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II. Description des données

II.2. Description des pratiques funéraires

II.2.2. Les dépôts de mobilier

II.2.2.10. Les objets de dévotion

Les objets de dévotion sont les signes du dévouement en l’honneur de Dieu ou des saints260. Si la première de leurs fonctions, le rappel et l’assistance à la prière, n’est plus assurée dans le cadre des in- humations, ils conservent la fonction sociale ostentatoire, notamment avec les croix de cou (Berthod, Hardouin-Frugier 2006, 14-15). Ils deviennent ainsi le signe de reconnaissance et d’appartenance à

258 - Respectivement tests de Fisher tout deux inférieurs à 0,01. 259 - Tests de Fisher égaux à 0,05 et à 0,06.

260 - Définition issue du centre national de ressources textuelles et lexicales (www.cnrtl.fr/definition/dévotion).

Figure II.132 : Biberons découverts dans les tombes (© P. Gérard/MAFSO).

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la communauté religieuse. D’autres objets retrouvés dans les sépultures, comme les cierges ou une icône, peuvent être utilisés lors des pratiques religieuses ou spirituelles, tant dans la sphère privée qu’à l’église (Berthod, Hardouin-Frugier 2006, 14, 93). En Europe, les cierges accompagnaient le mourant jusque dans la tombe, il semble que cette pratique ait également été appliquée en Iakoutie dans la religion orthodoxe. L’icône, totalement intégrée à la catéchèse orthodoxe, est très développée en Rus- sie ; sa présence dans une tombe de Iakoutie est tout à fait exceptionnelle.

Le dépôt, sa fréquence

Les objets de dévotion sont déposés dans près d’un quart des tombes (38/167, soit 23%). Leur dé- pôt apparaît au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, de manière significative à l’échelle de la Iakoutie261, avant de se répandre au XIXe siècle (Fig. II.133). En effet, c’est après 1800 que leur dépôt devient majoritaire, en étant multiplié par sept en moyenne par rapport à la période précédente. Les différences sont significatives à l’échelle de la Iakoutie, comme en Iakoutie centrale et dans la région de Verkhoïansk262.

La région de l’Indighirka se distingue en raison d’un dépôt plus fréquent, de manière générale, avec la moitié des tombes (8/16). Cette différence est significative comparée à la Iakoutie centrale et à la région de la Viliouï263, et elle s’approche du seuil de significativité pour la région de Verkhoïansk264. Toutefois, elle disparaît en prenant en compte la chronologie. En effet, en considérant uniquement la période postérieure à 1800, celle qui fournit le plus d’objets de dévotion, aucune différence significa- tive n’est notée entre les régions.

À l’échelle de la Iakoutie, aucune diffé- rence selon l’âge ou le sexe n’est appa- rue. Cependant, en prenant en compte les régions, seules des différences liées à l’âge sont notées. En effet, les objets de dévotion sont plus souvent retrouvés dans les tombes d’enfants de manière générale, en Iakoutie centrale et de fa- çon significative265 contrairement à la ré- gion de l’Indighirka, où ils sont plus sou- vent dans les tombes des sujets adultes de la période postérieure à 1800266.

Selon le type d’objets

Si la croix portée autour du cou constitue la majorité des objets de dévotion (35/45 objets, soit 78%) (Fig. II.134), d’autres sont également présents.

261 - Test de Fisher égal à 0,05.

262 - Respectivement, test de χ2 égal à 24,99 et p inférieur à 0,01, χ2 égal à 16,45 et p inférieur à 0,01 et test de Fisher inférieur à 0,01. 263 - Respectivement tests de Fisher égaux à 0,01 et à 0,03.

264 - Test de Fisher égal à 0,06. 265 - Test de Fisher égal à 0,02. 266 - Test de Fisher égal à 0,03.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 ant 1700 1700-1750 1750-1800 post 1800 po u rcentage chronologie

Fréquence des objets de dévotion dans les tombes

Iakoutie centale (n=19) Viliouï (n=4) Verkhoïansk (n=7) Indighirka (n=8) Iakoutie (n=38)

Figure II.133 : Fréquence des objets de dévotion retrouvés dans les tombes, selon les régions et la chronologie.

Des cierges ont été placés dans le coffre (8/45, soit 18%) (Fig. II.135), généralement associés à une croix (5/8), dès la fin du XVIIIe siècle en Iakoutie centrale. La tombe féminine de Siniges présente alors quatre cierges disposés aux angles du contenant, comme sur le lit du défunt. Leur position est variable, même si la « proximité » du corps est la plus fréquente, dans la main ou sur le corps (5/7) (Tabl. II.16). Trois sujets présentent un dépôt isolé de cierges, l’un dans la région de la Viliouï et les deux autres dans la région de l’Indighirka. Il est étonnant de constater que dans la région de la Viliouï, sur le site de Ottokh alaas, pour la même période, les deux tombes féminines situées côte-à-côte n’ont pas reçu le même

Ken ébé 3 (IAKC) Ken ébé 5 (IAKC)

Ken ébé 6 (IAKC) Balagannakh 3 (IND) Omouk 3 (IND) Omouk 1 (IND) Omouk 2 (IND) Touora urekh 1 (IND) Myran (Verkho) Targana 1 (Verkho)

Ous sire 1 (Verkho) Kuskeghir 2 (Verkho) Pokos (IND) Seden (IAKC) Otchugouï (IAKC) Siniges (IAKC) 1750 -1800 Oulakh 1 (IAKC) Source de la rivière Tandy 1 (IAKC) Dirilaa sayliga (VIL) Tchenkeloeil (VIL) Ottokh alaas 2 (VIL)

Figure II.134 : Exemples de croix de cou, déouvertes dans les tombes (© P. Gérard/MAFSO).

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traitement. En effet, dans l’une, la femme accumule les signes chrétiens, avec une croix portée autour du cou, un cierge dans le contenant, et une croix gravée sur le couvercle de son coffre, vers l’intérieur, tandis que l’autre ne comprend qu’un simple cierge dans le contenant. Cela peut être dû à une pra- tique moins aboutie dans le second cas et à une ferveur ou au contraire une peur dans le premier cas. D’autres sujets portent une couronne de papier autour de la tête, avec l’impression de la Vierge Marie et de versets (2/45, soit 4%)(Fig. II.135), celle-ci est toujours associée à la croix portée. Elle n’est présente que dans les tombes postérieures à 1800, en Iakoutie centrale dans une tombe d’enfant (Ken ébé 5) et dans la région de l’Indighirka, pour une femme (Touora urekh 1).

De manière générale, les femmes associent plus souvent plusieurs objets de dévotion comparées aux hommes, et de manière significative comparée aux enfants267 (Tabl. II.17).

Il reste un objet de dévotion qui a été déposé mais dont sa fonction pourrait avoir été détournée. En effet, une icône a été découverte entourant les membres inférieurs d’un enfant dans la tombe de So- bolokh 2, dans la région de l’Indighirka, tandis que du papier, provenant d’un journal ou d’un manuel

267 - Test de Fisher égal à 0,03.

datation classe âge sexe cierges position couronne de papier Siniges 1750-

1800 adulte femme

quatre aux angles du contenant Seden adulte homme un dans la main g

Ken ébé 5 enfant fille associée à une croix Ottokh

alaas 1 adulte femme isolés un à la tête du sujet Ottokh

alaas 2 adulte femme

associés à

une croix un entre les jambes Byljazyk 2

post à 1800

adulte homme isolés 4 dans la main g Kuskeghir 1 adulte non défini un sur le thorax et un le long du bras g Omouk 1 adulte femme deux sur le thorax Omouk 3 adulte femme un dans la main d

Touora

urekh 1 adulte femme associée à une croix tombes Ve rk ho associés à une croix associés à une croix VI L post à 1800 IA KC post à 1800 post à 1800 IN D

Tableau II.16 : Liste des objets de dévotion autres que la croix portée.

régions dépôt F M enfants p F/M p F/enfants p M/enfants unique 2 3 9 0,71 F 0,42 F 0,51 F multiple 1 1 1 unique 1 2 0,50 F multiple 1 unique 1 3 4 multiple unique 1 3 2 0,20 F 0,30 F multiple 2 unique 5 9 17 0,12 F 0,03 F 0,60 F multiple 4 1 1 IND Iakoutie sujets sujets objets de IAKC VIL Verkho

Tableau II.17 : Tableau de contingence des objets de dévotion, selon l’âge et le sexe et tests exacts de Fisher (F).

pour enfants, entourait le haut du corps (Fig. II.136). Si le style de la représentation de la Vierge à l’en- fant268, rappelant celle de Notre Dame de Kazan, une icône particulièrement révérée, fait penser au XIXe siècle ou au début du XXe siècle, l’écriture utilisant l’alphabet latin sur le papier et le contenu intitulé « le jeune bolchevik » suppose une datation post quem entre 1917 et 1936269. Dans le contexte de la Ré- volution et de la mise en place du communisme, le fait d’utiliser l’icône au même titre que du papier et de la placer dans une tombe la faisant disparaître semble cohérent. Toutefois, elle pourrait également accompagner cet enfant, âgé de moins de 6 mois, lui offrir la bénédiction du Christ et le mettre sous la protection maternelle de Marie. De même, l’utilisation de ce papier intitulé « le jeune bolchevik » n’est pas anodin dans le contexte historique auquel il appartient.

268 - Son originalité est de représenter le Christ enfant, debout, bénissant de sa main droite.

269 - En effet, la latinisation des alphabets des langues allogènes d’URSS est un mouvement pour l’essor de ces langues qui se déroule entre 1917 et 1934 environ (Imart 1965, 223). À partir de 1936, un nouvel alphabet à base de cyrillique le remplace. La Iakoutie fut le premier essai cohérent d’application à une langue indigène d’un alphabet à base latine en 1919 sous l’influence d’un linguiste d’origine iakoute (S.A. Novgorodov). Son alphabet est le premier que l’on voit employé sur une large échelle et de façon quotidienne à des fins pratiques et domestiques (presse, revues, correspondances administratives et privées) (Imart 1965, 228). Dès cette date, la lecture et la diffusion d’ouvrages est facilitée.

Figure II.135 : Cierge placé dans la main du défunt (Seden, Iakoutie centrale), à gauche et couronne de papier autour de la tête, à droite (Ken ébé 2, Iakoutie centrale) (© P. Gérard/MAFSO).

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En résumé, les objets de dévotion apparaissent au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, avant de se répandre dans les tombes du XIXe siècle, sans distinction d’âge ou de sexe de manière générale. On distingue les objets les plus courants, les croix de cou, témoins à la fois du contexte social (pression en faveur de l’Orthodoxie) et, peut-être aussi, d’une dévotion personnelle, des cierges ou des couronnes, plutôt liés à la liturgie religieuse. La présence de l’icône, liée aux inhumants, est plus difficile à cerner. Elle pourrait conserver une fonction de protection malgré le contexte historique dans lequel elle se place. Il faut noter à ce propos le pliage amenant le Christ sur le dessus, étant ainsi le premier élément à être vu, ce qui n’est peut-être pas insignifiant. Enfin, les femmes tendent à multiplier les objets de dévotion, ce qui signale sans doute leur engagement plus important dans la religion et/ou une plus grande rigueur dans son application.

Figure II.136 : Icône de la Vierge à l’enfant, retrouvée dans la sépulture de Sobolokh 2 (© P. Gérard/ MAFSO). Le panneau central mesure environ 27,4 x 22 cm, dimensions proches de l’original miraculeuse qui mesurait 27 x 22,5 cm (source : https://www.holyart.fr/articles-religieux/ icones-religieuses/icones-russes-anciennes/icone-russe-ancienne-vierge-kazan-xviii-siecle).

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Dakky kuola (VIL) Ken ébé (IAKC)

Ottokh alaas 2 (VIL) Tympy 2 (VIL)

5 6 IMM A TURE S ADUL TE S Tympy 2 (VIL) au revers

Figure II.137 : Exemples de croix peintes ou gravées (© P. Gérard/MAFSO).

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