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Mode d’analyse du contexte européen

3. La politique de l’Union européenne dans l’emploi des personnes handicapées

Pour analyser cette politique, nous examinerons d’abord les orientations proclamées de l’Union dans ses documents officiels. Ensuite, nous analyserons les mesures concrètes qu’elle a adoptées en matière d’emploi des personnes handicapées.

3.1 Orientations de la Communauté

La Communauté européenne défend officiellement trois priorités qui réunissent un large consensus parmi les Etats européens :

• Les mesures actives (par opposition aux mesures passives). • L’emploi ordinaire (par opposition au secteur protégé).

• La prévention du handicap et le maintien en emploi de la personne handicapée (par opposition au reclassement).

Par contre, elle ne prend pas position vis-à-vis d’une politique d’obligation d’emploi avec contribution de solidarité (ou non), les partisans ou adversaires de cette politique s’opposant assez farouchement parmi les différents Etats.

Priorité aux mesures actives

A la suite de l’OCDE 44, la Communauté européenne encourage le passage de mesures passives de simple protection sociale à des mesures actives 45 d’insertion professionnelle. La justification en est que l’octroi d’indemnités sociales retire les personnes handicapées du marché de l’emploi avec lequel elles finissent par perdre tout contact, au point qu’elles deviennent de plus en plus dépendantes de ces prestations. Autrement dit, la garantie de ressources dont elles « bénéficient » tendrait à les enfermer dans une situation de dépendance telle qu’elles ne retournent jamais sur le marché de l’emploi, même si elles en retrouvent la motivation et une certaine capacité. Ce qui est à la fois peu valorisant pour les personnes handicapées elles-mêmes et surtout coûteux pour la collectivité.

Cette réorientation de la politique sociale est supposée avoir également des effets induits sur la propension à travailler des personnes handicapées et donc in fine sur leur taux d’emploi. La tendance actuelle de plus en plus fréquente d’autoriser un cumul, au moins temporaire ou partiel, entre les allocations sociales et un salaire s’inscrit aussi dans cette orientation.

Trois axes classiques sont mis en avant dans les documents européens pour réaliser une politique active, ceux-ci réunissant un large consensus politique, et tant des employeurs que des organisations de travailleurs ou de personnes handicapées :

• L’amélioration de l'employabilité des personnes handicapées, au travers d’une amélioration de l'éducation et de la formation.

• L’adaptation des emplois et postes de travail aux personnes handicapées.

• Les mesures anti-discriminatoires, c.a.d. d’égalité des chances ainsi que de discrimination positive (objectif d’emploi en % du personnel).

Priorité à l’emploi en milieu ordinaire

De façon plus spécifique, les documents européens tendent aussi à privilégier l'emploi en "milieu ordinaire" et la transition du secteur protégé vers ce milieu ordinaire. Il n’y a pas que de pieuses exhortations sur la qualité de l'insertion des personnes handicapées dans la vie de la collectivité qui justifient cette orientation. En effet, développer l'emploi en milieu

44 Cette orientation est particulièrement influencée par la situation aux Pays-Bas et en Angleterre, pays spécialement actifs dans les instances internationales (OCDE, CEE, etc…). En effet, depuis 1984, la politique néerlandaise des personnes handicapées est obsédée par l’objectif de réduire le nombre de bénéficiaires des pensions d’invalidité, dont le montant est par ailleurs relativement généreux. En effet, ce nombre est

particulièrement impressionnant et engendre une charge budgétaire élevée. Ceci a entraîné l’adoption d’une série de mesures décourageant l’entrée dans l’invalidité, tant auprès des entreprises que des travailleurs. Une politique analogue est menée au Royaume-Uni où l’optique est de réduire le montant des allocations au minimum, en les limitant aux seuls surcoûts qui peuvent être démontrés.

45 Il ne faut pas confondre une « politique active » avec une politique « d’activation des allocations », dont le sens est beaucoup plus restrictif, bien que assez polysémique également

ordinaire permet aussi de limiter les budgets sociaux (allocations liées au handicap) 46. D'autre part, cela réduit aussi l’importance du secteur protégé, également très coûteux.

Mais cette priorité n’exclut pas une approche renouvelée du secteur protégé, notamment dans les pays du Sud dépourvus de traditions en ce domaine. D’où l’intérêt pour des

« enclaves » en milieu ordinaire, comme en Espagne, ou pour les coopératives sociales en Italie.

Priorité à la prévention du handicap et au maintien de la personne handicapée en emploi

Une autre caractéristique des documents européens est de mettre en avant la nécessité d’une politique préventive. En effet, c’est au cours de l’âge adulte et de la vie professionnelle que se développent la plupart des handicaps, notamment, mais pas uniquement, à la suite d’accidents de travail ou de maladies professionnelles (qu’ils soient légalement reconnus comme tels ou non). Or, les systèmes d’assurance et de protection des travailleurs peuvent rendre trop facile la mise à l’écart par l’employeur des travailleurs accidentés ou malades ainsi que décourager le maintien dans l’emploi de ces travailleurs ou leur reprise progressive du travail. Par ailleurs, ces systèmes ne constituent pas toujours un incitant financier suffisant à la promotion de la santé sur le lieu de travail et à la prévention des risques.

Des mesures plus actives de prévention des accidents de travail ou des maladies professionnelles constituent donc une solution intéressante pour réduire l’apparition de handicaps au cours de la vie professionnelle. Tout comme les mesures visant à maintenir en emploi les travailleurs chez qui apparaît un handicap : il semble en effet plus facile et moins coûteux de maintenir un travailleur handicapé au travail que de le réinsérer une fois qu’il est au chômage ou dépendant de prestations sociales.

3.2 Moyens d’action et initiatives de la Communauté

Au moins aussi importantes que les orientations proclamées de la Communauté sont les actions plus concrètes qu’elle mène ou encourage concrètement. En fait, il s’agit

essentiellement des directives européennes d’une part et des Plans nationaux pour l’emploi, faisant suite au sommet européen d’Amsterdam, d’autre part. Pour être complet, on devrait mentionner aussi les initiatives communautaires (Horizon, Adapt puis Equal, …), les fonds structurels, dont le Fonds social pour l’Emploi (FSE), ainsi que les pressions économiques et sociales sur certains fabricants, en termes d’accessibilité aux personnes handicapées.

La directive anti-discrimination

Si la politique de discrimination active ou d’obligation d’emploi était explicitement soutenue par l’Europe dans les années 80, la mise en œuvre généralisée d’une politique anti-discriminatoire semble avoir davantage ses faveurs à l’heure actuelle, à l’instar de ce qui prévaut depuis toujours dans les pays anglo-saxons. Cette orientation s’est concrétisée par une directive récente (200078/EC) interdisant la discrimination directe pour différents motifs, dont le handicap. Et la Belgique vient de voter une loi transposant cette directive, qui devient donc un dénominateur commun de l’ensemble des pays européens.

46 Globalement en Europe, les prestations d'invalidité pour les personnes handicapées sont devenues le troisième poste de protection sociale, après les pensions de vieillesse et les soins de santé, et avant les allocations de chômage. Dans la majorité des pays, les mesures mises en place pour favoriser l'entrée ou le retour sur le milieu ordinaire visent plus ou moins explicitement à réduire la pression de plus en plus forte sur les régimes de prestations sociales.

La généralisation de mesures anti-discriminatoires constitue un pas en avant fondamental et probablement trop sous-estimé, tant en termes d’infrastructures que de pratiques ou mentalités. On peut y voir plusieurs avantages :

• Le contenu de la loi ne doit pas être adapté périodiquement car la jurisprudence va faire évoluer petit à petit son implication, en fonction de l’évolution des mentalités. • On sort d’une politique d’assistanat et de stigmatisation.

On peut cependant se demander également si une telle politique suffit pour modifier rapidement et profondément l’intégration professionnelle des personnes handicapées et dispenser les autorités publiques de mesures plus actives ou contraignantes. En effet, elle présente plusieurs limites :

• Ces mesures n’agissent que pour autant que des individus osent intenter des actions en justice, que ces actions aboutissent et enfin que la menace de ces actions dissuade les employeurs, privés ou publics, de maintenir des pratiques discriminatoires. Leur succès dépend donc de l’évolution de la jurisprudence, ce qui prend du temps ainsi que des moyens (intellectuels ou financiers) dont disposent les personnes (ou leurs associations) pour faire valoir leurs droits.

• Une discrimination est plus aisée à démontrer et à faire valoir en matière de formation ou de promotion qu’en matière d’embauche.

• Une action en justice pour un problème d’emploi est plus aisée vis-à-vis d’un employeur public ou dans le cas d’un travailleur très qualifié.

• Les modalités de contrôle de ces mesures ne sont pas faciles à mettre en place.

La directive européenne sur les marchés publics

Cette directive permet aux pouvoirs publics de donner la priorité aux entreprises ayant une meilleure politique sociale. Son application généralisée donnerait également de nouveaux moyens d’action aux Etats membres.

Les Plans nationaux pour l’emploi

Les Plans nationaux pour l’emploi constituent le principal moyen d’action des autorités européennes pour rendre plus efficace la politique de l’emploi : chaque Etat membre doit établir un « Plan national pour l’emploi » précis en s’inspirant des meilleurs pratiques déjà implantées dans les Etats membres ; ces Plans doivent être approuvés par les autorités européennes et ils sont ensuite soumis annuellement à une évaluation des mêmes autorités.

On sait que ces Plans d’action nationaux ont comme caractéristique d’imposer des objectifs chiffrés et des cibles claires, à travers une palette de lignes directrices. Celles-ci sont désormais complétées par une demande de développer le partenariat avec les partenaires sociaux au plan de la mise en œuvre et du suivi, d’équilibrer les priorités entre les diverses lignes directrices et enfin de développer des indicateurs communs permettant de mieux évaluer les progrès et identifier les bonnes pratiques.

Plusieurs lignes directrices peuvent concerner indirectement les personnes handicapées. Toutefois, seule la ligne directrice n° 7 (ex- n° 9) les mentionne explicitement, mais parmi d’autres : elle stipule en effet qu’il faut identifier et combattre les discriminations (cfr la directive à ce sujet), développer des formes appropriées de prévention et de politique active

permettant de promouvoir l’intégration professionnelle des personnes avec handicap, des minorités ethniques et des autres groupes désavantagés sur le marché du travail.

Depuis peu, on a pris conscience des limites inhérentes à ces Plans nationaux pour l’emploi 47. En effet, ils se centrent presqu’exclusivement sur une amélioration de l’employabilité des travailleurs. Avec comme principal objectif implicite d’éviter un rétrécissement du marché de l’emploi qui serait potentiellement inflatoire ; plutôt que d’assurer un meilleur droit au travail. Et ce n’est que tout récemment que les autorités européennes ont pris conscience de la nécessité de les compléter par une meilleure

coordination européenne des politiques financières, économiques et budgétaires nationales ; de façon à stimuler l’activité économique et ses retombées sur l’emploi. Améliorer

l’employabilité demeure en effet peu efficace si l’emploi lui-même est trop peu abondant.