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Par conséquent, si nous possédons de bonnes raisons de saluer l’association entre éducation aux médias et éducation numérique, il nous faut rester sur nos gardes. Nous devons également demeurer vigilants vis-à-vis des changements potentiels dans le climat politique. Au Royaume-Uni notamment, certains signes montrent que les décideurs s’éloignent du thème général de l’éducation aux médias pour se focaliser plus étroitement sur l’éducation numérique. Je donnerai deux exemples très récents qui témoignent de cette évolution.

En juillet 2009, le gouvernement du Royaume-Uni a publié une étude portant sur le pro-gramme de l’école primaire, dont les aboutissements devraient conduire à une reformula tion significative du curriculum à l’avenir 14. Il y aurait beaucoup de choses à en dire, naturel lement, mais l’on ne peut qu’être frappé du fait que l’éducation aux médias semble désormais devoir céder la place à l’éducation numérique. Sur les 200 pages que compte le document, il est fait 72 fois référence aux TIC, et jamais à la télévision — en dépit du fait que la télévision reste, et de loin, le passe-temps prioritaire des enfants qui fréquentent l’école primaire. Person nel lement, j’en déduis que le problème, pour les décideurs, ne réside pas au niveau de l’identification des technologies mais de la culture populaire. Ils s’engouffrent avec bonheur dans une rhétori-que technocratirhétori-que sur le pouvoir de transformation rhétori-que recèle la technologie mais peinent toujours à identifier et aborder les réalités quotidiennes de la plupart des enfants.

13. Je débats de ces questions de manière plus approfondie dans “Do we really need media education 2.0?”, in drotner K. and schroder K. (eds.), Digital Content Creation, New york: Peter Lang, in press. On en trouvera un compte rendu plus enthousiaste mais toujours mesuré dans JenKins H. avec cLinton K., PurushotmA R., robison

A. J. et WeigeL, M., Confronting the Challenges of Participatory Culture: Media Education for the 21st Century, MacArthur Foundation, 2006. www.digitallearning.macfound.org.

14. Voir www.dcsf.gov.uk/primarycurriculumreview/.

Mon second exemple est issu de la politique en matière de culture plutôt que d’éducation.

Au cours de l’été 2009, également, le gouvernement britannique a publié son rapport inti-tulé « Digital Britain » [La Grande-Bretagne numérique]. Ce rapport formule une longue série de propositions destinées à introduire le Royaume-Uni dans l’ère numérique 15. Ce document est extrêmement technocratique : il y est question d’utiliser la technologie pour promouvoir la compétitivité économique du Royaume, de créer une main-d’œuvre qualifiée et de s’engager dans la « révolution de l’information ». Le passage de l’éducation aux médias à l’éducation numérique est particulièrement explicite. Le rapport soutient que l’éducation aux médias est un concept mal défini et morcelé (en quoi il peut être sur la bonne voie) et qu’il conviendrait de passer de l’éducation aux médias à ce qui est désigné sous les termes de « participation numérique ». On y propose un Plan national en faveur de la participation numérique qui devrait remplacer l’éducation aux médias dans l’agenda politique. Cette approche semble avoir également l’aval de l’Ofcom — bien que le rôle de l’Ofcom devrait se trouver fortement réduit suite aux prochaines élections. L’éducation aux médias vue sous l’angle de la participa-tion numérique, c’est également une approche beaucoup plus acceptable pour l’industrie des médias. À titre d’exemple, les émetteurs de radiodiffusion n’ont jamais vu d’un bon œil le fait que leurs activités soient passées au crible de l’étude et de l’analyse critique. À l’inverse, le fait de donner aux individus la possibilité de participer de manière limitée à la création médiatique est précisément le genre de geste symbolique qu’ils semblent juger nettement plus confortable. Dans les deux cas, des signes montrent que l’éducation numérique (ou

« participation numérique ») pourrait être amenée à remplacer l’éducation aux médias, plutôt que de s’y conjuguer.

Et après ?

Comment les enseignants dans le domaine des médias peuvent-ils réagir à cette situation ? Avons-nous besoin, comme le sous-entendent certains textes politiques, d’une sorte de cadre européen commun pour l’éducation aux médias ? Avons-nous besoin de checklists, d’étalon-nages et d’indicateurs qui nous permettraient d’évaluer et de comparer nos niveaux d’édu-cation aux médias ? Nous faut-il vraiment davantage de documents politiques ?

Le rapport pointu de la Commission européenne relatif aux tendances et approches actuelles semble certainement aller dans ce sens. Lorsqu’il recommande que les professeurs soient davantage formés, que les équipements soient de meilleure qualité, que les étudiants aient davantage l’occasion de se frotter à la production de médias, et que l’on fasse davantage de place à l’évaluation critique et à la recherche, je marque mon accord. Mais le rapport formule également nombre d’autres recommandations, sur les normes de qualité en ce qui concerne les contenus, l’implication des instances réglementaires, les forums citoyens, les mesures de protection du patrimoine audiovisuel, les réseaux paneuropéens, les campagnes de sensibilisation de la population, etc. Même s’il y a, dans cette énumération, quantité de choses intéressantes, l’ensemble est cependant beaucoup trop éparpillé.

15. Voir www.culture.gov.uk/what_we_do/broadcasting/6216.aspx. La discussion fondamentale concernant l’éducation aux médias et la participation numérique est à lire p. 39-41.

À mes yeux, il est désormais urgent d’affûter nos arguments et de concentrer nos énergies.

Le risque existe que l’éducation aux médias se retrouve brouillée dans un halo de rhétorique sur les technologies numériques. L’éducation aux médias est en danger de devenir un concept excessivement vague, général et mal défini — quelque chose comme une somme de bonnes intentions et d’élans positifs qui déboucheraient sur un manque criant de résultats concrets.

Beaucoup de dialogues engagés, beaucoup de « travail en réseau » mais rien de réellement substantiel — une somme d’énergie dépensée en participation mais peu d’action et, en défini-tive, peu de changements significatifs.

Bien que je ne possède ni recette ni formule magique, je reste convaincu que les écoles ont un rôle fondamental à jouer en la matière, ne fût-ce que parce que c’est le lieu où les jeunes sont tenus de passer la majeure partie de leur temps. L’école est l’institution publique fondamentale qui doit soutenir les droits et les actions des citoyens et, quoiqu’en disent certains férus hyperboliques de la technologie, elle ne devrait pas disparaître de sitôt.

Je pense que nous avons de bonnes raisons de nous féliciter des résultats auxquels nous avons abouti en matière d’éducation aux médias, mais ne négligeons pas de les évaluer et ayons le courage de rester critiques vis-à-vis de nous-mêmes. Nous devons impérativement nouer le contact avec les instances réglementaires, avec les entreprises multimédias et avec les politiques – et cela, nous devons le faire à partir d’une position de force, en définissant clairement nos objectifs et nos priorités.

David Buckingham | Professeur à Institute of Education, University of London

Les racines culturelles de