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Les deux chapitres précédents ont montré que les sources du bassin de drainage de Birmanie cen- trale sont restées relativement constantes depuis la collision indo-asiatique. L’incision s’est tout d’abord concentrée sur la marge directe des bassins centraux, sur l’arc volcanique andin de Wuntho-Popa et son substratum à dominante ophiolitique. L’incision s’est ensuite déplacée progressivement vers l’est au cours de l’Oligocène, au pied de l’escarpement Shan, sur le substratum métamorphique des ceintures Slate, Mo- gok et Gaoligong. Le déplacement de l’incision sur la marge Sino-Birmane est contemporain de différents événements tectoniques qui affectent particulièrement la Birmanie à partir de l’Oligocène inférieur :

• L’ouverture des sous-bassins du sillon oriental du bassin de Birmanie centrale, en direct voisinage de l’arc andin (Bertrand et Rangin, 2003).

• Le début de l’exhumation de la ceinture de Mogok, à l’arrière de l’arc andin (Barley et al., 2003; Searle et al., 2007).

• Le premier épisode de surrection de la chaîne Indo-Birmane (cette partie).

La synchronicité de ces trois événements suggère une origine tectonique commune, au mécanisme débattu (changement majeur de cinématique transverse, Morley, 2004 ; collision partielle avec l’Inde, Mitchell, 1993 ; collision du terrane du mont Victoria, Acharyya, 2007a ; voir chapitre 1, section 2.3). Ce mécanisme a vraisemblablement réorganisé les zones de contraintes sur le terrane Birman, en favorisant l’exhumation de ses marges et la subsidence de sa partie centrale. Il a ainsi réorganisé le paysage birman et est directement responsable de la modification de provenance enregistrée dans le sédiment birman pendant l’Oligocène.

En ce sens, le changement de provenance identifié dans les séries birmanes enregistre bien une dé- formation tectonique majeure. Néanmoins, ce changement de provenance n’est en aucun cas lié à un réorganisation du drainage général d’Asie du Sud-Est, comme proposée par Clark et al. (2004). En Asie, toutes les études récentes convergent vers une relative constance du drainage cénozoique (Clift et al., 2006, 2008b; Hoang et al., 2009). Il semble donc que le cours actuel des rivières en Asie du Sud-Est soit bien le résultat des déformations post-collision, plutôt que le résultat de successives pertes (ou de gains) de drainage (Hallet et Molnar, 2001). Ces résultats montrent la résilience étonnante des cours de rivières dans les zones d’orogène et contrastent avec les variations dramatiques du drainage sud-américain suite à la surrection de la cordillère des Andes (Hoorn et al., 2010).

Les variations de taux de sédimentation en Birmanie centrale ne sont donc corrélées à aucune perte (ou gain) de drainage. Le chapitre 5 a montré une bonne corrélation entre les épisodes de surrection de la chaîne Sino-Birmane et les taux de sédimentation birmans. De plus, les modèles climatiques de Lunt et al. (2010) montrent qu’à bassin de drainage fixe, l’écoulement de surface en Birmanie centrale ne change pas avec la surrection des massifs environnants et l’intensité de la mousson résultante. Il semble

donc qu’au premier ordre, les variations de taux de sédimentation en Birmanie enregistrent une incision accrue directement liée à l’amplitude de la surrection de la chaîne Sino-Birmane. Leur étude montre une progressive augmentation de l’incision depuis le début du Miocène, relativisant l’hypothèse d’un "boom" de la surrection des reliefs sud-asiatiques depuis le Miocène supérieur (Clark et al., 2005; Ouimet et al., 2010). Ces résultats sont néanmoins à nuancer, vu la faible résolution des taux de sédimentations calculés par Metivier et al. (1999).

Enfin, ces nouvelles données nous permettent de reconsidérer le travail de Hallet et Molnar (2001), à savoir l’existence un premier épisode de rétrécissement autour de la syntaxe, puis une forte déformation dextre pour expliquer le cours actuel des fleuves sud-asiatiques (voir chapitre 1, section 6). On peut noter que la surrection néogène du plateau Est-Tibétain a été montrée comme dénuée d’un quelconque rétrécissement (Royden et al., 1997, 2008) ; le premier épisode de déformation est donc à dater entre le début de la collision à l’Eocène inférieur et le début du Miocène. Les nombreuses marques d’une déformation crustale importante en Birmanie à l’Oligocène inférieur suggèrent que cette période pourrait représenter le paroxysme des deux premiers épisodes tectoniques affectant la syntaxe.

2.2

Corridors et barrières : implications paléogéographiques et biogéographiques

Les travaux du chapitre 4 ont montré que la Birmanie centrale de l’Eocène est principalement consti- tuée d’une grande plaine côtière ouverte sur le golfe du Bengale. Au nord-ouest, cette plaine côtière est en directe connection latérale avec le bassin d’avant-pays indien. Plus au sud, la plaine est en connection avec un large corridor côtier s’étendant jusqu’à l’extrémité de la péninsule Indochinoise, corridor aujourd’hui disparu avec l’ouverture du bassin de Mergui et du détroit de Malacca au cours de l’Oligocène, puis de la mer d’Andaman au Mio-Pliocène (Khan et Chakraborty, 2005; Hall, 2009). Dans l’arrière pays, les résultats de cette partie confirment une surrection significative de la chaîne Sino-Birmane dès le Paléogène et l’absence de toute connection de drainage avec le Tibet ou la Chine intérieure.

Ainsi, la bande côtière qui s’étend des côtes indiennes jusqu’à Sumatra forme une unique unité mor- phologique, expliquant aisément la parenté des faunes indo-pakistanaises, thaïlandaises et birmanes à l’Eocène (Marivaux et al., 2006; Métais et al., 2007). Malgré les nombreux événements qui vont progres- sivement segmenter la plaine côtière (surrections de la chaîne Indo-Birmane et ouvertures successives des bassins plus au sud), le corridor birmano-malais, entre la province indo-pakistanaise et la péninsule Indochinoise, semble avoir été régulièrement emprunté par les vertébrés continentaux jusqu’à nos jours, compte tenu de la présence en Birmanie d’espèces communes à ces deux provinces pendant tout le Céno- zoique (Chavasseau et al., 2006; Zin Maung Maung Thein et al., 2008, 2010). On peut néanmoins noter quelques rares marques de différenciation entre les faunes de la province indo-pakistanaise et d’Asie du Sud-est dès le début du Miocène, malgré une relative continuité des environnements boisés lors de la période (disparition des dermoptères en Inde, Marivaux et al., 2006). Cette différentiation est notamment significative chez les poissons et mollusques dulçaquicoles (Ruber et al., 2004; Hler et Glaubrecht, 2007). Ces observations suggèrent que les événements tectoniques présentés précédemment aient pu perturber

la connectivité des environnements estuariens sans pour autant perturber le drainage ni la continuité continentale du corridor (voir figure 25).

Figure 25. Evolution de la morphologie côtière le long du corridor birmano-malais entre aujourd’hui et l’Eocène. On peut remarquer la création de longs espaces vides sans estuaire ni delta significatif sur les flancs occidentaux de l’Arakan Yoma et du Tenasserim, créés par la subsidence et l’ouverture des bassins mériodionaux (Mergui, Andaman) et la surrection de la chaîne Indo-Birmane. Cette perte de connectivité estuarienne pourrait être à l’origine de la différentiation des espèces de poissons et de mollusques dulçaquicoles des provinces indo-pakistanaise et sud-est asiatique.

Enfin, l’absence de connection hydrographique Tibet-Myanmar et la présence d’une chaîne Sino- Birmane élevée dès l’Eocène expliquent la forte différentiation entre les faunes indo-birmano-pakistanaises et les faunes de Chine continentale (Tsubamoto et al., 2004; Gunnell et al., 2008). On note néanmoins quelques exceptions à cette distinction entre les deux domaines fauniques asiatiques, comme pour les anthropoïdes éosimiidés et les anthracothères, apparaissant à l’Eocène et rapidement présents de part et d’autre de la chaîne Sino-Birmane (Beard et al., 1994; Jaeger et al., 1999; Gebo et al., 2002; Beard et Wang, 2004; Lihoreau et Ducrocq, 2007). La présence d’anthropoïdes et d’anthracothères dans l’Eocène tardif de Thaïlande suggère néanmoins une voie de dispersion par le corridor birmano-malais plutôt qu’à travers la chaîne Sino-Birmane (Chaimanee et al., 1997; Ducrocq, 1999).

Ces observations conjointes relativisent fortement l’importance des bouleversements tectoniques dans l’évolution de la faune de mammifères asiatiques depuis la collision indo-asiatique. Les grands barrières orographiques majeures (Tibet, chaîne Sino-Birmane) sont présents depuis le début de la collision sous une forme réduite mais agissent dès le Paléogène comme barrières biogéographiques, tandis que les événements tectoniques postérieurs actant sur le corridor birmano-malais ne semblent pas avoir bouleversé sa poro- sité. Les différences entre provinces sud-asiatique et indo-pakistanaise sont donc plus vraisemblablement contrôlées par l’évolution paléoenvironnementale et paléoclimatique le long de la marge indochinoise, comme observé pour la période récente (Meijaard et Groves, 2006).

Paléoenvironnements de la formation de