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1.1

Intérêt et méthodes

Lors de la formation ou de l’altération d’un minéral, les isotopes de l’oxygène subissent différents fractionnements ; l’étude des rapports isotopiques de l’oxygène d’un minéral permet de reconstruire par- tiellement son histoire et de comprendre les conditions environnementales de sa formation (Urey et al., 1951). La teneur relative en isotope18O par rapport au16O, tout deux présents naturellement en propor- tion facilement détectable en spectrométrie de masse, est quantifiée en◦/

◦◦ de déviation par rapport à un standard grâce à l’indicateur δ18O = 1000(Rechantillon

Rstandard –1), où R =

18O/16O. Le R moyen de l’eau de mer est communément utilisée comme standard (aussi appelée SMOW, pour Standard Mean Ocean Water), ainsi que le R moyen d’une calcite biogénique de belemnite crétacée, appelée PeeDee Belemnite (PDB).

Lors de la cristallisation de minéraux carbonatés en milieu aqueux (comme le carbonate de calcium CaCO3), les isotopes de l’oxygène subissent, de l’eau au minéral, un fractionnement à l’équilibre α de la forme lnα = f(T–2), où T est la température et f est une fonction linéaire dépendant de la structure minérale en question (e.g. calcite, dolomite, aragonite... ; Faure, 1986). Le δ18O d’un minéral de carbonate nouvellement formée dépend donc de la température, du δ18O de l’eau environnante, et de la structure minérale résultante. Les fonctions de fractionnement f reliant α et température sont obtenues empirique- ment pour chaque espèce minérale (e.g. Grossman et Ku, 1986; Bhom et al., 2000). La détermination du δ18O des carbonates en spectrométrie de masse permet donc d’estimer la température de l’eau ambiante et/ou d’approcher le δ18O des eaux environnantes, fréquemment relié au δ18O des eaux météoriques, lui

aussi à fort intérêt paléoclimatique (voir encarts 6 et 7 ; Grootes, 1993).

La teneur relative des carbonates en13C par rapport au12C est contrôlée par des lois plus complexes, compte-tenu de la contribution potentiellement variée de différentes sources de carbone (CO2 gazeux, ions bicarbonates dissous, etc ; Faure, 1986). La teneur relative en13C est quantifiée en◦/

◦◦de déviation par rapport au standard PDB grâce à l’indicateur δ13C = (1000Rechantillon

Rstandard – 1), où R =

13C/12C. Le δ13C peut néanmoins s’avérer facile à interpréter paléoclimatiquement en fonction des sources de carbone en présence ; chaque type d’objet carbonaté (nodules pédogéniques, organismes marins...) va suivre une loi de fractionnement différente (Cerling, 1984).

Le δ18O et le δ13C d’échantillons carbonatés ont l’avantage d’être tous les deux facilement calculables en série sur le récent appareillage GC-IRMS du CRPG, constitué d’un spectromètre de masse Thermo Fisher Scientific MAT 253, connecté à un chromatographe gaseux Gasbench et à une plateforme auto- matique d’échantillonnage (Autosampler), et fonctionnant en mode flux continu (Continuous flow). Pour réaliser une série d’analyses, les échantillons sont tout d’abord réduits en poudre ; une masse correspon- dant à 100-500 µg de carbonate par échantillon est ensuite stockée dans un tube hermétique. Sur la plateforme automatique, les tubes sont portés à 70◦C puis vidés de leur air, remplacé par de l’hélium. Les échantillons sont alors mis en contact avec de l’acide phosphorique par injection dans le tube. Le CO2 dégagé par la réaction est ensuite pompé et injecté dans le chromatographe en petites quantités successives. Le chromatographe et les divers filtres du Gasbench purifient le gaz afin de ne garder que le CO2, qui est ensuite injecté dans le spectromètre. Ce dernier, en calculant l’importance relative des molécules de CO2 de masse 44, 45 et 46, permet de déterminer le δ18O et le δ13C du gaz. Ces deux valeurs sont ensuite corrigées des potentiels fractionnements lors du processus (touchant principalement l’oxygène, fortement fractionné lors de l’attaque acide ; Kim et al., 2007) grâce à l’analyse d’échantillons standards de valeur connue, réalisée entre deux séries d’échantillons (dans le cas présent, deux standards internes, calibrés sur les standards internationaux NBS 18 et NBS 19, ont été utilisés : le standard de calcite MCt et le standard Cal-S, constitué uniquement d’émail dentaire d’un mouton nancéen).

1.2

Une approche standard : l’isotopie des nodules carbonatés des paléosols

Parmi les approches isotopiques communes en reconstruction paléoclimatique du domaine continental, les nodules carbonatés de paléosols sont de fréquents sujets d’étude, car le δ18O et le δ13C de leurs carbonates sont en partie déterminés par différents processus climatiques actifs lors de la pédogénèse (pour plusieurs synthèses exhaustives : Aronson et al., 2008; Retallack, 2009; Sheldon et Tabor, 2009). Le δ18O des nodules est empiriquement relié à la température du sol et au δ18O des eaux de pluie, selon les principes énoncés précédemment (Cerling, 1984). Le CO2respiré par le sol est considéré comme principale source de carbone des nodules ; cette considération permet d’établir une loi reliant le δ13C des nodules à la température du sol, au δ13C de l’atmosphère (connu de manière indépendante ; Tipple et al., 2010), à la pression partielle en CO2 atmosphérique (PCO2) et au δ13C de la flore ambiante (respirant à travers le sol ; Cerling, 1984, 1991, 1992).

Encart 6. Le δ18O des eaux météoriques : mécanismes

Les eaux météoriques (i.e. l’humidité atmosphérique et les précipitations résultantes) sont issues de l’évaporation de l’eau de surface, principalement en domaine océanique, et sont appauvries en isotopes lourds (18O, mais aussi 17O et 2H ; Dansgaard, 1964). Les variations du δ18O de ces eaux dépendent à la fois des processus de fractionnement lors de l’évaporation et puis lors de la condensation des masses de vapeur lorsqu’elles se déplacent.

Le premier processus de fractionnement a lieu lors de l’évaporation et dépend à la fois de la salinité des eaux et de la température (Mook, 2000). Au niveau des océans, la vapeur marine est toujours appauvrie en18O, de l’ordre de 10-15◦/

◦◦(δ18Ovapeur=-10 à -15 SMOW pour δ18Oocean=0). Cette vapeur marine forme l’essentiel de l’humidité des nuages. Le deuxième processus de fractionnement a lieu lors des précipitations : au cours de leur condensation et de leur chute, les gouttelettes de pluie connaissent un enrichissement en18O par rapport à la teneur du nuage ; ainsi, l’humidité restante dans le nuage est de plus en plus appauvrie en18O. Au premier ordre, l’évolution du δ18O des nuages est bien expliquée par une simple distillation de Rayleigh (voir figure 53 ; Dansgaard, 1964). Lors de leur chute, les gouttelettes de pluie connaissent une forte interaction avec l’humidité ambiante qui résulte en un équilibre isotopique avec l’humidité de l’air de surface. Ainsi, l’enrichissement (i.e. le fractionnement) en18O des eaux météoriques est généralement en équilibre avec les températures de surface. Seules la neige et la glace, ainsi que les pluies fortement convectives et brutales, ne suivent pas cet équilibre et reflètent le δ18O du nuage.

Le δ18O des eaux météoriques va donc être influencé par :

• La température de surface ; on parle d’effet d’altitude pour la diminution du δ18O avec le relief, expliquée par la diminution des températures plus on monte vers les sommets (Dansgaard, 1964). On parle aussi d’effet de latitude pour la diminution du δ18O avec la latitude, expliquée à la fois par la diminution des températures aux latitudes croissantes ainsi que par une distillation plus poussée avec la distance à l’équateur (les océans équatoriaux fournissant la majeure partie de l’humidité atmosphérique ; Mook, 2000).

• La distance à l’océan ; plus les nuages sont éloignés d’une source d’humidité potentielle permettant de se recharger, plus le nuage est appauvri par distillation, et plus les précipitations sont appau- vries. On parle alors d’effet de continentalité, qui explique de forts appauvrissements en δ18O météoriques continentaux sans modification importante de la latitude. Le recyclage de l’humi- dité du continent par ré-évaporation et évapotranspiration de l’eau continentale peut néanmoins perturber cet appauvrissement (Rozanski et al., 1993).

• Le caractère convectif ou intense des précipitations ; ce type de pluie échoue à atteindre l’équilibre avec les températures de surface. Le mécanisme déterminant leur δ18O est encore mal compris, mais plusieurs décennies d’observation ont permis de mettre en évidence une bonne corrélation entre le δ18O des eaux météoriques et la quantité précipitée ; ainsi, plus la pluie est importante, plus son δ18O sera proche de celui du nuage (Rozanski et al., 1993). On parle alors d’effet de quantité (Amount Effect ; Dansgaard, 1964).

Figure 53. Le principe de la distillation de Rayleigh appliqué à la vapeur atmosphérique : évolution du δ18O d’un nuage et de ses précipitations en fonction de la distance à sa source océanique.

Encart 7. Le δ18O des eaux météoriques : variabilité spatiale et temporelle

La contribution moderne des effets de latitude, de continentalité et de quantité varie en fonction de la zone géographique. Dans la bande tropicale (entre les ceintures anticycloniques nord et sud, vers 30◦S et 30N), l’effet de quantité domine dans les précipitations, due au caractère fortement convectif des pluies, notamment au sein de la zone de convergence intertropicale et des zones de mousson (Rozanski et al., 1993; Feng et al., 2009). On note d’ailleurs une bonne corrélation entre l’intensité de la mousson et l’appauvrissement en18O des eaux météoriques (Vuille et al., 2005). Au delà de 30◦ de latitude, les effets de latitude et de continentalité dominent (Rozanski et al., 1993; Feng et al., 2009). L’effet d’altitude joue dans les zones à relief, toutes latitudes confondues. Ainsi, en fonction de la zone géographique concernée, reconstituer le δ18O des eaux météoriques passées (et leur saisonnalité) apporte de potentielles interprétations en terme de paléo-températures (e.g. Schmitz et Andreasson, 2001; Bernard et al., 2009; Merceron et al., 2013), de sources d’humidité (e.g. Otero et al., 2011), de paléo-intensité des précipitations (e.g. Dettman et al., 2001; Sharma et al., 2004a) ou de paléo-altitude (e.g. Rowley et al., 2001; Rowley et Currie, 2006).

Le cas particulier des précipitations du Golfe du Bengale

Bien que situé dans la bande tropicale, le δ18O des précipitations du golfe du Bengale, fortement négatives, ne semble pas être corrélé à l’effet de quantité. Les travaux d’Aggarwal et al. (2004) et de Breitenbach et al. (2010) ont montré une bonne corrélation du δ18O météorique avec la source océanique des précipitations, montrant que l’humidité en provenance des zones océaniques les plus au sud présentent des δ18O les plus négatifs, impliquant un fort effet de distillation en milieu océanique. De plus, pendant la période de mousson, les fortes précipitations continentales génèrent un débit fluvial très appauvri en18O qui contribue à diminuer fortement le δ18O des eaux de surface océanique du Bengale et générant, par re-évaporation (jusqu’à 50% de l’humidité météorique au plus fort de la mousson ; Breitenbach et al., 2010), des précipitations plus négatives encore. Ainsi, malgré l’absence d’effet de quantité, le δ18O des précipitations dans le golfe du Bengale est bien correlé à l’intensité des pluies de mousson (Vuille et al., 2005).

Impact des variations du δ18O de l’océan

Toute approche quantitative à base du δ18O des eaux météoriques passées doit enfin prendre en compte les variations temporelles du δ18O moyen de l’océan, qui impactent ensuite toute la chaîne de distillation atmosphérique. Le δ18O moyen de l’océan est principalement contrôlé par le volume des calottes glaciaires, constituées par de la glace à δ18O très négatif (-40 à -50◦/

◦◦) qui, lorsqu’elle fond en grande quantité, fait diminuer le δ18O de l’océan (Miller et al., 1991, 2008). Dans un monde sans glace polaire (comme supposé pour une bonne partie de l’Eocène), le δ18O attendu de l’océan est de l’ordre de -1.2◦/

◦◦ (Miller et al., 1987). Cet appauvrissement se traduirait par une diminution équivalente dans le δ18O des précipitations mondiales et donc de la plus grande partie des eaux terrestres.

Encart 8. Interpréter le δ18O des eaux d’un réseau hydrographique

Les eaux d’un réseau hydrographique viennent de trois sources principales : le ruissellement des eaux de surface (suite aux averses), la fonte des glaciers et la décharge des nappes (elles-mêmes rechargées par le ruissellement des eaux de surface et la fonte des glaciers). Le δ18O d’un réseau hydrographique va donc être un mélange entre le δ18O de ces trois sources, aux valeurs différentes : • Le δ18O des eaux de ruissellement est exactement celui des eaux météoritiques (voir encarts 6 et

7) ;

• Le δ18O des eaux de fonte est celui de la neige et de la glace ; ces eaux présentent des valeurs de δ18O proches de celles des parties sommitales de la couche nuageuse, très appauvrie en18O (entre -25 et -50 ; voir Encart 6 ; Mook, 2000) ;

• Le δ18O des eaux issues de la décharge des nappes est un mélange des deux sources précédentes. Ces trois sources ne possèdent pas la même inertie, et vont voir leur δ18O évoluer en fonction des saisons, ainsi que leur contribution globale au débit aval :

• Le δ18O des eaux de ruissellement évolue comme celui des précipitations et varie donc d’une averse à l’autre. La contribution de ces eaux n’est importante que pendant les averses et pendant le temps consécutif nécessaire au désengorgement des sols ;

• Le δ18O des eaux de fonte est relativement constant, égal au δ18O moyen des glaciers amonts. La contribution de ces eaux est importante pendant les périodes de dégel, et peut s’étaler jusque tard dans l’été (Dettman et Lohmann, 1993) ;

• Le δ18O des eaux issues de la décharge des nappes est égal au δ18O moyen des nappes amonts ; en fonction du temps de résidence de l’eau au sein de ces nappes, ce δ18O peut être constant toute l’année (pour les aquifères très importants) ou varier en fonction de la contribution des deux sources précédentes selon les saisons (pour les aquifères plus réduits).

Le temps de résidence de l’eau au sein des aquifères explique l’étonnant lissage annuel de la variation du δ18O des eaux des rivières, même dans les secteurs ou le δ18O des eaux météoriques possède une large amplitude ; ainsi, alors que les eaux météoriques connaissent une variation de l’ordre de 20 ◦/

◦◦dans le bassin de drainage himalayen, les eaux de rivières n’ont généralement qu’une variation saisonnière de l’ordre de 2 à 6◦/

◦◦(Dettman et al., 2001; Gajurel et al., 2006). Dans ces zones, la quasi-totalité des eaux de pluie tombe pendant les périodes de mousson et présente un δ18O très négatif (voir Encarts 6 et 7) ; ces pluies forment l’immense majorité des eaux de recharge des nappes, et la contribution du δ18O des pluies post-mousson au δ18O des rivières est négligeable, même en période sèche.

L’étude de l’évolution temporelle du δ18O des eaux d’un réseau hydrographique doit tout d’abord proposer un décryptage de la contribution de ces trois sources potentielles. La présence d’eaux de fonte se manifeste généralement par des δ18O très négatifs et une amplitude annuelle très marquée (Dettman et Lohmann, 1993). Le signal des eaux de ruissellement se manifeste par des variations brutales du δ18O ; l’interprétation de la variation saisonnière doit être ensuite réalisée en gardant à l’esprit que son amplitude dépend de la contribution variable des aquifères, et qu’une saisonnalité très marquée du δ18O météorique ne se manifeste pas forcément dans les eaux fluviales. Enfin, l’eau des lacs et des autres étendues terrestres de petite et moyenne envergure est soumise à des phénomènes d’évaporation intense qui peuvent conduire à un enrichissement significatif en18O et perturber le signal des sources (Mook, 2000; Dettman et al., 2001; Otero et al., 2011).

Du fait de la richesse en horizons carbonatés dans la formation de Pondaung, une telle approche a été sérieusement envisagée dans les premiers temps de cette thèse. Après plusieurs essais préliminaires et quelques réflexions, cette approche a finalement été rejetée. En effet, l’utilisation du δ13C comme indicateur de la PCO2 nécessitent une analyse du δ13C de la matière organique du sol, utilisée commu- nément comme analogue du δ13C de la flore ambiante (Cerling, 1992; Retallack, 2009). Ces analyses sont difficilement réalisables pour les paléosols de Pondaung, compte tenu de leur très faible teneur en matière organique (voir chapitre 9). En utilisant une PCO2éocène estimée par d’autres études (i.e. Pagani et al., 2011), l’utilisation du δ13C comme indicateur de la flore dominante a peu d’intérêt pour l’Eocène, car la distinction isotopique entre végétations C3 et C4, aux affinités climatiques différentes (et dont la photosynthèse, différente, résulte en des valeurs δ13C caractéristiques), n’est effective qu’à partir de l’Oligo-Miocène et ne devrait donc pas être détectable (Quade et al., 1989; Ehleringer et Cerling, 2002; Tipple et Pagani, 2007; Edwards et al., 2010) ; une analyse du δ13C des nodules n’aurait qu’un faible inté- rêt en terme d’estimateur (peu précis) des précipitations (le δ13C de la flore C3, seule présente à l’Eocène, étant grossièrement corrélé à l’humidité ambiante ; Kohn, 2010). Toute étude isotopique des nodules de Pondaung aurait donc pour principal objet l’interprétation du δ18O en terme de paléo-température et de δ18O météorique (Cerling, 1984; Quade et Cerling, 1995; Aronson et al., 2008). Or, il s’avère que d’autres éléments minéraux à groupement carbonaté, comme les coquilles de gastéropodes ou les dents fossiles de mammifères terrestres, enregistrent aussi le signal isotopique météorique (Fritz et Poplawski, 1974; Kohn et al., 1996; Dettman et al., 2001; Levin et al., 2006; Martin et al., 2008). Ces indicateurs biotiques alternatifs ont l’avantage de délivrer un enregistrement de précision (à l’échelle de la vie d’un individu, plutôt qu’à l’échelle de la durée de pédogénèse), et possèdent une minéralogie spécifique, dont l’étude permet de tester une potentielle altération diagénétique du signal (Schmitz et Andreasson, 2001; Zazzo et al., 2004; Jacques et al., 2008). Compte tenu de la richesse en fossile dans la formation de Pondaung, je me suis naturellement tourné vers ces deux approches.