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La signification littérale dans la compréhension de l’ironie

1. L’ironie verbale : définitions et principales théories

1.2. Comprendre l’ironie : principales théories

1.2.3. La signification littérale dans la compréhension de l’ironie

La place de la signification littérale dans le traitement d’une expression figurée est souvent un point de divergence entre les différentes théories. Par exemple, dans la conception de Grice (1975), la signification littérale doit être traitée dans son entièreté avant que la signification ironique puisse être inférée. Dans la théorie de la mention échoïque de Sperber et Wilson (1981, 1995), la signification littérale d’un énoncé est présente principalement parce que le locuteur exprime une attitude négative envers celle-ci36. Enfin, le modèle d’accès direct (Gibbs, 1994, 2002), que nous avons présenté dans le précédent chapitre (p. 26), suppose un accès direct à la signification d’une expression figurée, dont les ironiques. Plus précisément, ce modèle suggère qu’un contexte suffisamment fort et informatif peut affecter de manière significative le traitement de l’énoncé ironique de telle manière qu’il ne serait pas nécessaire de traiter la signification littérale dans son intégralité pour accéder à la signification ironique. En guise d’arguments expérimentaux, Climie et Pexman (2008) ont présenté à de jeunes enfants (âgés de 5 à 8 ans) des scenarii ironiques ou littéraux en mettant en scène des poupées. Il leur a été demandé de juger l’intention du locuteur en choisissant un requin (l’intention d’être sincère, réponse correcte pour les ironies exprimant une critique) ou un canard (l’intention d’être sympathique, réponse incorrecte pour les ironies exprimant une critique). L’observation des regards portés sur les objets-réponses a montré que les enfants portaient majoritairement et très tôt leur attention sur l’objet indiquant la véritable intention du locuteur, suggérant qu’ils accèdent rapidement à la signification ironique sans prendre en compte la signification littérale de l’énoncé.

36 Contrairement à la théorie du faux-semblant (Clark & Gerrig, 1984) dont l’attitude réfère à la personne que le

La théorie proposée par Giora (Giora, Fein, & Schwartz, 1998 ; Giora, 2003) se distingue des autres théories présentées ci-dessus notamment parce qu’elle stipule des différences de traitement entre les remarques ironiques familières et les celles non familières. Cette théorie se fonde sur deux concepts : l’hypothèse de la saillance (présentée succinctement dans le premier chapitre concernant les modèles de compréhension de la métaphore, p. 30) et l’ironie comme résultant d’une négation indirecte. La première suppose que la signification saillante d’une expression est récupérée directement et automatiquement. Selon cette théorie, la saillance dépend de caractéristiques telles que la familiarité ou la conventionalité. Ainsi, une expression figurée familière (e.g. « nourrir le débat ») pourra avoir pour signification saillante, sa signification figurée. A contrario, seule la signification littérale d’une expression figurée non familière sera accédée automatiquement. De plus, et contrairement au modèle d’accès direct, le contexte joue ici un rôle secondaire dans la mesure où il ne peut empêcher le traitement automatique de la signification saillante. L’hypothèse de la négation indirecte stipule, de plus, que l’ironie est une forme de négation sans marqueur explicite de négation. Cette négation indirecte repose sur le fait que l’ironie est plus souvent un énoncé affirmatif qui est utilisé pour exprimer un état de fait différant des attentes. Cependant, et contrairement à Grice (1975), Giora (1995) suggère que les deux messages – « ce qui est dit » et « ce qui est signifié » – de l’énoncé ironique sont activés et maintenus. Une différence entre ces deux messages est ensuite opérée et permet de saisir le degré de disparité entre la réalité et les attentes.

En accord avec cette théorie, Giora et Fein (1999a) ont montré que lors du traitement de remarques ironiques non familières dans un contexte orientant vers la signification ironique, la signification littérale était activée automatiquement et maintenue alors que la signification ironique ne devenait disponible que plus tard. De plus, pour les énoncés ironiques familiers, les deux significations (littérale et ironique) étaient activées et maintenues. Filik et Moxey (2010) ont également observé des temps de lecture plus longs pour des énoncés ironiques (« Beaucoup de vendangeurs sont motivés ! » ; contexte : la productivité est faible) comparés à des énoncés non-ironiques (« Beaucoup de vendangeurs sont motivés ! » ; contexte : la productivité est élevée). De plus, les auteurs n’ont pas observé de différences significatives entre la lecture d’une phrase faisant référence à la signification littérale (« Ils vont être augmentés ») ou ironique (« Ils vont être licenciés ») de l’énoncé (Filik, Leuthold, Wallington, & Page, 2014 ; Giora et al., 1998).

Résumé

À l’instar des métaphores, l’ironie échappe à une définition englobant ses différentes formes. Si on s’intéresse à l’ironie verbale, nous pouvons retenir qu’il s’agit d’une figure de pensée dont la compréhension requiert la prise en compte du contexte et la mise en œuvre de processus pragmatiques, notamment inférentiels. Ces processus sont caractérisés différemment selon les théories. Par exemple, d’après Grice (1975), les processus inférentiels sont engagés et dirigés par des normes conversationnelles. Selon Sperber et Wilson (1981, 1995), les processus pragmatiques ne sont pas spécifiques au langage et les normes conversationnelles établies par Grice peuvent se résumer par l’application d’un principe de pertinence qui dirige les inférences selon le rapport coût de traitement/effet cognitif. Dans ce cadre, un énoncé ironique pertinent doit être le plus économique en terme de traitement requis et dois avoir le maximum d’impact sur l’interlocuteur.

Les théories présentées ici diffèrent également sur la référence à partir de laquelle l’ironie est inférée : normes conversationnelles pour Grice (1975) ; l’écho à une pensée pour Sperber et Wilson (Sperber & Wilson, 1981 ; Wilson & Sperber, 1992), un jeu de faux-semblant pour Clark et Gerrig (1984) ou encore une négation indirecte pour Giora (1995, 2003). Nous retiendrons pour nos propos et notre objet d’étude que l’ironie verbale est implicite, évaluative et requiert la mise en œuvre de processus inférentiels afin d’intégrer les informations pertinentes du contexte dans le but de dériver la signification ou le sens que le locuteur souhaite transmettre.

Il est également intéressant de constater que depuis l’approche de Grice (1975) et celle de Sperber et Wilson (1995), la notion de processus pragmatiques a évolué. Tout d’abord limitée à l’étude des inférences dans la compréhension du langage, elle s’est étendue à d’autres aspects de la communication dans son sens le plus large et se rapproche aujourd’hui de concepts socio-cognitifs tels que les Théories de l’Esprit (TdE). En effets, certains auteurs n’hésitent pas à associer les compétences pragmatiques aux capacités à inférer des états mentaux à autrui en mettant notamment en évidence que le développement des TdE favorise les compétences communicatives (Reboul & Moeschler, 1998).

2.

Fonctions, effets et marqueurs de l’ironie