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1.2 (Dés)organisation de Mumbai

Chapitre 2. Parcours de vie et vulnérabilités en Indeen Inde

2.3 Temporalités individuelles et collectives

D’un point de vue spatial, les mutations sociales provenant de la mon-dialisation et de l’institutionnalisation des parcours de vie sont en train de modifier le déploiement des existences de manière globale, bien que différemment selon le cadre sociétal (Dannefer, 2004). En termes tempo-rels, il est crucial de tenir compte à la fois des parcours individuels et du contexte sociohistorique (Mills, 1997 [1959]). C’est précisément l’un des objectifs principaux de la sociologie du parcours de vie que d’interpréter les biographies au sein du contexte sociétal et historique dans lequel elles évoluent (Abbott, 1997; Elder, 1994; Lalive d’Epinay et al., 2005; Sapin, Spini, et Widmer, 2007). Les cadres historiques (socioéconomiques, insti-tutionnels et politiques) de chaque société ont en effet une emprise capitale sur l’évolution des vies humaines (Settersten, 2002). C’est ce que Everett Hughes (1996) remarque en soulignant que les étapes successives du vécu

«coïncident avec des événements extérieurs» (p.165) (par exemple le fait de débuter sur le marché du travail en période de plein-emploi ou à l’in-verse de récession économique).

A l’origine, la signification sociale de l’âge était déjà au centre de l’attention, chez les sociologues (Cain, 1964; Riley, Johnson, & Foner, 1972) comme chez les démographes (INED, 1982a, 1982b; Lelièvre, 2006). Mais avec le déploiement des recherches sur le parcours de vie, ont été mises en avant trois dimensions qui permettent analytiquement de situer les individus dans l’histoire (Lalive d’Epinay et al., 2005). La première consiste à utiliser la position dans le parcours de vie (ce qui est une manière de reconsidérer l’âge): avoir eu 15, 35 ou 75 ans au moment de vivre un événement comme la grande dépression de 1929 a un impact radicalement différent sur la vie (Elder, 1999 [1974]). En second lieu, le concept de «cohorte» comprend le regroupement des individus d’après un marqueur historique commun, le plus fréquent étant l’année de naissance (Ryder, 1965). Ce moment initial est déterminant et fixe objectivement

l’insertion du sujet dans le monde et dans l’histoire. Enfin, la «génération»

est la troisième notion, élément incontournable pour saisir la période et les mouvements sociaux dans lesquels les individus s’insèrent, pour aller jusqu’à la définition des «générations historiques» selon Karl Mannheim (1990 [1928]), qui est concomitante de celle de «mémoire collective».

2.3.1 Age et cohortes : un ancrage historique partagé dès la naissance Quatre décennies après la publication des Enfants de la Grande Dépres-sion, les principes de base du parcours de vie tels qu’énoncés par Glen Elder (1999 [1974]) sont toujours reconnus (Elder, 1998; Elder & George, 2016). Deux en particulier se focalisent sur l’articulation des temporal-ités individuelle et historique, centrale dans de nombreuses études et sys-tématisée par différents auteurs (Lelièvre, 2006; Mayer, 2004; Settersten, 2004). Le premier (timing) évoque la cardinalité d’un indicateur comme l’âge au sein d’une trajectoire, alors que le second (time and place) rap-pelle que chaque vie est conditionnée par l’époque et l’endroit où elle se déroule. Autrement dit, le timing prend en compte le moment de l’occur-rence d’une transition dans la vie d’une personne, au regard d’un événe-ment extérieur collectif; toutefois, s’il permet de désigner les entrées et sorties dans différents rôles que l’individu doit assumer, il n’en dépend pas moins du lieu et du temps, soit de variables comme le contexte social, économique, institutionnel et culturel (Elder, 1994; Hareven, 1996). Ainsi, le paradigme du parcours de vie repose sur l’interdépendance de plusieurs temporalités, individuelle, familiale et historique (Hareven, 1996). De ce constat découlent deux facteurs : l’évolution du moment de survenue des transitions individuelles dans un contexte historique changeant ; la syn-chronisation des transitions individuelles avec celles – collectives – de la famille ou du groupe, et leur impact sur les relations entre générations.

Dans l’interaction entre biographies et histoire, la notion de cohorte permet une agrégation des individus afin d’étudier les temporalités au niveau de la période historique et du groupe (Heinz & Krüger, 2001;

Settersten & Martin, 2002). L’ancrage historique des personnes est avant tout déterminé par leur date de naissance, à partir de laquelle se construit un ensemble d’individus vivant des expériences à la fois communes et diverses, mais simultanément (Ryder, 1965). En ce sens, la cohorte se distingue du groupe d’âge, qui n’est défini que chronologiquement. Plus

qualitatif dans sa conception, le concept de cohorte circonscrit un groupe ayant vécu des événements au même moment et au même âge (Elder &

George, 2016; Marshall, 1983). Logiquement, ils ont un point d’entrée dans l’histoire identique, ce qui peut créer une confusion entre les con-cepts d’âge et de cohorte (Elder, 1975; Elder & George, 2016). La taille et la composition des cohortes sont particulièrement importantes de par les implications sociales qui en découlent (Ryder, 1965).

La cohorte comme agent du changement social

Etre né au cours d’une période spécifique implique de partager des car-actéristiques communes avec les personnes venues au monde à la même époque (Elder & George, 2016; Ryder, 1965). Chaque cohorte se dis-tingue au fil du temps de celles qui l’ont précédé et de celles qui la suivent, parce qu’elle traverse une séquence particulière de l’histoire. En termes géographiques, les diverses régions de la planète, avec leurs normes cul-turelles et leurs règles sociétales propres, offrent également des conditions singulières au déroulement des vies (Hughes, 1996; Sapin et al., 2007).

Ainsi, une femme qui a grandi dans la campagne française du début du vingtième siècle puis qui a traversé successivement les Deux Guerres mondiales, aura connu une existence bien différente de celle d’un homme né à Berlin après la chute du Mur, ou d’une fillette née dans les années 1990 à des milliers de kilomètres, dans les bidonvilles de Mumbai.

Le changement social passe par deux vecteurs: le vieillissement (effet d’âge) et le remplacement successif des cohortes (Alwin & McCammon, 2007, 2004; Chauvel, 1998; Ryder, 1965). Le vieillissement est un proces-sus individuel, une temporalité variable propre à chaque personne, un pro-cessus de maturation. Dans ce développement, la jeunesse représente un moment important, susceptible de provoquer une transformation (Alwin

& McCammon, 2004; Chauvel, 2000; Erikson, 1988). Les cohortes, elles, sont les instruments du changement social (Ryder, 1965). Elles portent, inscrits dans leur ADN, les traits caractéristiques de la période historique vécue.

De manière schématique, les différences entre les cohortes se forment au travers de deux phénomènes: le remplacement des cohortes (Riley, 1987) et la diffusion (adoption tôt dans la vie de nouvelles attitudes et comportements) (Elder & George, 2016). Chaque cohorte se suit mais conserve une cohérence propre définie par une éducation formelle, une socialisation par les aînés, par les institutions mais aussi par les pairs et

une expérience historique particulière, amenant un développement spéci-fique de ses membres. L’émergence continuelle de nouveaux participants dans le processus social ainsi que le retrait de leurs prédécesseurs permet de compenser les limites de la flexibilité individuelle face au changement (Draaisma, 2008; Ryder, 1965). La sécularisation, par exemple, a été un élément clé du passage des sociétés prémodernes à celles dites modernes.

Au sein de ces dernières, au travers de l’industrialisation et de l’urbanisa-tion, une organisation sociétale basée sur des valeurs et une autorité reli-gieuses s’est transformée en une société laïque dans ses lois et ses insti-tutions, par la diminution de la participation religieuse institutionnelle, le déclin de l’influence des autorités religieuses sur les vies, l’augmentation de la privatisation de la religion (Elder & George, 2016).

La cohorte sert d’outil analytique pour considérer l’articulation entre temps historique et temps individuel, entre parcours de vie et change-ments sociaux. L’observation des cohortes successives permet de relever les schémas des trajectoires et leurs évolutions (en termes de contenu et de timing), tout en informant sur les structures de la société (Elder, 1975). Toutefois, les cohortes ne sont pas des blocs monolithiques; au contraire elles connaissent en leur sein des variations, en fonction notam-ment du genre, de la classe, du niveau d’éducation et de l’ethnie (Hareven, 1996). Ces différences font que tous les membres d’une cohorte ne sont pas exposés au même risque face à un changement historique (Elder &

George, 2016). En outre, les cohortes successives rencontrent les événe-ments sociohistoriques à différentes étapes de leur parcours, elles impri-ment donc des expériences différentes (Elder & Johnson, 2003; Elder et al., 2015; Ryder, 1965). En ce sens, l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte d’une cohorte forment un moment de construction de la mentalité générationnelle largement influencé par les circonstances historiques du moment (Mannheim, 1990 [1928]).

2.3.2 Entre histoire et biographies : le concept de génération à la croisée des chemins individuels et collectifs

La génération est une notion à géométrie variable, qui a fait couler beau-coup d’encre (Attias-Donfut, 1988; Devriese, 1989). Elle est entrée dans le langage courant pour désigner des groupes de personnes délimités par un espace de temps qui s’avère élastique, pouvant aller de quelques

années à une raisonnable trentaine («génération de l’Indépendance» en Inde, «génération des Trente Glorieuses» en Occident, «génération mai 1968» en France,  …). En effet, si la cohorte est davantage un concept méthodologique établi sur la base de bornes chronologiques identifiables, la génération représente au contraire un groupement de cohortes mitoy-ennes estimées selon des frontières malaisément chiffrables (Marshall, 1983). Trois niveaux d’analyse sont compris sous ce terme, définissant le lien entre individu et contexte historique (Alwin & McCammon, 2007;

Hareven, 1996).

Premièrement, la génération sert à distinguer les différents membres d’une famille, leurs relations et leurs statuts respectifs (Alwin & McCam-mon, 2007; Devriese, 1989; Elder & George, 2016; Settersten, 1999). Elle permet d’approcher les interactions entre relations et transitions famil-iales, construites dans les conditions historiques spécifiques (Hareven, 1986, 1996). Deuxièmement, la génération décrit des groupes d’individus nés et ayant vécu les mêmes périodes historiques (soit des cohortes démo-graphiques adjacentes), afin de se pencher sur la modification des com-portements liée à l’âge (Devriese, 1989; Ryder, 1965). Ici, les générations prennent aussi une fonction de liant afin de cerner une étape de la vie, qui n’est pas obligatoirement vécue par l’entièreté du groupe. C’est ainsi que des individus se reconnaîtront dans une appellation commune du type de la «génération universitaire», qui définit une expérience partagée (Kertzer, 1983).

Une troisième définition place l’intersection entre biographies et his-toire véritablement au cœur de l’analyse (Alwin & McCammon, 2007;

Devriese, 1989; Kertzer, 1983; Mannheim, 1990 [1928]). Elle considère les personnes nées approximativement en même temps et partageant des critères communs, mais ne reconnaît la constitution d’une unité généra-tionnelle qu’à la condition de la survenue d’un événement clé, suffisam-ment en rupture pour marquer les vies. Il faut égalesuffisam-ment que les cohortes

«à risque» d’être affectées soient dans leur jeunesse, prêtes à être investies par ce tournant social et aptes à le comprendre en tant que tel (Elder &

George, 2016; Settersten, 1999). Sous cet angle, le concept de génération est basé sur celui de cohorte, mais nécessite en sus la présence marquée de l’histoire, ainsi qu’une réponse des individus (Alwin & McCammon, 2004) et la reconnaissance par ces acteurs qu’ils ont partagé une même expéri-ence critique dans un intervalle de temps similaire (Alwin & McCammon, 2004; Mannheim, 1990 [1928]). Il ne s’agit pas seulement de cohortes

contigües mais de la conscience historique d’une unité autour d’un change-ment, qu’il soit social, économique, politique ou technologique (Alwin &

McCammon, 2007; Chauvel, 2000; Settersten, 1999).

L’attention porte donc sur les liens entre des individus égaux en âge, qui expérimentent en même temps l’histoire et les courants sociaux.

S’ajoute à cela la capacité d’innovation et de changement social propre à la cohorte et le «degré d’exposition à l’événement», particulièrement élevé dans le cas de jeunes adultes (Devriese, 1989). Ainsi, par la notion de génération, les cohortes sont ancrées dans l’histoire et un rapproche-ment logique peut être fait avec le concept des générations sociohistori-ques de Mannheim (Lalive d’Epinay et al., 2005), qui sera développé au chapitre 8.

2.3.3 Les événements de la vie : croisements, transitions et bifurcations Trajectoires, étapes et transitions

Dans une vie, les trajectoires sont multiples : familiales, professionnelles, cognitives, spatiales, etc. Elles se déroulent sous forme de moments de stabilité apparente, où les structures de l’existence n’évoluent pas ou très lentement, entrecoupés de changements ou de transitions plus ou moins brutaux permettant le passage d’un stade à un autre ou d’un statut à un autre (Sapin et al., 2007).

Dans cette optique, l’analyse mobilise le concept de transition. Dans le but d’insérer davantage les vies humaines dans le contexte qui les entoure et de saisir les interactions entre les diverses trajectoires, les sociologues découpent traditionnellement le parcours de vie en plusieurs étapes. Elles peuvent se révéler plus ou moins longues et sont généralement séparées par des moments charnières permettant de passer d’un stade à l’autre (Sapin et al., 2007). Appelés transitions ou bifurcations (Bessin, Bidart,

& Grossetti, 2010; Cavalli et  al., 2006; Oris et  al., 2009), ils sont sou-vent eux-mêmes composés d’événements ou de tournants déclencheurs et impliquent un changement dans la vie des personnes. Ces transitions dans le parcours de vie sont fortement encadrées par des mécanismes institu-tionnels formels (école, armée, politiques sociales…), au moins en Occi-dent, parfois par la présence de rites de passage (Attias-Donfut, 1991;

Lalive d’Epinay et al., 2005), et toujours par des normes sociales ou des institutions informelles (Hareven, 1986; Hareven & Masaoka, 1988).

Puisque la réflexion menée dans ce livre se base sur la perception du parcours de vie par les individus eux-mêmes, au travers de leur mémorisa-tion des événements marquants de leur existence, il importe de considérer la manière dont ce façonnement peut s’opérer. Au niveau individuel, les étapes de la vie suivent un ordre plus ou moins préétabli et sont bien sou-vent associées à des âges auxquels correspondent des attentes. A nouveau, ce cadre varie selon la société dans laquelle s’inscrivent les individus (Hareven & Masaoka, 1988; Settersten, 1999). Par ailleurs, la position de la personne dans son parcours de vie au moment de la survenue d’un événement influence la perception de ce dernier. Un événement vécu à 20, 35 ou 60 ans n’aura pas nécessairement le même impact (Settersten, 1999).

Dans le même ordre d’idée, les changements qui surviennent alors que la personne s’évalue elle-même trop âgée ou trop jeune («hors-timing») – attestant d’un sentiment de décalage par rapport à une norme – marquer-ont davantage l’individu qu’un même événement qui peut être anticipé et qui survient au bon moment (Elder, 1975; Neugarten et al., 1965).

Ceci nous conduit à interroger la nature des souvenirs. Lorsqu’ils étudient la mémoire autobiographique des individus, Birren et Schroots (2006) soulignent que les moments rappelés sont majoritairement positifs, bien que cela soit moins marqué chez les personnes âgées. Les auteurs remarquent un clivage du contenu des souvenirs selon le sexe, résultat des processus de construction des inégalités de genre. Ainsi, les femmes appa-raissent davantage centrées autour des questions familiales (naissances, romances, scolarisation, etc.) alors que les hommes évoquent plus souvent des événements liés à la sphère professionnelle. L’âge participe également à déterminer le choix des souvenirs: en Europe et dans les Amériques, les adolescents entrant dans le monde adulte se concentrent autour de l’am-itié, des rencontres, mais aussi de la formation, les jeunes adultes se focal-isent plutôt sur la construction de la famille et les adultes plus avancés en âge évoquent la retraite ou les problèmes de santé (Birren & Schroots, 2006; Cavalli, Lalive d’Epinay, et al., 2013; Lalive d’Epinay & Cavalli, 2007). Les décès de proches ont une place importante dans les trajectoires personnelles mais sont plus nombreux à avoir marqué la vie des personnes âgées, ce qui explique la couleur plus sombre de leurs souvenirs (Cavalli, Lalive d’Epinay, et al., 2013; Lalive d’Epinay & Cavalli, 2007). Dans une perspective temporelle en partie indépendante de l’âge, la valeur émo-tionnelle d’un souvenir change avec le temps qui passe : une démarche

rétrospective ne peut que capturer la perception, au moment de l’enquête, des événements passés.

Les événements de la vie

Les moments charnières de l’existence, où se perçoit la (dis)continuité des trajectoires, sont révélateurs des tendances sociales du monde dans lequel ils prennent place (Hareven & Masaoka, 1988). Propres à chaque contexte historique, ces changements dans la vie ont été largement étudiés en Occident – ou comme le dit Dale Dannefer (2003), dans l’espace atlantique. Dans un cadre socioéconomique perçu comme caractérisé par l’accélération et la multiplication des transitions (Cordazzo et Fichet, 2013), par la déstandardisation et l’individualisation des parcours de vies (Macmillan, 2005; Shanahan, 2000), ainsi que par la montée des risques sociaux (Beck, 2001) correspondant à une insécurisation des trajectoires et identités personnelles, les transitions dans les parcours de vie permet-tent d’appréhender les évolutions historiques, en particulier les mutations du marché du travail, des formes de vie familiales et des normes de réal-isation de soi.

La trajectoire de vie d’un individu est rarement un long fleuve tran-quille. Les événements qui surviennent durant l’existence sont parfois sources de tumulte, ou plus drastiquement de ruptures dans la trame de l’existence (George, 1993; Hughes, 1996). Ces moments comme leurs effets sont dépendants tant du contexte sociohistorique dans lequel le vécu se déroule que des caractéristiques de la personne (Elder, 1999 [1974]).

En outre, selon la position de celle-ci au sein de son parcours – autrement dit son âge et les rôles sociaux qui y sont associés – la manière dont les événements seront appréhendés, leur signification, mais aussi leur nature et leur nombre vont varier (Cavalli et Lalive d’Epinay, 2008). Ensemble, ces transitions plus ou moins brutales structurent nos vies (Abbott, 2010;

Cordazzo et Fichet, 2013) en permettant ou imposant de passer d’une étape à l’autre. Les auteurs qui ont travaillé sur ces moments utilisent un jargon fourni: événements, tournants (Oris et al., 2009) – turning points dans le monde anglophone (Hareven & Masaoka, 1988) –, crises, bifur-cations ou ruptures (Bessin, Bidart, et Grossetti, 2010). Cette diversité de mots exprime la nature multiple de ces passages.

Une transition, ou un changement de statut, peut être déclenchée, marquée ou conclue par un événement de la vie, qu’il soit désiré ou imprévu, individuel ou collectif, brutal ou graduel, et dont l’issue s’échelonnera

entre le très positif et le très négatif (Bessin, 2009; Bessin et al., 2010;

Hughes, 1996; Reese et Smyer, 1983). Pour Bidart et Brochier (2010), un événement déclencheur sera impromptu et ouvrira sur des prises de décisions, alors que l’événement résolutif apparaîtra à l’issue d’une crise, comme une solution émergente. Autre source de diversité, certaines transi-tions sont constituées de plusieurs événements (Cordazzo et Fichet, 2013;

Hogan et Astone, 1986; Shanahan, 2000; Tichit et Lelièvre, 2006), à l’im-age de l’entrée dans l’âge adulte, alors que d’autres ne sont provoquées que par un seul fait marquant (une migration par exemple).

Il existe aussi des événements qui se caractérisent à l’inverse par une absence de modification des trajectoires. Un tel épisode donne la sensation de ce qui aurait pu avoir lieu grâce à l’événement mais qui ne s’est pas pro-duit, laissant à peine une trace mémorielle (Hélardot, 2010; Leclerc-Olive, 1998, 2010). A l’extrême, certains événements cruciaux deviennent de véritables nœuds dans la biographie d’une personne puisqu’ils induisent une réorientation de la trajectoire: ce sont alors des tournants (Abbott, 1997) ou des bifurcations (Bidart, 2006a; Grossetti, 2010), voire des événement-catastrophes (Leclerc-Olive, 1997, 2010).

Un premier facteur déterminant l’impact sur la trajectoire de vie est la propension de l’événement à être imprévisible et irréversible (Grossetti, 2010; Hélardot, 2010). Une majorité des transitions étudiées en Occident se définissent par leur caractère attendu, à la fois par la société environ-nante (Cain, 1964; George, 1993) et par l’individu concerné (Hareven &

Masaoka, 1988). Elles sont le produit de décisions dictées par les normes sociales et par le comportement individuel (Cavalli et Lalive d’Epinay, 2008): les membres de la communauté sont encouragés à les vivre et des accompagnements facilitent le périple. La première communion, la souten-ance d’une thèse, le départ à la retraite sont autant d’exemples d’événe-ments qui sont régis par une institution formelle (l’église catholique,

Masaoka, 1988). Elles sont le produit de décisions dictées par les normes sociales et par le comportement individuel (Cavalli et Lalive d’Epinay, 2008): les membres de la communauté sont encouragés à les vivre et des accompagnements facilitent le périple. La première communion, la souten-ance d’une thèse, le départ à la retraite sont autant d’exemples d’événe-ments qui sont régis par une institution formelle (l’église catholique,