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Temporalité et nature des processus : examen des études en EEG

3. Examen des processus cognitifs de compréhension de l’ironie

3.2. Temporalité et nature des processus : examen des études en EEG

S’il existe peu d’études relatives au traitement de l’ironie utilisant l’EEG, les résultats qu’elles apportent nous éclairent néanmoins sur la temporalité et la nature des processus dans les premières étapes44 de ce traitement. Alors que dans le cas du traitement des métaphores, la modulation de la N400 semble assez consensuelle, les études sur l’ironie rapportent de façon robuste seulement un effet au niveau de composantes plus tardives, notamment la P600. Rappelons que la première composante est essentiellement interprétée comme reflétant un processus sémantique (Brouwer et al., 2012 ; Kutas & Federmeier, 2011) alors que la seconde pourrait refléter un traitement d’informations sémantiques (Kuperberg et al., 2003) ou syntaxiques (Friederici, 1995 ; Hagoort, 2003).

44 Notons que si nous parlons d’étapes, ce n’est pas au regard d’un modèle de traitement de l’ironie. L’analyse des

potentiels évoqués (PE) se réalise sur plusieurs fenêtres temporelles caractéristiques de PE qui peuvent être successives (N400, P600) et donner une indication des processus successifs de traitement du stimulus.

Résumé

Ainsi que le postulaient les différentes théories que nous avons présentées, la com- préhension de l’ironie nécessite la mise en œuvre de compétences et processus pragmatiques complexes. Le développement de ces compétences et processus pragmatiques n’est pas uni- taire et synchrone : les capacités d’intégration d’informations contextuelles (e.g. relations interpersonnelles, traits de personnalité) et de compréhension d’effets pragmatiques de l’iro- nie (e.g. humour, moquerie) ne sont pas encore optimales à l’âge de 10 ans (Pexman et al., 2006).

L’importance de ces compétences ainsi que leur nature ont également été mises en évidence par les études portant sur les individus au développement atypique (TSA, Schizophrénie) ou présentant une atteinte cérébrale acquise. Ces études soulignent l’importance des compétences en TdE (Martin & McDonald, 2004) et d’intégration d’informations contextuelles (Champagne-Lavau et al., 2012).

Dans leur étude, Regel, Meyer et Gunter (2014) ont comparé le traitement syntaxique (phrases syntaxiquement correctes vs incorrectes) au traitement sémantico-pragmatique (phrases ironique vs phrases littérales). Leurs résultats ont montré que si les deux types de traitements entraînaient une P600, la topographie différait avec une distribution plus large pour le traitement syntaxique et centro-postérieure pour le traitement sémantico-pragmatique. Cette différence de processus sur une même fenêtre temporelle a été confirmée par l’analyse temps- fréquences sur une fenêtre précoce (300-500 ms) et tardive (500-900 ms). Cette étude suggère que la composante P600 peut en réalité refléter deux processus : l’un de traitement de l’information syntaxique et l’autre de traitement de l’information pragmatique. Rappelons également que Kuperberg (2007) suggère que la P600 résulte d’un processus combinatoire lorsque les résultats de deux traitements distincts entrent en conflit.

Amenta et Balconi (2008) ont réalisé une étude visant à comparer le traitement d’énoncés ironiques contrefactuels (« Une insulte est une plaisanterie »), accompagnés d’une prosodie ironique, à celui d’une part d’énoncés ironiques non contrefactuels (« Une insulte est un abus ») avec une prosodie ironique et d’autre part à celui d’énoncés littéraux, accompagnés d’une prosodie dite neutre (« Une insulte est un affront »). Ces auteurs n’ont pas observé de plus grande amplitude de la N400 pour des énoncés ironiques par rapport à des énoncés littéraux. Notons que les auteurs ont opérationnalisé les énoncés ironiques sous des formes nominales simples (du type « Une insulte est une plaisanterie ») sans contexte situationnel. De plus, le faible nombre de participants (12 participants) a également pu atténuer la portée des résultats.

Cornejo et al. (2007) ont quant à eux mis en évidence que des stratégies de traitement différentes pouvaient entraîner des différences au niveau des PE. En effet, ils ont présenté visuellement des énoncés (« Que c’est douillet ! ») précédés de contextes orientant vers une signification littérale (« Constatant comme la décoration de l’appartement est chaleureuse, Paul dit : »), ironique (« Lorsque Jean voit que la chambre qu’il a louée est très sombre et froide, il dit : ») ou sans signification. Deux types de tâches étaient proposés aux participants. Dans une condition, les participants devaient décider si la signification de l’énoncé était congruente avec le contexte présenté (condition de traitement analytique) alors que dans l’autre condition, ils devaient décider si l’énoncé faisait sens en tenant compte de ce que le locuteur cherchait à signifier (condition de traitement holistique). Les résultats indiquent que la condition holistique engendre un effet sur la N400 avec une plus grande négativité pour les énoncés ironiques, suivie d’une composante positive également plus importante. La condition

analytique provoque un effet sur la N400 moins important avec une amplitude généralement moins élevée que pour la condition holistique. Pour les auteurs, la stratégie holistique est sensée requérir une analyse globale de sa signification et solliciter des processus de plus haut niveaux, notamment pragmatiques, comparativement à la stratégie analytique.

Toutefois, une étude menée par Regel, Gunter et Friederici (2011) a montré que quelle que soit la modalité de présentation (visuelle vs. auditive) et l’exigence de la tâche (tâche de compréhension vs. lecture passive), le traitement d’énoncés ironiques n’entrainait pas de modulation de la N40045 comparativement aux énoncés littéraux, mais bien une modulation de la P600. Une explication peut être avancée et repose sur l’effet de familiarité. En effet, Filik et al. (2014) ont démontré que la N400 était sensible à la familiarité, une plus grande N400 étant observée pour les énoncés ironiques non familiers comparés aux énoncés non ironiques non familiers. Notons que ces auteurs n’ont pas réussi à montrer que cet effet de familiarité s’étendait à la P600, les deux types d’énoncés ironiques entraînant une plus grande amplitude que les énoncés littéraux.

Notons néanmoins que l'étude menée par Spotorno et al. (2013) met en évidence des différences de traitements précoces entre les énoncés ironiques et littéraux, malgré une absence de différence significative sur la N400. En effet, ces auteurs ont présenté des énoncés ironiques, littéraux ou des leurres46 à des participants, la tâche de compréhension proposée permettant de s’assurer de l’attention des participants. L’analyse des PE met en évidence une plus grande P600 pour les énoncés ironiques que pour les autres énoncés conformément à la littérature, et les analyses temps-fréquences ont également révélé qu’ils pouvaient se distinguer précocement. En effet, les auteurs ont observé pour les énoncés ironiques une augmentation dans la fréquence gamma précédent l’émergence de la P600, et ce dans la fenêtre : 280 à 400 ms. Selon les auteurs, cette différence dans la bande de fréquences gamma traduit la mise en œuvre de processus d’intégration d’informations linguistiques et contextuelles alors que la P600 serait le reflet de l’intégration de l’énoncé ironique au contexte. Autrement dit, Spotorno et al. (2013) suggèrent que les processus pragmatiques de compréhension de l’ironie débutent avant la P600 observée classiquement dans la littérature.

45 Tant les preuves descriptives et inférentielles ont échoué à démontrer un effet de l’ironie sur une composante

N400.

46 Les énoncés littéraux comprennent un contexte positif et un commentaire non ironique approprié au contexte

(validation des attentes). Les énoncés ironiques et les leurres comprennent tous deux un contexte négatif mais les énoncés leurres expriment de manière non ironique un fait en rapport avec ce contexte. Autrement dit, les énoncés leurres permettent de ne pas générer chez le participant d’attente de l’ironie lorsque le contexte est négatif.

De façon cohérente et à l’image des études de Pexman et al. (2000) et de Zalla et al. (2014), Regel, Coulson et Gunter (2010) ont démontré que l’acquisition et l’utilisation de connaissances pragmatiques sur le locuteur influençaient le traitement de l’ironie. Les auteurs ont opérationnalisé cela en présentant des histoires mettant en scène deux locuteurs. Dans la première session (i.e. acquisition de la connaissance pragmatique), l’un des deux locuteurs utilisait plus fréquemment l’ironie que les énoncés non ironiques pour décrire un événement, contrairement au second locuteur qui utilisait les deux indifféremment. Dans la seconde session (i.e. utilisation de la connaissance pragmatique), les deux locuteurs utilisaient aussi fréquemment l’ironie que les énoncés non ironiques pour décrire un événement. Les principaux résultats de cette étude sont qu’une plus grande amplitude de la P600 a été observée pour les énoncés ironiques exprimés par le locuteur non-ironique dans la première session (et une absence de différence pour le locuteur ironique) et un résultat inverse dans la seconde session – une plus grande amplitude de la P600 pour les énoncés ironiques exprimés par le locuteur ironique. Cette étude montre que les connaissances pragmatiques sur le locuteur influencent le traitement pragmatique des énoncés ironiques exprimés par ce locuteur.

Résumé

Nous pouvons tirer plusieurs conclusions des résultats de ces études sur la nature et la temporalité des processus de traitement de l’ironie verbale. Tout d’abord, l’ironie ne semble pas solliciter de manière systématique un travail sémantique à l’image de celui requis pour les métaphores, celui reflété par la modulation de la N400 (Del Goleto et al., 2016). Cette différence entre les expressions ironiques et métaphoriques peut provenir du niveau auquel se situe l’incongruité sémantique. Dans le cas des métaphores, il s’agit de l’incongruité d’un mot par rapport à un autre (Arzouan et al., 2007a) ou par rapport à une expression (Weiland et al., 2014) alors que dans le cas des énoncés ironiques, l’incongruité se situe entre la signification de l’énoncé et le contexte. En d’autres termes, le contraste est essentiellement sémantique et se situe à un niveau lexical pour les métaphores mais principalement pragmatique et à un niveau phrastique pour l’ironie. Il est toutefois possible que le faible degré de familiarité d’un énoncé ironique rajoute suffisamment de difficulté de traitement pour faire émerger un traitement sémantique se traduisant par l’émergence d’une N400 (Filik et al., 2014). Ensuite, bien qu’il y ait des preuves d’une différenciation précoce lorsque sont analysées des bandes de fréquences spécifiques (Spotorno et al., 2013), l’ironie se distingue principalement des énoncés littéraux sur des composantes positives tardives, avec une plus grande amplitude. L’interprétation de cet effet tardif reste ouverte à discussion mais peut être retenue l’idée d’une production d’inférences pragmatiques au travers de l’intégration de différentes sources d’informations. Enfin, ces composantes tardives positives dans le traitement de l’ironie semblent sensibles à des facteurs extralinguistiques tels que les connaissances pragmatiques sur le locuteur par (Regel et al., 2010).

3.3.

Cartographie cérébrale des processus de traitement et de