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Mode d’analyse du contexte européen

2. Moyens, résultats et efficience des politiques nationales

2.2 Les pays qui pratiquent l’obligation d’emploi avec contribution de solidarité et fonds spécial sont parmi ceux avec la meilleure efficacité !

Pour comparer l’efficacité des politiques d’emploi en faveur des personnes handicapées, le taux d’emploi de celles-ci nous semble le meilleur critère, en tout cas d’un strict point de vue quantitatif. Mais l’écart entre ce taux d’emploi et celui dont bénéficie le reste de la population active pourrait constituer un autre critère complémentaire.

Le taux d’emploi des personnes handicapées

Voyons d’abord quels sont les pays qui obtiennent le meilleur taux d’emploi global des personnes s’auto-déclarant handicapées et quels sont ceux où ce taux est le plus faible.

Comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous, le classement des pays où s’observe le meilleur taux d’emploi pour l’ensemble des personnes handicapées est généralement le même pour les personnes plus sévèrement handicapées.40

C’est l’Allemagne et la France qui enregistrent le meilleur taux d’emploi global des personnes handicapées : selon les enquêtes du Panel européen des ménages de 1996, environ 45% des personnes en âge de travailler et se déclarant handicapées y ont un emploi. De plus, avec l’Autriche ainsi que les Pays-Bas et le Portugal, ils atteignent également le meilleur taux d’emploi pour les seules personnes avec un handicap sévère.

Outre un secteur protégé significatif, ces pays ont pour caractéristique de mener une politique volontariste en milieu ordinaire, via l’obligation d’emploi et la contribution de solidarité alimentant un fonds spécial . Bien entendu, d’autres facteurs peuvent y expliquer cette meilleure efficacité ; on songe notamment aux législations en matière de protection contre le licenciement, aux efforts de formation professionnelle, aux incitants accordés aux entreprises, au développement des services de conseil et placement, etc….

Le Portugal, l’Autriche, le Danemark et la Finlande se signalent eux aussi par un taux d’emploi global supérieur, meilleur que la moyenne européenne, entre 42 et 44%. Par contre, un pays comme la Belgique se signale par un faible taux d’emploi des personnes handicapées, 30% : celui-ci est clairement inférieur à la moyenne communautaire de 39%.

On remarquera que l’Italie, l’Espagne et la Grèce qui à l’époque avaient mis en place un simple quota d’emploi pour les personnes handicapées (sans contribution de solidarité

alimentant un fonds spécial) se situent en bas du classement : ce système n’a donc guère eu d’effet sur l’emploi des personnes handicapées.

Tableau II.1-5 : taux d'emploi des personnes handicapées (enquête « Panel européen des ménages » de 1996) Pays % Sévères et modérés % Sévères seuls % Modérés seuls

Elevé Allemagne 46,5 26,4 53,8 France 45,1 36,8 50,5 Portugal 43,9 30,7 52,9 Autriche 43,4 28,4 48,6 Danemark 42,6 17,1 52,0 Finlande 42,2 21,6 49,8 Moyen Pays-Bas 38,4 26,1 44,0 Royaume-Uni 37,8 17,4 46,6 Luxembourg 37,2 28,7 40,2 Faible Belgique 30,3 18,3 36,9 Grèce* 28,4 16,7 36,3 Italie* 25,4 15,3 29,6 Irlande 24,0 13,7 27,1 Espagne* 23,5 13,1 28,7

Europe (hors Suède) 39,0 24,3 46,2

Souligné : pays avec objectif d’emploi en % du personnel et contribution de solidarité *: pays avec simple quota d’emploi (en 1996)

40 Font exception à cette tendance l’Allemagne et le Danemark, où le taux d’emploi des handicapés sévères est moins bien classé que celui des handicapés modérés et les Pays-Bas (ainsi que le Luxembourg), où le taux d’emploi des handicapés sévères est mieux classé que celui des handicapés légers.

Ces résultats sont-ils comparables ?

Toutefois, on pourrait objecter que les taux d’emploi dans les différents pays ne sont pas réellement comparables entre eux. En effet, les meilleurs taux d’emploi s’observent dans les pays où une plus grande proportion de la population se déclare avec un handicap dans la vie quotidienne (les pays du Nord de l’Europe ainsi que le Portugal); les plus faibles taux d’emploi apparaissent par contre dans les pays où une faible proportion de la population en âge de travail déclare avoir un handicap (les pays méditerranéens du Sud de l’Europe).

Pourquoi relève-t-on entre les pays européens de telles différences dans la proportion de personnes se déclarant handicapées? Les responsables de l’enquête Eurostat jugent qu’outre des différences réelles dans les situations de chaque pays, cela pourrait s’expliquer aussi en partie par le fait que la compréhension des questions dans la langue nationale varie d’un pays à l’autre (« somme of these variations may also be the result of differences in the

interpretation of the question on disability (cultural differences) and differences in the social organisation and availibility of services » (p6)).

Nous doutons cependant que des éléments linguistiques aient un rôle très significatif dans l’explication de ces différences: pourquoi seraient-elles aussi systématiques entre le Nord et le Sud de l’Europe, Portugal excepté ? Il convient de noter que l’importance relative de la population âgée de 45 à 64 ans est assez différente entre les pays européens, les pays du Nord se caractérisant souvent par une population plus âgée. Or, c’est dans cette tranche d’âge que la population handicapée ou ayant des problèmes de santé est la plus fréquente et que les différences entre pays sont les plus sensibles. Comme nous le montrons en Annexe II.1, c’est ce facteur qui semble expliquer une bonne part des différences entre les pays, son impact semblant cependant moindre dans le cas de l’Italie et de la Grèce.

Il importe donc de vérifier si les différences ne sont pas dues à ce facteur, plutôt qu’à l’existence d’une politique spécifique au pays. C’est pourquoi nous avons estimé par la

méthode des moindres carrés la droite de régression entre ces deux variables, à la fois dans les pays SANS obligation d’emploi et contribution de solidarité alimentant un fonds spécial (neuf pays) et dans les trois pays ayant instauré ce système.

La droite de régression décrit la relation suivante : TPH = a + b . PPH dans laquelle : • TPH désigne le taux d’emploi des personnes handicapées.

• PPH la proportion de personnes handicapées (selon l’enquête EFT 1996). On trouvera en annexe II .1 les résultats détaillés de ces deux régressions linéaires.

Graphiquement, ces données et calculs se présentent comme suit :

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette analyse :

S’ils menaient la même politique qu’ailleurs, les trois pays qui pratiquent actuellement une politique d’obligation d’emploi et de contribution de solidarité alimentant un fonds spécial se caractériseraient par un moindre taux d’emploi des personnes handicapées. Comme le montre le tableau ci-dessous, cette réduction estimée se situerait entre 20 et 30% selon le pays, compte tenu des taux d’emploi actuellement atteints par des pays similaires parce qu’ayant la même proportion de personnes handicapées et donc une intensité analogue de reconnaissance et d’intégration du handicap.41

Si les pays qui se limitent actuellement à une politique incitative et/ou

anti-discriminatoire pratiquaient eux aussi une politique d’obligation d’emploi et de contribution de solidarité alimentant un fonds spécial, l’observation des trois pays qui la pratiquent

actuellement donne à penser que leur taux d’emploi serait augmenté. Cette amélioration serait forte dans les pays dont le taux d’emploi actuel est très bas, mais très modeste par contre dans des pays comme le Portugal ou le Danemark où, selon l’enquête EFT de 1996, le taux

d’emploi des personnes avec handicap serait déjà élevé 42.

41 Certains pourraient objecter que le taux d’emploi des personnes handicapées est meilleur en France et en Allemagne parce que le mécanisme de l’obligation d’emploi susciterait l’apparition de personnes handicapées, et de personnes ayant un emploi. Or, une analyse statistique des causes de variation dans la proportion de personnes handicapées révèle qu’il ne semble pas y avoir de lien entre ces variations et l’existence ou non d’un quota (cfr Annexe II.1) : c’est essentiellement la structure d’âge qui expliquerait ces variations.

42 Bien entendu, il s’agit ici d’une simple projection mathématique qui ne tient pas compte de la réceptivité culturelle et sociale de ces pays à un tel niveau d’intégration des personnes handicapées et à un tel degré de

T a u x d ' e m p l o i d e s p e r s o n n e s h a n d i c a p é e s e n E u r o p e , a v e c o u s a n s d i s c r i m i n a t i o n p o s i t i v e 0 1 0 2 0 3 0 4 0 5 0 6 0 0 5 1 0 1 5 2 0 2 5 P r o p o r t i o n d e p e r s o n n e s h a n d i c a p é e s , e n % d e l a p o p u l a t i o n ( 1 5 - 6 4 a n s ) T aux d'em plo i des pers onnes ha ndica pées (en % ) T x d 'e m p l o i a c t u e l P H T x d 'e m p l o i e s t i m é a v e c o b l. d 'e m p l o i T x d 'e m p l o i e s t i m é s a n s o b l. d 'e m p l o i

Pays avec discrimination positive :

Tableau II.1-6 : impact estimé d’une absence de politique d’obligation d’emploi et de contribution de solidarité alimentant un fonds spécial.

% de PH Taux d'emploi actuel PH

Taux calculé sans

obligation d'emploi Différence (impact estimé) Ecart en % de la situation actuelle A B A-B (A-B)/A Autriche 12,50 43,40 30,34 -13,06 -30,1%

France 15,30 45,10 34,44 -10,66 -23,6% Allemagne 17,30 46,50 37,37 -9,13 -19,6%

Pays sans discrimination positive :

Tableau II.1-1 : impact estimé d’une politique d’obligation d’emploi et de contribution de solidarité alimentant un fonds spécial % de PH Taux d'emploi actuel PH Taux calculé avec obligation d'emploi Différence (impact estimé) Ecart en % de la situation actuelle A B A-B (A-B)/A Italie 7,80 25,40 40,35 14,95 58,8% Grèce 8,20 25,40 40,60 15,20 59,9% Espagne 9,90 23,50 41,70 18,20 77,4% Irlande 10,90 24,00 42,34 18,34 76,4% Belgique 12,90 30,30 43,63 13,33 44,0% Danemark 17,40 42,60 46,52 3,92 9,2% Portugal 18,40 43,90 47,17 3,27 7,4% Pays-Bas 18,50 38,40 47,23 8,83 23,0% Royaume- uni 18,90 37,80 47,49 9,69 25,6% Finlande 22,90 42,20 50,06 7,86 18,6%

La discrimination sur le marché du travail

Un autre moyen d’analyser l’efficacité des politiques actives de l’emploi est de comparer le taux d’emploi des personnes handicapées à celui du reste de la population. En mesurant de combien le taux d’emploi des personnes handicapées s’écarte de celui observé parmi la population des personnes valides, on obtient une mesure de ce qu’on pourrait appeler un « taux d’éviction » des personnes handicapées sur le marché de l’emploi. Cet écart ne provient pas nécessairement d’une moindre demande de travail de la part des employeurs mais peut aussi s’expliquer en partie par une politique d’allocations visant à préserver les personnes handicapées de la nécessité de travailler .

A titre d’exemple, selon l’enquête du Panel européen des ménages, en Finlande, le taux d’emploi des personnes handicapées est de 42.2 %, contre 61.1 % pour le reste de la population ; le « taux d’éviction » y est donc de 31%, les personnes handicapées perdant 31 % des emplois auxquels ils accéderaient s’ils étaient valides. En Grèce par contre, le taux d’emploi des personnes handicapées est de 28.4 %, contre 57.8 % pour le reste de la

volontarisme public. C’est dans les pays dont le contexte politico-culturel est le plus proche que cette extrapolation est sans doute la plus plausible.

population. Le « taux d’éviction » est de 50.8 %, ce qui veut dire que les personnes handicapées perdent la moitié des emplois auxquels ils pourraient prétendre s’ils étaient valides comme le reste de la population.

C’est en France, Finlande et Allemagne que le taux d’emploi des personnes handicapées est le plus proche de celui du reste de la population, la différence étant d’un tiers environ. Autrement dit, les personnes handicapées perdent un tiers des emplois dont ils devraient bénéficier s’ils n’étaient pas pénalisés par leur situation ou représentation de handicapé. Les Pays-Bas, le Portugal et l’Autriche sont eux aussi assez proches de cette situation. Parmi les six pays présentant les meilleures performances, trois sont donc des pays pratiquant une politique d’obligation d’emploi et de contribution de solidarité alimentant un fonds spécial. On remarquera que les trois autres se caractérisent par une proportion élevée de personnes se reconnaissant handicapées, ce qui laisse penser que le taux de gravité moyen y est un peu moins préoccupant et que la tradition d’intégration y est plus ancrée.

Tableau II.1-8 : taux d’éviction des personnes handicapées dans l’emploi (écart entre le taux d'emploi des pers. handicapées et celui du reste de la population en % du taux d'emploi du reste de la population

Taux d’éviction % de PH Taux d'emploi des personnes valides France 29,5% 15,3 64,0 Finlande 31,0% 22,9 61,1 Allemagne 32,9% 17,3 69,3 Portugal 36,6% 18,4 69,2 Autriche 37,6% 12,5 69,6 Pays-Bas 38,5% 18,5 62,4 Danemark 44,2% 17,4 76,3 Belgique 46,2% 12,9 56,3 Royaume-Uni 47,2% 18,9 71,6 Italie * 48,2% 7,8 49,0 Grèce* 50,8% 8,2 57,8 Espagne * 52,5% 9,9 49,5 Irlande 58,0% 10,9 57,2

Souligné : pays avec objectif d’emploi en % du personnel et contribution de solidarité * : pays avec simple quota d’emploi (1996)

En Irlande, Espagne et Grèce par contre, l’écart de taux d’emploi entre valides et moins-valides est beaucoup plus inquiétant, celui des personnes handicapées représentant moins de la moitié du taux d’emploi du reste de la population. Le fait que la proportion de personnes acceptant de se reconnaître handicapées y est particulièrement faible pourrait peut-être expliquer en partie cette situation, la déficience moyenne qui les caractérise étant dès lors probablement plus lourde et l’intégration moins facile ou habituelle. Mais le faible niveau du taux d’emploi pour les personnes valides elles-mêmes ne favorise sans doute pas non plus l’intégration professionnelle des personnes handicapées. Les pays qui ont mis en place un simple quota d’emploi (sans contribution de solidarité et fonds spécial) se situent de nouveau en bas de ce classement.

Avec un taux d’éviction de l’ordre de 45%, des pays comme la Belgique, le Royaume-Uni et l’Italie sont eux aussi très proches de cette situation peu réjouissante. La situation est particulièrement préoccupante pour le Royaume-Uni où un taux d’éviction très important (47.2 %) va de pair avec une proportion très élevée (18,9%) de personnes handicapées; elle

l’est apparemment moins pour l’Italie qui figure parmi les pays avec la plus faible proportion de personnes se déclarant handicapées dans leur vie quotidienne.

Conclusions

Si l’on compare ces deux mesures de l’efficacité des politiques d’emploi que sont le taux d’emploi et ce que nous avons appelé le taux d’éviction, on observe qu’elles sont assez convergentes. Dans la plupart des cas, un haut taux d’emploi des personnes handicapées va de pair avec un faible taux d’éviction; et un faible taux d’emploi des personnes handicapées coïncide avec un haut degré d’éviction. Autrement dit, plus le taux d’emploi est élevé, plus il se rapproche aussi de celui du reste de la population et plus le taux d’emploi des personnes handicapées est faible et plus il s’éloigne aussi du taux d’emploi du reste de la population

Tableau II.1-1 : comparaison entre le taux d’emploi et le « taux d’éviction » des personnes handicapées Proportion de personnes handicapées Taux d’emploi des personnes valides Taux d'emploi des personnes handicapées Taux d’éviction des personnes handicapées

Bas Moyen Elevé Allemagne 17,3 69.3 46,5 32,9% France 15,3 64.0 45,1 29,5% Portugal 18,4 69.2 43,9 Elevé 36,6% Autriche 12,5 69.6 43,4 37,6% Danemark 17,4 76.3 42,6 44,2% Finlande 22,9 61.1 42,2 31,0% Pays-Bas 18,5 62.4 38,4 38,5% Royaume-Uni 18,9 71.6 37,8 Moyen 47,2% Luxembourg * 16,4 62.4 37,2 40,4% Belgique 12,9 56.3 30,3 46,2% Grèce * 8,2 57.8 28,4 50,8% Italie * 7,8 49.0 25,4 Faible 48,2% Irlande 10,9 57.2 24,0 58,0% Espagne * 9,9 49.5 23,5 52,5%

Souligné : pays avec objectif d’emploi en % du personnel et contribution de solidarité * : pays avec quota d’emploi sans contribution de solidarité

Quelques exceptions nuancent cependant cette constatation générale. Au Royaume-Uni, bien que le taux d’emploi des personnes handicapées se situe dans la moyenne européenne, le taux d’éviction y figure dans la moyenne supérieure. Aux Pays-Bas, c’est par contre

l’inverse : le taux d’éviction y est relativement bas, alors que le taux d’emploi des personnes handicapées se situe dans la moyenne européenne.

La Belgique a donc le triste privilège de figurer parmi les pays européens caractérisés à la fois par un faible taux d’emploi des personnes handicapées et un taux d’éviction élevé sur le marché de l’emploi. Mais comme on le remarque aisément, ces pays européens les moins performants souffrent aussi d’un taux d’emploi chez les personnes valides moins élevé que dans les autres pays européens. Ceci suggère que la réponse ne se situe pas seulement dans une participation plus équitable des personnes handicapées au marché du travail mais aussi dans un relèvement du taux d’activité de l’ensemble de la population.