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Chapitre 2. Stratégie méthodologique

2.2. Territoire et population étudiés

2.2.1. Justification de l’arrondissement comme échelle géographique

Les municipalités québécoises sont de plus en plus encouragées par le gouvernement québécois à tenir compte des aînés dans leurs interventions d’aménagement et de gestion afin de répondre aux besoins actuels et futurs des personnes âgées (Séguin 2011). Ces besoins des aînés peuvent varier selon le profil des populations et selon les milieux dans lesquels ils vivent (ville, banlieue, milieu urbain).

La présente recherche a été réalisée à Montréal. Cette municipalité et sa région métropolitaine regroupaient à elles seules 44 % de tous les aînés québécois (65 ans et plus) en 201534 (ISQ

2015). Cette recherche se concentre sur une échelle spatiale intermédiaire35 : Rosemont–La

Petite-Patrie, un arrondissement central de Montréal. L’arrondissement Rosemont─La Petite- Patrie est situé dans la partie centre est de l’île de Montréal. Il est l’arrondissement le plus populeux de la ville de Montréal avec plus de 134 000 résidants (tableau 2.1). Il s’étend sur une superficie de 15,9 km2 et la densité de la population y est de 8 457 habitants au km2. Parmi la

population totale, 8 % ont 75 ans et plus, ce qui est semblable au pourcentage observé pour l’ensemble de la ville de Montréal. Sur le plan socio-économique, 37 % des personnes de 65 ans et plus sont à faible revenu et parmi les aînés de 65 et plus 45 % vivent seules, comparativement à 30 % et 37 % respectivement dans l’ensemble de la ville. Le français est parlé par une importante proportion de la population dans l’arrondissement : 40 % de la population ne parlent que le français et 57 % parlent le français et l’anglais. Seulement 2 % des personnes parlent l’anglais uniquement et 1 % ne parle ni l’anglais ni le français (Ville de Montréal 2013b, 18).

34 Taux calculé à partir des données de 2015 de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). 35 Comme mentionné précédemment, Negron-Poblete et Séguin (2012) distinguent les enjeux

d’aménagement pour les aînés selon trois échelles spatiales : à l’échelle des bâtiments, les recherches actuelles concernent les espaces intérieurs et l’accès architectural; à l’échelle métropolitaine (macro) elles concernent, entre autres, la distribution spatiale des aînés sur le territoire. À l’échelle intermédiaire des quartiers, les recherches portent particulièrement sur les dynamiques d’inclusion et d’exclusion, l’accessibilité potentielle aux services et équipements, l’expérience résidentielle et sur les mobilités quotidiennes.

Tableau 2.1. Arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie : profil des aînés

N %

Population totale (2011) 134 038 -

Personnes de 75 ans et plus (2011) 10 395 7,75

Population de 65 ans et plus à faible revenu (2005)1 49 594 37,20

Personnes de 65 ans et plus vivant seules (2011)2 8 235 44,70

1 Avant impôt (2005).

2 Parmi les personnes de 65 ans et plus.

Source : Statistique Canada, recensement 2006 et Enquête nationale des ménages (ENM)

2011; compilé par la Ville de Montréal (2009 et 2013).

L’arrondissement Rosemont─La Petite-Patrie comprend plusieurs types d’environnements urbains. La partie ouest de l’arrondissement se caractérise par une densité de la population et une accessibilité aux services élevées, sa partie est représente un milieu résidentiel moins dense et l’accessibilité aux services y est un peu moins élevée (Riva et al. 2008). L’arrondissement est desservi par trois stations de métro (ligne orange et ligne bleue) et plusieurs lignes d’autobus. On y trouve par ailleurs un grand parc urbain (parc Maisonneuve). L’immeuble de type « plex » (duplex, triplex) et les immeubles de moins de cinq étages sont dominants dans l’arrondissement (Benoît et Gratton 1991).

Plusieurs recherches recensées dans la littérature portent sur les enjeux de vieillissement et d’aménagement dans des milieux urbains moins denses, notamment des territoires de première banlieue comme Lachine sur l’île de Montréal et le Vieux-Longueuil dans la rive-sud de Montréal (Negron-Poblete 2015) et l’agglomération de Québec (Lord, Joerin et Thériault 2009b). Ces milieux se caractérisent souvent par une faible accessibilité spatiale aux commerces et services et ils sont peu desservis par le transport en commun. L’automobile devient donc le principal mode de transport des populations qui y résident, ce qui soulève, rappelons-le, la question préoccupante de l’arrêt de conduite chez les aînés à cause d’incapacités ou du retrait du permis de conduire (Vandersmissen 2012; Páez et al. 2007).

Nous avons choisi de réaliser cette recherche en milieu urbain où, comparativement aux milieux ruraux et suburbains, l’accessibilité spatiale aux services et commerces est généralement plus élevée et où les alternatives aux déplacements en automobile sont plus répandues. Nous voulions savoir comment le milieu urbain peut affecter les stratégies de déplacement des aînés. Il nous semblait intéressant d’examiner si ces caractéristiques urbaines amènent les aînés à recourir à l’offre de services de proximité et à se déplacer à pied ou en transport en commun. Des études

antérieures (notamment Vine, Buys et Aird 2012b; Chapon et Renard 2009) montrent que cela n’est pas toujours le cas. Même dans des milieux urbains plus denses, les aînés peuvent éprouver de la difficulté à se déplacer à pied, notamment parce qu’ils doivent traverser des intersections peu sécuritaires qui sont inadéquatement signalisées ou aménagées.

Il s’agit aussi d’une bonne échelle géographique pour déployer plusieurs outils méthodologiques, l’un qualitatif (entrevues semi-dirigées) et l’autre davantage quantitatif (traceurs GPS). Il est possible de réaliser des recherches quantitatives sur de grands territoires. Par exemple, une étude d’Apparicio et Séguin (2006b) qui porte sur l’accessibilité aux services et équipements pour les personnes âgées en HLM couvre tout le territoire de l’ancienne ville de Montréal36. Les auteurs y

ont recours aux SIG et à l’analyse spatiale et les résultats indiquent une certaine variété sur le plan de l’accessibilité spatiale aux ressources au sein du territoire. Ce type de recherche est aujourd’hui possible, entre autres, grâce à l’accessibilité croissante aux bases de données et l’évolution du matériel informatique et des logiciels.

Dans cette thèse, les données GPS pourraient se prêter à l’analyse de grands territoires. Mais pour que la partie qualitative de cette recherche réponde à des critères de validité, fiabilité et généralisation (se référer à la section 2.4 pour plus de détails), il est essentiel de faire un compte- rendu très riche37 (Bryman 2008, 378) des détails (par ex., profil de la population étudiée,

circonstances de l’entrevue, analyse des propos des aînés dans leur contexte). Une recherche qui porterait sur un plus grand territoire ou qui vise à comparer différents arrondissements entre eux aurait nécessité un échantillon plus important qui est difficile à atteindre compte tenu de l’enjeu du recrutement des participants (se référer à la section 2.3.1 pour plus de détails). Un tel investissement aurait largement dépassé le cadre de cette thèse, étant donné que l’auteure était seule pour recruter les participants, réaliser et analyser les entrevues. Pour contrer ces difficultés, l’étude se limite à un seul arrondissement.

En outre, la population de l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie est largement francophone ce qui facilite la communication lors des entrevues qui se sont déroulées en français. L’auteure de cette thèse connaissait déjà bien l’arrondissement pour y avoir effectué une recherche portant sur l’accessibilité spatiale et les pratiques d’utilisation des services et équipements pour les enfants (Wiebe 2010).

36 Avant les évènements de fusion en 2002 et de défusion en 2006. 37 Traduction libre de l’anglais par l’auteure de thick description.

2.2.2. Les personnes âgées vivant seules

La plupart des sociétés occidentales définissent les personnes âgées, comme mentionné à la section 1.1.1, selon leur âge chronologique, soit généralement à partir de 60 ou 65 ans. Au Québec, le seuil se situe généralement à 65 ans parce qu’il concorde avec l’âge d’admissibilité à la pension de la vieillesse par le gouvernement. Une autre distinction se fait fréquemment vers l’âge de 75 ou 80 ans pour différencier les personnes âgées « plus jeunes » des « plus âgées », à cause d’une possibilité croissante de dégradation de l’état de santé et un besoin accru de soutien à partir d’un âge plus avancé, même si cette distinction est également critiquée à cause de la variété des expériences des personnes (Charpentier et al. 2010b; Föbker et Grotz 2006). Initialement, la recherche devait porter sur les personnes seules de 75 ans et plus, vivant en autonomie résidentielle38, mais en cours de route, l’âge a dû être ajusté à 70 ans à cause de

difficultés de recrutement qui seront décrites en détail à la section 2.3.1. Les participants à l’étude devaient être capables de réaliser toutes les activités de la vie quotidienne (AVQ) (se nourrir, se vêtir et se dévêtir, prendre un bain ou se déplacer dans la maison), mais pouvaient avoir besoin d’aide pour certaines activités instrumentales de la vie quotidienne (AIVQ) (préparer des repas, faire l’entretien ménager, faire des courses)39. Pour se déplacer, les participants pouvaient avoir

recours à des aides à la mobilité (canne, déambulateur, fauteuil motorisé), mais devaient être capables de se déplacer sans être soutenus physiquement par une autre personne. Ces critères permettaient d’avoir un échantillon de personnes qui se déplacent encore, mais qui peuvent avoir certaines difficultés de mobilité. Afin de faciliter la communication lors des entretiens et d’avoir des personnes qui connaissent le quartier et vraisemblablement ses services et équipements, cette recherche se limite à celles qui parlent le français (97 % de la population) (Ville de Montréal 2013b, 18) et qui habitent à Rosemont─La Petite-Patrie depuis au moins un an.

La recherche porte sur les personnes vivant seules, étant donné qu’elles ne peuvent compter sur l’aide de leur conjoint(e) ou un autre proche vivant au sein du même ménage. Elles doivent réaliser tous les déplacements nécessaires, même quand ils sont difficiles, ce qui rend la recherche plus révélatrice. De plus, une recherche qui porterait sur les déplacements en couple serait trop complexe à réaliser, car il faudrait spécifier qui est le conducteur de la voiture, qui accompagne, l’état de santé des deux conjoints, etc.

38 Personnes vivant dans leur propre logement plutôt qu’en institution ou dans le foyer d’un proche. 39 Pour plus d’informations sur les AVQ et AIVQ, se référer à Lavoie et Guay (2010, 125).

2.2.3. Les modes de transport pour réaliser la mobilité quotidienne

La thèse porte sur les mobilités quotidiennes. Rappelons que pour les géographes et aménagistes, la mobilité est une question de déplacement géographique qui implique des origines, des destinations et des caractéristiques (nombre, longueur, mode de transport, motif, etc.) (Vandersmissen 2012; Lord, Negron-Poblete et Torres 2015). La fréquence des déplacements qui seront examinés dans cette thèse n’est cependant pas nécessairement « quotidienne », car notre analyse porte également sur des déplacements vers les hôpitaux ou cliniques médicales qui peuvent être moins fréquents, mais qui sont pourtant nécessaires à la vie quotidienne des personnes aînées.

La thèse porte sur les pratiques de mobilité des personnes âgées, tous modes de transport confondus. Les déplacements que les personnes réalisent en automobile sont donc intégrés dans l’analyse. Ce choix a été fait pour les raisons suivantes. Premièrement, un quartier dense et un potentiel piétonnier élevé ne mènent pas nécessairement à une réduction de l’usage de l’automobile ou à une réorientation vers d’autres modes de transport (Vine, Buys et Aird 2012a). Deuxièmement, l’utilisation de la voiture comme moyen de déplacement peut constituer une stratégie déployée par les aînés pour composer avec les incompatibilités entre leurs capacités physiques et fonctionnelles et les caractéristiques du milieu urbain (par ex., trottoirs mal entretenus, distances trop importantes, déplacements peu sécuritaires). En ce sens, exclure les déplacements en automobile réduirait considérablement la richesse de nos données.

Troisièmement, certaines personnes peuvent utiliser plus d’un moyen de transport pour réaliser leur mobilité quotidienne. Une même personne peut utiliser son fauteuil motorisé lorsqu’elle est seule, son déambulateur lorsqu’elle est accompagnée par une autre personne pour se rendre dans un lieu à proximité, voire le transport adapté ou l’auto comme passager lorsqu’elle doit se rendre dans un lieu situé à une distance plus élevée. Notons aussi que peu importe le moyen de transport utilisé, il reste généralement un trajet à parcourir à pied, même lorsqu’on se déplace en automobile, notamment le trajet de la voiture jusqu’à la borne de paiement pour régler le stationnement puis jusqu’à la destination finale.