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Chapitre 1. Théories, approches et concepts sur les personnes aînées, milieux urbains et

1.2. Les milieux urbains : opportunités et contraintes

1.2.2. Accessibilité perçue et territoires pratiqués par les aînés

L’état des connaissances sur les caractéristiques urbaines favorables (ou non) aux déplacements des aînés et les espaces ou les lieux réellement fréquentés par les aînés est encore très parcellaire. La plupart des recherches dans ce champ utilisent des méthodes qualitatives (entrevues individuelles ou de groupe, observations ethnographiques), mais certains auteurs ont également recours à des méthodes ou des outils quantitatifs comme les GPS ou les SIG. En voici un aperçu basé sur quelques études empiriques assez récentes.

Une étude réalisée par Michael, Green et Farquhar (2006) porte sur le design urbain et les pratiques de déplacement des aînés de 55 ans et plus à Portland (Oregon). À l’aide de focus groups, les auteurs identifient quatre caractéristiques essentielles du voisinage favorables au bien-être des aînés : 1) présence de commerces de proximité; 2) sécurité routière et piétonne; 3) desserte adéquate en transport en commun; et 4) attractivité générale du voisinage (design urbain, espaces verts, entretien et propreté).

Day (2010) a réalisé une étude sous l’angle de la justice environnementale17 qui s’intéresse à la

perception des aînés de leur voisinage. Cette recherche repose sur des observations

17 Définition de la justice environnementale : « Environmental justice is concerned both analytically and practically with social equality in environmental quality and access to environmental goods; and with ensuring that those already disadvantaged in society are not further disadvantaged in these terms. » (Day 2010, 2658).

ethnographiques et des entrevues avec des personnes âgées18 qui vivent dans trois types de

milieux urbains (ville-centre, banlieue et une petite ville côtière en Écosse). Les entrevues portaient sur les éléments que les personnes âgées apprécient ou non dans leur voisinage, leurs routines habituelles de sortie, les lieux qu’elles fréquentent et ceux qu’elles évitent. L’observation ethnographique a servi à la collecte de données sur la présence ou non de personnes âgées dans certains types de lieux et les activités qu’elles poursuivent.

Selon les résultats de l’étude, les facteurs suivants affectent la qualité de vie des aînés dans tous les milieux étudiés : propreté et pollution, exposition au bruit, le potentiel piétonnier19(design et

qualité du trottoir, les entraves à la circulation tels les poubelles, étalages de commerces, les pentes, l’esthétique du trajet, le retrait du trafic automobile); les éléments favorables à la qualité du trajet (toilettes, transport public, endroits pour s’arrêter); les possibilités d’interaction sociale informelle (bancs publics, retrait du trafic automobile, présence de services); et, finalement, le cadre environnemental (éléments naturels, éclairage, éléments architecturaux et scènes d’activités intéressantes).

D’autres études mettent l’accent sur la mixité des usages, la connectivité du réseau routier, la signalisation et les points de repère dans le paysage urbain (Ball 2012; Nordbakke 2013, 167; Phillips et al. 2013; Lord, Joerin et Thériault 2009b; Negron 2012). D’autres encore soulignent les barrières liées à la circulation automobile (marquage au sol, signalisation et aménagement inadéquat aux intersections routières) et au risque de chute (état et entretien des trottoirs, présence de marches et l’accès aux bâtiments) (Negron-Poblete et Lord 2014; TCAÎM 2013; Huguenin-Richard et al. 2014).

Les territoires du quotidien réellement fréquentés par les aînés dans différents milieux urbains20

ont été examinés par plusieurs auteurs (Vine, Buys et Aird 2012b; Chapon et Renard 2009; Lord, Joerin et Thériault 2009b). Une étude de Lord, Joerin et Thériault (2009b) porte sur les déplacements, aspirations et significations de mobilité des aînés dans la banlieue de Québec. Cette étude, basée sur des entrevues qualitatives, des analyses centrographiques21 et les SIG, a

permis d’élaborer une typologie de mobilité des aînés selon leur espace d’action. Ce dernier est caractérisé à l’aide de deux indicateurs : la dissémination spatiale (nombre de lieux visités et leur

18 Personnes âgées de 62 à 90 ans avec des profils socio-économiques variés. 19 Walkability (Day 2010).

20 Milieux urbains à Brisbane (Australie), Lyon (France) et banlieue de Québec (Canada).

dispersion) et l’étalement spatial (superficie de l’espace d’action). Les aînés ont été regroupés selon quatre types de mobilité. L’aîné domocentré possède un espace d’action limité formé par un faible nombre de lieux visités. Le voisineur possède aussi un espace d’action réduit, mais qui est constitué de plusieurs lieux. Les aînés pérégrinateurs et hypermobiles possèdent des espaces d’action plus vastes : les pérégrinateurs concentrent leurs déplacements en quelques points, alors que les hypermobiles fréquentent plus de lieux plus dispersés sur le territoire. Si l’on compare le groupe des voisineurs à celui des hypermobiles, les premiers vivent principalement dans des secteurs de banlieue bien desservis en services de proximité, tandis que les derniers vivent dans des secteurs moins bien desservis et doivent se déplacer davantage pour avoir accès aux mêmes services.

Une étude de Chapon et Renard (2009) porte sur les pratiques spatiales et sociales22 des femmes

seules de 80 ans et plus dans deux ensembles résidentiels du 8e arrondissement de Lyon en utilisant comme outils des traceurs GPS, des carnets de déplacements23 et les SIG. Les GPS

permettent de disposer de façon précise des trajets effectués par les aînés, la distribution spatiale des lieux visités et l’intensité des visites. Les résultats de l’étude montrent que la grande majorité des déplacements des aînés s’effectue dans un rayon de 500 mètres et les trajets effectués par les aînés semblent indiquer que les pentes constituent une barrière aux déplacements et que la présence d’une connexion rapide en métro permet d’agrandir ou « déplacer » le territoire de vie24

au-delà du voisinage immédiat autour du lieu de résidence.

Ces deux derniers sous-chapitres portaient sur les milieux urbains et les caractéristiques de l'aménagement susceptibles d'affecter les aînés. Le courant de recherche sur l’accessibilité spatiale et la qualité de l’environnement urbain permet d’évaluer de façon précise le potentiel des territoires qui, selon les résultats des études recensées, peut varier fortement à l’intérieur d’une ville. Ce courant de recherche repose sur des mesures d’accessibilité (par ex., distance aux services) et des indicateurs prédéfinis comme c’est le cas pour l’audit piétonnier.

22 Par exemple : visites famille/amis, visites de proches à l’hôpital, fréquentation du cimetière.

23 Relevé des raisons de déplacement, si la personne est accompagnée ou non et le type de transport utilisé.

Nous avons aussi abordé la perspective des aînés sur les milieux urbains, c’est-à-dire leur perception de l’accessibilité aux ressources et l’étendue des territoires qu’ils pratiquent au quotidien. La thèse s’inscrit dans cette dernière approche. Elle s’intéresse au point de vue des aînés et à leurs pratiques spatiales. Ainsi, nous pouvons comprendre les opportunités et contraintes de l’environnement urbain et détecter s’il y a des projets de mobilité que les aînés ne peuvent réaliser à cause de problèmes d’accessibilité.

Cette recherche utilisera des entrevues pour examiner des dimensions de l’environnement urbain susceptibles d’affecter les pratiques des personnes âgées. Dans la littérature, Michael, Green et Farquhar (2006) en soulèvent quatre principales : l’accès aux commerces de proximité; la sécurité des déplacements; la desserte en transport en commun; et l’attractivité générale du voisinage. Demander aux aînés de s’exprimer et d’évaluer des dimensions urbaines plutôt que des éléments très précis (par ex., largeur des trottoirs) a l'avantage de leur permettre d’identifier des éléments peu documentés dans la littérature. La thèse porte aussi sur les pratiques concrètes. À ce titre, l’approche de Chapon et Renard (2009) qui retrace les trajets effectués par les aînés à l’aide d’un GPS est extrêmement pertinente. Cet outil permet de connaître les itinéraires que prennent les aînés, la distance qu’ils parcourent et les destinations qu’ils fréquentent réellement. L’originalité de la thèse consiste à combiner ces deux perspectives en analysant, d’une part, l’expérience de l’environnement urbain et, d’autre part, les pratiques réelles.

Ce tour d’horizon de la littérature pertinente à notre objet d’étude ne serait pas complet sans aborder la composante « mobilité » en tant que telle. La prochaine section (1.3) problématise donc les mobilités. Nous utilisons, d’une part, un terme pluriel pour rendre compte de la diversité des expériences selon les individus. D’autre part, nous nous intéressons aussi aux immobilités pour ne pas perdre de vue l’absence de mouvement lorsqu’un projet de déplacement ne peut être réalisé à cause de contraintes trop élevées et nous nous intéressons aux moments d’arrêt ou aux pauses durant le mouvement.