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II. Description des données

II.2. Description des pratiques funéraires

II.2.1. Les modes d’inhumations

II.2.1.3. L’orientation

En prenant en considération la rose des vents, nous avons défini une orientation avec un écart-type de 23°  : ainsi, une orientation nord varie de 337° à 22,5°, une orientation nord-est varie entre 22,5 et 67,5° et ainsi de suite (Fig. II.18).

En suivant ce schéma, l’orientation majoritaire, dans près de la moi- tié des cas (101/180, soit 56,1%) est la tête à l’Ouest, vient ensuite l’orientation tête au Nord-Ouest (33, soit 18,3%), puis tête au Nord (23, soit 12,8%) et enfin, quelques orientations atypiques, anecdo- tiques, comprises entre 0,6 et 4,4% des observations (Fig. II.19).

Ce schéma général masque une réalité bien différente selon les régions. En effet, deux groupes s’op- posent, d’un côté la Iakoutie centrale et la région de la Viliouï et de l’autre les régions de Verkhoïansk et de l’Indighirka. En effet, dans le premier groupe, les orientations sont plus diversifiées et l’orientation tête à l’ouest prédomine largement. Dans le second groupe, les orientations sont plus restreintes et l’orientation à dominante nord devient majoritaire (Fig. II.20). Ces différences sont significatives oppo- sant la Iakoutie centrale et la région de la Viliouï contre la région de Verkhoïansk pour l’orientation tête au nord40 et ces deux régions contre la région de l’Indighirka pour l’orientation tête au nord-ouest41. L’orientation tête au nord est plus importante dans la région de Verkhoïansk que dans la région de l’Indighirka et cette différence atteint le seuil de significativité de 5%.

Au sein des régions, les différences observées selon la chronologie sont pour la plupart non significa- tives. Toutefois, certaines le sont.

En Iakoutie centrale, l’orientation tête à l’est est plus importante au cours de la période 1700-1750 en l’opposant à la période suivante42. L’orientation la tête à l’Est est partagée alors par six sujets issus de

40 - Respectivement test de χ2 égal à 9,20 et p inférieur à 0,01 et test de Fisher égal à 0,02. 41 - Respectivement test de Fisher égal à 0,01 et test de Fisher égal à 0,03.

42 - Test de Fisher égal à 0,04.

Description des pratiques funéraires

Figure II.18 : En grisé, définition des orientations cardinales.

sépultures multiples (Arbre chamanique 1 et Oktiom) et un seul provient d’une sépulture individuelle (Sytyghane Syhe 3). Si nous écartons les sépultures multiples, dans lesquelles les sujets ont été dispo- sés tête-bêche, afin d’optimiser l’espace, la différence n’est plus significative43. Il faut noter cependant que dans la tombe d’Arbre chamanique 1, au-delà d’optimiser l’espace du coffre contenant 4 sujets tête-bêche, une différenciation selon le sexe peut être évoquée. En effet, s’agissant d’un garçon situé à l’extérieur, il est possible que les inhumants l’ait déposé dans le même sens que son frère et son oncle, eux déposés dans le coffre, opposés aux femmes.

De même, l’orientation tête au sud semble caractéristique de la période 1750-1800 puisque les périodes antérieure et postérieure n’en livrent aucune44. Elle est partagée par une femme (n°12), deux filles (At Daban 1, Jarama 1) et trois autres enfants (Jarama 2, 3 et 4). Quatre des sujets appartiennent au même site (Jarama) ; cependant, il est éloigné des deux autres tombes, appartenant à des régions administratives (uluus) différentes. Cinq sont des enfants et trois de sexe féminin, sans toutefois avoir le même haplogroupe mitochondrial. Il est envisageable que cette orientation ait été donc attribuée, non seulement en fonction du lieu d’inhumation, mais peut-être aussi selon des critères biologiques, tels que l’âge45 et éventuellement le sexe (3/6 ayant été sexés comme des sujets féminins).

Dans la région de Verkhoïansk, l’orientation tête au nord-ouest est exclusive à la période antérieure à 1700 (2/2). Confrontée à la période suivante (1/10), cette différence est significative46. Elle intéresse deux sujets de sexe masculin, un adulte (Kureleekh 1) et un enfant (Byljazyk 3), de lignées paternelles différentes. Toutefois, la faiblesse de l’échantillon doit nous amener à rester prudents.

Des différences liées à l’âge ou au sexe sont constatées de manière générale ; elles reflètent celles de la Iakoutie centrale, la seule région à en présenter, peut-être en raison d’un effectif suffisant, contrai- rement aux autres. Elles sont donc pour la Iakoutie centrale, d’une manière générale, en faveur des enfants pour l’orientation tête au sud, dépendant de la période 1750-1800, déjà évoquée ci-dessus, en faveur des femmes pour l’orientation tête au nord47 et enfin en faveur des hommes pour l’orientation

43 - Test de Fisher égal à 0,63.

44 - Test de Fisher respectivement inférieur à 0,01 et égal à 0,01. 45 - 5/8 contre 1/12 à la période 1750-1800, test de Fisher égal à 0,02. 46 - Test de Fisher égal à 0,05.

47 - Test de Fisher égal à 0,01.

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Pratiques funéraires, biologie humaine et diffusion culturelle en Iakoutie (XVIe-XIXe siècles) S. Duchesne

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Iakoutie (n=180) ant 1700 (n=22) 1700-1750 (n=60) 1750-1800 (n=36) post 1800 (n=62) chronologie

Orientation des tombes en Iakoutie

Sud-ouest Ouest Est Sud-Est Sud Nord-est Nord-ouest Nord 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

IAKC (n=104) VIL (n=24) Verkho (n=36) IND (n=16)

chronologie

Orientation des tombes selon les régions

Sud-ouest Ouest Nord-ouest Est Sud-est Sud Nord-est Nord

Figure II.19 : Orientation des tombes en Iakoutie, selon la chronologie.

tête à l’ouest48. Ces deux dernières distinctions liées au sexe disparaissent si l’on tient compte de la chronologie, alors que de nouvelles différences apparaissent. En effet, pour la période 1700-1750, les enfants ont davantage la tête à l’Est que les adultes49 ; pour la période 1750-1800, ils l’ont davantage au sud (déjà évoquée), et enfin, pour la période postérieure à 1800, ce sont les adultes qui ont davantage la tête à l’ouest que les enfants50. Ainsi, l’étude de l’orientation au sein de la Iakoutie centrale suggère qu’elle ne constitue pas un critère strict pour les enfants, plus sujet à la variabilité.

En résumé, il semble qu’une orientation tête à l’ouest reste préférentielle, à l’exception des régions de Verkhoïansk et de l’Indighirka où les composantes nord-ouest et nord sont importantes. Dans le cas où une dominante ouest devait regrouper les variations ouest, nord-ouest et sud-ouest, elle serait l’orientation privilégiée quelle que soit la région. Seule l’orientation nord de la région de Verkhoïansk deviendrait significative, les autres orientations demeurant anecdotiques. Au contraire, si une domi- nante nord devait regrouper les variations nord, nord-ouest et nord-est, les régions de Verkhoïansk et de l’Indighirka s’opposeraient fortement aux régions de la Iakoutie centrale et de la Viliouï. Aucun des deux schémas ne peut être préféré puisque nous ignorons la signification de l’orientation. Les docu- ments à notre disposition (informations historiques ou des ethnologues) n’en font pas mention. Le fait qu’une (ou deux) orientation(s) soi(ent) privilégiée(s) suppose que des choix sociaux, collectifs sont appliqués, même si parfois elle peut être le résultat de choix personnels, avec la désignation de son lieu d’inhumation, ou de critères environnementaux, selon la topographie du lieu. Si des choix différents sont exprimés, l’orientation au nord pour la région de Verkhoïansk ou au sud en Iakoutie centrale pour la période 1750-1800, en faveur des enfants, voire des femmes (?), il est difficile de définir les conditions de leur application.