• Aucun résultat trouvé

1.2 (Dés)organisation de Mumbai

Chapitre 3. Enquêter la subjectivité des parcours de vie à Mumbai

3.1 La perception des changements marquants de la vie

Le travail d’élaboration de la mémoire de son parcours de vie dépend à la fois des personnes et de la société qui les entourent. Nous l’avons vu à la section 3 du chapitre 2, des générations peuvent se constituer au gré de l’histoire, devenant ainsi les garantes d’une mémoire collective. Toute-fois, le phénomène mémoriel démarre avant tout au sein de l’individu, comme un processus cognitif lié aux caractéristiques de chacun. C’est cet aspect-ci, théorique, de la mémoire qui nous interpelle dans cette première section, avant d’en venir aux représentations sociales qui en découlent et

à la subjectivité qu’elle représente, à la fois en tant qu’atout et que biais pour la recherche (Bourdieu, 1982; Jodelet, 1989a; Moscovici & Buschini, 2003). Puis, nous verrons comment cette mémoire peut être pratiquement étudiée, au travers de l’exemple d’une enquête internationale portant sur les événements et changements au cours de la vie.

3.1.1 Se rappeler sa vie: le processus de mémoire

Traditionnellement, la mémoire individuelle a été le sujet de recherches menées en psychologie et dans les neurosciences, ainsi que dans divers domaines de sciences sociales (Berntsen & Rubin, 2002; Buckner &

Wheeler, 2001; Cavalli, et  al., 2013; Conway, Wang, Hanyu, & Haque, 2005; Lalive d’Epinay & Cavalli, 2007; Rubin, 1982). Les neurosciences se cantonnent au fonctionnement mécanique, s’affairant à expliquer le processus de rappel et de sélection qui est à l’œuvre dans le cerveau des individus. En psychologie développementale, l’accent a été mis davantage sur les étapes de l’existence où cette mémoire devient particulièrement active et intense, par le truchement de la distribution des souvenirs au cours du temps (Baltes, Staudinger, & Lindenberger, 1999; Conway &

Pleydell-Pearce, 2000; Rubin, 1982; Rubin, Wetzler, & Nebes, 1986).

Ainsi, les psychologues distinguent trois composantes de la mémoire autobiographique: la plupart des individus ne conservent pas de souvenirs précis de ce qui s’est passé dans les premières années de leur vie (child-hood amnesia); on retient davantage les informations encodées entre 10 et 30 ans environ, c’est-à-dire pendant l’adolescence et le début de la vie adulte (reminiscence bump); les souvenirs deviennent moins accessibles avec le passage du temps (forgetting) ou, pour le dire simplement, on se souvient davantage des événements récents (Conway & Pleydell-Pearce, 2000; Rubin, 1982; Rubin, Wetzler, & Nebes, 1986). Par ailleurs, un sou-venir peut être perçu par l’individu qui le vit selon une tonalité, pouvant aller du très négatif au très positif. Lorsqu’ils étudient la mémoire auto-biographique des individus, Birren et Schroots (2006) soulignent que les moments rappelés sont majoritairement positifs, bien que cela soit moins marqué chez les personnes âgées.

L’effet de réminiscence est un phénomène robuste qui a été sup-porté par des travaux portant tant sur les souvenirs d’événements pub-lics que personnels (Glück & Bluck, 2007; Grob, Krings, & Bangerter,

2001; Holmes & Conway, 1999; Janssen, Murre, & Meeter, 2008). Il a été observé dans des études réalisées dans plusieurs pays d’Europe, d’Améri-que du Nord et d’Asie (Conway, Wang, Hanyu, & Had’Améri-que, 2005; Demiray, Gülgoz, & Bluck, 2009), quelle que soit la technique de récolte des infor-mations: d’une simple remémoration de faits aux associations de mots visant à réveiller des souvenirs, jusqu’à l’étude des préférences littéraires ou musicales (Janssen, Chessa, & Murre, 2007).

Plusieurs explications ont été avancées pour rendre compte de cette augmentation de la densité mémorielle (Draaisma, 2008 [2001]; Jansari &

Parkin, 1996). Selon certains auteurs, la propension à citer des événements survenus au moment de l’entrée dans la vie adulte serait due à une plus grande aptitude sur le plan neurophysiologique à emmagasiner des souve-nirs vers l’âge de vingt ans, lorsque le développement du cerveau atteint son optimum (Janssen et al., 2008; Rubin, Schulkind, & Rahhal, 1999).

Une autre explication met en avant la primauté de nombre de changements vécus pendant l’âge critique, les individus étant davantage marqués par les événements rencontrés pour la première fois: le premier partenaire, le pre-mier travail, un voyage initiatique, mais aussi les premières confrontations à l’histoire, tout comme les engagements civiques et politiques (Berntsen

& Rubin, 2002; Conway & Haque, 1999; Schrauf & Rubin, 1998). Dans une interprétation ultérieure, l’accent est mis sur la rétention préférentielle des événements dans la période de formation et de consolidation de l’iden-tité (Conway et al., 2005). Le début de la vie adulte représente une période critique pour la formation de la personnalité: un individu d’âge mur se sou-viendra alors surtout des événements de cette époque, ceux qu’il perçoit comme ayant fait de lui ce qu’il est devenu (Draaisma, 2008 [2001]).

La mémoire dans les sciences sociales : un bref aperçu

Largement traitée également en sciences sociales, la mémoire intéresse les sociologues depuis de nombreuses années. Maurice Halbwachs (1997 [1950], 2004 [1925]) s’est penché sur la question et a développé le concept de «mémoire collective», en faisant référence aux souvenirs partagés par les individus composant une société. Selon cet auteur, la mémoire prend différentes formes: elle peut être autobiographique (con-cernant les événements directement expérimentés par les personnes) ou historique (désignant les événements qui participent à élaborer une iden-tité collective, à définir la situation du groupe dans le temps) (Guichard, 2015; Halbwachs, 1997 [1950]). Ces différents niveaux se retrouvent chez

plusieurs chercheurs suivant des définitions parfois changeantes: mémoire transmise (familiale), apprise (collective) et vécue (individuelle) selon Devriese (1989); expérience vécue (connaissances sociales et historiques acquises durant l’existence) versus expérience perçue (savoir diffusé par les discours et les représentations publiques et retenu par le biais de la socialisation) selon Thompson (2012 [1963]).

Bien évidemment – comme l’évocation du dernier auteur l’a rap-pelé –, les historiens sont aussi particulièrement concernés par l’étude de la formation de la mémoire (Nora, 1989; Thompson, 2012 [1963]). Sous cette perspective, la mémoire représente une conception collective de la réalité sociale, structurant les relations et permettant d’expliquer le présent (Ricoeur, 2003). Dans ce processus, la mémoire historique est un aspect seulement de la mémoire collective, soutenue par les représentations pub-liques et les lieux de mémoire (Nora, 1989). Les définitions théoriques et les constats empiriques à propos de la mémoire collective seront davan-tage explicités dans le chapitre 8.

Du point de vue de l’approche du parcours de vie, l’étude de la con-struction de la mémoire se focalise davantage sur le lien entre société et biographies. Il s’agit de tenir compte de l’écoulement du temps dans son aspect collectif et historique, mais aussi personnel. Ainsi, c’est à la fois le poids subjectif du souvenir qui est pris en compte (mis en lien avec le con-texte au sein duquel il s’est réalisé), et l’âge que possède la personne lor-squ’elle le vit. En fonction de cet âge, l’impact et l’interprétation du sou-venir ne sera pas le même (Devriese, 1989; Settersten, 1999). Néanmoins, la position occupée par les individus dans leur parcours de vie, à elle seule, ne suffit pas à expliquer la sélection des changements qu’ils jugent marquants et la prise en compte des représentations sociales portées sur l’événement rappelé est indispensable, ce que par ailleurs d’autres socio-logues avaient déjà souligné (Durkheim, 1898; Moscovici, 2000).

3.1.2 Penser sa vie : entre normes collectives et réflexion individuelle Tout processus réflexif à propos d’un objet social – et en particulier celui visant à analyser et parler de sa propre vie – repose sur des représentations partagées (ou collectives) de celui-ci (Jodelet, 1989b). Ces représentations sociales se constituent en partie à l’intérieur des sujets (phénomène cog-nitif et psychologique) et en partie à l’extérieur, par le biais des normes

et des statuts socialement construits (Haas & Jodelet, 2007). Précisément parce qu’elles sont au croisement entre la société et l’individu, il n’est pas étonnant que ce soit dans le domaine de la psychologie sociale que l’étude des représentations sociales ait pris son envol (Moscovici, 1961, 2001).

Des règles du jeu imposées par le contexte…

Pour les chercheurs, les représentations sociales sont une opportunité de connaître le contexte sociétal (Doise, 1989; Thomas & Znaniecki, 1974 [1918]): liens entre les individus et ce contexte, elles révèlent les struc-tures sociales et le processus de changement qui les affecte (Campos &

Lima, 2017).

De façon générale, les représentations sociales constituent «une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social» (Jodelet, 1989b, p. 36). Plusieurs éléments com-posent ces représentations et permettent de parler de la réalité sociale:

informations, idéologies, normes, croyances, valeurs, attitudes, opinions, etc. (Durkheim, 1898). Ils sont produits au travers d’un travail de com-préhension mené par les personnes et guidé par les règles normatives et comportementales présentes au niveau collectif (Moscovici, 1961, 2001).

Les représentations évoquent donc un savoir commun plutôt que scienti-fique, qui se base sur les processus d’objectivation (la concrétisation d’ob-jets sociaux abstraits) et d’ancrage (la catégorisation d’obd’ob-jets mal connus) (Doise, 1989). Ce sont des symboles mais aussi des moyens par lesquels la société devient consciente d’elle-même (Moscovici, 1989). Ce savoir offre la possibilité de saisir les nouvelles données sociales et de les intégrer, fortifiant au passage les normes et les comportements (Haas & Jodelet, 2007).

Puisque les représentations sont collectives (c’est-à-dire partagées par une collectivité), elles poussent les membres du groupe à penser et agir uniformément (Moscovici, 1989). En effet, les croyances, normes et savoirs communs agissent comme des institutions sociales, élaborant l’identité du groupe au travers de l’édiction de règles et de lignes de conduites (Haas & Jodelet, 2007; Moscovici, 1961, 2001). En cela, les représentations sociales font partie du contexte social qui influence les parcours de vie (cf. chapitre 2), différant selon la société considérée, dont les produits culturels (langage, mythes, religions, …) suivent les codes.

Mais elles sont aussi autonomes, dépassant les individus pour devenir une

réalité (Moscovici, 2001). Ainsi, elles sont issues de la structure sociale pour devenir à leurs tours structurantes.

Pourtant, si les membres d’un groupe partagent un savoir commun à propos d’un objet social, leur évaluation de ce dernier peut varier. Ainsi, le fait d’appartenir à un groupe ne signifie pas directement ou obliga-toirement partager des attitudes et des opinions avec les autres membres (Doise, 1989). Ceci, non pas en fonction d’éléments personnels mais bien à cause des effets des positions sociales (Doise, 1989; Doise & Lorenzi- Cioldi, 1989). Pour discerner les représentations, il est donc nécessaire de tenir compte aussi de la subjectivité au sens de la place de l’individu en tant que sujet.

…au retour à la subjectivité

Toute représentation sociale comprend un sujet qui se rapporte à un objet (Jodelet, 1989b, 2008). Ce faisant, l’individu (sujet) démontre une con-science du monde où il vit, définit son identité et son existence en tant qu’acteur (Jodelet, 2006). Au cours du vingtième siècle, le statut du sujet a été questionné, considéré parfois comme un jouet social incapable de penser ou trop imbriqué dans les structures pour être pris en compte. La recherche a ainsi été jusqu’à sortir l’individu de son centre d’observation, en éliminant le sujet comme entité (Jodelet, 2008; Touraine, 2007). Depuis plusieurs décennies, un renversement s’opère et une réintégration du sujet dans la réflexion survient, comme une (ré)émergence de la subjectivité.

Ce retour de la subjectivité (au sens de l’individu comme sujet) con-corde avec la constatation d’une montée de l’injonction normative d’être l’agent de son existence (cf. 2.4.2). L’époque où les chercheurs se penchaient sur les structures sociales comme uniques déterminants des parcours de vie est passée; à présent, le sujet doit être «actif et pensant», il doit être acteur (avec une autonomie réduite) ou agent (effectuant des choix) (Giddens, 1982, 1986): autant de qualificatifs répondant aux mutations sociales mod-ernes telles que l’individualisation ou la construction de l’identité dans la globalisation (Touraine, 2007). Ceci ne doit pas nous mener d’un extrême à l’autre et conduire à négliger de considérer aussi le sujet comme un acteur social soumis aux contraintes de son milieu; mais un espace se constitue bel et bien pour prendre en compte la subjectivité (Jodelet, 2006).

Dans la recherche, s’intéresser à la subjectivité signifie se pencher sur ce que pensent les individus, leurs perceptions du monde et la compréhension qu’ils ont de leurs comportements (Bertaux, 2014). La subjectivité prend un

sens qui va au-delà du simple reflet inverse de l’objectivité (vue comme la transcription fidèle de la réalité), s’accordant avec le principe de singulari-sation ou d’affirmation du sujet (Ertul, Melchior, & Lalive d’Epinay, 2014).

Partant de l’idée que toute personne «est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet» (Ertul et al., 2014, p. 17), se raconter revient à produire un récit, bien évidemment empreint de subjectivité, mais dont le résultat n’en reste pas moins cohérent et dont les faits relatés révèlent la réalité (Bertaux, 2014). Pour ces raisons, tenir compte de la subjectivité a à nouveau de plus en plus marqué les enquêtes en sciences sociales, qui sont ainsi revenues à une pratique qui avait déjà fait son chemin.

3.1.3 Questionner au travers d’une approche dite «subjective»

L’étude des vies humaines selon le point de vue de l’acteur lui-même est en effet à la fois récente et ancienne. Elle s’est développée en anthropol-ogie puis en sociolanthropol-ogie dès les années 1920, au travers de l’approche bio-graphique puis, plus tard et dans une moindre mesure, de celle du parcours de vie (Bessin, 2009). Aux origines se situe la recherche restée fameuse de Thomas et Znaniecki (1918), dont les résultats ont ouvert la porte à tout un pan de recherches au sein de l’Ecole de Chicago. Analysant les attitudes de personnes dans leur pays d’origine (la Pologne) puis celles d’un groupe de migrants polonais dans leur pays d’arrivée (en Europe ou aux Etats-Unis), ce texte fondateur illustre combien l’examen des existences se doit de mobiliser à la fois objectivité des phénomènes sociaux et subjectivité de leur interprétation par les individus qui les ont vécus.

Dans l’approche des parcours de vie, la subjectivité a pris de plus en plus de place depuis une vingtaine d’années seulement. Dans l’étude des changements marquants des parcours de vie, les enquêtes lui donnant une place prépondérante se sont alors multipliées (Cavalli, et al., 2013; Fiske

& Chiriboga, 1990; Laub & Sampson, 1993; Rönkä, Oravala, & Pulkki-nen, 2003). Toutefois, ce procédé reste marginal par rapport à l’obser-vation dite objective. A l’inverse, analyser la perception des événements vécus importants ou des moments de stress est courant dans le monde de la psychologie, que cela concerne la mémoire autobiographique (Schrauf et Rubin, 1998), la mémoire historique (Brown et Kulik, 1977) ou encore les traumas de l’existence, signes manifestes d’une souffrance subjective (Loftus et Ketcham, 1994; Ofshe et Watters, 1994; Schacter, 1996).

En démographie, les années 1970 voient apparaître un changement de paradigme dans l’étude des événements vécus. Les méthodes d’anal-yses biographiques viennent compléter et parfois remplacer l’analyse classique, que la multiplicité et l’individualisation des trajectoires de vie ont rendue plus difficile à appliquer. Les outils permettant d’étudier les biographies dans leur totalité, comme un processus complexe qui dépasse l’unité d’analyse de l’événement, se développent fortement (Courgeau &

Lelièvre, 1989; Lelièvre & Vivier, 2001). A cette occasion, des dessins d’enquête quantitatifs ou qualitatifs ont parfois laissé une place à la sub-jectivité (Laborde et  al., 2012; Lelièvre & Robette, 2015). Néanmoins, dans la plupart des enquêtes démographiques, la subjectivité est utilisée comme un complément aux questions objectives permettant de creuser des aspects soulevés par ailleurs. Elle ne devient pas l’objet principal de la recherche (Crenner et al., 2002).

Pourtant, les événements perçus comme marquants dans la vie sont des révélateurs, des symboles du vécu, qui ont autant de validité scienti-fique que les registres administratifs par exemple, et dépassent leur cadre formel. Ils proposent une richesse d’information considérable qui prévient les présupposés du chercheur, tout en permettant de saisir l’articulation des trajectoires. La signification de ces événements ne saurait d’ailleurs pas être dissociée de l’existence dans laquelle ils sont survenus (Leclerc-Ol-ive, 1997). Toutefois, si aujourd’hui la perception subjective des change-ments est admise comme un aspect capital de la réalité, la manière de récolter ces informations a suscité de nombreux débats.

Pour être reconnu comme marquant, un événement doit avoir été approprié et validé par son acteur (Leclerc-Olive, 1998). Le tournant ou l’évènement ne peut donc être défini comme tel par la personne qui le vit qu’après sa survenue, en effectuant une rétrospection sur soi-même. Or, cela signifie passer par une reconstruction a posteriori du vécu et l’effort demandé à l’individu au cours du travail de rappel l’amène à réinterpréter sa biographie, à la façon d’un bilan de son existence (Hélardot, 2010).

Outre les différents biais que cela peut impliquer, comme celui de l’oubli, la rétrospection pose la question de savoir si une réalité du passé réécrite au présent peut toujours être fidèle (Settersten, 1999).

En sociologie, Pierre Bourdieu (1986) soulignait déjà ce paradoxe: lors d’une remémoration, l’individu cherche à expliquer le présent en structurant les séquences de son passé en un récit qui a du sens. Le sujet souhaite livrer un message cohérent au chercheur et transforme l’enchaînement, le choix

et les conséquences des événements vécus dans ce but, en posant un regard global sur sa vie (Bidart, 2006a). A sa manière, Daniel Bertaux (1980, 1997) reprend ce constat en parlant de «l’idéologie» résidant dans l’ap-proche biographique et de l’organisation du récit en fonction d’une logique significative pour la personne elle-même et l’entourage.

D’autres chercheurs vont plus loin, démontrant qu’en quelque sorte les défauts de la collecte rétrospective biographique en sont les qualités et qu’il faut en retirer ce qui peut l’être (Courgeau et Lelièvre, 1989). L’exer-cice mémoriel reste un moyen fondamental pour comprendre l’existence, puisqu’il permet en effet d’associer et d’organiser entre eux les moments du parcours de vie. Par ailleurs, le procédé a été homologué par divers travaux méthodologiques récents, qui ont confronté des données objec-tivement établies avec des rétrospections subjectives afin d’en établir la fiabilité (Lelièvre & Robette, 2015; Mazuy & Lelièvre, 2005). L’idée est d’étudier des individus aujourd’hui, qui ils sont ou en d’autres mots leur identité, telle qu’elle s’exprime à travers leurs sélections mémorielles. Il s’agit assurément d’une forme de choix, mais qui ne remet pas en cause la fiabilité, la véracité, du travail, puisque ce n’est pas l’exhaustivité qui nous importe mais ce que ces mémoires nous disent des personnes. Il faut sortir de l’objectif comme référent et plutôt prendre comme repère l’identité – qui est bien sûr un mélange de personnel et de social – et dont le capital mémoriel est une composante.

Les méthodes pour récolter des données subjectives sont multiples  : des récits de vie et entretiens qualitatifs approfondis jusqu’aux vastes enquêtes quantitatives. Historiquement cependant, c’est davantage la per-spective qualitative qui a su exploiter le subjectif. En effet, elle apparaît toute indiquée pour se pencher sur la perception des individus de leur vie, afin de faire ressortir les mécanismes de causalité et les relations entre les événe-ments (Verd et López, 2011). Un avantage du qualitatif réside également dans le fait que la rigueur méthodologique et le durcissement des consignes sont moins cruciaux que pour la récolte de données objectives (Berthier, 2010), ce qui permet de s’ouvrir aux informations imprévues et innovantes.

Toutefois, dépasser l’opposition quelque peu stéréotypée entre la méthode quantitative qui serait apte à étudier l’objectivité des trajectoires versus la méthode qualitative utilisée pour analyser la subjectivité, a récemment fini par s’imposer comme une évidence en sciences sociales (Bidart et Gosselin, 2014; Heinz, 2003). Les études du parcours de vie y ont contribué car, d’emblée, elles ont accepté les deux approches. Leur

combinaison est plus récente. Walter Heinz (2003), en particulier, a mis en évidence les avantages de l’utilisation conjointe du quantitatif et du qualitatif pour comprendre les trajectoires.

Le défi à relever dans ce livre est d’adhérer à cette posture et dépasser des dichotomies réductrices (Small, 2011) pour placer l’individu au centre du questionnement et s’appuyer sur une méthodologie correspondant à l’objet de recherche, tout en sachant nous adapter aux contraintes de l’en-vironnement dans lequel la passation s’est effectuée. L’approche proposée ici consiste donc à employer une méthode mixte pour questionner la

Le défi à relever dans ce livre est d’adhérer à cette posture et dépasser des dichotomies réductrices (Small, 2011) pour placer l’individu au centre du questionnement et s’appuyer sur une méthodologie correspondant à l’objet de recherche, tout en sachant nous adapter aux contraintes de l’en-vironnement dans lequel la passation s’est effectuée. L’approche proposée ici consiste donc à employer une méthode mixte pour questionner la