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2.6 Autres facettes de l’Agefiph

5. Tentative de bilan et de conclusions

5.1 Les effets positifs

Selon H.-J. Stiker, c’est certainement un mérite de la loi que d’avoir suscité des réactions positives et proactives de la part de certaines entreprises : plutôt que payer des cotisations, contourner la loi ou s’en plaindre, ces entreprises l’ont prise au sérieux et ont tenté d’en retirer du positif pour leur organisation et leur image.

Un autre mérite de la loi, selon H.-J. Stiker, c’est d’avoir créé une dynamique

d’expérimentation. Par exemple, l’intégration réussie d’une personne handicapée incite à en accepter une seconde. Néanmoins, cette dynamique d’expérimentation rencontre vite ses limites, elle n’est pas un processus de progrès indéfini. Les entreprises ont ainsi parfois tendance à prendre d’abord des personnes avec un handicap léger, mais par la suite, plus rien ne vient : cela n’entraîne pas nécessairement l’occupation d’une personne avec un handicap plus sévère.

Plusieurs auteurs signalent d’autres effets positifs, mais indirects :

1. Si les employeurs étaient le plus souvent très réticents à l’obligation d’emploi et aux projets d’insertion de personnes handicapées soutenus par l’Agefiph, plusieurs témoignages (10ème Anniversaire, p.76-77) indiquent cependant que leur implication dans les structures de l’Agefiph et dans les actions régionales ou sectorielles a par contre permis d’atténuer

nettement les tensions, favorisant une coopération entre les différents acteurs et un certain consensus sur les actions à mener. Ce qui constitue un résultat qualitatif intéressant.

2. Les accords de branche, d’entreprise ou d’établissement ont « incité les partenaires sociaux à s’engager dans la voie de la négociation qui permet souvent de dégager des solutions plus adaptées ». (10ème Anniversaire, p. 99)

5.2 Des effets pervers de la loi

La reconnaissance a posteriori de travailleurs handicapés déjà intégrés professionnellement

Que des travailleurs handicapés déjà bien intégrés professionnellement se voient « invités » par leur employeur à se faire reconnaître comme handicapé en vue de garder leur emploi ou d’éviter une contribution à l’entreprise constitue un premier effet pervers possible de la loi. Cette manière de procéder est cependant assez pernicieuse d’un point de vue

qualitatif : elle peut bouleverser négativement la représentation sociale que des personnes handicapées et leurs collègues de travail se font, ce qui entraîne leur stigmatisation.

A notre connaissance, il n’y a jamais eu d’estimation quantitative de ce qui nous semble un contournement de la loi mais il ne semble cependant pas la règle générale ; en effet, la reconnaissance comme handicapé de travailleurs déjà occupés (y compris donc ceux devenus handicapés), ne constitue que 60 % des nouveaux « entrants ». De plus, la comparaison avec les autres pays infirme également l’hypothèse que cela joue un rôle spécifique au pays qui soit majeur .

La stigmatisation de personnes handicapées

C’est particulièrement au niveau des déficients mentaux que cette stigmatisation de personnes handicapées ayant déjà une vie professionnelle est le plus préoccupant. Alors qu’avant la loi, ils étaient « recrutés sur la base de leur degré d’autonomie personnelle et pour des tâches qui ne requéraient pas de compétences particulières, depuis 1987, ils sont recrutés sur la base de la reconnaissance de leur statut de travailleurs handicapés » . Autrement dit, les institutions qui s’occupent de ces jeunes doivent « faire accepter la désignation de

« handicapés » aux jeunes les plus performants…afin de leur faciliter l’insertion » ! (10ème anniversaire, p.64).

A l’occasion de la recherche d’un nouvel emploi, certains handicapés mentaux issus d’une institution spécialisée et qui avaient très bien réussi leur intégration professionnelle (l’employeur ignorait leur passé institutionnel) se voient soudain « promotionnés » par des services de placement comme des travailleurs handicapés, donnant lieu à une réduction des redevances à l’Agefiph. Ce qui crée tout à coup une vision négative de leur personne par leur employeur et leurs collègues, sans parler d’une diminution substantielle du salaire accordé.

Nicole Diederich qui a observé ce type de situation écrit en conclusion : « Leur déficit, qui passait inaperçu auparavant, qui était classé loin derrière leurs qualités personnelles maintes fois évoquées (courageux, honnête, ponctuel, travailleur…) arrive au premier plan, devient l’élément essentiel constitutif de leur personnalité…Devenir, ou redevenir un « handicapé mental » c’est bien plus que changer de statut, c’est commencer à perdre, aux yeux de l’entourage et à ses propres yeux, un peu de son humanité. Nous touchons ici au vaste et complexe débat concernant le principe de discrimination positive qui aboutit, dans le cas qui nous occupe, à accepter l’enfermement dans une catégorisation médico-psychologique pour « gagner sa vie » .»

L’augmentation du nombre de personnes reconnues handicapées ?

Bien qu’il ne puisse pas être attribué nécessairement à la seule loi de 1987, un autre effet pervers est l’augmentation continuelle des personnes ayant obtenu une reconnaissance comme handicapé. Or, dans un certain nombre de cas, il s’agit de personnes souffrant plutôt d’un problème d’exclusion sociale causé par la sélectivité de plus en plus grande des

entreprises que d’un problème de handicap proprement dit. Cette évolution risque de banaliser la notion de handicap.

5.3 En fin de compte, la loi de 1987 est-elle une loi d’insertion ?

Selon H.-J. Stiker, la loi de 1987 est ambivalente. En effet, elle a une visée et un discours d’insertion professionnelle des personnes handicapées (la loi en elle-même n’a pas

pour but leur intégration mais seulement leur insertion 119 ). Par ailleurs, elle permet en même temps aux employeurs de contourner légalement la loi et de ne pas pratiquer effectivement d’insertion professionnelle dans leur entreprise ; de plus, elle autorise d’autres stratégies de contournement, telles que l’exemption de certaines catégories d’emploi (sans parler de la reconnaissance a postériori, comme personnes handicapées, de travailleurs déjà occupés).

En étendant le bénéfice des aides à l’insertion aux PME non assujetties à la loi, l’Agefiph a transformé la loi en un système de solidarité bénéficiant même aux employeurs non cotisants. Mais il s’agit d’une disposition concrète décidée par l’Agefiph et non prévue par le loi.

119 En effet, une personne handicapée recrutée ou maintenue en emploi par la loi est d’une certaine manière stigmatisée, elle dispose d’un sous-statut au plan social. Il ne s’agit pas d’une réelle intégration, mais simplement d’une simple insertion dans un milieu professionnel où elle n’a pas encore une place comme les autres. Pour être complet, il faut cependant reconnaître que certaines mesures mises en place par la suite par l’Agefiph visent quant à elles une certaine intégration.