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Au cours de l’hiver 2011-2012, j’ai pu visiter quelques affleurements autour de la ville de Gangaw, au pied de la chaîne Indo-Birmane, à 80 km au sud de Kalewa dans la vallée de la Myittha. Dans la zone, la formation de Maw est réputée pour avoir délivré plusieurs fossiles néogènes d’intérêt, attribué au Miocène moyen tardif, contemporain de la formation d’Obogon (groupe de Pegu tardif, vers 13-11 Ma, voir figure 5 ; Cotter, 1938; Bender, 1983). Les quelques fossiles découverts pendant mon séjour sont en accord avec cet âge, et présentent une composante additionnelle légèrement plus récente, suggérant une corrélation avec les niveaux inférieurs de la formation de l’Irrawaddy (vers 10-8 Ma ; Olivier Chavasseau, pers. com. ; Bender, 1983).

La formation de Maw est une molasse graveleuse qui recouvre le fond de la vallée de la Myittha, dont le substratum sédimentaire est attribué à l’Eocène (Bender, 1983). Sur le site du Monastère (N22◦1001.4′′

E094◦0555.3′′), ce substratum affleure sporadiquement et est principalement constitué de sets sableux épais à fines stratifications planes et à Thalassinoides, suggérant un milieu marin de profondeur moyenne à faible. Au contact avec la formation de Maw, un épais profil pédologique aux couleurs bariolées se distingue, indiquant une longue période d’émersion calme sans apport significatif avant l’arrivée de la molasse néogène (figure 24a). Les processus de pédogénèse enregistrés dans ce paléosol apportent un renseignement indirect sur la longue période oligo-miocène entre l’émersion de la vallée de la Myittha et l’arrivée de la molasse néogène.

Figure 24. Paléosol près du site du Monastère, recouvert par la molasse de Maw. a : Vue du profil sur le site du Monastère ; notez la présence de concrétions massives en haut de profil. b : Profil synthétique de la figure a. c : Concrétions ferrugineuses issus de l’horizon à cuirasse Bv. d : Taches ocres aux bordures indistinctes sur matrice blanchie (horizon Bg). e : Altérite ocre à taches blanchies (horizon C).

1.1

description des horizons

Le profil du paléosol de Gangaw mesure une dizaine de mètres et comprend une succession de cinq horizons distincts (figure 24b) :

Il est constitué de sable fin et de silt homogénéisé, sans structure, et présente une couleur gris-verte (10Y6/2 selon la charte de Munsell, 2010).

• Sous l’horizon E, un horizon pétroplinthique induré Bv présente d’épaisses concrétions noires for- mant une cuirasse discontinue d’une quarantaine de centimètres d’épaisseur (figure 24c).

• La cuirasse surmonte un horizon tacheté B de 2 m d’épaisseur, à texture majoritairement grossière, avec une faible teneur en argile interstitiel (figure 24d). L’horizon possède une structure faiblement marquée, à polyèdres émoussés, et une couleur gris-verte dominante. De nombreuses taches ocres (10R5/8) aux bords indistincts et aux formes irrégulières colorent l’horizon.

• La base de l’horizon tacheté B est significativement dénuée de taches et forme un horizon blanchi Bg de 1 à 2 m d’épaisseur. La teneur apparente en argile semble augmenter dans toute la partie inférieure du profil.

• Le profil se colore et laisse place à une altérite C ocre à taches blanchies, où de rares figures sédimentaires peuvent être observées (figure 24e).

1.2

interprétation

L’épaisseur du profil, la présence d’une cuirasse pétroplinthique et la couleur ocre sont caractéristiques des sols ferrallitiques (ou latéritiques) à cuirasse (Duchaufour, 2001). Les sols latéritiques se forment communément sous conditions perhumides équatoriales (Retallack, 2001). Au sein de ces sols, le dévelop- pement d’une cuirasse est un phénomène secondaire qui se réalise selon deux types de processus :

• par dégradation et remobilisation des sesquioxides et des kaolins des horizons sommitaux et leur accumulation dans les horizons pédologiques basaux (on parle alors d’enrichissement relatif ; Séga- len, 1994). Ce type de sol est courant sur les plateaux sahéliens où d’anciens sols ferrallitiques sont dégradés par des conditions climatiques plus saisonnières que lors de leur formation initiale. Ce type de phénomène ne semble pas avoir eu lieu à Gangaw, car les cuirasses issues d’enrichissement relatif se forment toujours au contact de l’altérite (Ségalen, 1994; Duchaufour, 2001).

• Par enrichissement absolu, en zone mal drainée (généralement en zone aplanie, en pied de relief ; Fritsch et al., 1998). Les variations du niveau des nappes et l’écoulement issu des reliefs entrainent un apport et une accumulation de sesquioxides par drainage latéral. Ce type de phénomène se développe sur d’anciens sols ferrallitiques suite à une modification de la topographie ou une modi- fication significative du niveau des nappes (Lucas et al., 1987). La cuirasse surmonte généralement un épais horizon tacheté (mottled zone) puis blanchi (pallid zone ; Ségalen, 1994), ce qui est le cas du paléosol de Gangaw.

Le paléosol de Gangaw est donc interprété comme un sol polygénétique, marqué par une gleyisation tardive d’un substrat antérieurement ferrallitique. L’enrichissement vertical en argile interstitiel (non confirmé jusqu’à présent par analyse granulométrique) suggère la présence de lessivage (Retallack, 2001) ; ce phénomène est peu courant dans les sols ferrallitiques, et est généralement associé aux podzols hydro- morphes tropicaux (Lucas et al., 1996). Les podzols hydromorphes tropicaux sont communs aux zones de

gradient topographique à forte dynamique latérale et forment une toposéquence avec les sols latéritiques hydromorphes (Lucas et al., 1987; Fritsch et al., 1998). En ce sens, ce probable lessivage est cohérent avec la nature polygénétique du profil, et suggère que l’apparition de caractéristiques hydromorphes dans le paléosol de Gangaw est plutôt contrôlée par une évolution topographique que par une modification du régime hydrique de la zone.

1.3

Implications pour la surrection de la chaîne Indo-Birmane

Le paléosol de Gangaw témoigne de trois événements successifs :

• une pédogenèse de longue durée suite à la première émersion de la zone, sous des conditions chaudes et perhumides stables, ayant entraîné une latérisation du profil ;

• une modification significative et irréversible des conditions de drainage, ayant favorisé la mise en place d’une forte dynamique pédogénique latérale et le développement d’une cuirasse et de probables caractéristiques podzoliques ; cette modification est interprétée comme résultant d’une lente augmentation du relief dans les zones adjacentes à la vallée de la Myittha ;

• le démantèlement des zones de relief adjacentes avec l’arrivée de la molasse néogène de Maw. L’épisode de développement latéritique témoigne donc d’une longue période de quiescence sous condi- tions équatoriales suite à la première surrection oligocène de la chaîne Indo-Birmane. Il confirme l’aspect diachronique de la surrection de la chaîne. Le développement de conditions hydromorphes et podzoliques enregistre le début du deuxième épisode de surrection. Les quelques marqueurs biostratigraphiques de la formation de Maw datent le début du démantèlement de la chaîne à la transition Miocène moyen - Miocène supérieur (vers 11-9 Ma). Le début de l’épisode de surrection est donc daté à des temps bien an- térieurs, probablement au Miocène moyen ou inférieur. Le développement d’une épaisse cuirasse indique en effet que les phénomènes de gleyisation/podzolisation se sont étalés sur un un nombre significatif de millions d’années avant d’être interrompus par l’arrivée de la molasse.

Ces observations contrastent avec le scénario proposé par Maurin et Rangin (2009b) d’une deuxième surrection Indo-Birmane commençant vers 10-8 Ma, contemporaine de l’inversion majeure observée en Birmanie centrale. Elles sont néanmoins cohérentes avec les données de Pivnik et al. (1998) qui montrent que la formation d’Obogon, datée au Miocène moyen, s’est déposée dans un contexte compressif, préfi- gurant l’événement à 10-8 Ma. Je propose donc un nouveau schéma de l’évolution de la chaîne :

On peut noter que la pédogénèse ferrallitique a toujours lieu sous climat chaud perhumide à fortes précipitations. Il est donc peu probable que, pendant l’Oligocène, la chaîne Indo-Birmane aie formée une barrière orographique suffisamment haute pour bloquer les précipitations issues du golfe de Bengale (comme c’est le cas aujourd’hui ; voir encart 5). Ces observations suggèrent donc une faible altitude de la Chaîne Indo-Birmane après le premier épisode de surrection. La datation du deuxième épisode de surrection au début du Miocène corrobore une contribution précoce de sédiments issus de la chaîne Indo- Birmane aux séries du bassin du Bengale, identifiée dès le Miocène moyen (Uddin et Lundberg, 1998, 1999; Gani et Alam, 2003).

Oligocène inférieur (≈ 34-28 Ma)

Première surrection de la chaîne (indicateur : formation de Shwezetaw en Birmanie centrale ; cf. chapitre 5)

Oligocène - début du Miocène

(≈ 30-20 Ma)

Période de stabilité de la chaîne sous condition tropicale humide (indi- cateur : latérisation du paléosol de Gangaw)

Miocène inférieur ou moyen

(≈ 20-11 Ma ?)

Début du deuxième épisode de surrection de la chaîne Indo-Birmane, avec une très lente modification du gradient topographique (indicateurs : gleyisation et podzolisation du paléosol de Gangaw ; lignes sismiques de Pivnik et al., 1998)

Miocène supérieur (≈ 11-8 Ma)

Augmentation de la surrection de la chaîne Indo-Birmane (indicateurs : lignes sismiques de Maurin et Rangin, 2009b ; discordance majeure en Birmanie centrale ; arrivée de la molasse sur le paléosol de Gangaw) Pléistocène

(≈ 2-0 Ma)

Accélération significative de la surrection (indicateurs : lignes sismiques de Maurin et Rangin, 2009b)

La contribution sédimentaire de la chaîne Indo-Birmane semble toujours avoir été plus importante dans le bassin Bengale qu’en Birmanie centrale (Uddin et Lundberg, 1998; Colin et al., 2006). Cette différence de dénudation entre les deux flancs de la chaîne Indo-Birmane est vraisemblablement expliquée par la concentration des précipitations de mousson sur le flanc ouest de la chaîne (voir encart 5). Cette dichotomie de la dénudation se manifeste aujourd’hui dans l’aspect des cours d’eau de chaque versant de la chaîne : cours perpendiculaires à l’axe de la chaîne du côté occidental (suggérant une forte incision), cours parallèles à l’axe de la chaîne côté birman (supposant une dénudation bien plus faible ; Koons, 1995).

Il est intéressant de noter que la surrection du plateau Est-Tibétain et le deuxième épisode de sur- rection de la chaîne Indo-Birmane suivent une chronologie similaire, avec une première étape de lente élévation puis une surrection importante vers 11-5 Ma (Clark et al., 2005; Royden et al., 2008; Ouimet et al., 2010). Seul le dernier épisode (au Pléistocène) de surrection semble restreint à la chaîne Indo- Birmane. Ce télescopage suggère un contrôle tectonique régional de ces épisodes, d’origine inconnue. Elle corrobore ainsi les récents travaux de Rangin et al. (2013) qui suggèrent que la composante compressive de la déformation transpressive de la chaîne Indo-Birmane ne soit que l’expression du flux de matière crustale issu du Tibet central et pénétrant en Birmanie centrale par le Yunnan et le plateau Est-Tibétain. Préciser la chronologie de la surrection Indo-Birmane permettrait d’infirmer ou de confirmer cette hypothèse ; ce travail est néanmoins hors du cadre de cette thèse.