L’analyse et l’identification des biomarqueurs moléculaires organiques présents dans le sédiment est un moyen pratique et détourné de renseigner la flore environnante du dépôt (Pancost et Boot, 2004). Parmi ces biomarqueurs, les différentes variétés de n-alcanes permettent une première identification de la nature dominante bactérienne/alguaire ou florale vasculaire de la matière organique (Otto et al., 1994) ; l’étude des terpenoïdes permet de préciser la nature de la flore vasculaire, certaines molécules étant spécifiques de plusieurs grands groupes (diterpenoïdes : conifères ; oleanoïdes et lupanoïdes : angiospermes ; taraxe- roïdes : angiospermes de mangrove ; Pancost et Boot, 2004; Hautevelle et al., 2006). Autres molécules d’intérêt, les bicadinanes résultent de la diagénèse des polycadinenes (sesquiterpenoïdes), caractéristiques des angiospermes résineux, et sont considérées comme des indicateurs de la présence passée de diptero- carpacées (voir chapitre 8 ; Pearson et Alam, 1993; Van Aarssen et al., 1994; Dutta et al., 2011). Après extraction de la matière organique du sédiment par solvation puis son fractionnement en différentes phases (aliphatique, aromatique et polaire), l’identification des biomarqueurs est possible par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GCMS ; Hautevelle, 2005). Parmi les molécules organiques complexes, l’identification de certains monomères de lignine (composés des groupes vanillyle, syringyle et cinnamyle) fournit une précision supplémentaire et permet de déterminer la relative propor- tion de monocotylédones et de dicotylédones parmi les angiospermes (Hedges et Mann, 1979; Orem et al., 1997). Les monomères de lignine sont malheureusement peu solubles dans les solvants organiques usuels et ne peuvent être extraits par une simple solvation ; leur teneur est communément déterminée par pyrolyse flash couplée à la GCMS (py-GCMS), en présence d’un agent d’estérification, le tétraméthylammonium hydroxylé (TMAH ; on parle alors de THM-GCMS ; Clifford et al., 1995; Hatcher et al., 1995; Ishiwatari et al., 2006).
2.1
Protocole d’étude
Afin d’étudier les biomarqueurs dans différents environnements de la formation de Pondaung, cinq échantillons de sédiment ont été sélectionnés : deux échantillons issus un horizon de paléosol sur le site de Yarshe, deux échantillons issus de petites lentilles lacustres (faciès Fcf, à gastéropodes et résidus organiques) sur le site de Thandaung Kyitchaung, et un échantillon supplémentaire sur une lentille lacustre similaire (à empreintes de feuilles et microfossiles) sur le site de Thamingyauk.
Les extractions de matière organique ainsi que les analyses par GCMS et THM-GCMS ont toutes été réalisées au laboratoire de géochimie organique de l’UMR 7359 GéoRessources (université de Nancy), avec l’aide de Yann Hautevelle, suivant les protocoles standards du laboratoire (pour le protocole détaillé, voir Bertrand, 2012). Brièvement, la matière organique a été extraite par solvation au dichlorométhane dans un extracteur Dionex sur environ 100 g d’échantillon porphyrisé, puis séchée par évaporation basse tem- pérature (évaporateur Turbovap). La récupération des molécules organiques a été réalisée par élution sur colonne remplie d’alumine activée à l’aide de différents solvants (dichlorométhane puis mélange dichloro-
Ech. Site Teneur en M.O.
solvable Biomarqueurs remarquables
1 Thandaung Kyitchaung
(lentille lacustre) 81.3 ppm
Contaminants, amyrines et amorphanes (mar- queurs d’angiosperme)
2 Thaminchauk (lentille la-
custre) 19.3 ppm Contaminants
3 Yarshe (paléosol) 18.3 ppm contaminants, Amyrines
4 Thandaung Kyitchaung
(lentille lacustre) 65.8 ppm Contaminants, amyrines, des-A-lupanes
5 Yarshe (paléosol) 15.1 ppm Contaminants
Table 12. Résultats de l’identification de biomarqueurs par GCMS sur cinq échantillons de la formation de Pondaung.
méthane/méthanol). Le fractionnement des molécules oragniques en fractions aliphatique et aromatique a été ensuite réalisé sur colonne remplie de silice activée, toujours par élution (solvants : pentane, mé- lange dichlorométhane/pentane puis mélange dichlorométhane/méthanol). Tout au cours du processus, le poids des différentes fractions a été mesuré afin d’étudier la répartition de la matière organique ex- traite au sein des différentes fractions. L’analyse moléculaire a ensuite été réalisée sur un chromatographe Hewlett Packard 6890 Series, couplé à un spectromètre de masse Hewlett Packard 5972. La pyrolyse par THM-GCMS a été réalisé sur le résidu d’extraction par solvation sur un pyrolyseur CDS Pyroprobe 2000, couplé au chromatographe et au spectromètre précédents. L’identification des molécules organiques sur chromatogramme a ensuite été menée sur le logiciel StandAlone.
2.2
Résultats
Les échantillons sont caractérisés par une très faible teneur en matière organique solvable (quelques dizaines de ppm, alors que quelques centaines ou milliers sont généralement plus communs dans les dépôts modernes ; voir table 12). Les explications potentielles sont nombreuses et indiscernables (oxidation syn- ou post-dépôt, lessivages postérieurs, minéralisation de la matière organique ou même alteration pédogénique pour le cas des échantillons issus de paléosols). Cette faible teneur en matière organique conduit à la sur-expression des contaminants plastiques issus des sacs de stockage des échantillons sur les chromatogrammes (acides gras et "Branched Alkanes with Quaternary Carbons"). Cette sur-expression bruite les chromatogrammes et empêche une identification poussée des molécules organiques. Les résultats de la THM-GCMS sont totalement inexploitables, car le signal de la plus grande majorité des monomères de lignine d’intérêt n’est pas reconnaissable. Seules quelques molécules types peuvent être observées sur les chromatogrammes issus de la procédure GCMS sans pyrolyse ; toute interprétation reste sujette à caution.
une imparité marquée, typique des cires cuticulaires de plantes terrestres, et de longues chaînes sont observées (jusqu’à n=32 ; voir figure 49). Ces observations suggèrent la dominance d’extraits de plantes vasculaires, et une faible dégradation diagénétique thermique de la matière organique (Otto et al., 1994). Parmi les biomarqueurs remarquables, on note la présence d’amyrines et de des-A-lupanes caractéris- tiques d’angiospermes (table 12 ; Hautevelle, 2005). De manière plus étonnante, on note l’absence totale de marqueurs de type bicadinane ainsi que de toute molécule de type polycadinene, alors que ceux-ci sont écrasants dans les hydrocarbures éocènes de Birmanie et sont attendus comme étant majoritaires (et prédominants sur les amyrines) en présence de diptérocarpacées (Pearson et Alam, 1993; Curiale et al., 1994). Cette absence est difficilement attribuable à des phénomènes diagénétiques, vue la relative stabilité des bicadinanes (Van Aarssen et al., 1994). L’absence totale de bicadinanes et de polycadinenes, malgré la présence d’amyrines et de des-A-lupanes, suggère une faible représentativité des dipterocar- pacées dans l’environnement immédiat des échantillons. Ces observations contrastent avec l’analyse des hydrocarbures éocènes piégées dans les niveaux réservoirs de la formation de Pondaung, qui ont délivré de très fortes teneurs en bicadinane, ainsi qu’avec l’analyse d’échantillons de la formation de Yaw, riches en polycadinenes (Curiale et al., 1994).
Ces observations corroborent l’hypothèse formulée dans le chapitre 8, suggérant que l’assemblage floristique caractéristique des forêts de sal ne soit que le reflet de flores plus en amont dans le bassin de drainage. Ainsi, les biomarqueurs et les restes organiques aisément transportables sont drainés des forêts de dipterocarpacées de l’amont vers la côte et se concentrent dans les dépôts marins, formant les roches sources éocènes riches en bicadinanes identifiées par Curiale et al. (1994). Dans la plaine deltaïque, où la flore n’est pas dominée par les dipterocarpacées, les quelques biomarqueurs en provenance de l’amont et apportés par les alluvions sont "noyés" sous l’apport en molécules organiques de la flore locale ; seuls quelques troncs fossiles, trop lourds pour être emportés au large, témoignent des forêts de l’amont.