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Le terrain comme support de la réflexion

III. Bilan de la production et du revenu agricoles

A. La diversité des productions agricoles

La production agricole dans le Moungo est très diversifiée. On peut identifier trois types principaux de production : les spéculations d’exportation, les cultures maraîchères et la viande d’élevage. Ces productions sont séparées par souci de clarté, mais, en réalité, il n’existe pas de limite étanche entre elles. L’ananas destiné à être expédié en Europe peut être vendu localement s’il ne respecte pas les calibres, les critères de couleur ou de goût imposés par l’importateur. Il entre alors dans la catégorie des vivres. Inversement, le manioc ou le porc du Moungo peuvent être commercialisé et consommé dans les pays voisins, devenant ainsi un produit d’export.

Dans le Moungo, les spéculations d’exportation sont historiquement le café robusta, le cacao et la banane dessert. Le café robusta perd de son importance. La production nationale est en recul de 38% entre 2004 et 2015. Le cacao et la banane dessert résistent mieux. Le premier enregistre une hausse de sa production de 38% entre 2004 et 2015 (ONCC, 2018), alors que la banane dessert progresse de 37% entre 2007 et 2013 (MINADER, 2009 ; Planta- tion du Haut-Penja, 2013). À côté de ces cultures historiques, se développe la production d’ananas et de poivre blanc. En 2015, UNAPAC produit dix fois plus d’ananas qu’en 2004, soit 4 000 tonnes environ (FAO, 2009 ; Score 2000, 2015). La production de poivre blanc est plus modeste, de l’ordre de 300 tonnes par an sur la période 2013-2015 (Investir au Came- roun, 2013 ; Kouagheu, 2016). Mais depuis son introduction en 1930, l’épice s’est considéra- blement diffusée. On la cultive aujourd’hui dans six arrondissements, dont ceux de Loum et de Manjo200. Elle est pour le moment peu exportée (120 tonnes en 2015), mais l’acquisition d’un label201 en 2013 améliore sa notoriété internationale. Le prix du poivre est en constante

augmentation, de 2 500 FCFA en septembre 2013 à 14 000 FCFA en 2015 (Kouagheu, 2016).

200L’IGP Poivre de Penja couvre les arrondissements de Mombo, Mbanga, Njombé-Penja, Loum et Manjo dans

le Moungo, plus celui de Tombel dans le Koupé-Manengouba (Metomo, 2015).

201 L’IGP est un titre de propriété intellectuelle qui protège les produits de terroir. Dans le cas du poivre de Penja,

ce sont surtout des caractéristiques pédologiques, climatiques et altimétriques qui définissent le périmètre dans lequel peut être produit le poivre (Metomo, 2015).

181 En plus des spéculations d’exportation, les paysans du Moungo produisent une grande variété de fruits, de tubercules, de légumineuses et de condiments. Dans les anciennes ca- féières, les arbres fruitiers202 se multiplient. Le cas de la papaye solo est emblématique, car il illustre l’arrimage du Moungo aux circuits commerciaux nationaux. Développée par la re- cherche agronomique à Njombé203, la papaye a l’avantage d’être moins exigeante en investis- sements financiers que d’autres cultures comme l’ananas. Elle est aussi adaptée aux habitudes des clients, qui consomment à toute heure de la journée des fruits découpés, conditionnés dans des sachets plastiques (Tchawe, 2003). Outre les fruits, le système vivrier se compose en gé- néral de maïs, associé à des tubercules, à des légumineuses comme l’arachide ou le haricot et à du bananier plantain (Sanchez, 2002). Les associations varient au niveau local. Par exemple, le corossol est plus fréquent autour de Manjo qu’à Loum.

Enfin, une partie des habitants du Moungo pratique l’élevage (13 répondants sur les 67 qui ont une activité agricole). Dans le passé, des laiteries ont existé autour du mont Manen- gouba (Barbier & Al., 1983), mais elles ont disparu. L’élevage se concentre sur le petit bétail : poulets (huit personnes), porcs ou chèvres (quatre personnes) ou canards (trois personnes). Les bêtes sont soit abattues pour leur viande, soit commercialisées. Des Bayam-Sellam sont spécialisés dans l’achat de viande, qu’ils vendent ensuite à des bouchers. Un porc de 100 kilos est acheté au producteur aux environs de 220 000 FCFA, tandis qu’un poulet coûte 3 000 FCFA. Mais l’élevage d’un porc ou d’un poulet demande du temps : au moins six mois pour un porc, trois mois pour un poulet. L’activité n’apporte donc pas de revenus continus, d’où la difficulté d’en vivre dans la durée [Entretien avec Benoît, 2014].

B. Saisonnalité et rentabilité des plantations

Cette section propose un bilan financier de deux exploitations agricoles, choisies parce qu’elles sont illustratives de ce qui existe dans le Moungo : elles sont plutôt petites, localisées à moins de six kilomètres du logement et cultivées en dehors de toute affiliation à une struc- ture paysanne. Nous avons choisi une exploitation dirigée par un homme et une exploitation dirigée par un femme, car les cultures pratiquées varient selon les sexes. Les données pro- viennent du troisième module du questionnaire de 2015. Nous avons invité les répondants à

202Les arbres fruitiers les plus courants sont le kolatier, l’oranger, le safoutier, le manguier, le palmiers à huile ou

encore le papayer.

182 évaluer les sommes investies dans leurs plantations au cours de la saison204, puis nous leur

avons demandé d’estimer leurs gains sur le mois précédant l’étude. L’enquête s’est déroulée de janvier à mars 2015, c’est-à-dire sur une période où de nombreux produits arrivent à matu- ration.

Coûts de production pour la période no- vembre-février 2015

(en FCFA)

Engrais : Sulfate de potasse (6 kilogrammes utilisés) 4800 Engrais : Urée (3 kilogrammes utilisés) 1200 Engrais : 20/10/10 (1 kilogramme utilisé) 400 Herbicide : Gramoxone (2 litres utilisés) 3500

Nématicide : Mocap (2 kg utilisés) 3000

Trajets domicile/champ à mobylette (5 A/R par semaine) 5850

Utilisation du téléphone portable 6000

Achat de sacs en toile 2000

Total des coûts de production (pour trois mois) 26 750 Coûts de production rapportés à un mois 8 916

Production agricole en février 2015 (en

UML)

Ananas (Haute saison : novembre à avril) 100 fruits Banane plantain (Haute saison : décembre-mars) 15 régimes Canne à sucre (Haute saison : novembre-mars) 3 bâtons Kola (Haute saison : décembre-janvier) 1 sac (100 kg) Macabo (Haute saison : décembre-mars) 2 sacs (200 kg) Manioc (Haute saison : septembre-mars) 1 sac (100 kg) Papaye Solo (Haute-saison : Septembre à mars) 1 sac (50 kg)

Revenu agricole brut en février 2015

(en FCFA)

Ananas (100 fruits vendus) 20 000

Banane plantain (4 régimes vendus) 11 800

Canne à sucre (aucune vente) 0

Kola (1 sac vendu) 15 000

Macabo (2 sacs vendus) 20 000

Manioc (aucune vente) 0

Papaye solo (1 sac vendu) 10 000

Revenu brut pour février 2015 76 800 Revenu net pour février 2015 (revenu brut-couts de production mensualisés) 50 050

Tableau 8. Contribution de l’agriculture au revenu d’Abdou (Q-63) en février 2015 (Source : Enquête statistique, 2015).

De plus, la saison sèche facilite la circulation sur les routes, donc la commercialisation des récoltes. Les mois de janvier, de février et de mars correspondent à la haute saison agri- cole, où le revenu de la ferme est à son niveau maximal. Ce maximum atteint en moyenne 117 500 FCFA, ce qui peut paraître élevé, mais ne l’est en fait pas tant que cela. D’abord, ce chiffre ne tient pas compte des coûts de production : c’est un aperçu du revenu brut. Ensuite, c’est une moyenne : elle est donc sensible aux valeurs extrêmes. Seules six plantations décla-

204La récolte du mois de février ou de mars 2015 dépend du soin apporté à la plantation depuis le début de la

saison, qui a une durée différente selon les espèces. Le manioc a un cycle de six mois au minimum, celui de l’ananas peut durer plus d’un an [Entretien avec Jean-Guy, 2014]. C’est pourquoi, nous prenons en compte les dépenses (en engrais, en main d’œuvre, etc.) jusqu’à trois mois avant l’enquête.

183 rent un revenu mensuel supérieur ou égal à 117 500 FCFA205. Enfin, en comparaison avec les

revenus nets d’un chauffeur de taxi, qui oscillent entre 115 000 et 280 000 FCFA par mois (Tessoh, 2016), le revenu d’un planteur est souvent inférieur.

Abdou (Q-63) a réalisé un chiffre d’affaires brut de 76 800 FCFA en février 2015. Ce chiffre est environ trois fois supérieur au seuil de pauvreté, mais il fluctue au cours de l’année206. Abdou consomme 11% de son revenu mensuel brut pour couvrir les coûts de pro- duction. Ces derniers sont gonflés par les dépenses de transport et de télécommunication (11 850 FCFA pour trois mois). Bien que le champ soit peu éloigné du logement (2,5 kilo- mètres) et qu’il ne s’y rende pas quotidiennement (cinq fois par semaine), le transport coûte presque 6 000 FCFA pour une saison207. Les frais liés au portable sont comptabilisés car

l’appareil est mis au service de l’agriculture. Il sert non seulement à contacter les acheteurs, mais aussi à demander des conseils à l’entourage à propos du semis ou du traitement chi- mique. La consommation d’engrais et d’herbicides représente 13 900 FCFA. Cette somme s’explique par la nature de l’exploitation, qui produit des fruits à destination de la ville et de l’étranger208. Cette stratégie implique de rechercher les rendements les plus hauts possibles et

de réduire les risques de maladies, donc de recourir à une grande quantité d’intrants chi- miques.

205Les six exploitations dont les revenus mensuels sont supérieurs à 117 500 FCFA sont Q-12, Q-17, Q-22, Q-34,

Q-36 et Q-40. Pour donner un exemple, en février 2015, Q-40 a vendu 5 000 ananas à 150 FCFA l’unité. Il a engrangé 750 000 FCFA de bénéfices (hors coûts de production). Q-40 est spécialisé dans l’ananas, ce qui lui permet de vendre de grandes quantités et de contrebalancer ainsi les faibles prix offerts par les acheteurs (Source : Enquête statistique, 2015).

206Par exemple, le commerce de la papaye ralentit entre avril et septembre.

207Un aller/retour par jour équivaut à 5 kilomètres. Cela correspond à 25 kilomètres par semaine de cinq jours, à

100 kilomètres par mois et 300 kilomètres par saison. La moto d’Abdou consomme en moyenne 3 litres de carburant tous les 100 kilomètres, c’est-à-dire 9 litres pour 300 kilomètres. Le prix d’un litre est de 650 FCFA. D’où le calcul : 9x650 = 5850.

184

Coûts de production pour la période dé-

cembre-mars 2015 (en FCFA)

Engrais : sac de fientes de porc acheté à Nkongsamba 1 500

Herbicide : Gramoxone (1 litre utilisé) 1 750

Fongicide/bactéricide : Kocide 101 (sachet de 50 g) 400 Trajets domicile/champ à moto (5 A/R par semaine) 24 000

Utilisation du téléphone portable 3200

Total des coûts de production (pour trois mois) 30 850 Coûts de production rapportés à un mois 10 283 Production agricole

(en UML)

Banane plantain (Haute saison : décembre-mars) 14 régimes Légumes verts (Haute saison : juin-novembre) 8 tas

Manioc (Haute saison : septembre-mars) 4 sacs

Ndolè (Haute-saison : juin-novembre) 2 cuvettes

Revenu agricole brut (en FCFA)

Banane plantain (11 régimes vendus) 22 000

Légumes verts (6 tas vendus) 900

Manioc (2 sacs vendus) 10 000

Ndolè (1 cuvette) 6 000

Revenu brut pour mars 2015 38 900 Revenu net pour mars 2015 (revenu brut-couts de production mensualisés) 28 617

Tableau 9. Contribution de l’agriculture aux revenus de Q-84 pour le mois de mars 2015 (Source : Enquête statistique, 2015).

En mars 2015, le revenu agricole brut de Q-84 s’élève à 38 900 FCFA. Il est supérieur au seuil de pauvreté209, mais inférieur à celui d’Abdou. Le différentiel de revenu entre les

deux producteurs s’explique de deux façons. Premièrement, la jeune femme privilégie les cultures liées à l’alimentation du foyer plutôt que les fruits destinés aux consommateurs ur- bains : en atteste la rétention de la moitié du ndolè et du manioc récolté, qui est autoconsom- mée. De plus, le mois de mars n’est pas le plus favorable pour la vente des légumes verts et du ndolè, qui exigent beaucoup d’eau et se développent plutôt à la saison humide. Q-84 profite de la cherté du ndolè (du fait de sa rareté), mais elle écoule une production modeste (une cu- vette). En fait, son revenu est principalement alimenté par le plantain, dont les rendements baissent fortement entre juin et octobre (Tchawe, 2003). La deuxième raison qui explique la différence de revenu entre Q-84 et Abdou est le niveau des coûts de production. Q-84 dépense 5 100 FCFA de plus qu’Abdou au cours de la saison 2014-2015. Les transports pèsent lour- dement dans ces dépenses, puisqu’ils représentent 78% du total (24 000 FCFA). Cette situa- tion est dûe à la distance de six kilomètres qui sépare le domicile et le champ210 et au mode de

transport utilisé. En revanche, à l’exception d’un pesticide et d’un herbicide, Q-84 répand moins d’intrants chimiques qu’Abdou. Elle se contente de petites quantités, moins chères et plus adaptées à la superficie à traiter (0,5 hectare contre plus de 2 chez Abdou).

209Le revenu net est en revanche inférieur au seuil de pauvreté, établi à 28 861 FCFA par adulte, pour 31 jours. 210Q-84 se rend au champ cinq fois par semaine, ce qui fait dix allers-retours. À la fin du mois, elle a effectué 40

185 À ce stade, nous disposons d’une estimation des revenus agricoles dans le Moungo pour le mois de février et de mars 2015. Cependant, ces revenus varient dans le temps et peu- vent être insuffisants pour assumer les dépenses quotidiennes. De nombreux planteurs se lan- cent donc dans des activités non-agricoles pour assurer un revenu minimum durant l’année.