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4.Conclusion : synthèse et émergence des enjeux fonciers liés à l’artificialisation des

4.2. Les enjeux fonciers soulevés par l’artificialisation du sol

L’artificialisation du sol met en exergue le conflit entre les différents usages réels ou potentiels que peut accueillir un capital foncier qui, par définition, est limité. Une certaine forme de compétition pour l’accès au foncier oppose alors les usages résidentiels aux usages économiques ou agricoles mais aussi aux usages de loisirs, de préservation des espaces naturels, etc. L’extension de l’artificialisation correspond à une consommation d’espaces naturels et ruraux (CGDD-DATAR, 2009), dans un pays comme la France et a fortiori dans sa première région agricole qu’est la Bretagne, qui pose la question de la place des terres agricoles et des espaces naturels face à une urbanisation de plus en plus pressante. Un conflit d’usage d’autant plus que vif lorsque l’on considère les espaces très attractifs comme les littoraux (Tafani, 2012 ; Dupont 2010a). Les enjeux fonciers soulevés par l’artificialisation des territoires bretons seront d’abord abordés du point de vue de l’agriculture puis du point de vue de l’environnement naturel avant d’être synthétisés par une cartographie.

4.2.1. Du point de vue de l’agriculture

Pour les activités agricoles, l’artificialisation du sol est avant tout synonyme d’une perte nette de ressource. Les terres agricoles constituent en effet un potentiel non renouvelable (Levesque, 2006) qu’il conviendrait de protéger (Levesque, 2005 ; Germain et Thareau, 2010 et 2011) face à une progression des espaces artificialisés qui s’opère à 90 % en France aux dépens des terres agricoles (CGDD, 2011b). En Bretagne, les terres agricoles fournissent plus des deux tiers des nouvelles surfaces artificialisées (soit une moyenne annuelle 3 600 ha), le tiers restant provenant d’espaces naturels ou de surfaces boisées (DRAAF Bretagne - AGRESTE, 2011) 34. Cette urbanisation des campagnes (Boisson,

34 Sur les communes du littoral breton, les données sont plus proches de la moyenne nationale avec 84 % des terres artificialisées en provenance des espaces agricoles et 16 % des espaces naturels (Dupont, 2010c).

2005) inquiète d’autant plus les acteurs du monde agricole (Pointereau, Coulon et Girard, 2008 ; et les nombreuses publications d’AGRESTE sur le sujet) qu’un déséquilibre de protection entre zonage agricole et zonage environnemental expliquerait une plus grande propension à déclasser des zones agricoles plutôt que naturelles. A noter encore que ces enjeux posés au monde agricole par l’artificialisation progressive des sols se manifestent avec plus d’intensité pour les territoires de l’est et du sud de la région où les pertes effectives de surface agricole sont relativement plus importantes (Carte 15 en SAU35). Ce constat de disparité entre les territoires de la région doit être relativisé avec l’échelle nationale. L’indicateur de perturbation du marché agricole (IPMA)36 semble en effet indiquer que les perturbations les plus significatives ne se localisent pas en Bretagne, même si du fait de la construction même de cet indicateur, « les seuils retenus n’ont pas le même sens selon les régions » (CERTU, 2011a). Toutefois, on relève que les valeurs affichées pour la Bretagne sont sensiblement supérieures à celles de la moyenne nationale mais surtout qu’elles indiquent une répartition géographique particulièrement homogène sur l’ensemble de la région (Carte 16). Alors que les pertes en surface agricole mesurées depuis 1988 impactent de manière différenciée les territoires bretons, la mesure récente (2005-2007) de la perturbation du marché foncier agricole breton par les achats des non-agriculteurs pour des usages résidentiels concerne la totalité du territoire régional. Cette pression d’ensemble souligne bien l’attrait qu’exercent les territoires bretons pour les personnes à la recherche de foncier à bâtir que ce soit en Armor ou en Argoat, à proximité d’une ville et des réseaux de transports, ou pas.

Pour conclure sur les espaces agricoles, notons que Joseph Comby attirait déjà l’attention en 1985 sur le fait que « le foncier agricole n’est pas cet espace neutre et monotone qui serait le simple réceptacle passif du déploiement de l’urbanisation.

35 SAU : la surface agricole utile est un concept statistique destiné à évaluer le territoire consacré à la production agricole. La SAU est composée de : terres arables (grande culture, cultures maraîchères, prairies artificielles...), surfaces toujours en herbe (prairies permanentes, alpages), cultures pérennes (vignes, vergers...) Elle n'inclut pas les bois et forêts. Elle comprend en revanche les surfaces en jachère (comprises dans les terres arables). Source : www.actu-environnement.com.

36 L’indicateur de perturbation du marché agricole (IPMA) est un concept du CERTU développé pour rendre compte de l’importance de l’effet perturbateur du marché résidentiel ou de loisirs sur le marché foncier de l’espace rural (celui strictement à destination agricole ou forestière). L’IPMA exprimé en surface mesure pour chaque canton la surface du marché résidentiel ou de loisirs et la rapporte à la superficie du canton. Puis ce ratio cantonal est divisé par le ratio national. La perturbation du marché local est alors appréciée au regard de la moyenne nationale. A noter également que le terme de perturbation étant ici utilisé au sens d'influence sur le fonctionnement normal du marché (CERTU, 2011).

CARTE 15 – LA PERTE DE SURFACE AGRICOLE DES PAYS DE BRETAGNE ENTRE 1988 ET 2000

Source : DRAAF Bretagne - AGRESTE, 2008

CARTE 16 – L’INDICATEUR DE PERTURBATION DU MARCHE AGRICOLE

Note : L’IPMA est ici exprimé en surface à l’échelle des cantons sur la base de valeurs triennales 2005-2007. Il valorise des zones où les surfaces mutées, qui risquent de changer d’usage, représentent une fraction plus importante de la surface communale que la moyenne considérée, ici, nationale. Cet indicateur permet de quantifier la perturbation du marché foncier agricole par les achats des non-agriculteurs pour des usages résidentiels.

Source : CERTU, 2011a (d’après Terres d’Europe-Scafr, Septembre 2009)

C’est un espace structuré animé d’une vie propre, qui interfère activement avec les processus d’aménagement qui cherchent à le transformer » (Comby, 1985, p. 13). Cette vision semble aujourd’hui toujours loin d’être partagée par l’ensemble des acteurs de l’aménagement alors que les prévisions pour la Bretagne annoncent une artificialisation des sols toujours plus consommatrice de terres agricoles. Au rythme actuel, et à l’échéance de 2030, « 112 000 hectares supplémentaires seraient artificialisés en Bretagne pour répondre à l’accroissement de la population » (DRAAF Bretagne - AGRESTE, 2011, p. 1).

4.2.2. Du point de vue de l’environnement naturel

Les enjeux fonciers de l’artificialisation des sols se posent aussi de point de vue de l’environnement naturel. L’artificialisation des sols comme processus continu et cumulatif (CGDD, 2010a) perturbe lourdement plusieurs composantes des milieux naturels tels que la qualité et le cycle de l’eau, la biodiversité écosystémique et les paysages (CETE Ouest, 2011) ou bien encore les trames vertes et bleues37. C’est en particulier l’eau qui fait l’objet des attentions dans la littérature consacrée aux impacts de l’artificialisation des sols sur l’environnement naturel, comme le montre le premier paragraphe de l’Encadré 4. Selon CORINE Land Cover, entre 2000 et 2006, la consommation des espaces naturels en France a tout autant été le fruit de l’artificialisation des sols (82 %) que des activités agricoles (16 %)38. Alors que l’extension forestière s’essouffle (Pointereau et Coulon, 2009) et que l’artificialisation des sols se maintient à un rythme soutenu, les contraintes liées à un foncier limité impactent directement les espaces naturels avec le risque de ne les voir subsister que dans les espaces non constructibles en l’état, comme par exemple dans les zones inondables.

37 La trame verte et bleue (ou TVB) est « un outil d’aménagement du territoire qui vise à (re)constituer un réseau écologique cohérent, à l’échelle du territoire national, pour permettre aux espèces animales et végétales, de circuler, de s’alimenter, de se reproduire, de se reposer... En d’autres termes, d’assurer leur survie, et permettre aux écosystèmes de continuer à rendre à l’homme leurs services. Source : Grenelle de l’environnement (www.developpement-durable.gouv.fr).

38 Les 2 % restants sont des surfaces en eaux, du type barrage ou retenues d’eau artificielles à vocation de loisirs qui participent également, bien qu’à la marge, à grignoter les espaces naturels et agricoles.

ENCADRE 4 – LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DE L’ARTIFICIALISATION DES SOLS

L’imperméabilisation de la surface des sols a de nombreuses conséquences environnementales. Elle favorise le ruissellement de l’eau le long des pentes au détriment de son infiltration, l’érosion des sols, les coulées d’eau boueuse et le risque d’inondation.

La concentration du ruissellement intensifie le transfert de sédiments chargés de contaminants des sols vers les cours d’eau (engrais azotés ou phosphatés, hydrocarbures, métaux lourds, produits phytosanitaires).

L’artificialisation des sols peut aussi provoquer un déstockage de carbone rapide et conséquent, qui contribue au changement climatique lorsque le sol n’est pas très vite couvert (végétation, revêtement). Enfin, elle fragmente les habitats naturels, les écosystèmes et les paysages, affectant la biodiversité. Ce phénomène est particulièrement visible dans les zones d’extension périurbaine, où la construction de logements individuels de plus en plus éloignés des centres historiques urbains est extrêmement consommatrice en sols cultivés. Le mitage y est renforcé par la construction de réseaux de communication nécessaires aux trajets domicile-travail.

Source : CGDD, 2011b, p. 2

Autre dimension : l’impact paysager de l’artificialisation qui est accusé en Bretagne dans le cas des « paysages ruraux de proximité urbaine » de « dissoudre le paysage » ou de

« recomposer une imagerie paysagère rurale ou balnéaire quasi virtuelle […] car définie par des critères culturels et comportementaux citadins » (Thierry, 2002). Mais à la différence des terres agricoles, les mesures de protection en faveur des espaces naturels sont très nombreuses et variées et elles impliquent une multitude d’acteurs, de l’Union Européenne à la commune. Le point suivant propose une synthèse cartographique de ces enjeux liés à l’artificialisation des territoires bretons.