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L’Inde indépendante : capitalisme et urbanisation à grande échellegrande échelle

Chapitre 1. Population, dynamique urbaine et enjeux socioéconomiques de Mumbaisocioéconomiques de Mumbai

1.1 L’Inde indépendante : capitalisme et urbanisation à grande échellegrande échelle

Suketu Mehta (2006), dans son roman publié au début du 21ème siècle, offre à la postérité l’expression de Maximum city pour décrire la mégapole

indienne dans laquelle il a grandi. Ce qu’il souhaite démontrer ainsi est éloquent : Mumbai est la ville des extrêmes, de la richesse incontestable comme du dénuement le plus absolu, du logement le plus extravagant aux bidonvilles les plus repoussants, de l’espoir comme de la résignation. Cer-tainement caricatural, ce sentiment de paradoxe n’est pas faux pour autant, et peut en partie être expliqué par l’évolution historique et socioéconomi-que du complexe urbain. En effet, Mumbai profite d’une position économ-ique stratégéconom-ique au sein de l’Inde depuis le milieu du 19ème siècle jusqu’à son ouverture à la mondialisation après 1991, tout en présentant toujours de larges défaillances dans la gestion de ses infrastructures. Bien que cap-itale commerciale du pays et l’un des premiers ports de la planète, son urbanisation éclair ne s’est pas déroulée au bénéfice de tous. Entamons le voyage avec une mise en contexte historique plus générale.

1.1.1 Ouverture sur l’histoire de l’Inde et de Mumbai

Aujourd’hui considérée comme un pays émergent, l’Inde possède une histoire mouvante, marquée par des vagues successives d’invasions extérieures en alternance avec de longues périodes de domination. L’Em-pire Moghol représente l’apogée de l’expansion musulmane en Inde, qui s’installe au nord du territoire en 1572 et en prend petit à petit le contrôle, après un long affrontement avec les hindous. Tout au long de cette période, des conflits intérieurs déchirent également le territoire. En outre, depuis 1498 et l’arrivée de Vasco de Gama à Calicut, mais surtout à partir du 17ème siècle, le pays doit supporter une colonisation européenne de plus en plus invasive (Racine, 2009). Les Portugais furent les premiers à repérer le potentiel du sous-continent indien, ainsi que sa position géographique stratégique. Plusieurs de leurs colonies se sont établi le long de la côte est et ouest de l’Inde. Ce sont eux qui bâtirent Mumbai et lui donnèrent son premier nom, avant de la céder en 1661 aux Britanniques.

Par la suite, les Anglais6 vont occuper d’autres points stratégiques du sous-continent, des comptoirs idéaux pour le trafic maritime et terrestre

6 Si différents Etablissements français ont également existé entre la fin du 17ème siècle et 1954 (comme Pondichéry), seule Londres aura vraiment administré l’Inde en tant que nation colonisatrice. Cette mainmise passa au début essentiellement par des échanges marchands contrôlés (par le biais de l’East India Company), avant de se transformer en une gestion coloniale dès 1858.

que la compagnie entretient entre l’Asie et l’Europe. Mumbai, Kolkata et Chennai sont de parfaits exemples de ces villes commerciales portuaires.

En effet, l’Inde regorge de ressources naturelles mais aussi de grandes plaines fertiles et de terres arables permettant des cultures de tous types (riz, millet, coton, thé, épices, etc.), qu’il s’agit de transporter vers le reste du monde. Les Britanniques transforment formellement l’Inde en posses-sion coloniale en 1858. Un peu plus tard, avec l’ouverture du canal de Suez en 1869, le port de Mumbai devient le premier de l’Inde et prend une place centrale dans le commerce mondial (Saglio, 2001).

En 1947, la colonisation prend fin et l’Inde proclame son indépendance, tout en voyant se fractionner son territoire, à la demande des élites musul-manes (Sen, 2007). Le pays se redéfinit selon les frontières qu’on lui con-nait aujourd’hui, est reconnu de confession majoritairement hindoue7 et Jawaharlal Nehru en devient le premier Premier ministre durant 17 ans. De leur côté, le Pakistan et le Pakistan oriental deviennent un seul Etat, dont la religion principale est l’islam, jusqu’en 1971 lorsque le Pakistan oriental s’émancipe pour devenir le Bangladesh. La Partition de 1947 autant que l’Indépendance de 1971 se sont faites au prix du sang, au travers d’une succession de guerres ouvertes, d’affrontements entre civils, de persécu-tions et d’attaques des minorités, le tout entraînant la fuite de réfugiés vers un côté ou l’autre des frontières (Heuzé, 2012). Après l’indépendance, les affrontements et les violences ne s’arrêtent pas, exacerbés au contraire par les tensions géographiques et religieuses (Desai, 2000 [1960]). Entre la seconde moitié du vingtième siècle et le début du nouveau millénaire, quatre guerres successives ont lieu entre l’Inde et le Pakistan autour de la question du Cachemire, zone géographique prise en tenaille entre les deux Etats (Racine, 2009).

A l’intérieur des pays, la tension entre les individus de confession musulmane et ceux de confession hindoue est restée forte et s’est cris-tallisée à de nombreuses reprises dans des pogroms meurtriers. En Inde, ce sont les musulmans, les communautés indigènes ou d’autres minorités religieuses qui subissent des atrocités, pour des raisons religieuses ou parce que le gouvernement veut s’accaparer leurs terres. Ces violences affectent particulièrement les couches inférieures de la population et les femmes. Notamment, un épisode sanglant a marqué la mémoire de l’Inde et fut à l’origine de nombreuses émeutes. En 1984, l’armée assaille le

7 Le recensement national de 2011 relève 69% d’hindous à Mumbai, ce qui est moins que la moyenne nationale.

Temple d’Amritsar où se sont retranchés des Sikhs (minorité religieuse).

La même année, en représailles, Indira Gandhi, alors Première ministre (1966–1977), est assassinée par ses gardes du corps sikhs. Des pogroms ont alors lieu dans toute l’Inde pour la venger, surtout dans les grandes villes et dans les quartiers pauvres de celles-ci. Autre incident majeur, en 1992 et 1993, la mosquée d’Ayodhya est détruite par des hindous et les hostilités interreligieuses reprennent. L’Inde s’embrase; dans les bidon-villes de Mumbai, à l’instar d’autres grands centres urbains, les émeutes font près de 2’000 morts (Appadurai, 2000; Contractor, 2012).

Ces conflits prennent leurs racines dans une opposition entre major-itaires et communautés minormajor-itaires, qui se trouve fortement exacerbée dès la fin de la colonisation anglaise par la montée d’un nationalisme hindou-iste farouche comme réponse anticolonialhindou-iste (Chatterjee, 1993). Au fil du temps, ce national-hindouisme (promulguant un imaginaire autour d’une hiérarchie entre les ethnies et les religions et un retour au «droit du sol») projette un discours de rejet des minorités religieuses (Assayag, 2005;

Mahadevia, Liu, & Yuan, 2012). Leurs différences deviennent une source de stigmatisation justifiant les exactions, mises en place par certains acteurs politiques qui bénéficient des turbulences (Appadurai, 2000; Jaf-frelot, 2014). Même le parti du Congrès, sous Indira Gandhi puis son fils Rajiv Gandhi (Premier ministre de 1984 à 1989 quand il est assassiné), est absorbé par cette idéologie, issue des couches sociales privilégiées mais intégrée peu à peu par les groupes socialement exclus (Assayag, 2005).

A l’heure actuelle, les tensions sont encore fortes, potentiel latent de dis-corde qui explose parfois en émeutes sanglantes, bien souvent dans les zones où la pauvreté, l’économie informelle et la densité de population forment un terreau favorable (Heuzé, 2009).

Mumbai a été le théâtre de bon nombre de ces pogroms, rassemblant en son sein une population nombreuse, migrante, diverse – 21% des hab-itants appartiennent à la minorité musulmane et 10% aux autres minorités religieuses (sikh, chrétienne ou bouddhiste) selon le recensement indien de 2011 –, avec des différences socioéconomiques importantes. En par-ticulier, les bidonvilles de la cité ont été le théâtre de combats sanglants, qui se répètent de manière chronique jusqu’à nos jours. Depuis les années 1990, une nouvelle forme de violence éclot : les attentats (attaques à la bombe ou massacres à l’arme à feu). Le 11 juillet 2006, la ville compte plus de 200 victimes suite à l’explosion de bombes déposées dans les gares et les trains de la ville ; fin novembre 2008, à nouveau une dizaine

de bombes font près de 150 victimes (incluant celles de la célèbre attaque de l’hôtel Taj Mahal); en 2011 à nouveau trois bombes explosent.

Parallèlement à ces rebondissements historiques, l’Inde connait un développement économique en deux phases, plutôt lent jusqu’aux années 1980 puis rapide avec son entrée sur le marché mondial.

1.1.2 Une entrée à deux vitesses dans le capitalisme mondial

Le développement économique de l’Inde a été pénalisé par son passé de nation colonisée, qui lui imposa durant plusieurs siècles une subordina-tion au système commercial de l’Empire colonial anglais. Après l’In-dépendance, le pays prend son envol mais reste miné par une pauvreté endurante, une industrialisation archaïque et des flux commerciaux au profit du nord (Bairoch, 1997). Sa population se met à croitre spectacu-lairement avec la chute de la mortalité, bénéficiaire de l’arrivée des médic-aments et du savoir médical occidentaux, mais cette explosion démo-graphique accentue la pression sur un système social et éducatif déjà peu propice aux couches pauvres de la société (Dreze & Sen, 2013).

Une lente envolée…

Au cours des décennies 1950 à 1980, l’Inde se détermine selon deux lignes directrices: la première d’ordre politique, le non-alignement soutenu par Nehru, et la seconde économique, un marché mixte, quoique de plus en plus réglementé, ainsi qu’un fort protectionnisme (Racine, 2009). A cette époque, elle fait figure de retardataire parmi les tigres asiatiques, refusant de participer aux échanges mondiaux et se refermant sur son marché intérieur.

Jusqu’aux années 1970, l’économie indienne est très majoritairement agraire et sa production manufacturière concerne essentiellement le coton et les textiles, avec quelques larges structures industrielles (Chandavarkar, 1994). La Révolution verte (entre 1970 et 1980) est une réussite partielle dans le domaine de la productivité alimentaire, dans la mesure où la cul-ture de céréales à haut rendement a permis de nourrir une grande partie de la population, alors même que sa croissance effrénée faisait craindre une vague de famine (Guilmoto, 1996). Toutefois, des impacts écologiques et des inégalités sociales accrues furent le revers accablant de cette médaille.

En partie incité par le décollage de ses voisins asiatiques, un virage s’amorce en 1981 (sous la houlette d’Indira Gandhi qui favorise l’ouverture

au capital étranger [Assayag, 2005]) mais le basculement se profile surtout à partir de 1991, avec la mise en place d’un plan d’ajustement structurel orchestré par le Fond Monétaire International (FMI). L’Inde s’ouvre alors au commerce mondial et à l’investissement étranger (Boquérat, 2002).

Cette transition économique va se traduire par un démantèlement du pro-tectionnisme et une désindustrialisation, amenant à la fermeture de nom-breuses usines, dont les filatures de coton. Le centre portuaire de Mumbai, qui depuis la fin du 19ème siècle était réputé pour abriter les premières industries cotonnières à la base de son économie, ne fut pas épargné8.

L’industrie textile a débuté à Mumbai vers 1850 (Bhowmik & More, 2001) et demeure le premier domaine de production jusqu’aux années 1980, avec environ 250’000 travailleurs employés dans les mills9 (Bhow-mik & More, 2001; Heuzé, 2009). Après 1981, le secteur secondaire est miné par la concurrence mondiale (notamment les cotons de Chine) et choisit comme échappatoire de baisser les salaires. Une large grève du textile a lieu pendant 18 mois entre 1982 et 1983, suivie par des centaines de milliers de personnes pour dénoncer des rémunérations trop faibles et des conditions de travail insatisfaisantes. Face au libéralisme montant et à l’absence de soutien du gouvernement, les syndicats ne parviennent pas à s’imposer. Au contraire, les employeurs profitent de la situation pour diminuer drastiquement le nombre de places de travail, en se tournant vers le secteur informel (non protégé) et en délocalisant leur production dans les villes alentours. Après la grève, seuls 123’000 employés sont recensés dans le textile, et à partir de la moitié des années 1990 leur nombre tombe à 80’000 (Bhowmik & More, 2001; Mahadevia, 2002).

A l’aube du 21ème siècle, les emplois en Inde se répartissent selon une nouvelle configuration. Le secteur primaire est toujours dominant dans le pays, bien que de manière moins flagrante (55%). De son côté, l’indus-trie manufacturière reste faible économiquement et ce sont les services (services aux entreprises, communication, vente, restauration, etc.) qui prennent les rênes de la croissance et proposent désormais la majorité des emplois urbains (Chauvin & Lemoine, 2005; Mahadevia & Sarkar, 2012;

Racine, 2009). En parallèle, le secteur informel – une réalité que l’on pourrait croire, à tort, ancienne – a pris de nouvelles formes et représente désormais la majorité écrasante des postes de travail (93%), comprenant la

8 D’autres industries avaient également trouvé leurs marques à Mumbai, de larges groupes industriels à l’image des fameuses industries Tata.

9 Nom commun utilisé en anglais pour parler des fabriques de textile de Mumbai.

quasi-totalité des emplois dans l’agriculture (Chauvin & Lemoine, 2005;

Racine, 2009) et 80% des travailleurs du secondaire et du tertiaire (Sak-thivel & Joddar, 2006); nous en analyserons l’impact sur la stratification sociale plus bas dans la section 1.3.1. Dans le même ordre d’idée, une montée du chômage et du sous-emploi a été constatée. En effet, ce sont davantage les secteurs intensifs en capitaux plutôt qu’en travail qui se développent à partir des années 1980, ne permettant pas d’absorber l’aug-mentation de la population active et la stagnation de la demande de main d’œuvre dans l’agriculture.

De manière globale, l’économie indienne s’envole avec un taux de croissance de 6% par an entre 1986 et 2000 (Harasty, 2002), en prenant appui sur des secteurs en expansion ainsi que sur une main d’œuvre peu coûteuse, et l’Inde prend véritablement sa place au sein du peloton de tête des pays émergents asiatiques (Dyson, Cassen, & Visaria, 2004). Une fenêtre d’opportunité démographique et économique débute, où la part des actifs est à son apogée alors que la portion de personnes dépendantes est en recul car la fécondité se réduit et le vieillissement est encore très limité (Guilmoto, 2011).

… et ses conséquences en termes d’économie politique

Un regard porté généralement sur le territoire semble attester d’une entrée dans un capitalisme mondialisé plutôt profitable au pays, malgré quelques déboires. Néanmoins, lorsque l’on se penche sur les évolutions intérieures, les coûts et les profits de cette intégration n’ont pas été les mêmes pour tout le monde (Harasty, 2002; Heuzé, 2001). L’adoption d’une politique économique néolibérale en 1991, faisant suite à une crise importante de la balance des paiements, a impliqué une réduction du déficit fiscal par une diminution des dépenses étatiques, l’ouverture du marché interne pour une croissance orientée vers les exportations, une réduction du contrôle gouvernemental sur le commerce et une promotion de la participation du secteur privé pour stimuler la compétition et promouvoir l’efficience; en bref, une montée de la pauvreté (Bhagat & Mohanty, 2009; Heuzé, 2001).

La libéralisation grandissante, la montée du secteur privé s’accompagnent d’une décentralisation, d’un amoindrissement de la présence étatique dans l’économie (Chauvin & Lemoine, 2005), d’une redéfinition des secteurs privés et publics ainsi que des rapports entre grandes et petites entre-prises (Kennedy, 2002), qui vont mener à l’augmentation des inégalités humaines et de leur inscription spatiale. La réforme du secteur public qui

a lieu au travers de déréglementations, de privatisations et de la promotion de partenariats public-privé, a accentué cette tendance (Dupont, 2008).

Ces transformations ont affecté la répartition rural/urbain selon deux vecteurs: un accroissement favorable de l’économie et des emplois dans le monde urbain (les points d’accroche commerciale), et le délitement de l’industrie dans les campagnes, avec pour conséquence l’appauvrissement des populations rurales (Bhagat & Mohanty, 2009). Une double polari-sation géographique s’opère. La première a lieu entre les différents Etats de l’Inde qui gagnent en autonomie face au gouvernement central, prop-ageant rapidement des disparités régionales, en particulier entre les Etats pauvres et ruraux et les Etats urbains et développés (Harasty, 2002). Le deuxième écartement se situe à un niveau inférieur, au sein même des Etats. Il est provoqué par une concentration des pouvoirs et des richesses dans les centres urbains, ce qui crée un écart grandissant avec les zones rurales (Kundu & Mahadevia, 2002; Mahadevia & Sarkar, 2012). Suite à un amendement à la Constitution promulgué en 1992, les municipalités urbaines se voient octroyer davantage d’autonomie en termes de plani-fication et de financement (Angueletou, 2007). La dichotomie s’accroit:

les villes deviennent des centres où la grande industrie a les mains libres, représentant les moteurs des avancées socioéconomiques du pays et des zones de haute consommation des ressources naturelles, alors que les campagnes restent en bas sur l’échelle du développement (Racine, 2009).

Les auteurs ne se montrent pas tous d’accord quant aux conséquences de la croissance économique sur le paysage socioéconomique indien.

D’aucuns soulignent que la pauvreté a régressé depuis les années 90, tout en conservant une importance significative (35% de la population vit avec moins de un dollar par jour) (Chauvin & Lemoine, 2005). D’autres identifient une crise de la gestion gouvernementale, caractérisée par la montée du pouvoir des élites locales et fédérales, qui mène à un accroisse-ment de la pauvreté, suite principaleaccroisse-ment à l’augaccroisse-mentation du prix des denrées alimentaires (Assayag, 2005). Par contre, tous se rejoignent pour admettre le creusement des inégalités qui s’en est suivi (Harasty, 2002).

En effet, les impacts sociaux positifs de la croissance économique ont été faibles en Inde, et la distribution des revenus s’avère encore plus inégal-itaire que durant la période précédente (Roy, 2014). De plus, les salaires réels ont stagné et les finances publiques (le système d’imposition étant lui-même corrompu et inégal) ont été peu utilisées pour renforcer des infrastructures importantes pour la population (Drèze & Sen, 2013). Ce

sous-investissement a été mis en exergue par la coupure d’électricité sur-venue les 30 et 31 juillet 2012. Durant deux jours, 600 millions de per-sonnes se sont trouvées privée d’énergie, une première lacune gestionnaire notable; toutefois, parmi eux se trouvaient 200 millions d’individu qui n’y avaient en fait jamais eu accès, démontrant l’énorme inadéquation struc-turelle de la répartition des ressources (Drèze & Sen, 2013).

Simultanément au creusement de l’écart entre zones rurales et urbaines, les inégalités de revenu au sein de ces territoires grandissent, voyant s’op-poser une élite qui s’enrichit toujours plus – ces «ultra-riches» qui résident principalement en ville (Banerjee & Piketty, 2005; Roy, 2014) – à la masse des exclus des banlieues et des campagnes avec, à un niveau intermédiaire, la constitution d’une classe moyenne urbaine (Assayag, 2005). Dans ce contexte de déstabilisation, encore accrue par la montée du chômage dans l’agriculture, les déshérités ruraux migrent vers les villes, dans un exode rural et une urbanisation qui prend une ampleur considérable au vu de la taille de la population du pays (Bhagat & Mohanty, 2009; Todaro, 1980).

1.1.3 Exode rural et urbanisation rampante

En Occident, l’industrialisation et le développement économique ont été les déclencheurs de l’urbanisation. Dans les pays du Sud et particulière-ment en Asie, le même schéma a été constaté bien que plus tardiveparticulière-ment, soit au cours du 20ème siècle (Bhagat & Mohanty, 2009; Narayan, 2014).

Cependant, dans les pays du Sud, le processus s’est déroulé en quelques décennies seulement, faisant montre d’une rapidité sidérante (Véron, 1987). Plusieurs facteurs appellent ce phénomène éclair de croissance des villes, auxquels l’Inde répond parfaitement: l’ouverture économique à la globalisation qui crée à la fois des opportunités de travail en ville et un appauvrissement des campagnes, puis la migration du monde rural vers le monde urbain qui en découle, enfin, la constitution d’un secteur informel de l’emploi qui permet d’absorber la demande de travail des populations reléguées dans la pauvreté et qui se base sur l’exploitation d’une main d’œuvre extrêmement bon marché. Ainsi, alors qu’en 1901 moins de 11%

des Indiens sont urbains (Bhagat & Mohanty, 2009), la part de la popu-lation indienne qui réside en ville triple au cours du siècle pour atteindre 31% en 2011 (Narayan, 2014).

Des campagnes vers les villes

En Inde, essentiellement, deux facteurs se sont conjugués pour produire cette croissance de la population dans les villes: un accroissement naturel fort (excès des naissances par rapport aux décès) et une migration impor-tante de personnes jeunes, en âge de fonder une famille, ce qui a aussi contribué à l’accroissement naturel (Desai, 1994). La première cause de l’envolée urbaine provient donc du renouvellement naturel; nonobstant, depuis le début du 21ème siècle, la migration prend une importance con-sidérable (Bhagat & Mohanty, 2009; Narayan, 2014). Par ailleurs, la taille et le nombre de villes s’étendent également avec l’incorporation progres-sive des zones rurales à leur périphérie (Guilmoto, 2005), ainsi que la reclassification administrative de villages en villes suite à leurs évolutions socioéconomiques et démographiques (Bhagat & Mohanty, 2009).

L’urbanisation indienne est donc de plus en plus liée à la migration

L’urbanisation indienne est donc de plus en plus liée à la migration