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Chapitre 1. Théories, approches et concepts sur les personnes aînées, milieux urbains et

1.3. Les (im)mobilités

1.3.1. Approches descriptives du déplacement

La définition de la mobilité varie selon les disciplines. Pour les géographes et aménagistes, la mobilité est une question de déplacements géographiques « impliquant des origines et des destinations […] engageant en outre certaines possibilités spatio-temporelles »25 (Lord, Negron-

Poblete et Torres 2015, 2). Selon Vandersmissen (2012, 41), la mobilité se définit comme « une propriété, celle de se déplacer (ou d’être déplacé) ». Elle se mesure dans la plupart des études [dans le domaine des transports, de la géographie et de l’aménagement] par les caractéristiques

25 Cette définition se base sur les auteurs suivants : Golledge et Stimson (1997), Hägerstrand (1970) et Djist (1999).

du déplacement effectué (nombre, longueur, mode de transport, motif, etc.) ». La mobilité quotidienne se réfère aux déplacements dont les temporalités sont courtes et qui sont internes à un bassin de vie (Kaufmann 2004). Les déplacements reposent sur des sphères d’activités de la vie quotidienne comme les achats, les visites des proches, les rendez-vous de santé, les loisirs et les démarches administratives.

Cette conception spatiale et récurrente de la mobilité est celle qui sera privilégiée dans le cadre de cette thèse. Ainsi, elle porte sur les pratiques de mobilité des personnes dans leur vie de tous les jours. Celles-ci se traduisent généralement (mais pas toujours comme nous le démontrerons à la section 1.3.2) par des déplacements dans l’espace urbain. Elles ne sont donc pas nécessairement quotidiennes au sens propre du terme, mais récurrentes dans l’année (pratiques hebdomadaires, mensuelles, selon les saisons, etc.).

La mobilité a longtemps été conceptualisée en tant que déplacement et les études dans ce champ de recherche se concentrent sur le choix des modes de transports et les impacts sur l’environnement (Negron 2012; Le Breton 2004). Les recherches empiriques portant sur la mobilité des personnes âgées – qui proviennent majoritairement des États-Unis, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de l’Australie et du Canada – indiquent qu’elles ont des pratiques de mobilité distinctes des adultes plus jeunes (Vandersmissen 2012). Elles ont tendance à se déplacer moins souvent (surtout durant les heures de pointe), sur de plus courtes distances, restent plus souvent immobiles durant une journée (sans sortir du domicile) et utilisent moins souvent l’automobile comme mode de transport (Páez et al. 2007; Mollenkopf et al. 1997; Rosenbloom 2003; Schwanen et Páez 2010; Vandersmissen 2012). Les études soulignent aussi les difficultés de déplacement en raison du vieillissement, de la perte d’acuité sensorielle et des limitations d’autonomie fonctionnelle (Lord, Joerin et Thériault, 2009b). La majorité des déplacements des aînés partent du domicile (Burnett et Lucas 2010) et les aînés se déplacent plus souvent pour une seule raison et font donc moins souvent des couplages de trajets26 que les adultes plus jeunes

(Mollenkopf et al. 2004, 85). Leurs principales raisons de déplacement sont les achats et les loisirs (Föbker et Grotz 2006; Lord, Joerin et Thériault 2009b).

Par rapport aux cohortes antérieures, les personnes âgées actuelles sont plus mobiles et se déplacent plus souvent en automobile, surtout pour des activités sociales et de magasinage (Vandersmissen 2012). L’automobile permet de se déplacer individuellement selon ses propres besoins et son utilisation peut même, dans certains cas, « atténuer » les effets du vieillissement

lorsque les personnes ont des difficultés à marcher (Lord, Joerin et Thériault 2009b; Ziegler et Schwanen 2011; Negron 2012; Schwanen, Banister et Bowling 2012, 1318). Dans certains milieux de vie, particulièrement les banlieues peu desservies en transport en commun, il s’agit pratiquement du seul moyen de transport. Cette dépendance accrue à l’automobile, aussi nommée l’« auto-mobilité », soulève la question préoccupante de l’arrêt de conduite à cause d’incapacités ou du retrait du permis de conduire (Vandersmissen 2012; Páez et al. 2007). Cette cessation peut avoir des impacts non seulement sur la nature de la mobilité, mais aussi sur le bien-être et l’autonomie des aînés (Lord, Joerin et Thériault 2009a).

La part modale de la marche et du transport en commun varie fortement selon les études et les milieux urbains. Par exemple, une étude portant sur la région de Québec, basée sur les données de l’enquête Origine-Destination (O-D) de 2006, indique que la marche constitue respectivement 10 % et 16 % des déplacements pour les hommes et les femmes de 65 ans et plus (Vandersmissen 2012, 49). Comme mode de déplacement, elle vient ainsi au deuxième rang en ordre d’importance, après l’auto et avant le transport en commun. Cette étude indique également des différences de pratiques des personnes âgées selon les milieux urbains denses ou moins denses (quartiers centraux, banlieues anciennes ou nouvelles, périphérie)27.

Si les données empiriques indiquent une diminution de la mobilité des aînés avec le vieillissement, leurs pratiques sont loin d’être homogènes. Elles dépendent d’une série de variables individuelles comme l’état de santé, le revenu, la motorisation et la possession d’un permis de conduire (Vandersmissen 2012). Elles dépendent aussi de l’âge : on constate d’importantes différences entre les pratiques de déplacement des personnes de 65 à 75 ans et celles des plus âgées, le premier groupe étant plus mobile que le deuxième (Alsnih et Hensher 2003). Le genre et l’ethnicité, la présence ou non d’un réseau de soutien et la localisation résidentielle jouent également un rôle dans les comportements de déplacement (Schwanen et Páez 2010). Les études sur les transports indiquent aussi que la taille et la composition du ménage complexifient les analyses de déplacement. Dans un ménage composé de plus d’une personne, les membres risquent de devoir négocier l’accès aux moyens de transport ou d’effectuer leurs déplacements de façon complémentaire et il se peut qu’un membre du ménage réalise des déplacements pour l’ensemble du ménage (par ex., faire l’épicerie) (Páez et al. 2007).

Les informations émanant de ces études descriptives sur les déplacements qui se concentrent sur le choix des modes de transports, le nombre, la longueur et les motifs de déplacement des

aînés sont essentielles, mais elles abordent la mobilité à partir du concept de déplacement d’une origine vers une destination et ne permettent pas de saisir la diversité des expériences et des pratiques au sein des personnes aînées. Ces études font l’hypothèse de la liberté des déplacements et de comportements rationnels. Selon cette perspective, l’individu-mobile- rationnel28 (Cresswell 2010a) effectue des déplacements fonctionnels d’un point A vers un point

B, en règle générale du domicile vers le lieu de travail, à travers le trajet le plus économique en termes de temps, de distance et de coût. Or, lorsqu’il s’agit d’adapter les villes au vieillissement de la population, il faut également connaître les besoins de déplacement des aînés et comprendre leurs choix des destinations, la nature des trajets parcourus et les moyens de transport utilisés. Dans cette perspective, les approches basées sur des conceptions de la mobilité au-delà du déplacement semblent particulièrement intéressantes et seront abordées à la prochaine section.