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II. Description des données

II.2. Description des pratiques funéraires

II.2.2. Les dépôts de mobilier

II.2.2.3. Le tchoron

Le tchoron est un récipient traditionnel en bois, décoré de motifs géométriques et symboliques, dans lequel on boit le lait de jument fermenté, kymys, lors des festivités, comme l’Ysyakh, la fête du renou- veau célébrée le 21 juin, jour du solstice d’été. Il peut être interprété comme un symbole de richesse et de pouvoir puisqu’à l’époque ancienne, cette fête était organisée par les toïons les plus riches, qui devaient offrir le kymys et de la viande de cheval aux gens de leur clan et aux divinités (Nikolaeva 2016, 256-257).

9/166 inhumations présentent un tchoron au sein de la tombe, soit 5,4% des cas. Quatre ont été re- trouvés en Iakoutie centrale et cinq dans la région de Verkhoïansk. L’une des pièces issues de la région de Verkhoïansk, provenant de la tombe de Kureleekh 2, a été retirée des décomptes en raison de sa mauvaise conservation qui ne permettait pas de répondre aux études qui suivent.

Sa morphologie et son décor

D’un point de vue morphologique, on distingue deux catégories, les pièces tripodes et les mono- podes (Fig. II.80). La morphologie du pied est un indice chronologique, selon nos collègues iakoutes : les plus anciens sont tripodes, contrairement aux plus récents, monopodes. Et à l’intérieur des pièces monopodes, la dissociation du pied est également un indice chronologique : le pied en forme de cône indépendant serait plus ancien qu’une pièce monobloc (Petrova 2004, 91, 93-94). Deux des pièces de Iakoutie centrale sont tripodes, appartenant à la période antérieure à 1700 tandis que les autres, et notamment celles de la région de Verkhoïansk (4/6), sont monopodes et retrouvées dans les tombes

Décor incisé Décor en relief

Verkhoïansk Iakoutie centrale

Tyyt bappyt Oulakhan alas

Kous tcharbyt Us sergué 1 Sordonokh Ieralaakh Kerdugen Bakhtakh 3 Kureleekh 2

Figure II.80 : Typologie du tchoron (© P. Gérard/MAFSO).

du XVIIIe siècle151. Si la différence chronologique est significative152, la distinction morphologique entre les régions ne l’est pas.

De même, la morphologie du décor offre deux classifications  : le décor travaillé en incision et celui travaillé par enlèvement de matière avant de le sculpter en relief. Si le décor est exclusivement incisé en Iakoutie centrale, il présente une partie en relief pour la région de Verkhoïansk (Tabl. II.7). Cette op- position, probablement technique, s’approche du seuil de significativité. Ces techniques avaient déjà été mentionnées, sans que de différences régionales n’aient été abordées : « Les gobelets du koumis sont

généralement décorés en gravant le motif sur la surface plane du récipient. Mais nous trouvons aussi des motifs sculptés en relief » (Jochelson 1933, 217).

La seule pièce totalement incisée dans la région de Verkhoïansk est celle de la tombe féminine de Sor- donokh : elle a un aspect plutôt massif, juste dégrossi, si ce n’est le décor principal, comme si elle était inachevée. Ce caractère pourrait évoquer une provenance non locale, ce qui expliquerait également son type de décor. Il aurait suffi de la personnaliser, comme peut-être le montre le décor à sa base, à peine ébauché, et de réaliser les finitions. Si cette hypothèse de pièce non locale est retenue, la diffé- rence de technique entre les deux régions devient significative153. Sont en faveur de cette hypothèse les autres dépôts de cette tombe qui sont également à rapprocher de la Iakoutie centrale, à savoir une cuillère, pour cette fois au décor très travaillé et presque identique à une tombe de Iakoutie centrale (Istekh myran 1) (cf. Fig. II.72), une kytyia et un petit pot en écorces de bouleau. C’est en effet, l’une des deux tombes154, avec un récipient en écorces de bouleau dans la région de Verkhoïansk, sachant que le bouleau ne pousse dans cette région qu’à l’état d’arbre nain.

Son dépôt

Présent en Iakoutie centrale dès la période antérieure à 1700, le dépôt du tchoron se maintient entre 1700 et 1750 de manière générale, à l’échelle de la Iakoutie, avant de diminuer et disparaître (Fig. II.81). Cependant, alors qu’il diminue en Iakoutie centrale, avec 1/37 sujets, il semble être une spécificité de la première moitié du XVIIIe siècle, dans la région de Verkhoïansk, avec 5/8 sujets, soit 63%. Si la différence entre les deux régions, de manière générale, est significative, en faveur d’une plus grande fréquence

151 - Seules les pièces des tombes de Ieralaakh et Bakhtakh 3 ont des pieds indépendants, les autres sont monoblocs. 152 - Test de Fisher égal à 0,04.

153 - Test de Fisher égal à 0,03.

154 - L’autre tombe, celle de Kureleekh 1, présente également des liens étroits avec la Iakoutie centrale, y compris de manière génétique, et elle présente le même haplotype mitochondrial (C4a1) que Sordonokh !

régions tombes datation classe âge sexe morphologie décor position

Tyyt Bappyt adulte homme tripode incisé interne

Oulakhan alaas adulte homme tripode incisé interne

Kous tcharbyt 1700-1750 adulte homme monopode incisé externe

Us Sergué 1 1750-1800 adulte femme monopode incisé externe

Bakhtakh 3 adulte homme monopode en relief interne

Ieralaakh immature homme monopode en relief interne

Kerdugen adulte homme monopode en relief interne

Sordonokh immature femme monopode incisé externe

Kureleekh 2 adulte femme ? ? externe

1700-1750 Ia k o u tie cen tra le Ve rk ho ïa ns k antérieure à 1700

Tableau II.7 : Liste des tchoron retrouvés dans les tombes.

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au nord de la Iakoutie155, elle l’est également pour la période 1700-1750156. Au sein même de la région de Verkhoïansk, son dépôt à la période 1700-1750, comparé à la période suivante, est significatif157. Uniquement présent dans les tombes de sujets adultes en Iakoutie centrale, il est également placé dans les tombes de deux adolescents dans la région de Verkhoïansk, à Ieralaakh pour le jeune garçon, âgé de 12 à 14 ans, et à Sordonokh pour l’adolescente, âgée de 16 à 18 ans. Toutefois, ces différences ne sont pas significatives. De même, s’il est un attribut presque exclusivement masculin en Iakoutie centrale, l’exception étant la tombe de la fin XVIIIe siècle de Us Sergué 1, ce n’est pas le cas dans la ré- gion de Verkhoïansk où il est placé dans deux tombes féminines et trois masculines.

Quant à sa position, il est placé à l’intérieur en Iakoutie centrale, pour la période antérieure à 1700,

puis à l’extérieur, entre les deux coffres pour la période suivante. Dans la région de Verkhoïansk, il est préférentiellement mis à l’intérieur, à l’exception des deux tombes féminines, où ils sont entre les deux coffres (cf. Tabl. II.7). Dans tous les cas, il a été retrouvé en position couchée, donc il ne pouvait contenir de liquide, à l’image de son emploi lors des cérémonies. Dans près de la moitié des cas158, il avait son contenu et ce dernier était constitué de produits laitiers, type beurre ou crème fraîche.

Si dans les tombes de Tyyt Bappyt, Oulakhan alaas, Ieralaakh, Bakhtakh 3, Kerdugen et Sordonokh, ces pièces ont pu être les dernières déposées dans la tombe, ce n’est pas le cas de la tombe de Kous tcharbyt, où il est en fond de coffre, sous un pot en bois et une offrande alimentaire. Dans la tombe de Us Sergué 1, il est dans un sac comprenant divers objets personnels et des écuelles en bois, placé sur le dépôt alimentaire et à côté de la selle. Dans la tombe de Kureleekh 2, il se trouve également en fond de coffre, mais le passage d’un animal fouisseur ou d’un pilleur ne permet pas de définir la position exacte du récipient dans la chronologie des dépôts.

En résumé, le tchoron est une pièce traditionnelle, de prestige, initialement déposée dans les tombes

masculines. Il reste, en Iakoutie centrale, leur prérogative jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle où il apparaît dans une tombe féminine. Dans la région de Verkhoïansk, il constitue, a priori, un objet es-

sentiel dans le nécessaire qui accompagne le défunt, en raison de son dépôt très fré- quent. Il est indifféremment placé dans les tombes d’hommes et de femmes. Bien que sa réalisation technique soit différente, il pa- raît investi de l’identité iakoute, du fait que les autres éléments de la culture iakoute ne peuvent s’exprimer dans cette région pour une raison environnementale (absence de bouleau, rareté des gros troncs d’arbres), jusqu’à peut-être en faire venir d’ailleurs ou d’un artisan pratiquant la technique ances- trale, retrouvée en Iakoutie centrale. Il est 155 - Test de Fisher égal à 0,03.

156 - Test de Fisher égal à 0,03. 157 - Test de Fisher égal à 0,02.

158 - Kous tcharbyt, Us sergué 1, Bakhtakh 3 et Kerdugen.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 ant 1700 1700-1750 1750-1800 post 1800 po u rcentage chronologie

Fréquence du tchoron dans les tombes Iakoutie centale (n=4) Viliouï (n=0) Verkhoïansk (n=5) Indighirka (n=0) Iakoutie (n=9)

Figure II.81 : Fréquence du tchoron, selon les régions et la chronologie.

par ailleurs une des dernières pièces déposées dans la sépulture, avant la fermeture du coffre, ce qui suggère son importance soit en son titre propre soit lors de la cérémonie d’inhumation.