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2. Processus de compréhension de la métaphore

2.2 Modèles spécifiques à la métaphore verbale

2.2.2 Le modèle de la catégorisation indirecte

Nous avons présupposé dans l’introduction de cette section que les métaphores verbales pouvaient être traitées différemment des métaphores nominales. Toutefois, Utsumi et Sakamoto (2011) ont appliqué le modèle de catégorisation de Glucksberg (2003) aux métaphores verbales. Principalement développé dans le cadre du traitement des métaphores nominales, ce modèle stipule que les métaphores nominales sont traitées via un processus de catégorisation. Dans la métaphore « Cette thèse est un pavé », le thème (thèse) serait considéré comme un exemplaire d’une catégorie super-ordonnée dont le véhicule (pavé) constituerait un exemplaire prototypique. Il s’agit alors d’une catégorie abstraite et non concrète du concept pavé : la thèse n’est pas ici définie comme « un bloc de pierre servant de revêtement de la chaussée » mais plutôt comme un « écrit dense et empreint d’une certaine lourdeur », retenant uniquement les caractéristiques pertinentes par un processus d’inhibition (Glucksberg, Newsome, & Goldvarg, 2001). De même, Glucksberg (2001) formule l’hypothèse selon laquelle les métaphores verbales seraient traitées de la même manière. Autrement dit, dans l’expression métaphorique

16 Les expressions idiomatiques peuvent être décomposables ou non décomposables. Pour les premières (« jouer

avec le feu »), le sens de chacun des termes participe à la signification figurée alors que ce n’est pas le cas pour

« Il nourrit sa thèse », le verbe nourrir serait un exemplaire prototypique d’une catégorie d’actions telles que « apporter des compléments ».

Partant des postulats selon lesquels les verbes et les noms sont représentés différemment dans le système sémantique (Vigliocco & Vinson, 2005), que les métaphores verbales offrent plus de possibilités d’interprétations que les métaphores nominales et enfin, qu’elles sollicitent des réseaux cérébraux différents, Utsumi et Sakamoto (2011) formulent l’hypothèse d’un modèle de catégorisation indirecte. Selon ces auteurs, la correspondance entre la signification littérale du verbe et la signification de la métaphore verbale se ferait par l’activation d’au moins l’une de ces deux entités : une entité correspondant aux actions ou états abstraits de ce verbe et une entité correspondant aux patients, objets ou thèmes liés au sens littéral du verbe (Figure 3). Bien que l’ensemble des prédictions dérivées de ce modèle n’ait pas été testé, il demeure néanmoins intéressant au regard de la spécificité de la métaphore verbale.

Bien que formalisant certains des processus cognitifs de compréhension de la métaphore, parfois en fonction de la dimension familiarité, les modèles présentés ci-dessus ne permettent pas d’avoir une vision intégrative du traitement de la métaphore. D’autre part, il semble important de considérer certains facteurs interindividuels dans la compréhension des métaphores. En effet, certaines études ont montré que les compétences langagières ou les capacités relatives aux fonctions exécutives étaient impliquées dans le traitement des métaphores nouvelles.

Tableau 2 : Récapitulatif des prédictions des principaux modèles de compréhension de la métaphore

Modèles Auteurs Métaphores Signification littérale Contexte Spécialisation cérébrale

Pragmatique standard Grice (1975) Searle (1979) Toutes formes Prioritaire et incontournable

-Détermine le rejet de la signification littérale

- Aide à la construction de la signification métaphorique

-

Accès direct Gibbs (2002) Toutes formes

Non prioritaire mais peut être traitée tout ou partie

Rôle prééminent, aide à l’accès direct à la signification métaphorique s’il est suffisamment informatif

-

Saillance Giora (2003) Toutes formes

-Activée dans tous les cas -La seule activée si l’expression est nouvelle

-Rôle secondaire par rapport à l’activation de la signification saillante

-Son traitement intervient en parallèle de l’activation de la signification saillante

Hémisphère droit pour le traitement des énoncés nouveaux, des significations peu saillantes Traits sémantiques Le Ny et Franquart- Declercq (2001, 2002) Verbales (SVO)

Activation des patients les plus probables

Effet de pré-activation de significations

centrales du verbe - Catégorisation indirecte Utsumi et Sakamoto (2011)

Résumé

Bien que l’idée d’une distinction claire entre la signification littérale et la signification métaphorique ne soit pas entièrement consensuelle et pose des difficultés théoriques et méthodologiques (Ariel, 2002 ; Gibbs & Colston, 2012), la plupart des modèles que nous avons présentés postulent une différence de traitement en termes de nature des processus engagés entre les métaphores nouvelles qui requerraient une création de signification nouvelle et le langage littéral (Giora, 2003 ; Grice, 1975 ; Le Ny & Franquart-Declercq, 2001 ; Utsumi & Sakamoto, 2011). Il existe toutefois des différences dans les prédictions dérivées de chacun des modèles. La première est relative à la place de la signification littérale. Elle est prioritaire et automatique dans le modèle pragmatique standard, activée automatiquement si l’expression ou le mot est peu familier pour l’hypothèse de la saillance, ou éventuellement traitée si le contexte – second point distinguant les modèles – ne prédomine pas à l’interprétation figurée dans le modèle d’accès direct. Dans tous les modèles, le contexte paraît facilitateur mais n’agit pas au même niveau. Par exemple, et contrairement au modèle d’accès direct, l’hypothèse de la saillance lui attribue un rôle secondaire et non prioritaire sur l’accès à la signification saillante ; encore, le modèle pragmatique standard lui attribue un rôle secondaire dans la séquence des processus mais primordial pour dériver la signification figurée d’une métaphore.

Les données comportementales de temps de réactions, de temps de lecture, de précision de la réponse dans les tâches de décision sémantique ou de catégorisation sémantique sont informatives lorsqu’il s’agit de tester l’hypothèse de temps de traitement plus longs pour les métaphores par rapport aux énoncés littéraux. Toutefois, les données comportementales restent parfois limitées quant à l’interprétation des processus cognitifs mis en œuvre. Par exemple, et ainsi que le souligne Gibbs et Colston (2012), certains auteurs ayant mis en évidence des temps de traitements plus longs pour les métaphores tendent à attribuer ce temps supplémentaire à un accès puis un rejet de la signification littérale. Or, ce temps additionnel peut également refléter une difficulté d’intégration de la signification métaphorique plutôt qu’un traitement littéral.

De plus, certains modèles introduisent l’hypothèse d’une spécialisation hémisphérique (Giora, 2003) voire de l’implication de régions cérébrales spécifiques (Théorie du codage distant; Jung-Beeman, 2005). Des études comportementales associées à l’utilisation de paradigmes d’amorçage (Blasko & Connine, 1993) ou de présentation en champ visuel divisé (Faust & Mashal, 2007) ou encore à l’examen de performances d’individus atteints de lésions cérébrales (Winner & Gardner, 1977) permettent d’apporter des précisions quant à la nature des processus cognitifs et la spécialisation hémisphérique. Les protocoles utilisant des outils de neuroimagerie sont cependant supérieurs en termes de précision temporelle des processus (PE) et spatiale des régions cérébrales associées (IRMf).

2.3.

Des différences inter-individuelles dans le traitement et la