• Aucun résultat trouvé

En nous appuyant sur les développements réalisés en psychologie de la santé, nous proposons de compléter les déterminants évoqués dans les modèles théoriques avec des déterminants qui nous semblent pertinents pour répondre à notre objectif d’adaptation d’un modèle d’acceptabilité général des nouvelles technologies en santé. Ces déterminants, spécifiques au contexte de la maladie, regroupent à la fois des déterminants interpersonnels, c’est-à-dire qui impliquent la relation à l’autre, ainsi que des déterminants individuels singuliers au sujet.

2.3.1. DETERMINANTS INTERPERSONNELS SAPPUYANT SUR LA

RELATION MEDECIN-PATIENT

L’approche interactionniste offre un cadre d’analyse de la relation médecin-patient. L’évaluation de cette relation établie entre le patient et le médecin permet de comprendre certains comportements de santé (e.g., les comportements de prévention, de dépistage, d’observance) adoptés par le patient. Cette relation est déterminée par des caractéristiques propres au médecin (e.g., formation universitaire, expérience, personnalité, attitudes envers le patient), au patient (e.g., croyances, personnalité, statut socio-économique) et à l’interaction entre les partenaires de la dyade. La relation médecin-patient est à l’épreuve d’une évolution temporelle dynamique et est modulée par des facteurs contextuels (e.g., type et évolution de la maladie, temps de consultation, informations délivrées). Asymétrique, elle est bien souvent initiée à la suite d’un problème de santé auquel le sujet fait face. En retour le médecin a pour mission de soigner la douleur physique et la souffrance morale. Cette relation repose notamment sur la

transmission d’informations médicales objectives et sur des aspects plus subjectifs de confiance

accordée au professionnel de santé. Ainsi, la rencontre singulière entre le médecin et le patient est chargée affectivement. Les patients peuvent ressentir une forte angoisse à l’idée de voir leur médecin

et lorsqu’ils doivent communiquer avec lui sur leur santé (Shah & Robinson 2011). De plus, Inandi,

Sahin et Guraksin (2002) signalent que certains médecins et infirmiers ont tendance à accorder plus d’attention aux informations issues des technologies au détriment de la relation sociale et physique avec le patient, ce qui entrave la relation entre les deux partenaires. Ces éléments peuvent agir comme des obstacles à la mise en place de stratégies thérapeutiques.

51

2.3.1.1. Information médicale et perception de l’information par

le patient

La prise en compte des attentes et des préférences des patients en matière de soins est devenue une priorité grandissante. Le besoin d’information des patients a fait l’objet d’une attention particulière et a été accompagné d’évolutions législatives majeures. La loi du 4 mars 2002, mentionne que :

«Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. » (Article L.1111-2 du Code de santé

publique)9.

L’information médicale doit être personnalisée et adaptée selon la pathologie et les besoins du patient. Le soignant prodiguant l’information doit tenir compte de la personnalité et des capacités du patient, de sa culture et de l’évolution de la maladie. Néanmoins divers paramètres peuvent faire obstacle à la connaissance des informations de santé (Kessels, 2003; Lukoschek, Fazzari & Marantz, 2003; Rodin et al., 2009). Ces paramètres sont relatifs :

- au cadre médical : temps de la consultation, interférences téléphoniques, disponibilité temporelle et psychique du médecin ;

- aux caractéristiques de l’information délivrée par le médecin : en ce qui concerne la quantité et la qualité de l’information ;

- à la connaissance qu’en a le patient : niveau d’éducation, barrière langagière, nature

traumatique de la maladie, troubles cognitifs (mnésiques, attentionnels), trouble anxieux.

Dans la pratique clinique, on constate que les termes médicaux employés par les soignants sont souvent partiellement compris par les patients. Informer n’équivaut pas à se cacher derrière un jargon médical mais bien s’assurer des connaissances du malade (Moumjid-Ferdjaoui & Carrère, 2000). De plus, le choix de l’information à délivrer est problématique. Jusqu’où faut-il informer le patient sur le diagnostic, l’efficacité des traitements, l’utilisation des technologies ? Certains patients, ne se sentant

pas écouté, peuvent alors exprimer leur insatisfaction à l’égard de leur médecin. Il faut également

signaler la place grandissante des technologies de l’information, tel internet, qui intervient comme « un traducteur, qui exprime dans un langage accessible au public, des considérations relevant habituellement du spécialiste » (Noël-Hureaux, 2010a, p.117). L’accessibilité des supports médiatiques contemporains revêt une valeur instructive mais ils peuvent occasionner des effets néfastes dans la relation médecin-patient comme de l’anxiété ou de l’animosité éprouvée par le patient « savant » (Boudier, Bensebaa & Jablanczy, 2012). Or et al. (2011) signalent que les patients qui souhaitent

9 Loi n° 2002-303, du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.Consulté le 6 septembre 2016.

52 bénéficier d’informations supplémentaires sur leur maladie, qui sont insatisfaits de l’information médicale délivrée par leur médecin ou qui pensent avoir peu de connaissances sur leur maladie et sur leur traitement, ont tendance à être plus acceptants envers les technologies car ils seraient à la recherche d’autonomie et d’informations fiables (Fowles et al., 2004; Or et al., 2011; Wilson & Lankton, 2004).

Dans le but d’améliorer la transmission d’informations médicales, Coulter (2005) indique que les patients ont des besoins spécifiques en matière d’information. Ainsi, les soignants doivent délivrer des informations claires, précises et compréhensibles ; impliquer les patients dans les décisions concernant leur santé ; prendre en compte leurs besoins et leurs préférences. Dans la méta-analyse de Wensing, Jung, Mainz, Olesen et Grol (1998), l’accès à l’information et les connaissances tiennent une place majeure pour les patients. L’information orale et les supports écrits peuvent avoir une valeur

informative (e.g., donner des informations pertinentes au patient), d’auto-assistance (e.g.,

responsabiliser le patient pour soutenir les comportements d’observance10), de conseils et de soutien

aux proches. L’information prodiguée peut ainsi faciliter l’adhésion et la satisfaction du patient aux soins et l’aider à s’approprier sa maladie : l’information contribuerait ainsi à la diminution du taux d’hospitalisation, à l’adoption de comportements préventifs, à l’amélioration de la qualité de l’observance thérapeutique et au respect de l’utilisation des technologies. Elle améliore les stratégies d’ajustement du patient ainsi que l’estime de soi, tout en diminuant l’anxiété (Coulter & Ellins, 2007). Concernant l’opérationnalisation du concept de connaissance, la littérature désigne deux principales façons de l’appréhender ; d’une part, certains auteurs mesurent le niveau de connaissances objectives et d’autre part, certains l’infèrent au travers de la perception de l’information qui est une mesure subjective.

2.3.1.2. La confiance envers le médecin

Dans la relation qui s’établit entre le soignant et le patient, la confiance s’inscrit au cœur du processus interactionnel : le patient veut croire que son médecin agit dans son meilleur intérêt (Lee & Lin, 2009), le médecin accorde sa confiance à la parole de son patient sur son état de santé et les professionnels de santé se font mutuellement confiance pour travailler de manière cohérente autour de la prise en charge des patients (Vega, DeHart & Montague, 2011). La confiance interpersonnelle se construit au travers d’interactions répétées dans le temps (Mechanic & Meyer, 2000). Elle se fonde en partie sur le passé relationnel du patient avec d’autres médecins et les représentations véhiculées par la société et les médias (Hall, Camacho, Dugan & Balkrishnan, 2002). La confiance envers le médecin a des conséquences sur les comportements de santé adoptés par les patients. Un patient qui remet en question la parole ou l’attitude de son médecin peut ressentir de la méfiance et ainsi ne pas respecter les prescriptions et les recommandations de ce dernier. Des études ont permis de montrer que la

10L’observance en matière de santé ou adhésion au traitement est le fait de suivre les prescriptions et de se conformer aux recommandations des professionnels de santé. L’adhésion comprend au moins trois versants essentiels : l’adhésion au suivi médical en général, aux règles hygiéno-diététiques et aux traitements médicamenteux. (Scheen & Giet, 2010).

53 confiance est importante pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques en ce qui concerne l’adhérence médicamenteuse, le respect des prescriptions médicales, la qualité de vie, le sentiment d’auto-efficacité ou encore la diminution du sentiment d’anxiété (Hall et al., 2002; Lee & Lin, 2009). Anderson et Dedrick (1990) ont mis en évidence une relation entre la confiance, le désir de contrôle et l’interaction médecin-patient. Les patients ayant une confiance élevée envers leur praticien expriment de faibles attentes de contrôle dans l’interaction avec le médecin, ce qui en retour peut amener à un

rôle plus passif dans la relation établie. De plus, les patients qui témoignent d’une confiance élevé

envers le prescripteur, qui se montrent satisfaits des soins qui leurs sont prodigués et qui détiennent une expérience antérieure positive des soins reçus à l’hôpital, sont plus réceptifs aux recommandations formulées par le médecin et seraient ainsi plus enclins à adopter une technologie de santé (Inandi et al., 2002 ; Lee & Lin, 2009 ; Prins et al., 2009). En revanche, un besoin accru de soins médicaux (e.g.,

nombre de visites chez le médecin, multiplication des professionnels de santé rencontrés) n’a pas

montré sa pertinence pour prédire l’intention d’utiliser une technologie médicale (Or & Karsh, 2009). Par ailleurs, pour prescrire un dispositif de surveillance de la maladie, le médecin doit réciproquement avoir confiance en son patient à suivre ses recommandations (Thom et al., 2011).

La conceptualisation de la confiance envers le médecin est hétérogène. Certains auteurs (Anderson & Dedrick, 1990) considèrent que ce concept correspond à un ensemble de croyances et d’attentes selon lesquelles un médecin se comporte d’une certaine manière, d’autres le définissent comme le sentiment de réassurance apporté par le médecin et son intention d’influencer positivement les comportements de santé (Pearson & Raeke, 2000). La revue de la littérature effectuée par Ozawa et Sripad (2013) montre que, dans leurs échelles de mesure, certains auteurs ont trouvé une structure unidimensionnelle au concept de confiance envers le médecin alors que d’autres s’accordent à dire que la confiance est bidimensionnelle et comprendrait les compétences techniques du clinicien d’une part, et sa bienveillance d’autre part (Anderson & Dedrick, 1990; Leisen & Hyman, 2001).

2.3.2. DETERMINANTS INDIVIDUELS

2.3.2.1. Etat de santé du patient

Finkelstein et al. (2003) ont évalué un système de télésurveillance à domicile auprès de patients sous anticoagulants. Bien que la taille de leur échantillon soit relativement faible (n=29), les chercheurs ont obtenu une amélioration de la qualité de vie, de la satisfaction générale, de la détresse psychologique et de la satisfaction vis-à-vis du traitement après deux mois d’utilisation du système de télésurveillance. En revanche, les limitations physiques (déficiences perceptives et motrices) et

cognitives (liées à l’âge ou liées à la maladie) constituent des freins à l’utilisation des technologies

(Finkelstein et al., 2003 ; Or et al., 2011 ; Shah & Robinson, 2011). En effet, la difficulté à lire sur un écran ou à manipuler une technologie peut conduire un patient à être réticent à l’utiliser (Helft & Blacher,

2008). Dans une autre étude, Burns et al. (2005) proposent d’évaluer des dispositifs cardiaques

54 psychologique induite par le dispositif ; (3) l’évaluation positive ; (4) l’image corporelle. Comparant trois types de dispositifs implantables, les auteurs trouvent des différences sur chacun des quatre facteurs évalués, indiquant que les composantes psychosociales de la maladie ont une incidence sur l’acceptation des dispositifs. L’incidence de la sévérité de la maladie révèle des résultats plus contradictoires. Certains auteurs montrent qu’un bon état de santé conduirait à une meilleur acceptation des technologies alors que d’autres pointent que ce serait au contraire la gravité de la santé perçue (Or & Karsh, 2009; Peek et al., 2014). Par ailleurs, Jarraya, Szekely, Hausser-Hauw, Boisaubert & Gaillard (2014) signalent qu’il est possible de mettre en œuvre une évaluation de l’acceptabilité avant de recourir à la technologie, ce qui correspond en somme à une évaluation psychologique. Cette évaluation doit

reposer, selon les auteurs, sur l’examen de la personnalité du patient, ses attentes en fonction des

capacités objectives que peut offrir la technologie, la place qu’elle tient dans son projet de vie ainsi que son retentissement sur l’image corporelle.

2.3.2.2. Déterminants affectifs

Sur le plan général, Van Ittersum et al. (2006) citent plusieurs traits de personnalité altérant la relation entre les croyances et l’intention comportementale. Dans leur revue de la littérature, les auteurs

énoncent la capacité d’innovation technologique qui correspond à la tendance d’un sujet à acheter ou

essayer des produits nouveaux et différents plutôt que de conserver toujours les mêmes ou encore la

technophobie définie comme la peur ou l’aversion envers les nouvelles technologies. De plus, des auteurs ont mis en évidence une incidence des facteurs de personnalité sur les croyances relatives à la technologie et sur l’intention de l’utiliser (Devaraj, Easley & Crant, 2008; Svendsen, Johnsen, Almås-Sørensen & Vittersø, 2013; Wang & Yang, 2005; Zweig & Webster, 2003). Utilisant la théorie des cinq

facteurs pour évaluer la personnalité (Big Five Personality Theory), les résultats auxquels ces auteurs

aboutissent montrent principalement une relation positive des dimensions d’extraversion et de stabilité émotionnelle sur l’intention d’usage. Cela signifie que les personnes qui sont sociables, ou qui ressentent habituellement des émotions positives, sont plus enclines à utiliser les technologies au contraire des personnalités qui sont introverties ou qui ressentent plus fréquemment des émotions négatives (colère, anxiété, tristesse).

Versteeg et al. (2012) ont évalué l’acceptation à 10 jours puis un an après l’implantation d’un défibrillateur cardiaque auprès de 272 patients souffrant d’arythmie. Les auteurs ont mis en évidence que l’anxiété et la dépression, au contraire des variables médicales non-significatives dans cette étude, étaient associées à une faible acceptation du dispositif, suggérant en conclusion que la détresse psychologique devait être identifiée en amont de l’intervention chirurgicale (phase d’acceptabilité) afin de prévenir les difficultés d’acceptation ultérieures. Outre l’évaluation du trouble anxieux qui correspond à un trouble psychopathologique, tel que l’ont mesuré Versteeg et al. (2012), il est possible d’effectuer une mesure spécifique de l’anxiété perçue face à une technologie.

55 L’anxiété perçue face à la technologie peut se définir comme l’ensemble des réactions affectives négatives, l’appréhension ou même la peur, face à la possibilité d’utiliser une technologie (Venkatesh et al., 2003). Ce sentiment d’anxiété serait négativement relié à la facilité d’utilisation perçue (Or & Karsh, 2009), au sentiment de contrôle sur l’utilisation (Aggelidis & Chatzoglou, 2009) et à l’intention d’utilisation (Compeau et Higgins, 1995; Or & Karsh, 2009; Venkatesh, 2000). Dans le cadre de dispositifs de surveillance, un sentiment d’anxiété peut se manifester chez les patients, tout comme les soignants, en raison des paramètres de santé délivrés par le système, notamment lorsque ceux-ci renseignent sur une fluctuation de l’état de santé ou sur un état d’urgence vital (Lehoux, 2008).

2.3.2.3. Confiance perçue envers la technologie

Certains auteurs ont proposé des extensions aux modèles intentionnels en investiguant le concept de confiance envers la technologie. La confiance envers la technologie peut être définie comme

la perception quant à la capacité d’une technologie à renseigner sur les paramètres de santé et la

croyance selon laquelle le système est fiable pour obtenir ces paramètres (Coss, 2009). Pour les professionnels de santé, la confiance se rattache au sentiment d’être à l’aise et en sécurité juridique dans la réalisation du comportement technologique et aurait un lien direct sur l’intention d’usage (Wu, Shen, Lin, Greenes & Bates, 2008). Ortega Egea et Roman Gonzalez (2011) ont montré que le degré de confiance élevé des médecins envers un dossier médical électronique augmentait leur perception d’utilité et de facilité d’utilisation du système. Montague, Kleiner & Winchester (2009) ont mené deux études visant à comprendre et définir le concept de confiance envers les technologies de santé chez les sujets sains. Les auteurs montrent une différence empirique entre le concept de confiance envers les technologies générales et celui spécifique aux technologies pour la santé. Ces dernières sont spécifiquement rattachées aux qualificatifs « en bonne santé », « sécurité des soins », « impact sur la vie ». Van Bon, Kohinor, Hoekstra, Von Basum et DeVries (2010) ont investigué l’acceptabilité d’un pancréas artificiel qui permettrait une diffusion continue de l’insuline chez les diabétiques de Type I. Sur la base d’un entretien semi-structuré réalisé auprès de 22 patients, les auteurs parviennent à une attitude générale positive envers ce nouveau système et concluent que le principal déterminant qui influence la décision d’adopter un pancréas artificiel est la confiance du patient envers ce dispositif médical. La fréquence d’occurrence des fausses alarmes était l’un des éléments en défaveur de la confiance perçue. Ainsi, la notion de confiance envers une technologie de santé apparaît être une croyance importante à considérer dans le contexte de la santé en raison des conséquences médicales, parfois vitales, qu’impliquent les technologies.

56

Résumé : Les déterminants de l’acceptabilité