• Aucun résultat trouvé

L’Inde millénaire : puissantes structures d’encadrement des vies et contexte de pauvreté de massedes vies et contexte de pauvreté de masse

1.2 (Dés)organisation de Mumbai

Chapitre 2. Parcours de vie et vulnérabilités en Indeen Inde

2.2 L’Inde millénaire : puissantes structures d’encadrement des vies et contexte de pauvreté de massedes vies et contexte de pauvreté de masse

Lorsque l’on s’intéresse au déroulement de l’existence humaine comme le fait le paradigme du parcours de vie, la focale est mise avant tout sur les individus et leur environnement immédiat (Levy, 2009). Pourtant, la substance qui cherche à être révélée se situe à un niveau plus large, dans ce qui constitue la société, ses structures et ses normes (Sapin et al., 2007).

A ce titre, l’Inde est un laboratoire fascinant où se côtoient anciennes et nouvelles structures, au sein d’une nation où l’Etat-providence n’a pas la même portée qu’en Europe et où les normes sociales sont véhiculées par des vecteurs parfois séculaires (les castes) et parfois liés à la modernité elle-même (les classes sociales) (Appadurai, 2005 [1996]; Kaviraj, 1990;

Sakthivel & Joddar, 2006).

Nonobstant la pléthore de définitions de ce concept (Marshall, 2005), globalement les structures sociales sont des arrangements institutionnels permettant de prédire les agissements et d’identifier des groupes d’indi-vidus selon divers critères (Cain, 1964; Hendricks & Hatch, 2008). Elles existent à des niveaux multiples et sous de nombreuses formes (Dannefer

& Kelley-Moore, 2008). En simplifiant quelque peu, il est possible de parler de forces de type top-down ayant un impact sur les individus et dont il est difficile de se soustraire, permettant d’internaliser ou d’objectiver un certain nombre de comportements qui sont par la suite reproduits par les personnes elles-mêmes (Marshall, 2005; Settersten & Gannon, 2005).

Des dimensions clés composent ces structures, qui permettent d’identifier les individus: les plus classiques sont la classe, l’ethnie, l’âge ou encore le sexe (Macmillan, 2005). Certaines de ces notions sont définies à la nais-sance et les personnes ont peu, voire pas de possibilités de les modifier, alors que d’autres sont construites au cours de la vie et offrent une relative marge de manœuvre. Toutes ces caractéristiques individuelles servent de

«proxy» pour saisir les structures (Settersten & Gannon, 2005), révélant les inégalités sociales par le biais de ces catégorisations.

Les écrits marxistes décrivent la structure sociétale capitaliste comme intrinsèquement constituée afin d’empêcher toute distribution égalitaire des ressources et de favoriser la reproduction des inégalités par une con-servation des richesses et des ressources dans les mains d’une minorité (Marx & Engels, 1999 [1847]). Pour ce faire, le capitalisme, système économique désormais triomphant parmi toutes les sociétés de la planète (Appadurai, 2005 [1996]), a su créer des institutions et des relations de pouvoir afin de contrôler la population et de parvenir à ce que les indivi-dus eux-mêmes reproduisent ces schémas (Kaviraj, 1990; Wright, 2005).

En outre, l’inégalité économique est répercutée dans diverses sphères de la vie, comme la santé ou l’éducation, qui deviennent également sélec-tives, ce malgré l’arrivée du Welfare State4 en Occident (et en Europe en particulier)5. Les néo-Marxistes corroborent ce constat, en soulignant que la structure économique et l’ordre social inégalitaire sont conservés par le jeu central des institutions publiques, sociales et juridiques (Mandel, 2007; Oris, Gabriel, Ritschard, & Kliegel, 2017; Wright, 2000).

2.2.1 La classe et la caste comme déterminants sociaux des individus Karl Marx est parmi les premiers auteurs à avoir observé la société occi-dentale du 19ème siècle, en pleine industrialisation, et à parvenir au constat que la position des individus à l’intérieur d’une classe sociale signifie un

4 Il s’agit de l’«Etat-providence» ou «Etat-social» en français, une implication de l’Etat dans les lois, l’économie et le social en vue de fournir des prestations sociales pour la population.

5 La notion même d’état diverge entre les chercheurs européens et nord-américains, ce qui explique en partie l’attention différente portée aux institutions étatiques par ces derniers (Mayer & Schoepflin, 2009). En Amérique du Nord, l’état se réduit plus ou moins à un gouvernement et à son administration, expliquant que les études issues du monde anglo-saxon soulignent les transformations des structures des vies liées à des facteurs individuels de stratification d’âge et aux normes sociales, ainsi qu’à des facteurs collectifs historiques. A l’inverse, en Europe la société civile est davantage gérée par l’état, au travers des institutions sociales (Mayer & Schoepflin, 2009) et, dès les années 1970, les recherches sur le parcours de vie vont redresser la barre afin de se focaliser sur la dimension d’institutionnalisation des trajectoires au travers des changements culturels et démographiques, ainsi que de structure et des politiques sociales (Hagestad, 1990; Kohli, 1986; Mayer, 2004).

accès spécifique au pouvoir et aux ressources (Béteille, 1974 [1969]). Ce qualificatif a plus tard été employé par Max Weber, qui a porté un regard sur le découpage social en délimitant les classes comme des groupes d’individus possédant des caractéristiques communes et une dynamique de vie similaire (Chauvel, 2001; Hendricks & Hatch, 2008; Weber, 2003 [1978])6.

Selon l’analyse marxiste, la société capitaliste se compose de deux classes sociales, qui se définissent par leur accès au système économi-que. La première (la bourgeoisie) possède les moyens de production et impose son hégémonie à la seconde (le prolétariat), bien plus nombreuse, qui n’a comme ressource que sa propre capacité de travail (Marx, 1993 [1867]). Chaque individu débute sa vie à l’intérieur de l’une ou de l’au-tre de ces classes sociales, en fonction de la situation économique de ses géniteurs, et incorpore de ce fait toute une palette de comportements par-ticuliers (autrement nommés, des normes sociales). De cette manière, les inégalités sociales, politiques et économiques de la société occidentale capitaliste moderne sont construites et reproduites par le contexte social et appliquées aux individus en fonction de caractéristiques définies à la naissance (Wright, 2005). Ce rapport de force entre dominants et dominés explique également que la dynamique sociale dans son ensemble soit con-struite autour d’une lutte des classes, le moteur principal de l’évolution historique (Marx & Engels, 1999 [1847]).

Lorsqu’il vient au monde, l’enfant est donc assigné à une classe qui détermine un grand nombre d’opportunités qu’il aura, ou qu’il n’aura pas, tout au long de sa vie. Cette vision marxiste est aisément transposable à l’Inde, qui après son Indépendance (mais surtout depuis l’ouverture économique des années 1990) a rapidement intégré les modes de fonc-tionnement de l’économie capitaliste. Le terreau indien était en outre déjà fertile à cet égard, par son organisation sociale et culturelle inégal-itaire. Traditionnellement, les structures sociales y sont marquées par le cadre déterministe de la caste, dont les diverses implications ont été dis-cutées précédemment (cf. section 1.3.2)7. Ainsi, les classes sociales sont

6 Dans la vision wébérienne, la classe est une dimension permettant de définir la struc-ture sociale, réduite ainsi au niveau d’un simple paramètre (Chauvel, 2001; Levy, 2009).

7 Les intouchables sont considérés comme «hors-caste». Toutefois, par soucis de sim-plification, lorsque nous parlons de la caste comme d’une manière de classifier la société indienne, nous les incluons dans la réflexion. Dans la même idée, les castes ne

relativement neuves en Inde alors que les castes relèvent d’une pratique ancestrale, consolidée par l’arrivée en force du capitalisme (au travers du colonialisme d’abord, puis par l’ouverture économique du pays ces dern-ières années).

Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, bien que constituant les fondements du même carcan normatif régissant les vies indiennes, les deux concepts – classe et caste – ne concordent pas entièrement (Roy &

Demanuelli, 2015; Sen, 2007). Le premier repose sur un rapport économi-que alors économi-que le second représente un statut socio-culturel (avec une assise religieuse importante), généralement relié à une profession il est vrai, mais pas seulement, et de moins en moins. La présence simultanée de ces deux notions a rendu poreux un clivage qui ne l’était pas initialement : les castes supérieures possédaient les richesses et les intouchables en étaient dépourvus, condamnés à une vie laborieuse parfois proche de l’esclavage.

Se situer en haut ou en bas de l’échelle socioéconomique n’est aujourd’hui pas – ou plus – l’apanage d’une seule caste, bien que la discrimination envers les Dalits reste indéniable (Heuzé, 1991; Saglio-Yatzimirsky, 1999). Ainsi, malgré une surreprésentation des élites religieuses hindoues parmi les individus avec un niveau d’éducation et de revenu élevé, des Indiens de haute caste se trouvent parfois à un niveau socioéconomique inférieur. De la même façon, grâce à une amorce de démocratisation des études, une proportion réduite d’intouchables a maintenant accès à des métiers très qualifiés qui assurent une rémunération conséquente (Deliège, 2006; Drèze & Sen, 2013; Heuzé, 1999).

Avec l’entrée dans la globalisation, la société indienne se complex-ifie et le système traditionnel des castes, reposant sur une transmission héréditaire des tâches, représente un obstacle pour une économie mou-vante. En effet, le précédent chapitre nous l’a montré, la division rigide du travail selon le groupe d’appartenance des individus plutôt que sur la base de leurs atouts compétitifs s’oppose au développement de l’écon-omie de marché, ne permettant ni les réallocations de ressources ni les réajustements structurels (Drèze & Sen, 2013). Pour autant, les castes ont une nouvelle utilité. Comme souligné au sortir de l’Indépendance par le militant de la cause des intouchables Bhimrao Ramji Ambedkar (1990

sont valides que pour les personnes de confession hindoue, largement majoritaires.

Néanmoins, nous incluons les affiliés à d’autres confessions dans la considération, car les normes sociales liées aux castes ont influencé la société indienne dans son ensemble.

[1936]), elles ne se contentent plus de diviser le travail sur le mode indiqué dans les textes sacrés, mais elles permettent désormais d’opposer les tra-vailleurs entre eux (Saglio-Yatzimirsky, 1999). Les castes fractionnent des alliés de classes «naturels» (selon la compréhension marxiste du terme).

C’était déjà en 1949 une des raisons pour lesquelles, selon Ambedkar, elles auraient dû être abolies. A cet égard, l’exemple des événements qui ont eu lieu en 1990, notamment dans les universités, lors de la promul-gation du rapport de la Commission Mandal (voir section 1.3.2), sont révélateurs. Les hautes castes (non discriminées) ont exprimé avec vio-lence leur opposition à l’établissement de quotas de réservation pour les castes discriminées (OBC) ne faisant pas partie des Dalits (Ramaiah, 1992). Sous l’argumentaire trompeur d’une résistance au castéisme et d’une promotion de la méritocratie, promulgué par les médias et les castes dirigeantes, le refus de l’égalité des chances à toutes les castes inférieures permettait d’entretenir les clivages et les rancœurs entre intouchables et OBC (Saglio-Yatzimirsky, 1999). Parallèlement, il a été constaté que les Dalits ayant bénéficié de ces quotas ont relativement peu aidé à réduire les inégalités sociales, mais plutôt profité des avantages pour eux-mêmes, grossissant les rangs de la classe moyenne montante (Jaoul, 2007).

Ces derniers temps, l’enchevêtrement des castes et des classes a été marqué par la montée d’un nationalisme pro-hindou et d’un sentiment anti-migrants prononcés (Assayag, 2005; Deliège, 2006), qui prennent leurs racines dans les turbulences de l’Indépendance et ont connu plu-sieurs faux-départs dans les années 70 (Heuzé, 2012). En parallèle du système social traditionnel, les transformations économiques récentes du monde urbain indien, impliquant d’un côté un déplacement des emplois du secondaire vers le tertiaire et de l’autre une montée du secteur infor-mel, ont secoué l’architecture sociale des villes du pays. En réponse, une partie du monde politique a développé une stratégie d’adaptation au travers d’un discours mettant en concurrence les droits des travailleurs selon leur origine, migrante ou native. Ainsi, une ville comme Mumbai a beau être bâtie sur la venue et par le travail des migrants (dans les domaines de la construction, de la manufacture et des services notamment), un climat xénophobe se ressent depuis quelques décennies (Singh, 2015). Ce rejet des immigrés a pour but de diviser la classe des opprimés, empêchant une union qui aurait pu dépasser les castes (Saglio-Yatzimirsky, 1999).

C’est donc dès le berceau que les Indiens subissent un double con-trôle, une double imposition sociale issue des structures de castes et de

classes (Assayag, 1999), qui délimite et imprègne leur bagage social de caractéristiques normatives, auxquelles sont associés des rôles et des statuts particuliers à assumer dans le cours de leur existence. Ce con-trôle a également comme objectif de désigner aux individus une place dans la société qu’ils ne quitteront que rarement. La caste, et dans une autre mesure la classe, sont des outils permettant d’inscrire dans l’«ADN social» des individus des déterminants qui conditionnent leur parcours de vie, et ce dès leur plus jeune âge. L’entrée dans la modernité a signifié une modification de ces outils, notamment dans l’Inde urbaine, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir à maintes reprises. Si les normes fon-datrices continuent d’agir, tout au long du chemin de la vie, sur les exist-ences, c’est aussi parce que les influences initiales sont renforcées par la présence d’institutions, qu’elles soient formelles ou informelles, dont le fonctionnement pérennise, réduit ou prend appui sur les inégalités sociales (Mayer & Schoepflin, 1989).

2.2.2 Puissance des institutions informelles8 normatives : religion et famille

Dans le domaine du parcours de vie, les chercheurs se sont généralement consacrés aux pays développés plutôt qu’en développement, et fort peu à l’Inde. L’exemple des castes et des pratiques familiales indiennes n’a donc pas (à notre connaissance) été utilisé pour étayer les réflexions portant sur les normes et les structures sociales. Néanmoins, de nombreux travaux en Occident ont montré que la religion, la famille et d’autres formes d’in-stitutions informelles ont joué un rôle central dans le déroulement des parcours de vie, notamment lors du passage de l’Ancien régime à l’époque moderne (Heinz & Krüger, 2001). Sans tomber dans un cliché réducteur prônant une fallacieuse similitude entre l’Inde d’aujourd’hui et l’Occident

8 En sociologie, les institutions représentent des structures sociales dotées d’une cer-taine stabilité dans le temps (Bourdieu, 1994). Cette définition peut correspondre aux organismes que nous qualifions ici de formels, mis en place par l’état et qui reposent sur des lois, des décisions politiques et sont gérées globalement par le gouvernement (comme l’école, la retraite, l’assurance chômage). Par ailleurs, cela peut également faire référence à des institutions que nous nommons informelles, car elles relèvent avant tout de la sphère privée: la famille, la religion, etc.

d’avant la révolution industrielle, nous allons tâcher d’appliquer ces réflexions au cas indien.

Religion(s) et castes

Pour les adeptes de la religion hindoue, appartenir à une caste et respecter ses codes comportementaux est obligatoire. Certains de ces codes peuvent avoir des impacts considérables sur la vie quotidienne, tels que l’obliga-tion de se marier au sein d’une même caste ou le devoir de se rendre en pèlerinage à Varanasi (Bénarès), que l’on soit riche ou pauvre (Ambedkar, 1990 [1936]). Du point de vue du genre, sans développer une question sur laquelle nous reviendrons plus longuement en section 2.2.3, la posi-tion de la femme dans l’hindouisme est clairement subordonnée à celle de l’homme, introduisant un rapport très inégalitaire entre les sexes (Baner-jee, 2005; Dumont, 1959). Ces règles strictes attestent de la force de la religion majoritaire en tant qu’institution sociale normative qui, de plus, a des restrictions très étroites concernant la définition de ses affiliés. Ainsi, elle ne reconnait pas la conversion : on naît dans une caste ou on n’est pas hindou. Il n’est pas possible de pénétrer une caste en cours d’existence, ni d’en changer à la suite d’un événement personnel (comme le mariage).

Cependant, briser les codes imposés par sa caste peut mener à une excom-munication. Les musulmans, les sikhs et les chrétiens indiens vivent eux aussi selon un système de caste, mais qui diffère précisément parce qu’il est moins structurant. Dans ces cas, la caste est vue comme une pratique, mais pas un dogme (Ambedkar, 1990 [1936]).

Malgré l’interdiction constitutionnelle de discriminer en fonction de la caste, celle-ci continue à exercer ses effets de manière officieuse; elle a même pris de l’ampleur depuis les années 1990 (Roy & Demanuelli, 2015). La rigidité durable du système des castes a également participé à ralentir la création d’institutions publiques destinées à compenser cette discrimination (Drèze & Sen, 2013), confirmant que les castes représen-tent une entrave vis-à-vis des réformes en faveur de l’égalité économi-que ou politiéconomi-que (Ambedkar, 1990 [1936])9. L’état persiste à reconnaître leur statut aux castes de manière officieuse et, en fonction de leur position hiérarchique, ne leur offre pas la même capacité d’intervention en tant que groupes de pression dans l’économie et le marché du travail (Heuzé,

9 “[…] turn in any direction you like, Caste is the monster that crosses your path. You cannot have political reform, you cannot have economic reform, unless you kill this monster.” (Ambedkar, 1990 [1936], article 3 alinéa 13).

1989). Dans les entreprises privées qui fournissent la meilleure protec-tion sociale, comme Siemens, Tata ou Ciba-Geigy à Mumbai, les emplois exigent de tels niveaux de formation (et donc d’origine sociale) que la discrimination de caste passe inaperçue (Heuzé, 1989).

La représentation des Dalits parmi les universités, les administra-tions, ou encore les parlements (voir section 1.3.2) par le biais de places réservées (quotas) a été une tentative de rétablir une égalité des chances pour cette minorité, afin de dépasser le handicap de l’origine sociale con-tracté à la naissance. Malheureusement, la mise en pratique de ces quotas en est encore aux balbutiements, et seul un relatif impact sur l’accès aux hautes études a pu être constaté (Dreze & Sen, 2013; Saglio-Yatzimirsky, 2002). L’Inde est également à la traîne en ce qui concerne la redistribution des revenus par les taxes, entraînant une dégradation des prestations pub-liques qui avaient peu à peu été mises en place durant la seconde moitié du 20ème siècle (Roy, 2014). Ceci est particulièrement visible dans le domaine de la santé, les hôpitaux publics proposant des services déplorables par manque de moyens, ce qui encourage l’utilisation d’établissements de médecine privée, chers et inaccessibles pour le plus grand nombre (Dreze

& Sen, 2013). Les politiques publiques en Inde ne s’adressent pour l’heure qu’à une infime part de la population, ne répondant pas aux besoins gran-dissants des laissés-pour-compte de la modernité (Heuzé, 1989; Sakthivel

& Joddar, 2006). Pour ces derniers, l’unique solution de survie face à la maladie, au chômage ou à la vieillesse reste le plus traditionnel des sys-tèmes de sécurité sociale : la famille.

La famille comme structure et comme support, au centre du parcours de vie

La famille en Inde est donc un élément central dans la vie, en termes de réseau social avant tout, mais aussi comme filet de sécurité. Contrai-rement à un a priori courant, le foyer indien urbain est majoritaiContrai-rement nucléaire, les périodes de cohabitation avec des membres de la famille élargie s’avérant de court terme (Guilmoto, 2011; Heuzé, 1997). Une de ces périodes se trouve être les quelques années de vieillesse et de retraite (dans le sens concret mais non institutionnel du terme) des parents, lor-squ’ils ne peuvent plus subvenir à leurs besoins et que cette responsa-bilité repose sur leur fils aîné et leur bru. Un modèle qui offre également l’avantage de la garde des enfants en bas âge et de mettre en commun des finances généralement maigres (Jadhav, Sathyanarayana, Kuma, &

James, 2013). Les évolutions démographiques, telles que la montée de l’espérance de vie, la chute de la fécondité et le vieillissement de la pop-ulation, ont impliqué des modifications à ce schéma familial, néanmoins peu nombreuses. Le nombre moyen d’habitants par foyer va en diminuant alors que la moyenne d’âge de ceux-ci s’élève. Autrement dit, les familles indiennes connaissent simultanément une augmentation du nombre d’an-nées de vie des grands-parents et une réduction du nombre de petits- enfants (Guilmoto, 2011).

Les individus ont ainsi une durée de vie qui s’étend et les personnes âgées10 constituent dès lors un poids accru pour les enfants (par leur présence au sein du ménage et leur coût financier d’entretien) durant un nombre croissant d’années. Globalement, les âgés tombent plus facilement dans la pauvreté (Jadhav et al., 2013). En outre, que ce soit en ville ou à la campagne, l’écart d’âge au mariage implique que le nombre de veuves est plus élevé que celui des veufs, et une féminisation de la population

Les individus ont ainsi une durée de vie qui s’étend et les personnes âgées10 constituent dès lors un poids accru pour les enfants (par leur présence au sein du ménage et leur coût financier d’entretien) durant un nombre croissant d’années. Globalement, les âgés tombent plus facilement dans la pauvreté (Jadhav et al., 2013). En outre, que ce soit en ville ou à la campagne, l’écart d’âge au mariage implique que le nombre de veuves est plus élevé que celui des veufs, et une féminisation de la population