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3.L’évolution des espaces artificialisés en Bretagne : temps longs et tendances

3.2. Les tendances récentes de l’artificialisation : entre extension et intensification

Depuis le début des années 2000, l’artificialisation du sol poursuit sa progression (Zeller et Marquet, 2007). Trois bases de données seront ici utilisées pour donner la mesure de cette évolution : CORINE Land Cover sur la période 2000-2006, les données cadastrales sur la période 2000-2007 et l’enquête Teruti-LUCAS sur la période 2006-2010.

Selon CORINE Land Cover entre 2000 et 2006, les espaces artificialisés progressent à un rythme de + 3,5 % soit un peu moins de 1 000 hectares artificialisés nouveaux chaque année. Bien que cette base ne semble pas être la plus appropriée pour suivre l’artificialisation diffuse qui caractérise la Bretagne (cf. supra), elle permet néanmoins de localiser géographiquement les espaces où l’artificialisation récente est la plus marquante (Carte 12). On identifie ainsi le littoral, le périurbain, en particulier rennais30, et les espaces le long des grands axes de circulation31. La lecture de la carte montre également un rééquilibrage territorial au profit du nord de la région (en particulier le nord-ouest des Côtes-d’Armor, qui était jusqu’alors moins densément artificialisé)32. Autre particularité récente mise en valeur par cette cartographie, l’artificialisation des territoires en situation rétro-littorale. Cela est particulièrement visible au nord, le long d’un axe Morlaix-Guigamp, mais aussi dans le Morbihan autour d’un triangle Vannes-Lorient-Pontivy, triangle qui se poursuit vers le nord via le canton de Loudéac et qui semble ensuite se connecter à la partie sud du périurbain de Saint-Brieuc. Avec Brest-Quimper à l’ouest, Rennes à l’est et l’axe Lorient-Vannes-Saint-Brieuc au centre, cette première carte de l’artificialisation entre 2000 et 2006 réalisée à partir des données de CORINE Land Cover dessine trois pôles très actifs en termes d’artificialisation du sol entre 2000 et 2006.

30 Ainsi, 9 des 19 cantons enregistrant les plus fortes hausses (c’est-à-dire une progression des espaces artificialisés supérieure à + 8 % entre 2000 et 2006) sont situés à moins de 50km de l’agglomération rennaise. Il s’agit, au sud, le long de la N137 vers Nantes, du canton de Bain de Bretagne ; au sud-ouest, le long de la N24 vers Vannes-Lorient, du canton de Ploërmel ; au nord-ouest, le long de la N12 vers Saint-Brieuc, du canton de Saint-Méen-le-Grand ; au nord, le long de la N137 en direction de Saint-Malo, des trois cantons de Rennes-Nord-Ouest, Rennes-Nord et Hédé ; au nord-est, le long de l’A84 en direction de Caen, des cantons de Liffré et de Fougères-Sud ; et enfin, à l’est, le long de la N157 en direction de Paris, du canton de Vitré. Les routes nationales (N12, N24, N137 et N157) et a fortiori la récente autoroute (A84) sont toutes d’un gabarit à 2x2 voies.

31 Seules 3 des 19 hausses les plus importantes (cf. note de bas de page précédente), ne sont pas localisées le long d’un axe routier important. Il s’agit des cantons de Lannion (mais situé sur le littoral), de Loudéac et de Saint-Nicolas-du-Pélem en Centre Bretagne.

32 Le concept du rééquilibrage territorial considère que le rythme de l'artificialisation est d'autant plus élevé que la part des surfaces artificielles en début de période est faible (Baccaïni et Semecurbe, 2009).

CARTE 12 – L’ARTIFICIALISATION DES SOLS ENTRE 2000 ET 2006 PAR CANTONS EN BRETAGNE D’APRES CORINE LAND COVER

Source : EEA - CORINE Land Cover 2000 et 2006 Réalisation : DUPONT J., 2012

CARTE 13 – L’EVOLUTION ABSOLUE DE LA PART DES ESPACES ARTIFICIALISES ENTRE 2000 ET 2006 PAR CANTONS EN BRETAGNE D’APRES CORINE LAND

COVER

Source : EEA - CORINE Land Cover 2000 et 2006 Réalisation : DUPONT J., 2012

A l’inverse, le centre de la Bretagne, à l’exception d’un pôle Rostrenen–Carhaix, semble avoir connu sur cette période une artificialisation nulle ou quasiment tout comme les cantons limitrophes de la Basse-Normandie et ceux littoraux déjà très artificialisés en 2000 (par exemple au sud de Quimper ou dans le Morbihan autour de la presqu’île de Quiberon). La cartographie de l’évolution absolue de la part des espaces artificialisés identifiés par CORINE Land Cover entre 2000 et 2006 permet de valoriser un deuxième phénomène : l’intensification de l’artificialisation (Carte 13). En effet, les cantons ayant enregistré les plus fortes progressions de la part de l’artificialisation sur leur territoire sont tous des cantons déjà nettement urbanisés en 2000. On identifie ainsi les principales villes de la région avec les agglomérations de Rennes, de Saint-Brieuc, de Lorient et de Brest en particulier. Mais c’est également le cas des cantons de villes plus petites comme Fougères, Vitré, Concarneau, Guingamp ou bien encore Lannion d’autant plus si ces cantons sont littoraux ou situés le long des grands axes routiers.

Bien que l’échelle de temps soit relativement brève et que la base de données ne soit pas parfaite, les évolutions enregistrées par CORINE Land Cover entre 2000 et 2006 permettent néanmoins de distinguer trois espaces d’extension (le rétro-littoral, le périurbain et les territoires situés le long des axes routiers) et deux espaces d’intensification de l’artificialisation (le littoral et les villes petites et grandes).

Le cadastre, deuxième base des données ici mobilisée, propose une approche très particulière de l’artificialisation des sols. La cadastre calcule en effet la progression de l’artificialisation non pas en relativisant les surfaces artificialisées de l’année n+1 par rapport à celles de la précédente année de mesure n (comme c’est le cas pour les données de l’occupation du sol utilisées jusqu’ici), mais en relativisant les surfaces artificialisées nouvelles de l’année n+1 avec les surfaces agricoles et naturelles de l’année n. Le cadastre mesure ainsi le développement de l'urbanisation par rapport aux terres agricoles et/ou naturelles (Encadré 3). Dans ce sens, on peut dire que la donnée cadastrale propose une lecture de l’artificialisation par la pression qu’elle exerce sur les terres agricoles et/ou naturelles. En conséquence, un espace présentant un faible pourcentage de terres agricoles et/ou naturelles en 2000 a plus de chance d’afficher un fort taux d’artificialisation selon le cadastre.

ENCADRE 3 – LA MESURE DE L’ARTIFICIALISATION DES SOLS SELON LE CADASTRE

Définition des données

L'artificiel au sens du cadastre comprend (+ codes cadastraux entre parenthèses) : le sol, c’est-à-dire, l’ensemble du bâti (S) ; les agréments : espaces paysagers et récréatifs (AG) ; l’espace public, dont l’ensemble du réseau de communication, non cadastré (EP) ; les chemins de fer (CH) ; les carrières (CA).

L'agricole est compris dans une définition assez large et inclut également ce que le cadastre enregistre comme terres, prés, vergers et jardins.

La formule de l’artificialisation selon le cadastre

Le cadastre calcule la progression de l’artificialisation, non pas en relativisant les surfaces artificialisées de l’année n+1 avec celles de la précédente année de mesure n, mais en relativisant les surfaces

artificialisées nouvelles de l’année n+1 avec les surfaces agricoles et naturelles de l’année n. La formule est la suivante :

(surfaces artificialisées en 2007 - surfaces artificialisées en 2000) /

surfaces en terres, prés, vergers, jardins en 2000

Illustration théorique

Situation en 2000 Situation en 2007

Artificiel en jaune : 6 ha Agricole en vert : 14 ha

Artificiel en jaune + orange : 8 ha Agricole en vert : 12 ha

Si un carré est égal à 2hectare (ha), on obtient alors les données suivantes : - évolution brute de l’artificiel entre 2000-2007 : + 2 ha

- évolution relative de l’artificiel entre 2000 et 2007 : + 33,3 % - évolution de l’artificiel rapportée aux terres agricoles : + 14 %

C’est le troisième chiffre que retient le cadastre pour mesurer l’artificialisation du sol.

Commentaire

Cette mesure de l’artificialisation par le cadastre est très spécifique. Ainsi, il est tout à fait possible que dans le cas d’une commune rurale peu urbanisée et très agricole, l’artificialisation du sol soit décrite à la fois comme faible selon le cadastre et comme très élevé dans par d’autres bases de données. En effet, la création d’un lotissement qui y augmenterait par exemple les superficies urbanisées de 20 % n’aurait malgré tout que peu d’impact sur les importantes superficies agricoles de la commune (comme c’est le cas par exemple dans les communes très agricoles du centre de la Bretagne). Et inversement : une commune très urbanisée disposant de peu d’espaces agricoles et qui construirait quelques bâtiments supplémentaires afficherait alors une faible progression des ses espaces artificialisés (relativement à son tissu urbain existant, cette extension serait en effet minime) mais, selon le cadastre, l’artificialisation serait alors très importante, car rapportée aux superficies agricoles, l’impact serait très significatif (c’est le cas par exemple de Lorient qui affiche une stagnation selon CORINE Land Cover entre 2000 et 2006 avec une évolution de + 0,001 %, mais qui, selon le cadastre, enregistre une artificialisation de son sol entre 2000 et 2007 de + 28,5 %).

Dans ce sens, une progression importante de l’artificialisation dans le cadastre (par exemple + 129.9 % à Gâvres dans le Morbihan) ne veut pas dire que la superficie urbanisée de la commune a été plus que multipliée par deux (dans ce cas de Gâvres, ce serait d’ailleurs impossible vu la configuration en presqu’île de la commune) mais que les surfaces agricoles ont été fortement impactées par la progression, bien que très faible, des espaces artificiels.

DUPONT J., 2012

En effet, les espaces disponibles pour l’artificialisation y étant plus limités, l’impact d’une progression des espaces artificiels, même modeste en termes de volume, y sera très remarqué. Alors que la donnée précédente a permis d’identifier les territoires connaissant un phénomène de rééquilibrage territorial et donc d’extension de l’artificialisation (cf.

supra), le cadastre valorise au contraire les territoires dans lesquels l’artificialisation s’intensifie aux dépens des autres types d’occupation du sol. A noter encore qu’il existe deux versions du calcul de l’artificialisation des sols selon le cadastre : la première est rapportée uniquement aux superficies agricoles et la deuxième, aux surfaces agricoles additionnées des superficies en forêt. Quel que soit le mode de calcul, les valeurs relativement faibles du taux d’artificialisation des sols selon le cadastre entre 2000 et 2007 soulignent la forte proportion des terres à vocation agricole, caractéristique fondamentale de l’occupation du sol en Bretagne. La Carte 14 basée sur la première formule, peut alors être lue comme la cartographie des attractivités territoriales les plus significatives de la région en distinguant les espaces où l’artificialisation des sols impacte toujours plus fortement les superficies agricoles.

Les valeurs les plus élevées se localisent principalement dans les communes littorales et les communes urbaines centrales et périurbaines immédiates33. On identifie ainsi en particulier l’agglomération rennaise, la baie de Saint-Brieuc et le littoral du Morbihan caractérisé par un important effet rétro-littoral. On relève également une artificialisation importante autour de Brest, de Saint-Malo et dans les communes situées au sud de Quimper. Seuls font exception à ce constat quelques pôles intermédiaires situés à l’intérieur des terres (l’Argoat) comme Fougères et Vitré à proximité de Rennes, ou bien encore Loudéac dans les Côtes-d’Armor, mais aussi Ploërmel dans le Morbihan.

L’analyse des données cadastrales permet d’identifier 27 communes dont les taux d’artificialisation des sols sont supérieurs à 10 %. Parmi ces communes, 25 sont situées le long du littoral (les deux autres étant Rennes et sa commune voisine de Chartres-de-Bretagne) et 12, soit presque la moitié, sont localisées dans le Morbihan, un département plus artificialisé que les autres et dans lequel la pression de l’artificialisation sur les terres agricoles, remarquable, semble s’accentuer toujours un peu plus.

33 Par « immédiates » nous entendons ici les communes dont la limite territoriale est au contact de celle de la commune centre.

CARTE 14 – L’ARTIFICIALISATION DES SOLS EN BRETAGNE ENTRE 2000 ET 2007 SELON LE CADASTRE

Note : l’artificialisation des sols selon le cadastre est le taux des surfaces artificialisées entre 2000 et 2007, rapportées aux surfaces agricoles de 2000.

Source : Données cadastrales, Atlas foncier des 21 Pays de Bretagne (Dupont, 2010b)

Troisième base, l’enquête Teruti-LUCAS entre 2007 et 2010 apporte les éléments les plus récents sur l’artificialisation du sol en Bretagne. Elle enregistre, elle aussi, une progression continue des espaces artificialisés depuis 2006 : + 1,7 % soit 1 426 hectares artificialisés nouveaux par an. Malheureusement non cartographiable, l’enquête nous apprend que cette progression se vérifie sur l’ensemble de la région mais qu’elle est plus marquée dans les Côtes-d’Armor et en Ille-et-Vilaine. L’artificialisation des sols est également significative sur le littoral sud du Morbihan (Vannes et Auray), sur le littoral nord (Trégor et Dinan), dans les Pays de Rennes, Fougères, Morlaix, ainsi qu’en Cornouailles (DRAAF Bretagne-AGRESTE, 2011).

Ces trois bases de données permettent de constater qu’une certaine forme de

« rattrapage » ou de « rééquilibrage » du nord de la région se réalise, que l’influence de l’agglomération de Rennes continue de s’étendre et concerne désormais pratiquement l’ensemble du département de l’Ille-et-Vilaine, ou bien encore que l’attrait pour le littoral, en particulier celui du sud, ne faiblit pas et qu’il « déborde » désormais sur le

rétro-littoral, dessinant ainsi un nouveau front de l’artificialisation en Bretagne. Face à l’ensemble des éléments soulevés par l’observation de l’occupation du sol en Bretagne, il nous est apparut nécessaire de proposer, dans le point suivant, une synthèse statistique avant d’évoquer les enjeux fonciers qui se posent en Bretagne face au rythme et à la nature de l’artificialisation.

4.Conclusion : synthèse et émergence des