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5.2.1 Présentation du corpus

Notre étude de l’obtention du pourpre au Moyen Âge a été conduite sur un corpus de verres médiévaux, appelé « Les Têtes ». Cet ensemble est constitué de 62 pièces de verre médiéval, pour la plupart des visages de personnages, saisi par les autorités en 2009 avant sa vente aux enchères à Chartres, au motif que ces pièces provenaient de monuments appartenant à l’État et quelles en étaient donc une propriété inaliénable. Une expertise conduite par Claudine Lautier et Karine Boulanger [128] a permis d’identifier l’histoire de ce corpus.

Au xixe siècle, la préoccupation première de la restauration de vitrail était de retrouver

la lisibilité de l’œuvre, il était donc courant de retirer des pièces trop altérées, cassées et des bouche-trous, en les remplaçant par des pièces neuves et plus en accord avec le reste du panneau. De plus, certaines pièces étaient également retirées et remplacées par des copies, au seul motif

5.2. LES TÊTES 145 qu’elles étaient belles. Dans tous les cas, les pièces originales étaient censées être restituées aux propriétaires du vitrail, mais cela était rarement le cas, et ce dans le but d’enrichir la collection du restaurateur voire d’être vendues. Le corpus qui nous intéresse ici provenait de la collection de Dina Vierny, collectionneuse d’art et modèle pour plusieurs artistes parmi lesquels Aristide Maillol. Elle avait acquis sa collection de vitraux et notamment les pièces de notre corpus au cours de la vente de la collection de Michel Acézay (1878-1944), lui-même collectionneur et peintre-verrier exerçant à Paris. Il aurait constitué sa collection en allant à la rencontre de ses confrères et en les convainquant de lui céder leurs pièces.

Par la caractérisation du style de la grisaille, l’expertise a permis de donner la datation et la provenance géographique d’une grande partie des pièces du corpus. Pour certaines pièces provenant d’édifices célèbres, il a même été permis d’identifier précisément la baie d’origine, tant la copie était fidèle. C’est le cas notamment pour plusieurs pièces de la cathédrale de Chartres et de l’église Saint-Germain-des-Prés de Paris (figure 5.3).

Figure 5.3 – La pièce 42-2 (à gauche) provient de la cathédrale de Chartres. Plus précisément, du panneau 62 de la baie 42 (au centre). Il s’agit du visage d’un des anges portant la couronne du Couronnement de la Vierge. Le panneau actuellement monté possède une copie fidèle de la pièce. Les images proviennent du rapport remis à la Réunion des Musées

Nationaux par Lautier et Boulanger [128].

Les pièces en suffisamment bon état pour être datées ont presque toutes été rattachées

entre le xiie et le xive siècle, avec une plus forte proportion de verres du xiiie siècle. La seule

exception est une pièce du xixe siècle, copie soignée d’un visage du xiiie siècle. D’un point

Poitiers, de Sens à la Normandie et Angers. Parmi les édifices célèbres dont au moins une pièce provient avec certitude, on peut citer notamment les cathédrales de Chartres, Bourges, Angers et Soissons, ainsi que la Sainte-Chapelle de Paris.

Ce corpus présente de nombreux intérêts pour l’étude que nous souhaitons mener. D’abord, il contient un grand nombre de pièces, dont les couleurs varient des différentes échelles de pourpres à l’incolore avec une légère teinte verte ou bleue. De ce fait, il nous permet d’explorer toute la gamme de l’équilibre d’oxydoréduction fer-manganèse que nous évoquions au paragraphe précédent. De plus, par la variété des provenances géographiques de ces pièces, nous aurons un aperçu de la technologie de production de ces couleurs qui devrait être général des techniques employées à la fin du Moyen Âge. Enfin, ces pièces dépiquées sont actuellement au LRMH pour une étude complète sur leur état sanitaire et la caractérisation des verres et des peintures, leur accès en est facilité et nous pouvons envisager d’employer des techniques d’étude difficiles à mettre en œuvre avec des panneaux complets en restauration, comme la spectroscopie XAS avec le rayonnement synchrotron, qui une technique non-destructive mais qui ne peut être menée in

situ du fait de la taille des équipements qu’elle exige.

Nous avons conduit les analyses de spectroscopie optique sur l’ensemble du corpus. En revanche, les analyses de composition chimique n’ont pu être menées que sur une petite partie du corpus, choisie de sorte à être représentative des provenances, des couleurs et des âges, et en favorisant les pièces issues d’édifices célèbres, pour avoir un maximum d’informations à leur sujet. La spectroscopie XAS a été conduite sur un sous-ensemble des pièces dont la composition chimique était connue.

5.2.2 Analyse de la composition chimique des verres médiévaux

L’analyse des compositions chimiques a été réalisée en 2013 par le pôle scientifique Vitrail du LRMH, en utilisant de manière combinée les techniques PIXE et PIGE (Proton Induced

X-ray/Gamma ray Emission10) à l’accélérateur de particules AGLAE, situé au Centre de recherche

et de restauration des musées de France (C2RMF) dans les sous-sols du musée du Louvre. Les résultats des analyses sont donnés en page 187. Les photos de verres analysés par PIXE/PIGE

5.2. LES TÊTES 147 sont également données en pages 181 et 180.

Dans les figures qui suivent, nous avons coloré les points correspondant aux compositions en fonction de la couleur du verre. Nous distinguons ainsi les verres « blancs », de teinte verdâtre, les verres « pourpres », allant de la couleur chair à la teinte violette, et les verres « jaunes », correspondant à deux verres jaunes, l’un étant teinté uniquement en surface (considéré comme étant un jaune d’argent), l’autre teint en masse.

Nous présentons figure 5.4 deux diagrammes ternaires. Le premier montre que la composition du verre en termes de rapport fondants/silice varie peu. En revanche le second montre que, malgré un fort regroupement dans une certaine zone du diagramme sodium/calcium/potassium, quelques verres s’écartent de ce groupe. Ces verres correspondent aux deux verres de Chartres d’un côté (plus pauvres en potassium et en magnésium), aux deux points réalisés sur le verre avec du jaune d’argent (enrichi en sodium, ce qui est compatible avec le fait qu’il provienne de Normandie, comme évoqué dans le chapitre 3), et à deux verres appauvris en calcium (un

pourpre de provenance inconnue et un verre blanc de Saint-Germain-des-Prés11). En suivant la

classification établie dans le chapitre 3, ces verres appartiennent tous à la catégorie des verres potasso-calciques, dont nous avions identifié qu’elle était la composition habituelle des verres à

cette époque (xiie-xive siècle) et dans cette région (Nord-Ouest de la France).

Dans la mesure où les colorations incolores et pourpres sont gouvernées par l’équilibre entre le fer et le manganèse, nous donnons figure 5.5 le taux de fer en fonction du taux de manganèse. Nous remarquons que les verres pourpres contiennent tous plus de manganèse que les verres qui ne sont pas pourpres. Le taux de fer dans les pourpres varie peu : la plupart des verres ont

entre 0.19 et 0.26 mol% en Fe2O3. Les verres blancs possèdent toujours moins de manganèse,

mais leurs taux de fer sont plus variables. Dans la partie 5.4.2, nous aborderons plus en détail la relation entre fer, manganèse et couleur du verre.

Un point intéressant concernant le manganèse est l’apparente corrélation manganèse/barium figure 5.6, qui suit deux droites différentes, ce qui pourrait mettre en évidence l’existence de deux sources différentes de manganèse, l’une étant plus enrichie en barium (droite bleue) que l’autre (droite rouge). Nous pouvons remarquer que les verres utilisant l’hypothétique source enrichie en barium sont également les plus pauvres en manganèse total, et que ce sont également

0 20 40 60 80 100% 80 60 40 20 0 100% 0 20 40 60 80 100% CaO Na 2O K2O + MgO Purple "White" Yellow (bulk) Yellow (paint) 47-28 Chartres 0 20 40 60 80 100% 80 60 40 20 0 100% 0 20 40 60 80 100% Na 2 O + K 2 O CaO + MgO SiO2 Purple "White" Yellow (bulk) Yellow (paint)

Figure 5.4 – Diagrammes ternaires représentant la composition des verres analysés en PIXE. Les échantillons sont classés en fonction de leur couleur : incolores, pourpres, et les deux types

de verres jaunes 0.35 0.30 0.25 0.20 0.15 Fe 2 O3 (mol%) 1.8 1.6 1.4 1.2 1.0 0.8 MnO (mol%) Purple "White" Yellow (bulk) Yellow (paint)

Figure 5.5 – Pourcentage molaire de Fe2O3 en fonction du pourcentage molaire de MnO

5.3. VERRES MODÈLES 149