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Quand le « moment d’apprendre » devient expérience numérique et interactive

Avant de s’atteler à l’activité de production numérique proprement dite, le professeur a voulu que les élèves s’exposent à des « jeux sérieux », ou « serious games » pour garder l’appellation anglaise d’origine, et qui décrit l’exploitation de l’informatique et des jeux vidéos comme technologies de persuasion. Ces « serious games » peuvent couvrir tous les genres (Bogost, 2007) et ont été utilisés en comme outil pédagogique de promotion de l’éducation aux médias avec des pré-adolescents (Hobbs et Rowe, 2008).

Les enfants ont abordé cette partie du programme en découvrant le jeu, « Ayiti: The Cost of Life » (www.thecostoflife.org). Situé à Haïti, le jeu permet de faire découvrir aux joueurs les obstacles à l’éducation qu’affrontent les enfants des pays en développement. Concep-tualisé par des jeunes du programme « Global Kids » et développé par des professionnels du jeu informatique, le projet bénéficiait également du support de Microsoft. Dans le jeu, les joueurs endossaient les rôles de membres d’une famille haïtienne vivant en zone rurale. Ils devaient soupeser différents objectifs et choisir entre eux, à savoir, faire des études, gagner de l’argent, rester en bonne santé et viser le bonheur tout en étant confrontés à des événements imprévisibles au rang desquels maladies et ouragans.

D’un bout à l’autre du processus, le professeur ignorait comment l’actualité évoluerait.

Cette seule incertitude aurait pu convaincre l’enseignant de ne pas aborder le sujet avec de jeunes enfants. Mais, confronté à des faits extrêmement récents, nul n’est réellement assuré des conséquences d’un choix posé à un certain moment. (En ce qui concerne ce fait d’ac-tualité, les campeurs concernés par l’incident de la piscine de Valley Pool n’auraient jamais pu prévoir que leur expérience résidentielle aurait été récompensée par une journée tous frais payés à Disney World).

4 « My impulse about wanting them to be critical about the news story was sometimes at odds with my interest in having them be passionate about an issue ». (n.d.l.t.)

Le professeur souhaitait que les élèves, observant le déroulement de l’actualité, découvrent que tout événement complexe ou question sociale d’actualité comporte une série de choix ou de décisions posés par chaque acteur. Face à ses élèves de cinquième année, le professeur a donc posé ces questions : comment vous représentez-vous une situation telle que celle illustrée par le club Valley Pool et la transformez-vous en jeu vidéo ? Quelles parties de cette histoire peuvent être transformées en jeu ? Qu’est-ce que cela implique comme choix ?

Les élèves ont utilisé le logiciel de programmation Scratch (scratch.mit.edu) pour élaborer plusieurs approches et ainsi relever le défi de conceptualisation inhérent à leur mission.

Chaque élève était responsable de la création d’un « niveau » de jeu. Certaines de leurs solutions étaient simples à l’extrême : un élève a créé un dispositif interactif simple où les campeurs montaient dans le bus et où le chauffeur les conduisait jusqu’à la piscine. Un autre élève a créé un dispositif interactif où l’utilisateur habillait les campeurs en maillots de bain.

D’autres étudiants ont élaboré des solutions plus complexes et davantage liées à la discussion en cours : l’un a créé un jeu où il s’agissait de choisir son propre jeu d’aventure (« choose your own adventure game ») : les utilisateurs choisissaient entre différentes conversations entre les enfants fréquentant le centre de jour et les personnes de race blanche présentes à la piscine. Un autre enfant a développé une version interactive de l’événement concerné, où le directeur de la piscine devait répondre aux micros de la presse et présenter différentes raisons pour exclure les enfants de la piscine – certaines plausibles et d’autres ne constituant que de simples excuses.

Réfléchissant à propos des approches des enfants aux prises avec leurs créations inte-ractives, le professeur notait : « Je n’ai rejeté aucune trouvaille des enfants mais joué davan-tage avec celles qui se rapprochaient le plus des idées les plus implicites touchant le cœur de l’événement. J’espérait que les élèves se baseraient sur les principaux paradoxes du récit et ne se contenteraient pas de raconter une nouvelle fois les éléments triviaux de l’histoire sous forme de jeu. Je voulais que les enfants utilisent le pouvoir du jeu interactif pour montrer comment les choses auraient pu se passer, auraient pu être différentes si les personnes concernées avaient posé des choix différents. En outre, je voulais que les élèves réfléchissent à leur propre travail de conception de jeu. La question que je leur posait le plus souvent était celle-ci : “quels choix offres-tu au joueur ?” 5» .

Cette approche exploratoire d’un fait d’actualité controversé est infiniment plus puis-sante que celles qui ressortissent aux contextes éducationnels plus traditionnels, où les enfants sont en position de lecteurs et de spectateurs de l’actualité et ne sont guère encouragés qu’à faire une simple distinction entre « fait » et « opinion ». Dans le cas présent, le recours aux médias numériques interactifs en tant que moyen d’expression créatif répond bien mieux au sentiment réel de participation que les enfants vivent au quotidien dans leurs relations avec les mass médias, les technologies numériques et la culture populaire.

5 « I didn’t reject any ideas but played up the ones that got closer to the more implicit ideas at the heart of the news story. I hoped students would reflect the story’s central paradoxes, and not just retell trivial elements of the narrative as a game. I wanted students to use the power of the interactive game to show how things might have occurred or could have been different if people made different choices. Plus, I wanted students to reflect on their own work as game designers. My most common question to them was: What choices are you giving the user? » (n.d.l.t.).

Conclusion

Dans la mesure où les enseignants européens se basent davantage sur les déclarations politiques qui, désormais, encouragent l’éducation aux médias en identifiant cette dernière comme une dimension fondamentale de la citoyenneté, il s’impose de prendre en considé-ration ce que nous savons (et ce que nous ignorons) des effets sur les apprenants de pratiques concrètes spécifiques d’enseignement. En ce qui concerne les informations et les faits d’ac-tualité, le « moment d’apprendre », s’il est imprévisible, peut néanmoins renforcer les com-pétences d’analyse et fournir des possibilités en matière d’expression créative. Comme je m’efforce de le montrer dans cet article, même les jeunes enfants peuvent être encouragés à réfléchir sur la manière dont sont construits les comptes rendus d’information, sans contribuer au cynisme ni renforcer leur position de spectateur. S’agissant des jeunes enfants, l’explora-tion des informal’explora-tions et des événements d’actualité peut renforcer les convicl’explora-tions existantes plutôt que de les remettre en question et d’approfondir la pensée critique. Les outils de pro-duction numérique offrent aux élèves la possibilité de participer au processus d’information et de compte rendu d’événements d’actualité à partir d’une position active. Là où les infor-mations et les faits d’actualité deviennent le matériau de base de l’éducation aux médias, il s’avère important de réfléchir à la complexité des valeurs et aux questions identitaires qui en résultent.

Renee Hobbs | Temple University, School of Communications and Theater, Philadelphia PA USA | http://mediaeducationlab.com

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Tout le monde peut-il