP, y compris en zone rurale (République du Cameroun, 2016).

109Pensons par exemple aux pétitions lancées sur Change.org. Elles permettent à des lanceurs d’alertes

d’atteindre un public large, de le sensibiliser à certaines questions sanitaires, environnementales, politiques et de recueillir son soutien pour faire pression sur des élus, des entreprises, des collectivités locales, etc.

88 forment un insécable Janus. C’est le cas de Rogerio Haesbert Da Costa (in : Allemand & Al., 2004 : p. 70), qui « préfère considérer les réseaux (leurs arcs et leurs sommets, leurs arrêtes et leurs points) […] comme étant l’un des éléments composant les territoires, au même titre que les zones ou les surfaces ». Gabriel Dupuy (1987) va plus loin en considérant l’extension des réseaux comme le catalyseur de la construction territoriale. Dans sa « théorie territoriale des réseaux », il envisage des « projets transactionnels », c’est-à-dire les liens que les indivi- dus pourraient vouloir instaurer avec certains lieux. Ainsi, quelqu’un peut souhaiter se bran- cher à un point d’eau pour irriguer sa plantation. Cette volonté de créer un canal d’irrigation est individuelle et a peu de chance d’aboutir tant qu’elle est circonscrite à un acteur isolé. Il faut donc qu’elle soit reprise à l’échelle collective111 pour qu’elle se concrétise. À l’image de

cet exemple agricole, la construction et la multiplication des réseaux contribue à territorialiser l’espace puisqu’elle exprime une intentionnalité et encourage des acteurs distincts à coopérer (Dupuy, 1987).

D’un autre côté, il y a les tenants d’une disjonction nette entre le territoire et le réseau. Jacques Lévy (in : Lévy & Lussault, 2003 : p. 909-910) s’inscrit dans cette école, puisqu’il désigne par ces termes deux manières différentes de mesurer et de gérer les distances, c’est-à- dire deux types de métrique. Selon lui, le territoire décrit tout « espace à métrique topogra- phique » caractérisé par la continuité, la contiguïté, l’existence d’une frontière et l’utilisation du mètre pour mesurer les distances. Il s’oppose au réseau, « espace à métrique topologique » marqué par la discontinuité, l’absence de limite claire et une méthode d’évaluation des dis- tances fondée sur les notions de connexité et de connectivité. La connexité traduit simplement l’existence d’une relation entre des lieux. Lorsqu’elle est maximale, tous les lieux sont reliés entre eux et le réseau est isotrope. Mais cette situation n’existe pas en réalité. La connexité est toujours imparfaite, ce qui veut dire que des points sont hors du réseau et sont de ce fait éloi- gnés des autres points. La connectivité signifie l’existence d’itinéraires alternatifs pour relier des points (Dupuy, 1987). Les transports toulousains offrent par exemple plusieurs possibili- tés pour atteindre la place Wilson depuis le campus du Mirail. Certaines sont directes, comme la ligne A du métro, d’autres nécessitent des correspondances : l’itinéraire via le tramway et la ligne B du métro, par exemple. La seconde solution est plus longue car elle implique de pas- ser par un nombre d’arcs plus grand que la première. Le tableau 2. synthétise les éléments de distinction entre le territoire et le réseau.

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Catégories

d’espace Sous-catégories d’espace (exemples) Mesure de la distance Type de limite l’espace (spatialité)Type de rapport à

Territoire État Topographique

(Système mé- trique)

Frontière nette Territorialité Pays

Terroir

Village, quartier

Réseau Réseaux de villes Topologique (Connexité, connectivité) Confins, extrémité Réticularité Réseaux sociaux Réseaux de transport Réseaux migratoires

Tableau 2. La différenciation entre le territoire et le réseau selon Jacques Lévy (1993 ; 2003) et Frédéric Tesson (2014)

Le territoire et le réseau se distinguent par leurs métriques. Mais ils ne s’opposent pas radicalement. Selon Jacques Lévy (1993), les territoires peuvent être envisagés comme des réseaux extrêmement denses112. Réciproquement, les réseaux se développent toujours par ré- férence à un territoire113. Le territoire et le réseau constituent donc un « couple » (Lévy, 1993 : p. 114) propice à l’analyse de tous les phénomènes géographiques. Ainsi, l’étude du commerce des vivres devient plus facile en utilisant les concepts de territoire et de réseau. L’activité des grossistes peut être appréhendée tant en termes de territoire (l’aire d’approvisionnement avec ses lieux d’entreposage réservés et ses fournisseurs fidélisés) qu’en termes de réseau (rapports sociaux avec les grimpeurs, les chargeurs, les transporteurs). Mais la thèse s’intéressant d’abord aux individus et à la manière dont ils construisent, agencent et reconfigurent leur « espace de vie », il convient de dépasser la lecture qui combine le territoire et le réseau. Il faut considérer les efforts, les moyens, les « arts de faire » (De Certeau, 1980) des acteurs dans leur action avec l’espace. L’outil qui permet d’atteindre cet objectif est la notion de spatialité.

B. La spatialité comme outil pour saisir les actions des individus avec l’espace

1. Au-delà d’un discours sur le rapport à l’espace, la spatialité renvoie à un ensemble de compétences

Dans un sens général, la spatialité décrit la dimension géographique d’un phénomène. Par exemple, l’agriculture urbaine a une spatialité. Elle se développe là où il y a de la place,

112Le réseau de villes Quattropole, qui fédère Metz, Trèves, Sarrebruck et Luxembourg autour de projets

culturels, a une forte connotation territoriale. En effet, ces villes, unies par des liens économiques forts (flux de frontaliers, de touristes, etc.), appartiennent toutes à un territoire de coopération transfrontalière nommé la Grande Région.

90 dans les interstices des villes denses114. Une deuxième définition du mot est fournie par Frédé-

ric Tesson (2014 : p.12), pour qui la spatialité correspond à une « manière de dire la relation à l’espace ». La territorialité serait ainsi la manifestation d’une spatialité appréhendée et vé- cue en surfaces exhaustives et contiguës. La réticularité renverrait à une spatialité plus élec- tive et discontinue, constituée de lieux et de liens. Cette conception de la spatialité est incom- plète car elle se limite à la qualification du rapport à l’espace. Elle forme donc un discours sur l’espace et ne reflète pas assez les actions concrètes des populations avec l’espace. Dans ses ouvrages sur les modes d’habiter, Michel Lussault (2007 ; 2013) assigne à la spatialité le rôle de décrire l’ensemble des actions spatiales qui permettent aux hommes (seuls ou en groupe) de conjurer l’effet des distances. André Torre (2009) donne l’exemple d’individus qui chan- gent de lieu de résidence pour bénéficier ailleurs de la présence d’autres habitants, d’infrastructures ou d’une ambiance culturelle différente. Les acteurs recherchent en perma- nence une forme de « maîtrise spatiale », c’est-à-dire qu’ils tentent de se placer et d’agencer les choses et les êtres, du logement à l’« espace de vie », de manière à ce que leurs projets aboutissent aux effets désirés. Cette aspiration n’est jamais pleinement réalisée, car elle se heurte au désir équivalent des autres acteurs115. La quête de « maîtrise spatiale » demande des

compétences particulières, souvent occultées car routinières (Lussault, 2013). Les compé- tences de la spatialité peuvent être utilisées simultanément116 ou de manière séquentielle117.

De même, les compétences ne sont pas utilisées avec la même intensité selon que les acteurs évoluent dans une en aire exclusive ou dans des réseaux. Cela nous amène à distinguer deux grandes familles de spatialité : la territorialité et la réticularité.

114Nous pensons aux toits, aux anciennes friches industrielles, aux jardins ouvriers, aux bas-fonds, etc.

115Cette incompatibilité des spatialités d’acteurs différents est au fondement de la réflexion menée au chapitre 9. 116Les trajets quotidiens domicile-travail mobilisent en même temps la « compétence métrique » et la

« compétence de parcours ». Pour arriver à l’heure sur le lieu de travail, il faut mesurer la durée du parcours. Il faut aussi adapter son itinéraire en fonction des aléas de la route : embouteillage, pluie qui rend la chaussée impraticable, etc.

117L’émigration internationale s’appuie d’abord sur la « compétence de franchissement », puis sur la

« compétence d’emplacement ». Dans un premier temps, il faut mettre en place une stratégie pour passer les frontières : obtention d’un visa, recours aux services d’un passeur, etc. Ensuite, il faut se placer dans la société d’accueil en choisissant, par exemple, de s’installer dans une ville où résident déjà des compatriotes.

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Compétences de la spatialité Définitions de la compétence

Compétence métrique Elle permet de maîtriser le proche et le lointain. Elle implique par exemple de savoir évaluer la durée d’un déplacement. Compétence d’emplacement Il s’agit de trouver la distance convenable pour chaque personne

(y compris soi) et pour chaque objet. Les grossistes de Ta’a Ma-

cabo, qui s’installent au plus près des plantations pour être les

premiers à acheter les récoltes, en sont une illustration. Compétence de parcours Elle consiste à suivre et à assurer un itinéraire. Au Cameroun, elle est stimulée notamment par la diffusion du téléphone (aide à l’orientation à distance). Compétence de franchissement Elle correspond au savoir-faire lié au passage des frontières, des sas de sécurité, etc. Dans le Moungo, elle s’exprime entre autres par le talent de négociation avec les forces de l’ordre (barrages formels ou informels, péages). Compétence de découpage et

de délimitation d’école est celui des zonages instaurés ou repris par les Plans de Elle désigne la création d’unités spatiales élémentaires. Un cas développement Communaux [PCD] : les réserves forestières, les zones industrielles, etc. Compétence scalaire Elle renvoie à l’aptitude à distinguer le petit du grand. Ainsi,

Loum est modeste en comparaison avec Douala, métropole multimillionnaire.

Tableau 3. Les compétences de la spatialité selon Michel Lussault (2013). Les exemples sont modifiés pour mieux coller au terrain d’étude.

2. Les individus combinent deux types de spatialité118

Il n’est pas difficile d’identifier des situations concrètes dans lesquelles territorialité et réticularité s’imbriquent. Frédéric Tesson (2014) suggère dans son HDR que les spatialités changent en fonction des étapes du cycle de la vie. L’expérience montre qu’en Afrique les enfants se divertissent, vont à l’école et participent aux tâches domestiques dans un périmètre équivalent à un quartier ou un village119. C’est en grandissant que, portés par un désir

d’autonomie et de construction de soi, ils démultiplient les mobilités et ont tendance à adopter un mode d’existence fondé sur les réseaux. Mais Frédéric Tesson (2014) ne se contente pas de souligner l’évolutionde la relation des hommes avec le monde. Il prétend aussi que cette der- nière puisse être simultanément territoriale et réticulaire. Les travaux de Patrick Gubry (1996) sur les « migrations de retour » au Cameroun éclairent cette spatialité double. Ils nous ensei- gnent que le territoire de naissance fonctionne comme un refuge, où le migrant peut rentrer

118La combinaison des spatialités est bien illustrée dans un texte d’Hélène Guétat-Bernard (2011 : p. 115). « […]

Les identités géographiques individuelles peuvent articuler et non opposer différentes formes de spatialité. Un même individu peut valoriser une identité marquée par les liens fort du « triangle magique culture-territoire- identité » (Cuillerai, Abeles, 2002 : 15, cité par Debarbieux). Mais il peut aussi, conjointement, mais à d’autres occasions ou engagements, pour d’autres raisons ou opportunités, apprécier une autre manière d’habiter plus marquée par la fluidité, la mobilité, le réseau ».

92 pour échapper aux problèmes rencontrés au lieu de destination, comme le chômage ou l’échec scolaire. Mais les freins à sa réintégration au village, combinés au fait que les départs précé- dents ont élargi son horizon et ses aspirations, le poussent parallèlement à dédoubler les con- tacts avec la ville afin de repartir un jour.

La territorialité apparaît dans les années 1920 sous la plume d’un ornithologue anglais, Henry Eliot Howard. Elle se diffuse en géographie à partir des travaux de Claude Raffestin (1977 ; 1982), de Joël Bonnemaison (1981) et de Robert Sack (1986). Pour Claude Raffestin (1982 : p. 170), la territorialité est « le système de relation qu’entretient une collectivité – et partant un individu qui y appartient – avec l’extériorité et/ou l’altérité à l’aide de média- teurs ». Elle est le rapport entretenu par l’homme socialisé, tant avec les membres de sa socié- té et qu’avec ceux qui n’en font pas partie, à l’aide d’instruments. Ces derniers peuvent être abstraits, comme la coutume ou la loi, ou très concrets, comme la voiture ou le téléphone portable. Joël Bonnemaison (1981 : p. 254) définit la territorialité comme « la relation sociale et culturelle qu'un groupe entretient avec la trame de lieux et d'itinéraires qui constituent son territoire ». Elle est comme un lien invisible qui unit toutes les personnes qui se revendiquent d’une même identité et qui se reconnaissent dans les mêmes lieux. Dans une autre publication, Joël Bonnemaison (in : Antheaume & Al., 1989 : p. 502) la qualifie même de « convivialité fraternelle ». Robert Sack (1986) se démarque fortement des deux premières conceptions de la territorialité. Selon lui, elle est un outil de gestion des usages de l’espace. Recourir à cet outil signifie par exemple qu’au lieu d’expliquer à un enfant quel objet il a le droit de manipu- ler ou non dans une cuisine ou dans une chambre à coucher, ses parents vont simplement lui en interdire l’accès. En somme, la territorialité est un moyen de réguler son rapport aux autres ou de maîtriser l’utilisation de son espace. Marie-Claude Cassé (1995 : p. 70) l’assimile à un « système de comportement ». La territorialité mobilise certaines des compétences présentées plus haut, comme la « compétence de découpage et de délimitation » dans l’exemple donné par Robert Sack (1986).

La notion de réticularité partage une étymologie commune avec celle de réseau. Selon le CNRTL (2012), elle provient de la racine rets, qui signifie « filet ». Plus discrète dans la littérature que les dérivés du mot territoire, elle appartient cependant au jargon des profes- sionnels et des chercheurs spécialisés dans l’étude du trafic passager et du fret120. La réticula- rité désigne « la capacité d’une structure à fonctionner en réseau » (Bavoux & Al., 2011), ce

93 qui s’applique par exemple aux entreprises, qui déploient des relations (livraisons de manières brutes, navettage des salariés, etc.) à partir ou vers les villes où elles sont implantées (Montu- let, in Bassand & Al., 2007). La réticularité est aussi employée pour rendre compte de l’éclatement des contextes individuels de l’existence, qui se manifeste à la fois par une aug- mentation notable du nombre de lieux parcourus et par une faible appropriation de ces der- niers. Elle affleure dans la conclusion d’un ouvrage collectif sur Dar es Salaam, dans lequel Bernard Calas et ses co-auteurs (2006) montrent que les citadins jonglent entre des espaces multiples dans lesquels ils ne s’investissent pas pleinement, se laissant ainsi la possibilité de rectifier leur trajectoire dans la ville ou même ailleurs. Il en va de même pour les activités productives, qui traduisent de moins en moins des projets professionnels sur le long terme. Comme pour les localisations résidentielles, les travailleurs se ménagent toujours une « porte de sortie », la flexibilité des occupations étant considérée comme une stratégie de minimisa- tion des risques économiques. Ces attitudes se signalent par des connexions fragiles et tempo- raires à des lieux dispersés dans toute la métropole tanzanienne. Forts de ces constats, les au- teurs optent pour une théorisation fluide des pratiques spatiales, en parlant notamment de « spatialités-rhizomes » (Calas & Al., 2006 : p. 379). On doit à Gilles Deleuze et Félix Guat- tari (1980) d’avoir diffusé la notion de « rhizome » au sein des sciences sociales. Cette idée est stimulante en ce qu’elle permet de considérer les systèmes de relations aux lieux et aux