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La place de la familiarité : l’hypothèse de la saillance

2. Processus de compréhension de la métaphore

2.1 La place des caractéristiques de la métaphore

2.1.3 La place de la familiarité : l’hypothèse de la saillance

Ce modèle a la particularité de placer les expressions du langage figuré et du langage littéral au sein d’un même continuum, celui de la saillance de la signification d’un terme ou d’une expression. Autrement dit, selon Giora (1997, 1999, 2002, 2003), le facteur le plus important comme déterminant son traitement n’est pas la figurativité d’une expression ou d’un mot, qu’ils soient métaphoriques nouveaux, conventionnels ou littéraux, mais la saillance de sa signification. Cette saillance dépendrait de plusieurs caractéristiques telles que la fréquence d’usage ou la familiarité, la conventionalité ou encore la prototypicalité : plus la signification d’un mot ou d’une expression possède une valeur élevée sur ces caractéristiques, plus elle sera saillante. Selon ce modèle, deux processus sont dans un premier temps engagés et de manière parallèle : un processus lexical (traitement ascendant ou bottom-up) et un processus de traitement de l’information contextuelle (traitement descendant ou top-down). Le traitement lexical se ferait indépendamment de l’information contextuelle et favoriserait l’activation de la signification saillante du mot ou de l’expression alors que le second processus favoriserait une signification en accord avec le contexte en générant des attentes ou des inférences sans jamais inhiber le résultat du traitement lexical (Peleg, Giora, & Fein, 2001).

De plus, la GSH considère que dans le cas des métaphores familières, les significations littérale et figurée sont toutes deux saillantes, contrairement aux métaphores nouvelles dont seule la signification littérale est saillante. Pour démontrer cela, Giora et Fein (1999b) ont présenté à des participants des énoncés composés d’une phrase cible précédée d’un contexte. La phrase cible était une métaphore familière (1), peu familière (2) ou nouvelle et le contexte orientait vers une interprétation littérale (1.a ; 2.a) ou métaphorique (1.b ; 2.b) de la phrase cible. La tâche était un complétement de mot lié au contexte littéral ou métaphorique. Les résultats de leur étude ont montré que pour les métaphores familières (1), les participants produisaient autant de mots compatibles avec le contexte lorsque celui-ci orientait vers une interprétation métaphorique (1.b) ou littérale (1.a). Dans le cas des métaphores peu familières (2.b), les réponses compatibles avec le contexte métaphorique tendent à être moins nombreuses que celles compatibles avec le contexte littéral (2.a). Ces résultats suggèrent que les métaphores familières activeraient deux significations saillantes (littérale et figurée) alors que les métaphores nouvelles activeraient prioritairement la signification littérale.

(1) Ils se réveillent seulement

(1.a.) La soirée de samedi soir a duré des heures. Nous avons beaucoup bu et dansé toute la nuit. Le lendemain soir, nous avons rendu visite à des amis qui avaient fait la fête avec nous et lorsqu’ils ont ouvert, nous nous sommes dits : « ils se réveillent seulement »

(1.b.) Une guerre sanglante se déroule depuis plusieurs années en Europe. Des milliers d’innocents, femmes, hommes et enfants sont massacrés et personnes n’a levé le petit doigt. Après plusieurs années, la décision a été prise d’intervenir dans les affrontements. Ils se réveillent seulement.

(2) Une étoile mourante

(2.a.) D’après les analyses de l’agence spatiale, la formation observée aux abords de la voie lactée est constituée de gaz expulsés par un astre. Il s’agit sûrement d’une étoile mourante.

(2.b.) Un ami m’a conseillé d’écouter un album dont une des chansons faisait partie des meilleures ventes de la semaine et qui promettait un bel avenir. En écoutant l’album, je me suis rendu compte que les autres chansons étaient très décevantes. Il s’agit sûrement d’une étoile mourante.

Le rôle du contexte constitue donc l’une des différences majeures entre la GSH et le modèle d’accès direct puisque dans le premier modèle, il ne serait que secondaire. Alors que dans le second modèle, un contexte suffisamment informatif peut permettre un accès direct à la signification figurée sans traiter entièrement la signification littérale, que la métaphore soit familière ou nouvelle. Cette prédiction semble partiellement confirmée pour le traitement des métaphores verbales. Ainsi, Columbus et al. (2015) ont présenté à des participants des métaphores comportant un verbe familier ou non et insérées ou non dans un contexte ainsi que leurs équivalents littéraux dans une tâche de lecture tout en enregistrant les mouvements oculaires. L’analyse des temps de fixations sur le verbe a montré que dans le cas des verbes peu familiers, les durées de fixation étaient plus longues lorsque la signification était métaphorique que littérale, que le contexte soit présent ou non. Ce résultat peut être interprété au regard de la GSH puisque 1) la signification saillante du verbe peu familier serait littérale et serait donc incongruente avec la signification métaphorique et 2) le contexte n’aurait qu’un effet secondaire.

En outre, la GSH prédit un rôle spécifique de l’hémisphère droit dans le traitement des métaphores nouvelles. Cette prédiction est dérivée de l’hypothèse selon laquelle l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche ont des compétences spécifiques dans le traitement du langage. Ainsi, alors que l’hémisphère gauche serait compétent dans le traitement des significations saillantes, son homologue droit serait spécialisé dans le traitement de significations peu familières, distantes ou secondaires (Chiarello, 2003 ; Faust & Lavidor, 2003). Cette hypothèse se fonde sur le constat de difficultés que présentent les patients atteints de lésions de l’hémisphère droit dans la compréhension d’expressions nouvelles alors que leurs performances dans le traitement d’expressions conventionnelles sont relativement préservées (Giora, Zaidel, Soroker, Batori, & Kasher, 2000)11. De ce fait, les hémisphères gauche et droit traiteraient respectivement des significations saillantes et non saillantes. Bien que l’hypothèse d’une spécificité de l’hémisphère droit dans le traitement des métaphores nouvelles fasse débat, des données issues d’études utilisant un paradigme de présentation en champ visuel divisé12 (DVF ; Divided Visual Field) tendent à mettre en évidence un rôle de l’hémisphère droit d’activation et de maintien de significations non saillantes lors du traitement de métaphores (Anaki, Faust, & Kravetz, 1998 ; Mashal, Faust, & Hendler, 2005). À un niveau supérieur de précision, certaines études en IRMf ont montré une activation de régions droites lors du traitement de telles métaphores (Bohrn, Altmann, & Jacobs, 2012 ; Diaz, Barrett, & Hogstrom, 2011 ; Mashal et al., 2005 ; Mashal, Faust, Hendler, & Jung-Beeman, 2007 ; Romero Lauro, Mattavelli, Papagno, & Tettamanti, 2013). Comprendre l’implication de réseaux corticaux spécifiques dans le traitement des métaphores nouvelles requiert un niveau de précision quant aux prédictions anatomiques fonctionnelles que ne présentent pas la plupart des modèles de traitement du langage figuré. Nous devons alors nous référer à d’autres modèles plus généraux du traitement de l’information sémantique.

11 Cette étude utilise la Right Hemisphere Communication Battery dont les items métaphoriques sont décrits

comme conventionnels et « clichés » et semblent avoir un haut degré de familiarité : « cœur brisé ; cœur

chaleureux, … ».

12 Paradigme consistant à présenter un mot de manière très rapide (à un temps de présentation inférieur aux temps

de saccades oculaires) soit dans la partie droite, soit dans la partie gauche du champ visuel. Un effet de facilitation hémisphérique est observé lorsque le temps de réaction et/ou le taux de bonne réponse varie en fonction du champ visuel.