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Chapitre 2. Stratégie méthodologique

2.1. Perspective et choix des outils méthodologiques

L’objectif de cette thèse est de comprendre les pratiques et expériences de mobilité dans l’espace urbain. Cela impose un recours à différents types de données. D’une part, le but est d’aborder la pratique de mobilité à partir du concept de déplacement, c’est-à-dire le déplacement réalisé d’une origine vers une destination et cela impose un recours à des données « objectives » sur les déplacements comme la fréquence, les destinations fréquentées et les moyens de transport utilisés. D’autre part, le but est d’aborder l’expérience du déplacement (ou l’absence de celui-ci) telle qu’elle est vécue par les aînés. Rappelons-le : se mouvoir peut signifier différentes choses selon les individus qui peuvent se déplacer par plaisir ou par nécessité et avec plus ou moins de difficulté.

Une approche mixte semble donc appropriée pour analyser ces dimensions plus objectives et subjectives du déplacement. Des entrevues semi-dirigées avec les personnes âgées constituent notre principal outil de collecte de données. Elles permettent d’accéder aux expériences de mobilité des personnes âgées, à leur confort ou contraintes lors des déplacements, leurs besoins et leurs stratégies pour réaliser des objectifs de déplacement ou d’activité. Des GPS, questionnaires et carnets de déplacements seront utilisés pour retracer et quantifier les

déplacements effectués par les personnes âgées. La collecte et l’analyse de données ont été réalisées en plusieurs étapes qui seront décrites plus en détail à la section 2.3. Le relevé de données objectives sur les déplacements (par le biais du GPS, d’un questionnaire et d’un carnet de déplacements) permet surtout de répondre à la première question de recherche (Q1) qui porte sur les espaces et les lieux que les aînés fréquentent pour répondre à leurs besoins de la vie quotidienne. La réalisation d’entrevues permet de répondre aux deux autres questions de recherche qui portent sur les expériences et les frictions à la mobilité (Q2) et les stratégies que les aînés déploient pour réaliser leur mobilité (Q3).

La thèse vise à comprendre comment les personnes âgées pratiquent et éprouvent leur mobilité dans leurs contextes géographiques (environnements urbains) et sociaux. Notre démarche ne vise donc pas la connaissance de causes et l’explication d’un phénomène, mais plutôt la compréhension des pratiques et des éléments contextuels de la mobilité des aînés et comment ceux-ci sont reliés entre eux. Les éléments sont ceux issus du cadre théorique au chapitre 1 : les pratiques et expériences des aînés, les ancrages (supports physiques dans l’environnement urbain, objets et personnes) et frictions qui rendent la mobilité possible ou impossible et les stratégies que les aînés déploient pour répondre à leurs besoins, malgré certaines difficultés. Notre recherche part donc d’un certain nombre de concepts préétablis qui fournissent une perspective générale sur l’objet d’étude que cette thèse vise à amender, compléter et enrichir. L’analyse de données qualitatives sera inspirée de l’approche de Huberman et Miles (1991). Ces auteurs préconisent une formalisation et systématisation du processus d’analyse qui passe notamment par la codification des données. Ils proposent une approche qui part d’une grille initiale d’analyse qui peut être enrichie par d’autres éléments qui émergent des données. Cette approche est particulièrement appropriée dans cette thèse, car elle se prête bien aux recherches basées sur certains concepts préexistants et une collecte de données qualitatives relativement structurée (entretiens semi-dirigés). Les procédures d’abstraction analytique de cette approche seront décrites en détail à la section 2.3.3.

La stratégie méthodologique pour réaliser la recherche est essentiellement qualitative, mais inclut également une collecte de données objectives et quantifiables. Elle est « mixte » dans le sens où l’auteure a recours à diverses méthodes (entrevues semi-dirigées, GPS, carnets de déplacements et questionnaires) (Bryman 2008, 695). Elle l’est aussi au sens de Creswell (2009, 4) qui définit les méthodes mixtes comme suit : « [Mixed methods research] is more than simply collecting and analyzing both kinds of data; it also involves the use of both approaches in tandem so that the overall strength of a study is greater than either qualitative or quantitative research ». Cette

approche est adoptée dans un souci de complémentarité (Bryman 2008, 607) et permet d’aborder différents aspects de la mobilité – les pratiques « objectives » ou quantifiables et les expériences vécues – même si l’analyse de données est de nature qualitative.

2.1.2. Choix des outils

Des études précédentes sur les aînés, les enjeux de mobilité et d’accessibilité ont guidé l’élaboration de nos choix méthodologiques. Si, dans le domaine des sciences de l’espace, de l’aménagement et du territoire, l’environnement urbain est reconnu comme un ingrédient essentiel au bien-être des aînés, peu d’études ont porté sur les déplacements effectués par les aînés, c’est- à-dire leur mobilité réalisée et les lieux visités dans l’espace urbain. Parmi les exceptions, l’étude de Vandersmissen (2012) mentionnée précédemment (1.3.1) s’appuie sur des données des enquêtes origine-destination de 1996 et 2006 pour dresser un portrait des comportements de mobilité et des espaces d’activité des personnes de 65 ans et plus pour la région de Québec. Une étude de Chapon et Renard (2009) qui porte sur les pratiques spatiales et sociales32 de femmes

seules de 80 ans et plus dans deux ensembles résidentiels du 8e arrondissement de Lyon utilise comme outils des traceurs GPS, des carnets de déplacements33 et les SIG. Les appareils GPS

ont permis de disposer de façon précise des trajets effectués par les aînés, de la distribution spatiale des lieux visités et de l’intensité des visites. Les résultats de l’étude montrent que la grande majorité des déplacements des aînés s’effectue dans un rayon de 500 mètres.

L’utilisation de GPS dans les recherches sur la mobilité a augmenté ces dernières années (Shoval et al. 2010). Le développement de petits appareils, des prix plus abordables et la qualité de la technologie ont contribué à cet essor. La collecte de données par GPS a plusieurs avantages : cela réduit la quantité d’information à consigner par l’enquêté dans le carnet des déplacements (durée du déplacement, trajet parcouru, localisation de la destination) et cette méthode a l’avantage de fournir des informations plus précises sur les localisations, les trajets parcourus, le nombre d’arrêts, etc.

Plusieurs études utilisent les entrevues avec des personnes aînées (Day 2010; Lord, Joerin et Thériault 2009b; Stjernborg, Wretstranda et Tesfahuneya 2015; Vine, Buys et Aird 2012a) ou des

32 Par exemple : visites famille/amis, visites de proches à l’hôpital, fréquentation du cimetière.

33 Relevé des raisons de déplacement, si la personne est accompagnée ou non et le type de transport utilisé.

focus groups (Nordbakke 2013) comme méthode de recherche pour connaître leurs expériences,

aspirations ou significations de la mobilité. Les thématiques abordées sont, notamment, les éléments que les personnes âgées apprécient ou non dans leur voisinage, leurs routines habituelles de sortie, les lieux qu’elles fréquentent et ceux qu’elles évitent, les stratégies qu’elles développent pour surmonter certaines barrières et les projets de mobilité qu’elles ne peuvent réaliser à cause de problèmes d’accessibilité et de contraintes présentes dans l’environnement urbain. Aussi, comme mentionné précédemment à la section 1.3.2.2, les recherches qui s’inscrivent dans le « mobility turn » adoptent toute une panoplie de stratégies méthodologiques (qualitatives, quantitatives, mixtes). Elles adoptent, notamment, des méthodes « mobiles » qui captent le mouvement en temps réel comme les GPS et des méthodes plus « traditionnelles » comme les entrevues (Merriman 2014).

La réalisation d’entrevues semi-dirigées permet de couvrir un certain nombre de thèmes et des questions auxquelles l’interviewé peut répondre de façon relativement ouverte. Les questions posées suivent généralement un guide d’entrevue, mais l’ordre des questions peut varier d’une entrevue à l’autre selon les situations ou expériences vécues par les interviewés. Il s’agit donc d’un outil flexible où l’interviewé a la latitude d’exposer ses pratiques, ainsi que sa compréhension de la situation (Bryman 2008, 439-440). La méthode est appropriée dans le cadre de cette thèse, car elle permet d’obtenir des informations précises sur les trois grands thèmes (pratiques, expériences et stratégies de mobilité) et de soulever les différences ou similitudes entre les participants. En même temps, ce type d’entrevue est assez flexible pour permettre une posture d’ouverture et de découverte sur le terrain.

La procédure de la recherche s’est également inspirée d’une étude de Vine, Buys et Aird (2012b) qui porte sur l’utilisation d’aménités par les personnes âgées dans un quartier urbain dense à Brisbane (Australie) et qui a été réalisée en plusieurs étapes : premièrement, des relevés de déplacements par GPS et carnets de déplacements; deuxièmement, une cartographie des résultats; et, troisièmement, une entrevue avec chaque participant à la recherche. Durant l’entrevue, une carte avec les déplacements a été utilisée pour animer la discussion avec le participant sur ses choix de trajets et de destinations dans le quartier. Cela a permis de comprendre certains comportements qui peuvent sembler inhabituels ou irrationnels comme la fréquentation d’un service à une distance plus grande du lieu de résidence s’il y en a d’autres qui sont plus proches.