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II. 2 3 Les éléments vestimentaires décorés et la parure

II.2.3.2. La ceinture décorée

Le port de la ceinture

Notre étude minimise le nombre de cein- tures, en raison du problème de conserva- tion. En effet, nous ne retrouvons souvent que les éléments métalliques (boucles de ceinture ou pièces de décoration). La conservation de certaines tombes per- met également d’en reconnaître d’autres, qui sont parfois simplement nouées (Fig. II.141). Ainsi, lorsque la conservation n’est pas bonne, ce qui touche notamment les tombes les plus anciennes, ces dernières ne sont pas reconnues et de ce fait la fré- quence de ceinture décorée paraît forte. Nous nous attacherons donc peu à la fré- quence des ceintures décorées ou non dans notre échantillon, mais nous discute- rons davantage la présence de la ceinture décorée et son évolution chronologique. Ainsi, 24/51 sujets portent une ceinture décorée, soit près de 55% des cas ; tou- tefois, certains sujets, féminins, peuvent

porter deux ceintures. Ainsi, au total vingt- huit pièces ont été observées. Présent à la période antérieure à 1700, son port aug- mente considérablement avant de dimi- nuer à la seconde moitié du XVIIIe siècle puis de disparaître (Fig. II.142). De manière générale à l’échelle de la Iakoutie, le port de ceinture décorée est significatif de la première moitié du XVIIIe siècle, en com- paraison avec les périodes précédente et suivante276. Seule la région de Verkhoïansk montre une différence chronologique si- gnificative, avec la présence de ceintures décorées uniquement à la première moitié 275 - Tests de Fisher égaux à 0,07.

276 - Respectivement test de Fisher égal à 0,02 et test de Fisher inférieur à 0,01.

Figure II.141 : À l’image de la tombe de Byljasyk 2, dans la région de Verkhoïansk, le manteau est maintenu par une ceinture simplement nouée, ce qui ne laisse pas de traces en cas de mauvaise conservation et de dégradation taphonomique (© P. Gérard/MAFSO, restitution Ch. Petit-Hochstrasser).

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 ant 1700 1700-1750 1750-1800 post 1800 po u rc e n tag e chronologie

Fréquence de la ceinture décorée sur les ceintures identifiées dans les tombes

Iakoutie centale (n=13) Viliouï (n=4) Verkhoïansk (n=11) Indighirka (n=0) Iakoutie (n=28)

Figure II.142 : Fréquence de la ceinture décorée sur les ceintures identifiées dans les tombes, selon les régions et la chronologie.

du XVIIIe siècle277. De même, selon les régions, le port de la ceinture décorée est plus important com- paré à celui de la Iakoutie centrale, et de manière significative, de manière générale et pour la période 1700-1750, où elle s’approche du seuil de significativité278. Les femmes cumulent alors à la fois une ceinture de perles et une ceinture dite de fiancée.

Aucune différence selon l’âge ou le sexe n’est notée.

Selon le type de ceinture

Trois types de ceinture décorée ont été identifiés  : la ceinture composée de perles, la ceinture décorée de motifs va- riés en métal et la ceinture dite de fiancée, associant perles et pendants en éléments métalliques (Fig. II.143).

La ceinture de perles est retrouvée aussi bien portée par les hommes que par les femmes, avec cependant une préférence féminine (6/9). En effet, on la retrouve en Iakoutie centrale à la période antérieure à

1700 dans la tombe masculine de Djoussou len, puis à la période suivante dans la tombe masculine de Mounour urekh 1 ainsi que dans les tombes féminines de Eletcheï 1 et Eletcheï 2 (enfant). Un exem- plaire est porté dans la tombe masculine de Atyyr meite 1 dans la région de Verkhoïansk, et quatre autres dans les tombes féminines de Ieralaakh, Kureleekh 2, Sordonokh et Tysarastaakh 2, toutes datées de 1700-1750.

La ceinture décorée d’éléments métalliques est uniquement portée par les hommes (9). Deux d’entre eux appartiennent à la période antérieure à 1700, l’un en Iakoutie centrale (At daban 4), l’autre dans la région de la Viliouï (Oyogosse tumula 1). Six autres ont été retrouvées dans des tombes datées de la première moitié du XVIIIe siècle : en Iakoutie centrale, à Arbre chamanique 1 et Kous tcharbyt, dans la région de la Viliouï, à Boulgounniakh 1 et Célyyssé et enfin dans la région de Verkhoïansk, à Bakhtakh 3 et Kerdugen. Enfin, une seule tombe datée de 1750-1800 contient une ceinture portée par un adoles- cent en Iakoutie centrale (Arbre chamanique 2). Les décors sont originaux, allant d’un motif floral à de petits plaques rectangulaires, pour la plupart, elles-mêmes décorées (Fig. II.144).

Les ceintures dites de fiancée sont uniquement portées par les femmes et datées, à une exception près, de la période 1700-1750. Seule la sépulture de Us Sergué 1 date de la période 1750-1800. Cinq ont été découvertes en Iakoutie centrale, une dans la région de la Viliouï et quatre dans la région de Verkhoïansk (Tabl. II.19).

La ceinture, telle que nous l’avons retrouvée dans les tombes, se compose d’un « tablier » de perles et/ou d’une ceinture, éventuellement celle du slip, auxquels des pendants sont attachés (Fig. II.145). Généralement ceux situés à l’entre-jambes sont plus longs, afin d’émettre un son lors du franchis-

277 - Test de Fisher égal à 0,01.

278 - Respectivement test de χ2 égal à 3,94 et p égal à 0,05 et test de Fisher égal à 0,07.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 IAKC (n=13) VIL (n=4) Verkho (n=11) IND (n=0) Iakoutie (n=28) po u rc e n tag e régions

Types de ceinture décorée selon le nombre de sujets

dite de fiancée avec décor perles métal

Figure II.143 : Types de ceinture décorée, selon les régions.

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sement du seuil de la porte de la nouvelle maison de l’épouse (Crubézy, Alexeev 2007, 20, Petro- va 2010, 108). Synonymes de virginité, nous constatons qu’à la première moitié du XVIIIe siècle, les adolescentes conservent les pendants de l’entre-jambes (Kyys Ounouogha, Ieralaakh et Sordonokh), contrairement aux femmes adultes où ils sont coupés, de manière significative279. Dans tous les cas, ils

279 - Test de Fisher égal à 0,01.

Figure II.144 : Exemple de ceintures décorées retrouvées dans les tombes (© P. Gérard/MAFSO ; restitutions Ch. Hochstrasser-Petit). Tableau II.19 : Liste de ceintures dites de fiancée retrouvées dans les tombes.

Arbre chamanique 2 (IAKC) At daban 4 (IAKC)

Bakhtakh 3 (Verkho) Kerdugen (Verkho)

Djoussou len (IAKC)

Ant é rieur e à 1700 1700 -1750 1750 -1800 Eletcheï 1 (IAKC) Sordonokh (Verkho) Ieralaakh (Verkho) Eletcheï 2 (IAKC) Femmes Hommes g ( ) Kerdugen (Verkho)

datation âge nature pendants décor vierge

Istekh myran 2 âgée tablier coupés ronds

Kyys

ounouogha 18-23 ans tablier

non coupés

(4/5) plaques oui

Boyola 2 20-30 ans tablier coupés ronds

At daban 8 25-30 ans tablier coupés ronds

Us sergué 1 1750-1800 30-40 ans ceinture non coupés (4) plaques

VI

L Boulgounniakh

2 30 ans tablier coupés ronds non

Ieralaakh 14-17 ans ceinture non coupés (6) plaques

Kureleekh 2 âgée tablier coupés plaques

Sordonokh 16-18 ans ceinture non coupés (6) plaques

Tysarastaakh 2 âgée tablier coupés plaques,

ronds Ve rk ho 1700-1750 1700-1750 1700-1750 tombes féminines IA KC

Sordonokh (Verkho), adolescente Kureleekh 2 (Verkho) Tysarastaakh 2 (Verkho) B oul g ounnia kh 2 ( VIL) Boulgounniakh 2 (VIL) Kyys ounouogha (IAKC)

Istekh Myran 2 (IAKC)

Boyola 2 (IAKC) Us sergué 1 (IAKC) At daban 8 (IAKC), adolescente Ieralaakh Verkho), adolescente Pendants sur tablier

P la q ues méta ll iq ues R onds Pendants à la ceinture ( ( (VeVeerkrkrkrr hhhhhhh B B llll i kkhh ( ) B ou lg o unnia kh 2 ( VIL) Ky

Figure II.145 : Les ceintures dites de fiancée retrouvées dans les tombes (© P. Gérard/ MAFSO, restitutions Ch. Petit-Hochstrasser, motifs S. Duchesne).

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affichent systématiquement un nombre pair, associé au monde des morts pour les anciens Iakoutes (Crubézy, Alexeev 2007, 20), quitte à sectionner l’un d’eux, à l’image de la tombe de Kyys ouonouogha. Ce dernier a été retrouvé au sein de la superstructure. La conservation des ceintures pour les tombes de Ieralaakh et de Sordonokh ne permet pas de définir si d’autres pendants ont pu exister et être cou- pés. La tombe de Us sergué 1, en Iakoutie centrale, est plus récente (1750-1800) et la ceinture, entière, conserve ses quatre pendants.

Les pendants peuvent être composés soit de motifs ronds soit de plaques individuelles assemblés les uns aux autres. Si la Iakoutie centrale et la région de la Viliouï offrent essentiellement des pendants à base de motifs ronds (5/6), la tombe de Kyys ounouogha faisant exception, la région de Verkhoïansk au contraire voit la constitution de pendants à base de plaques individuelles préférentiellement (4/4). La ceinture de la tombe de Tysarastaakh 2 cumule cependant les deux modèles. La différence opposant ces deux ensembles est significative280. Cela suppose un artisanat ou un approvisionnement différent selon les régions. Les motifs des plaques individuelles sont identiques281 quelle que soit la région, à l’exception de la tombe la plus tardive, celle de Us sergué 1. En effet, les plaques de cette ceinture sont le résultat de l’assemblage des éléments ronds et non de plaques individuelles, contrairement aux autres. Cette ceinture apparaît alors presque comme une imitation des ceintures plus anciennes ou considérées comme mieux décorées.

Deux types de ceintures, portées par les jeunes filles ou les jeunes mariées, ainsi que les chamanes, ont été identifiées par les ethnologues (Fig. II.146). Cependant, leurs noms peuvent porter à confusion car ils reflètent plusieurs significations.

La première, appelée tyusyulyuk, est entièrement brodée de perles et composée de pendants en métal. Après le mariage, elle n’était plus portée. Si le terme renvoie à une décoration de poitrine282 chez

280 - Opposition Iakoutie centrale-Viliouï et Verkhoïansk (5 ronds et 1 plaque contre 0 et 4, test de Fisher égal à 0,02) ; Iakoutie centrale et Verkhoïansk (4 et 1 contre 0 et 4, test de Fisher égal à 0,04).

281 - Ceux de Sordonokh ne sont pas clairement identifiables, en raison de la corrosion du métal et peut-être aussi de l’utilisation de moulages ayant servi plusieurs fois ou de sur-moulages lors de leur fabrication. Toutefois, les motifs les mieux conservés paraissent identiques.

282 - « À la différence des femmes, les jeunes filles portent une poitrinière tout comme les femmes toungouses. Elles la décorent de perles et attachent des pendeloques en cuivre jaune. Cette poitrinière est nommée tyusyulyuk. Quand la jeune fille se marie, elle enlève cette poitrinière et ne la porte plus » (Lindenau 1983, 27).

Figure II.146 : À gauche, la ceinture tyusyulyuk ou dalys et à droite la ceinture syppa byata. Reconstitutions de Petrova (Petrova 2002, fig. XII et XIII, 97-98).

certains auteurs (Lindenau 1983, 27 ; Petrova 2002, 97-98), d’autres l’identifient comme la ceinture dite de fiancée (Petrova 2010, 107 ; Neustroyev 2006, 59), avec un tablier (tyusyulyuk ou dalys) cousu par les Iakoutes du Nord, décoré de perles, de plaques de métal et de pendentifs (Gavrilieva 2000, 126). Selon Petrova, le terme désigne a priori l’ensemble constitué de la ceinture dite de fiancée et de la décoration de poitrine sur le costume des chamanes. Cette dernière décoration, utilisée pour le rite d’incantation dans le monde inférieur et moyen, était considérée comme la partie « sale » de son costume (Petrova, 2002, 97-98), c’est probablement pourquoi nous ne l’avons pas retrouvée dans les tombes, ou peut- être qu’elle n’était tout simplement plus utile.

La seconde est constituée d’une longue sangle de cuir, richement ornée qui couvre le bassin, ap- pelée syppa byata (Petrova 2010, 108) ou myannaryk ou syppa (Gavrilieva 2000, 90) et attachée à la « couverture » du bassin, de sorte qu’elle ne touche pas le sol283. Les pendentifs et les clochettes sont attachés au bout des lanières (Sleptzov 1903 cité par Gavrilieva 2000, 90). Elle représente le lien entre la mariée et le monde « étranger » (Petrova 2010, 108).

Ces deux ceintures symbolisent, d’une part, la pureté et la chasteté de la jeune fille (Petrova 2010, 108). Selon la tradition ancienne, les pendants en métal qui couvraient le bassin d’une riche mariée devaient tintiller pendant qu’elle franchissait le seuil de la maison de son mari (Petrova 2010, 108), voire sonner puisque beaucoup de ceintures avait une clochette en métal à l’emplacement des parties intimes de la mariée. L’intensité du son révélait la pureté et la chasteté de la fille : les sonneries aigües et fortes définissaient une jeune fille chaste, rapide, agile et « propre », tandis qu’un son faible était considéré comme un signe de simplicité, de bêtise et de négligence (Novgorod 1955 : 149-151, Nosov 1955 : 96 ; Sleptsov 1989 : 36, 53 cités par Petrova 2010, 109). Elles apportaient, d’autre part, une protection, même pour les très jeunes filles, puisqu’elles pouvaient en être habillées dès l’âge de 7-8 ans (Petrova 2002, 97-98). Elles protégeaient non seulement pour la jeune mariée mais aussi pour les chamanes, car elles représentaient les personnes qui entraient en lien avec l’outre-monde (Petrova 2002, 97-98). Elles étaient censées protéger les femmes et l’âme humaine contre le mauvais œil et l’influence des puissances adverses (Neustroyev 2006, 59 ; Petrova 2010, 110).