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compensatoire en Europe

2. Caractéristiques d’une obligation d’emploi avec contribution financière à un fonds d’insertion des

personnes handicapées

Après avoir tiré quelques enseignements généraux de cette investigation européenne sur une politique de discrimination positive impliquant une responsabilisation généralisée des employeurs, il nous reste à tracer une synthèse de ses caractéristiques, en nous appuyant sur les principales observations faites en Allemagne et en France.

Tout d’abord, nous tenterons d’en tirer les leçons en termes d’impact quantitatif sur l’emploi des personnes handicapées : c’est ce que nous appelons les caractéristiques techniques du dispositif. En second lieu, nous tenterons de comprendre quels en sont les points forts et les limites par rapport à une politique d’intégration professionnelle de personnes handicapées dans l’emploi ordinaire.

Pour être complet, il conviendrait bien évidemment de rappeler que ces politiques ne sont pas nées du jour au lendemain, ex abrupto : elles sont l’aboutissement d’une longue tradition d’insertion des mutilés de guerre puis des accidentés du travail et enfin des

personnes handicapées en général. D’abord sous des formes assez administratives d’emplois obligatoires ou d’emplois réservés, puis par le biais d’une obligation d’emploi assortie d’une contribution à un fonds d’insertion des personnes handicapées pour les employeurs ne pouvant la respecter. L’évaluation de cette politique ne peut donc faire abstraction de ce contexte spécifique.

2.1 Caractéristiques techniques du dispositif

Nous analyserons le fonctionnement technique du dispositif à travers quatre paramètres :

• La proportion des entreprises respectant la loi par une occupation de personnes handicapées plutôt que par le paiement d’une contribution à un fonds d’insertion des personnes handicapées (ou d’autres mesures alternatives); cette proportion mesure ce que nous avons appelé le taux de coopération des entreprises aux objectifs d’emploi du dispositif.

• Le rapport entre le nombre de personnes bénéficiaires et le nombre d’unités d’emploi déclarées ; en effet, l’existence de bonifications pour certaines catégories de personnes handicapées a pour conséquence que le premier chiffre est inférieur au second.

• La proportion des emplois déclarés provenant d’une embauche, à comparer avec ceux provenant d’un maintien en emploi dans l’entreprise (avec ou sans reclassement interne).

• L’effet additionnel net sur l’emploi des personnes handicapées compte tenu du fait qu’une partie de cet emploi aurait pu être occupé par des personnes handicapées même si ce dispositif n’avait pas été mis en place 124.

124 La différence entre l’effet brut et l’effet net traduit ce qu’on appelle un phénomène de perte sèche (ou effet d’aubaine).

2.1.1 Quel taux de coopération aux objectifs d’emploi ?

Une coopération inégale des entreprises et des secteurs, preuve du caractère non coercitif de ce type de politique

- Tant en Allemagne qu’en France ou en Italie, on constate qu’une minorité importante d’entreprises (40% en Allemagne, 37% en France) n’occupe aucun travailleur handicapé et se contente de payer la contribution au fonds d’insertion des personnes handicapées. De même, une minorité importante (respectivement 40% et 25%) n’a embauché ou maintenu des travailleurs handicapés que suivant un ratio inférieur au taux d’emploi légal.

- On constate aussi que le respect de la loi varie suivant les secteurs (mieux dans la

métallurgie et les hôpitaux par exemple et moins bien dans le commerce et les banques et assurances), ainsi que selon la taille, du moins en Allemagne (plus grand souci

d’intégration ou reclassement des travailleurs devenus handicapés dans les grandes entreprises, du fait d’une plus grande influence syndicale).

Une coopération globale d’au moins 60 %

Si l’on compare les taux effectifs d’emploi pour personnes handicapées et les taux prescrits sous forme de quota, on observe les résultats suivants :

Le taux de coopération aux objectifs d’emploi est compris entre 60% et 68% dans le secteur privé, contre 72 à 87% dans le secteur public. Malgré les critiques adressées en France au secteur public, on constate dans les deux pays que le secteur public affiche des meilleurs résultats que le secteur privé, l’écart étant particulièrement flagrant en Allemagne.

Tableau II.5-1 : taux de coopération aux objectifs d’emploi en Allemagne, France et Autriche 125

Objectif d’emploi en %

Taux effectif Taux de coopération à l’objectif d'emploi Allemagne secteur privé

6% 3,6% 60% secteur public

6% 5,2% 87% total

6% 3,8% 63% France secteur privé

6% 4,1% 68% secteur public 6% 4,3% 72% Autriche total 4% 2,4% 59%

Si l’on compare les contributions effectivement payées avec celles qui devraient être perçues si le taux d’emploi effectif était de 0% et qu’aucune mesure alternative n’était adoptée, on aboutit en France à la conclusion que les entreprises coopèrent aux objectifs directs de la loi à raison de 66 % (y compris par de la sous-traitance ou des accords

d’entreprise). Ceci peut être interprété comme un échec d’une politique d’obligation d’emploi au sens strict et autoritaire mais aussi comme une preuve du caractère souple et non coercitif de ce type de politique : les entreprises qui ne se sentent pas en mesure d’occuper des

travailleurs handicapés sont tout à fait libres de ne pas le faire.

Il faut compléter ces chiffres récents par une analyse de leur évolution dans le temps. En France, ces taux semblent assez stables depuis de vote de la loi en 1987. En Allemagne par contre, on constate une érosion régulière du taux effectif d’emploi depuis les années 80 ; elle est plus accentuée dans le secteur privé.

2.1.2. Un emploi effectif inférieur au taux d’emploi déclaré (du fait des bonifications)

- L’octroi de bonifications aux personnes plus lourdement handicapées a pour conséquence que le nombre de personnes bénéficiaires est inférieur aux unités d’emploi déclarées. C’est surtout vrai en France: le fait que certaines catégories d’emploi et métiers soient exclues et qu’il existe des bonifications a pour effet que le taux d’emploi réel dans les entreprises assujetties n’est que de 2.9%, au lieu d’un taux d’emploi officiellement déclaré de 4.1% ; le rapport entre ces deux chiffres est de 70.7%, contre 98% en Allemagne . 126

- Par contre, on ne connaît pas le nombre d’emplois occupés par des bénéficiaires potentiels de la loi mais qui ne seraient pas déclarés par l’employeur. En effet, il existe des

personnes handicapées qui ne souhaitent pas bénéficier d’un emploi à cause de leur handicap reconnu et qui n’interviennent pas dans le calcul du quota ; en France, cela semble particulièrement vrai dans la fonction publique.

2.1.3 Une proportion élevée de maintiens en emploi

- Contrairement à une idée spontanée, ce type de politique, dite d’obligation d’emploi en raccourci, a au moins autant, si pas davantage, d’impact sur le maintien en emploi des personnes déjà occupées que sur l’embauche de nouveaux travailleurs. C’est ainsi qu’en Allemagne, la seule étude dont nous disposons indique que 82% des bénéficiaires seraient des travailleurs recrutés en interne.

- Une enquête similaire réalisée en France aboutit au résultat que 60% des nouveaux bénéficiaires proviennent d’une embauche, ce qui implique donc que 40% sont des travailleurs maintenus en emploi.

- Autrement dit, selon le contexte socio-économique et institutionnel du pays, 40% à 82% des bénéficiaires sont des travailleurs déjà en place à qui survient une maladie ou un accident modifiant leurs capacités professionnelles.

126 En Autriche, les bénéficiaires d’un emploi dans le cadre du quota représentent 84% des unités d’emploi prises en compte pour le quota, compte tenu des postes comptant double. En Allemagne, ce rapport est encore plus élevé : près de 98%.

2.1.4 Un effet d’aubaine apparemment inexistant

Pour connaître l’efficacité réelle de la loi, il faudrait comparer les chiffres d’emploi obtenus dans ces pays avec les chiffres d’emploi qui seraient atteints sans l’instauration d’une obligation d’emploi et d’une contribution financière à un fonds d’insertion des personnes handicapées. Cela n’est évidemment pas possible, des expérimentations de ce type n’étant guère possibles en économie. La seule possibilité est de comparer les pays pratiquant cette forme de discrimination positive avec des pays aussi semblables que possible; ou encore de se servir de paramètres pour de calculer le taux d’emploi qui serait observé sans ce type de politique et de le comparer avec celui effectivement atteint dans le pays. Afin de voir s’il existe bien une différence positive et si cette différence correspond à l’emploi déclaré dans le quota.

Tableau II.5 -2 : accès à l’emploi des personnes handicapées, avec ou sans «obligation» d’emploi

Taux d’emploi Emploi Ecart p/r à l’emploi

effectif Emploi déclaré dans le quota

Effectif Sans quota

Effectif Sans quota calculé observable calculé observable ALLEMAGNE 858.528 Effectif (EFT 1996) 46,5% 4.487.890 Calculé 37,4% 3.609.615 878.275 Pays-Bas 38,4% 3.706.128 781.761 Royaume-Uni 37,8% 3.648.220 839.670 Finlande 42,2% 4.072.881 415.009 Danemark 42,6% 4.111.486 376.404 FRANCE 367.000 Effectif (EFT 1996) 45,1% 2.663.502

Calculé sans quota 34,4% 2.031.585 631.917

Pays-Bas 38,4% 2.267.815 395.687 Royaume-Uni 37,8% 2.232.381 431.121 Danemark 42,6% 2.515.858 147.644 Italie 25,4% 1.500.065 1.163.437

Le tableau ci-dessous montre à quoi aboutissent ces deux types de comparaison. Il permet de constater que :

Par rapport à une situation théorique (calculée) où leur pays serait géré de la même façon que les autres pays, la France et l’Allemagne présentent des niveaux d’emploi supérieurs. Et cette différence est dans chaque cas égale ou inférieure au niveau d’emploi enregistré dans le cadre du quota. Ce qui vaudrait dire qu’aucun des emplois déclarés dans le cadre de cette obligation n’aurait été alloué à une personne handicapée s’il n’y avait pas eu ce dispositif 127.

Par rapport à des pays voisins similaires, les deux pays présentent aussi un nombre d’emplois supérieur à celui qu’on observerait s’ils bénéficiaient du même taux d’emploi que ces pays voisins. Et ce supplément d’emploi est équivalent à celui déclaré dans le cadre de la loi dite d’ « obligation » d’emploi ou bien en représente une part très significative. C’est avec le Danemark que l’écart est le plus faible, ce pays pratiquant une politique d’intégration très

127 Ou que les éventuelles pertes sèches sont au moins compensées par d’autres bénéfices positifs spécifiques à ces pays.

poussée des personnes handicapées, y compris dès le plus jeune âge à l’école (politique de désinstitutionnalisation), tout en ayant un niveau relatif des dépenses de politique active légèrement supérieur à celui de l’Allemagne et très supérieur à celui de la France.

2.1.5 Conclusions

Aucun des deux pays ne parvient à atteindre l’objectif d’emploi demandé par la loi. Si le taux atteint reste stable en France malgré la situation économique difficile, il est en

décroissance régulière en Allemagne.

Les analyses comparatives rendues possibles actuellement par les données disponibles montrent aussi que ce dispositif se caractérise comme suit:

• La coopération aux objectifs d’emploi est inégale selon les entreprises, secteurs ou régions. Ceci qui témoigne du fait qu’il s’agit bien d’un dispositif laissant un libre choix aux employeurs, et non d’une obligation rigide pure et simple ; elle montre aussi l’importance du contexte sectoriel ou régional.

• La coopération globale aux objectifs d’emploi atteint 60 à 70 % dans les entreprises privées.

• La coopération aux objectifs d’emploi est plus élevée chez les employeurs publics: entre 70 et 90%.

• L’effet réel sur l’emploi est inférieur à celui résultant du taux d’emploi déclaré, du fait de bonifications liées à certaines catégories de handicap ou d’insertion. En France, l’emploi réel (nombre de bénéficiaires) représente 70% des unités d’emploi déclarées (bonifications comprises).

• En tenant compte à la fois du taux de coopération et du rapport bénéficiaires / unités déclarées, l’efficacité brute globale du mécanisme atteint dans les entreprises privées 59% en Allemagne (60% x 98%) et 48% en France (68% x 70%). En Autriche, ce taux est de 49% (59% x 84%).

• L’emploi déclaré pour satisfaire à l’ «obligation» d’emploi semble représenter un emploi additionnel à 100 % ; autrement dit cet emploi n’aurait pas été attribué à ces personnes si ces pays n’avaient pas pratiqué cette politique particulière de discrimination positive.

• Bref, le mécanisme de l’obligation d’emploi avec contribution compensatoire alimentant un fonds spécial obtient un effet additionnel net sur l’emploi des personnes handicapées qui est indéniable, même s’il est inférieur de 40 à 50% à celui souhaité au départ par la loi.

2.2 Points forts et limites

L’analyse de la politique d’obligation d’emploi avec contribution compensatoire alimentant un fonds spécial menée en Allemagne et en France ainsi qu’en Italie permet de mettre en évidence les points forts et les limites de cette politique particulière de

discrimination positive.

Nous les regrouperons sous plusieurs angles de vue : • Les bénéficiaires.

• L’impact sur les pratiques d’embauche en général.

• Les impacts sur l’emploi et le chômage des personnes handicapées. • L’intégration professionnelle.

• Les risques de stigmatisation. • La gestion du dispositif.

• L’accroissement des moyens et initiatives pour favoriser l’emploi des personnes handicapées.

2.2.1 Les bénéficiaires