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4.1

Régime hydrique et sources

Le δ18O des eaux du système hydrographique, reconstruit par les deux approches précédentes, présente des valeurs fortement négatives avec une variation saisonnière significative (de ≈ -11 à -6◦/

◦◦). Ces valeurs sont néanmoins trop élevées (et l’amplitude trop faible) pour invoquer un captage de fontes dans le réseau de drainage (voir encart 8), ce qui est vraisemblable au regard de la faible élévation probable de la chaîne Sino-Birmane éocène (estimée comme inférieure à l’élévation actuelle, ie. < 2000 m). Du fait du réseau hydrographique restreint, démontré dans la partie II, le δ18O du réseau hydrographique va être le reflet direct (sans doute lissé) du δ18O météorique de la plaine de Pondaung/Yaw et des montagnes de la chaîne Sino-Birmane en amont du bassin de drainage.

Figure 62. Sources océaniques (flèches bleues) potentielles à l’origine des précipitations éocènes en Bir- manie. Carte d’après figure 9.

Actuellement, l’océan Indien est la principale source d’humidité pour les précipitations dans le golfe du Bengale (Araguas-Araguas et al., 1998; Breitenbach et al., 2010). A l’Eocène, trois sources océaniques peuvent être invoquées : l’océan Indien et les parties équatoriales du Pacifique au sud, l’océan Pacifique Nord à l’est et la mer du Tarim au nord-ouest (voir figure 62). On peut noter que la présence de hauts reliefs tibétains dès l’Eocène (Rowley et Currie, 2006; Dupont-Nivet et al., 2008; Wang et al., 2008, 2010),

et l’assèchement définitif du bassin du Tarim terminant vers 37 Ma (Bosboom et al., 2011) rendent peu probable une contribution de la mer du Tarim à l’humidité du Bengale. Au regard des zones climatiques définies au chapitre 2 (section 4.3), il semble aussi peu probable que le Bengale et la Chine aient partagée la même source d’humidité durant toute l’année, compte tenu des régimes hydriques significativement différents (humide perannuel en Chine du Sud, très saisonnier au Bengale). De nos jours, la présence de la chaîne Sino-Birmane, même peu élevée, bloque toutes les précipitations issues du Pacifique Nord ; toutes les modélisations de climat asiatique passé et tests de sensibilité climatique ont montré la persistance de sources équatoriales pour les précipitations dans le golfe du Bengale, même en hypothèse topographique faible et en paléogéographie différente (Prell et Kutzbach, 1992; Ramstein et al., 1997; Fluteau et al., 1999; Zhang et al., 2007a; Huber et Goldner, 2012). On peut donc vraisemblablement supposer que l’océan Indien et/ou le Pacifique équatorial constituent les principales sources d’humidité pour les précipitations de l’Eocène de Birmanie.

Prenant en compte une source d’humidité océanique située plus au sud, on peut vraisemblablement éliminer tout effet de latitude et de continentalité dans la composition isotopique des précipitations (voir encarts 6 et 7). Compte-tenu de la faible élévation de la chaîne Sino-Birmane éocène, l’effet d’altitude ne peut être tenu que d’un impact de -1 à -3 ◦/

◦◦ sur le δ18O des précipitations (Mook, 2000; Rowley et al., 2001), et ne peut être pris considéré comme étant le seul responsable de la forte négativité du δ18O météorique. Les valeurs fortement négatives sont donc vraisemblablement expliquées par de fortes précipitations de mousson, comme observées aujourd’hui (voir encart 7).

4.2

Caractéristiques de la mousson éocène

Le δ18O météorique très négatif est donc interprété comme résultant de pluies de mousson intenses et indique, par ses valeurs, un vraisemblable caractère convectif, comme observé dans l’actuel avant-pays himalayen (voir encart 6). La présence de nombreuses marques d’aridité saisonnière dans la formation de Pondaung ainsi que la présence de valeurs bien moins négatives de δ18O indique une diminution saisonnière drastique des précipitations, suggérant la disparition des nuages convectifs. En ce sens, le régime climatique lors des dépôts de Pondaung est extrêmement similaire à la mousson indienne moderne, présentant un dédoublement saisonnier de la zone de convergence intertropicale et la mise en place, seulement pendant l’été, de nuages convectifs en pied de relief (Prell et Kutzbach, 1992; Xie et al., 2006; Boos et Kuang, 2010).

Les figures 57 et 61 illustrent le caractère particulièrement négatif des valeurs de l’Eocène comparées à l’actuel et aux quelques valeurs fossiles cénozoiques de l’avant-pays himalayen. Comme remarquée précédemment, une variation de -1.2◦/

◦◦ due à la modification du δ18O marin moyen ne peut expliquer qu’une faible part de l’écart observé. Un potentiel effet d’altitude sur les mesures éocènes peut aussi être écarté car l’effet d’altitude est sensé être bien plus important dans le piémont himalayen (d’où viennent les données de comparaison) au regard de la forte élévation himalayenne et tibétaine. Trois phénomènes potentiels peuvent expliquer les valeurs éocènes :

• Une mousson d’été plus longue (et donc une mousson d’hiver moins importante), contribuant quasi-exclusivement seule au remplissage des aquifères ; cette hypothèse est néanmoins en relative contradiction avec les nombreuses preuves de saisonnalité importante et d’aridité marquée dans la formation de Pondaung ;

• Une mousson d’été plus intense, avec beaucoup de précipitations (voir encart 7). Cette forte inten- sité est cohérente avec les grandes variations de δ13C observées dans certaines coquilles ;

• une (ou des) sources océaniques situées à plus longue distance au sud, impliquant une distillation plus grande avant la chute des précipitations (Breitenbach et al., 2010).

On peut noter que les valeurs de l’Eocène sont similaires à celles identifiées à 9-7 Ma (Miocène supérieur), période considérée comme un tournant dans l’histoire climatique asiatique, avec un grand nombre de marqueurs indiquant une forte intensité de la mousson (Quade et Cerling, 1995; Derry et France-Lanord, 1996; An et al., 2001; Gupta et al., 2004; Zheng et al., 2004). A ce regard, la forte similarité entre la flore de Pondaung et les séries miocènes supérieures du groupe de Tipam en Assam, présentée aux chapitres 8 et 9 (Prakash et Awashti, 1969a,b) prend un sens nouveau, et suggère un régime hydrique similaire pour les deux périodes.

L’avant-pays himalayen népalais semble donc un équivalent climatique moderne vraisemblable pour la formation de Pondaung, comme l’a déjà souligné l’étude paléobotanique. L’intensité de la mousson d’été de Pondaung est sans doute plutôt similaire aux conditions climatiques miocènes de la même zone. On peut noter que la barrière orographique himalayenne joue un grand rôle dans l’intensité des précipitations dans l’avant-pays himalayen (Boos et Kuang, 2010), mais que cet effet ne peut être évoqué pour expliquer les fortes précipitations de l’Eocène birman au regard de la faible élévation de la chaîne Sino-Birmane, et de la plus faible élévation de l’ensemble tibétain à l’éocène (certes débattue ; Harris, 2006). Les mécanismes de cette mousson précoce sont discutés dans le chapitre suivant.

4.3

Evolution de la mousson indienne au cours du Doubthouse

Si les nombreuses marques de saisonnalité de la formation de Pondaung corroborent une disparition saisonnière des nuages convectifs (et donc une mousson d’hiver significative), l’apparition de dépôts de lignite massifs dans la formation de Yaw indique la mise de place de conditions humides perannuelles, suggérant un plus grande durée de la saison des pluies (et une plus grande persistance annuelle des nuages convectifs). A ce regard, les variations de δ18O des coquilles entre les formations de Pondaung et Yaw prennent un sens paléoclimatique pertinent et sont cohérentes avec l’apparition de lignite dans la formation de Yaw : en effet, la diminution de l’amplitude de variation du δ18O des coquilles de Yaw et la disparition de valeurs >-9 ◦/

◦◦ confirme une saisonnalité moins marquée et une mousson d’été plus longue, contribuant pour l’essentiel au remplissage des aquifères.

L’évolution climatique au cours du Doubthouse semble être donc marquée par une diminution de la mousson d’hiver en Inde et la mise en place de nuages convectifs plus persistants au dessus de la marge birmane. La côte birmane passe donc d’un climat de mousson à fortes précipitations à l’Eocène moyen,

vers un climat plus équatorial à saisonnalité plus faible à l’Eocène tardif. Ces résultats sont en accord avec un déplacement de la position moyenne de la zone de convergence intertropicale au niveau du piémont himalayen, en réponse à la glaciation progressive de l’Antarctique (Armstrong et Allen, 2011; Allen et Armstrong, 2012). On peut donc parler de diminution de la mousson indienne à la fin du Doubthouse.

Chapitre

12

Mécanismes de la mousson éocène : aspects