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Notre travail a porté sur l’étude de la perception des technologies en santé. Les perceptions ont pour rôle de fournir une grille de lecture de la réalité, d’une situation vécue ou de l’anticipation d’une situation nouvelle (Jimenez, 2015). Elles ne reposent donc pas sur une évaluation rationnelle mais bien

sur la subjectivité. A la différence de la notion de représentation sociale qui peut se définir comme une

connaissance socialement construite et partagée à partir de nos expériences, nos savoirs et notre éducation, la perception est un construit plus spécifique et individuel de l’objet à étudier (Mannoni, 2016 ; Rouquette & Rateau, 1998). Ainsi, la perception a une fonction adaptative en créant et en découpant en catégories l’évènement en question, pour le simplifier. Nous pouvons ainsi modéliser la perception des technologies pour en extraire les principales caractéristiques qui la composent.

En psychologie de la santé, les études menées sur la perception de la santé (Modèle des croyances relatives à la santé, Rosenstock, 1974) et sur la perception de la maladie (Modèle des

représentations de la maladie, Leventhal, 1992) ont permis d’étudier le lien entre les croyances et

l’intention de mettre en œuvre des comportements de santé. A notre connaissance, il n’existe pas de modèle spécifique portant sur la perception des technologies en santé. L’apport d’un tel modèle permettrait de comprendre pourquoi les patients refusent ou mésusent certains technologies et surtout d’agir sur les déterminants impliqués pour favoriser le bon usage.

6.1. LE CONTEXTE DE LA MALADIE

Le médecin s’appuie sur l’expérience et le vécu du patient qu’il va confronter à son propre système de savoirs et de croyances pour identifier la maladie suspectée. En retour, le patient élabore des croyances à partir des informations médicales, des médias, et de sa propre interprétation du problème qui l’assaille (Leventhal et al., 1997). Ces croyances sont perceptibles dans le discours des patients, au travers des consultations médicales (Étude 3). Le cadre de la consultation constitue en effet le lieu privilégié pour l’élaboration, la caractérisation et la modification des croyances détenues par le patient. Ces croyances renseignent le clinicien sur la façon dont le patient se représente et vit la maladie, les traitements et les technologies. Elles peuvent ainsi être une indication de prise en charge psychothérapeutique lorsque ces croyances sont erronées ou sources de souffrance envahissante.

Notre travail nous a donné l’opportunité de confronter l’incidence de deux contextes cliniques bien différents, d’une part le contexte de la neuro-oncologie et d’autre part, le contexte des maladies cardiovasculaires. Dans ces deux contextes, les technologies apportent des renseignements qui ne

185 pourraient être recueillis par un simple examen clinique, ni même l’écoute des ressentis corporels du patient (Charavel et al., 2007). Ces dernières constituent des outils qui instrumentalisent le corps et rendent objectifs les symptômes. Nous avons pu constater que le vécu du patient diffère fondamentalement selon que la maladie soit symptomatique ou asymptomatique.

Dans le contexte de la maladie symptomatique, comme nous l’avons décrit pour les tumeurs

cérébrales (Études 1 et 3), les symptômes sont susceptibles de faire déborder les capacités cognitives et affectives du sujet. Les symptômes sont tels que le sujet éprouve des difficultés dans l’élaboration des perceptions entravant l’adaptation et l’ajustement à la maladie. En effet, les patients rapportent un état de sidération, une inertie des croyances qui peinent à être élaborées et une altération de l’état de conscience. Ainsi, les symptômes fragilisent le sujet et le rendent vulnérable à la survenue de troubles de l’humeur, de troubles anxieux et dans les cas plus graves, à des états confusionnels et des troubles du comportement qu’il est nécessaire de prévenir. Dans ce contexte, la technologie vient se confronter à l’auto-évaluation des symptômes dont peut être assailli le patient. Ce dernier peut ainsi confronter ses ressentis à l’observation de signes cliniques objectivés à l’aide d’outils technologiques. Ainsi par exemple, le patient peut éprouver des symptômes et avoir l’impression que sa maladie s’aggrave alors que la technologie vient dire le contraire.

Dans le contexte de la maladie asymptomatique, non visible et non perceptible, comme nous

l’avons vu dans la plupart des maladies cardio-vasculaires (Étude 2), l’absence de symptôme somatique perçus, ou leur présence partielle, tend à abaisser la perception de gravité de la maladie. Certains patients vont alors posséder des croyances erronées sur leur maladie, minimiser et négliger leurs problèmes de santé et maintenir des comportements non adaptatifs conduisant à la multiplication des consultations et des hospitalisations d’urgence, l’irrégularité aux rendez-vous médicaux, la non observance, les rythmes de vie inadaptés, les comportements à risques, etc. (Leventhal, Phillips et

Burns, 2016). Dans ce contexte, le patient n’a pas d’autres choix que de se fier à la technologie pour

connaitre l’évolution de sa maladie. Les principaux problèmes qui peuvent alors survenir sont le refus d’usage d’une technologie ou son mésusage par le patient.

Ces deux contextes cliniques, pourtant bien différents, nous ont permis d’identifier les mêmes déterminants de l’acceptabilité des technologies. Ce résultat suggère que la perception des technologies est indépendante du contexte clinique de la maladie. Notre seconde étude a montré que l’information sur la maladie et les traitements, ainsi que le type de maladie et de traitement, ne permettaient pas de prédire l’usage des technologies. Toutefois, la perception de la gravité (croyance sur les conséquences de la maladie), l’état de santé général et l’ancienneté de la maladie permettent de mieux comprendre et de moduler l’intention d’usage du patient (variables externes).

Ainsi, quel que soit le contexte clinique, il est possible d’évaluer la perception des technologies en écoutant le discours des patients. La mise en place d’études qualitatives apporte une tentative de

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6.2. IDENTIFICATION DES DETERMINANTS COMPOSANT LA

PERCEPTION DES TECHNOLOGIES A LAIDE DES METHODES

QUALITATIVES

Les croyances sont perceptibles dans le discours des patients et des professionnels de santé. Pour les appréhender, il est nécessaire de réaliser des études exploratoires qualitatives. Les méthodes reposant sur l’observation et l’entretien clinique de groupe à visée de recherche, réalisées dans nos études, nous ont permis d’étudier la perception des technologies, tant auprès des patients que des soignants et des technologues. En effet, face à l’abondance de déterminants retrouvés dans la littérature pour prédire l’usage des technologies (King & He, 2006 ; Legris et al., 2003 ; Yousafzai et al., 2007a), et la pluralité des modèles intentionnels, nous avons opéré un choix méthodologique pour nous permettre d’identifier les déterminants majeurs à considérer.

Les méthodes qualitatives nous donnent la possibilité de répondre à cet objectif. Ces méthodes nous aident ainsi à comprendre les différentes croyances relatives aux technologies. En revanche, la méthodologie par questionnaire ne permet pas, à proprement parler, de recueillir les croyances mais plutôt de les quantifier. Ainsi, l’étude quantitative par questionnaire, réalisée dans notre seconde étude, nous a permis de modéliser les croyances pour évaluer leurs valeurs prédictives sur l’intention d’usage. Nous rejoignons le point de vue de Santiago-Delfosse et Chamberlain (2008) en considérant que ces deux méthodes se complémentent. C’est ce que nous avons tenu à défendre dans cette thèse en faisant

le choix d’adopter une « approche par méthodes multiples » (Fisher & Tarquinio, 2006 ; Wu, 2011)en

articulant les deux approches, afin de suggérer des pistes de réflexion aux questions de recherche que nous nous sommes posées. Si la première méthode vise la compréhension des perceptions par le recueil de la complexité du vécu, la seconde méthode vise à expliquer l’intention comportementale en essayant de généraliser les processus observés dans la première. Il n’en demeure pas moins un objet de recherche commun aux deux méthodes : l’étude de la perception des technologies en santé.

Ainsi, les méthodes qualitatives nous ont permis d’établir une typologie de la perception des technologies. Cette typologie doit aider les professionnels de santé à repérer la façon dont les patients appréhendent les technologies et à comprendre leurs réticences à leurs égards. A notre connaissance, la psychologie de la santé ne possède pas de typologie de la perception des technologies mais possède un cadre d’analyse de la maladie. Ainsi, à l’aide d’une méthodologie qualitative, Leventhal et al. (1997) ont analysé plusieurs entretiens cliniques pour en extraire les déterminants relatifs à la perception de la maladie. Leventhal et ses collaborateurs (1997 ; 2001) ont réduit la perception de la maladie à un ensemble de croyances prototypiques : l’identité, les causes, la durée, les conséquences, le contrôle et les croyances émotionnelles. Ces croyances se sont avérées intéressantes à considérer pour expliquer de nombreux comportements de santé (Hagger & Orbell, 2003 ; Scharloo & Kaptein, 1997). En nous

appuyant sur les travaux de ces auteurs, notre démarche a consisté à élaborer une typologie qui rend

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6.3. TYPOLOGIE DE LA PERCEPTION DES TECHNOLOGIES

EN SANTE

La typologie de la perception des technologies doit permettre aux professionnels de santé d’anticiper les problèmes d’usage, améliorer l’utilisation des dispositifs médicaux et le vécu des patients. Ainsi, pour tendre vers le bon usage des technologies, plusieurs déterminants nécessitent d’être considérés. Lorsqu’un ou plusieurs de ces déterminants est erroné ou source de souffrance, induisant des émotions et des pensées négatives, il peut alors constituer une barrière à l’usage. Le professionnel de santé, et plus spécifiquement le psychologue, peut alors identifier ces croyances et accompagner le patient vers une amélioration de l’usage de la technologie. Toutefois, les technologies ne sont pas adaptées à tous les patients, et ce, même si le patient souhaiterait en bénéficier. En effet, par exemple, un patient isolé, qui présenterait une dégénérescence cognitive et des difficultés praxiques, ne devrait pas avoir à gérer seul une technologie de surveillance. D’autres stratégies de prise en charge pourraient lui être proposées comme le passage d’un soignant à domicile.

Nous proposons de questionner la perception des technologies selon le type d’utilisateur, les

patients et les professionnels de santé, comme l’ont conseillé plusieurs auteurs (King & He, 2006;

Schepers & Wetzels, 2007; Wu et al., 2011). Ensuite, nous présentons un modèle intégratif qui découle des résultats auxquels nous sommes parvenue.

6.3.1. ROLE DES DIMENSIONS ATTITUDINALES, AFFECTIVES ET

SOCIALES POUR PREDIRE LUSAGE DES TECHNOLOGIES CHEZ LES

PATIENTS

Trois principaux déterminants permettent de comprendre l’intention d’utiliser un dispositif d’auto-surveillance chez les patients :

1) Les attitudes envers l’utilisation : Il s’agit du meilleur prédicteur expliquant 46% de la

variance de l’intention d’usage chez les patients. Ce déterminant apparaît ainsi plus intéressant à considérer que les croyances spécifiques d’utilité et de facilité d’utilisation postulées dans le TAM (Davis, 1989).

2) Les normes subjectives : L’intention d’usage du patient tient compte de ce qu’il croit que

pensent les autres. Sur le plan méthodologique, la mesure des qualités psychométriques de l’échelle de normes subjectives nous a conduits à garder uniquement les croyances normatives et à retirer la mesure indirecte de motivation à se conformer aux sources. La mesure directe de ces croyances paraît donc plus appropriée à considérer lors de prochaines études. De plus, cette échelle souffre d’un taux de non réponse élevé (25% à l’un des items). Il semblerait que ce ne soit pas tant la compréhension de l’item qui ait posé problème que le positionnement du répondant. Les patients parviennent à dire si leurs proches seraient favorables à ce qu’ils

188 utilisent la technologie. En revanche, ils sont en difficulté pour projeter l’avis des médecins et des autres soignants à ce sujet.

3) L’anxiété perçue : Ce déterminant apparaît plus prédictif de l’usage de la technologie que les

croyances spécifiques (utilité, facilité d’utilisation et contrôle comportemental). Plusieurs auteurs ont décrit des résultats similaires aux nôtres (Kahan, Braman, Slovic, Gastil & Cohen, 2009 ; Lin et al., 2013). Lorsqu’une technologie est peu familière, les patients vont d’avantage s’appuyer sur leurs réactions émotionnelles (e.g., peur, méfiance, doutes, risques) que sur les autres croyances.

Nous pouvons constater qu’il s’agit des deux croyances qui composent la Théorie de l’Action Raisonnée (Fishbein & Ajzen, 1975), le déterminant attitudinal et le déterminant social, auquel s’ajoute un déterminant affectif, l’anxiété envers la technologie. Ainsi, ce ne sont pas tant les croyances spécifiques, l’utilité et la facilité d’utilisation proposées par le TAM (Davis, 1989), qui déterminent le choix quant à l’utilisation de la technologie chez les patients, mais plutôt les affects, les aspects généraux (attitudes) et environnementaux (normes subjectives). Ce résultat va dans le sens de l’hypothèse formulée par Lin et al. (2013) selon laquelle, lorsque le patient fait face à une nouvelle technologie, c’est la prégnance de la valeur affective qui semble privilégiée, puis dans un second temps, ce seraient des processus plus construits d’ordres cognitifs (connaissances, croyances spécifiques).

6.3.2. ROLE DES CROYANCES SPECIFIQUES ET SOCIALES POUR

PREDIRE LUSAGE DES TECHNOLOGIES CHEZ LES SOIGNANTS

Chez les professionnels de santé, nous avons trouvé quatre principaux déterminants de l’acceptabilité des technologies :

1) Le contrôle comportemental perçu est le déterminant le plus prédictif de l’intention d’usage.

Ainsi, le soignant doit se sentir en mesure de se servir de la technologie pour obtenir les informations médicales nécessaires.

2) L’utilité perçue, en tant que croyance spécifique, vient répondre aux objectifs visés par la

technologie pour aider les soignants dans la prise en charge de la maladie.

3) Les normes subjectives : similairement aux patients, nous avons retiré la dimension de

« motivation à se conformer aux pairs » pour ne garder que la mesure directe de croyances normatives (i.e., la recherche d’affiliation auprès des pairs). Nous faisons l’hypothèse selon laquelle la difficulté à inférer l’avis de leurs collègues, compte tenu du taux de non réponse élevé à l’item, pourrait être expliquée par le fait que la technologie s’inscrit dans un projet d’équipe collectif qui laisse peu de place aux motivations et aux aspirations individuelles du soignant. Une telle technologie sera acceptée à partir du moment où l’équipe médicale décide

189 de l’utiliser. En revanche, dire si le patient est favorable à ce type de technique semble requérir moins d’implication pour le soignant et présente donc moins de données manquantes observées.

4) Dans une moindre mesure, la confiance envers la technologie a un lien direct sur

l’intention. Ce résultat signifie qu’en dépit des normes de sécurité des technologies (réglementations nationales), la perception de fiabilité et la précision de la mesure sont des croyances importantes dans le choix qui motive les professionnels de santé à faire usage d’une technologie.

Dans notre seconde étude quantitative, réalisée auprès des soignants, l’anxiété perçue et les attitudes envers le comportement n’ont pas pu être évaluées. Pourtant, ces deux variables sont justement les construits les plus prédictifs de l’intention d’usage chez les patients. En effet, si l’attitude s’est avérée être le meilleur déterminant chez les patients, ce résultat n’a pas été retrouvé auprès des professionnels de santé. Les statistiques montrent que les items de cette échelle sont peu prédictifs de l’usage. Similairement aux travaux réalisés par Davis (1986), puis Venkatesh et al. (2003), le choix de retirer cette dimension de leur modèle provient du caractère général des attitudes. Ainsi, compte tenu de leur manque de familiarité et de connaissances, les patients possèdent des croyances générales, pauvres et peu construites envers les technologies. Ainsi pour les patients, il semble plus aisé de donner un point de vue général (attitudes) sur une nouvelle technologie plutôt que de formuler des croyances qui elles, sont spécifiques et auxquelles ils ont peu, ou pas, accès. Au contraire, les soignants sont familiers et expérimentés des technologies qui font partie de leur quotidien. Ils s’appuieraient ainsi préférentiellement sur les croyances spécifiques dont ils disposent plutôt que sur les attitudes.

En dépit des différences trouvées entre les patients et les professionnels de santé, nos études qualitatives montrent que ce sont les mêmes déterminants qui sont retrouvés quelques soit le type d’usager mais que le poids de ces déterminants diffère. Nous cherchons, dans la partie suivante, à modéliser la perception des technologies en santé par la proposition d’un modèle général intégratif.

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6.4. PROPOSITION DUN MODELE INTEGRATIF

DACCEPTABILITE DES TECHNOLOGIES EN SANTE POUR