• Aucun résultat trouvé

3.2 Évolution de la composition du verre

3.2.2 L’âge d’or du vitrail

Du xiie au xvie siècle, depuis les premières grandes études par Geilmann [51] et par Turner

[?], les compositions des verres sont divisés en deux grands groupes.

D’une part les verres sodiques, issus soit de recyclage de verre romain, une pratique dont

les Français seraient spécialistes au xiie siècle d’après le moine Théophile [42] notamment pour

la fabrication de verre bleu, comme à Saint-Denis et Chartres [52, 53] ; soit neufs, produits avec des cendres de plantes riches en sodium, une technique conservée dans tout le pourtour méditerranéen [54], notamment à Venise [35e], avec l’importation de cendres sodiques du Levant [55].

D’autre part, à l’intérieur des terres, on trouve les verres forestiers, de composition po-tassiques et/ou calciques. La plupart des études sur ces verres se concentrent sur la France

[53, 56, 57], le Saint-Empire [58–60] ou l’Angleterre [61], mais ces compositions peuvent éga-lement être trouvée en Espagne, comme en témoignent plusieurs études sur les vitraux de la Cathédrale de León [62,63].

Des études sur un très grand nombre de verres ont été conduites ces vingt dernières années sur des grands ensembles de verres, ne provenant pas nécessairement de vitraux, mais aussi de verre creux, ainsi que des verres retrouvés lors de fouilles, parfois sur des sites de production : il est alors difficile de déterminer s’il s’agit d’un site produisant du verre plat ou creux.

Pour les verres allemands, on peut citer deux revues de Wedepohl, la première en 1997 [59] sur des verres de fouilles d’ex-Allemagne de l’Ouest, la seconde en 2010 incluant également des verres plus orientaux, jusqu’à la Moravie [60]. Les deux études concluent que dans cette région,

les verres sont potassiques de l’an mil au xve siècle, avec des taux de K2O et CaO proches, et

des taux de silice légèrement inférieurs à 50 wt%. À partir du xive siècle, on voit apparaître

les verres calciques, dans un premier temps avec une augmentation du taux de calcium au dépend de celui de potassium et sans changement notable de celui de silice, par rapport aux

verres potassiques puis au xve, une nouvelle diminution du taux de potassium, avec cette

fois-ci une augmentation du taux de silice, qui passe au dessus de 50 wt%. Les verres allemands tendraient à être plus pauvres en magnésium et phosphore (en général moins de 4 wt% et 3 wt% respectivement) que les verres anglais et français car les premiers n’utiliseraient que des cendres de hêtre comme fondant alors que les seconds emploieraient également des cendres de fougères. La transition vers les verres calciques serait quand à elle due au remplacement progressif des centres de hêtre par des centres de sapin, ce qui permet d’expliquer l’augmentation des taux de calcium et de magnésium, au contraire d’un hypothétique ajout de calcaire comme source de calcium.

Schalm et al. ont pour leur part analysé des compositions de verres à vitre, provenant principalement de fouilles d’édifices séculiers belges des Flandres à Namur [58]. Cette

fois-ci, des verres calciques ont été retrouvés dès le xiie siècle, avec des taux de potassium et de

calcium plus grands que ceux des verres à partir du xve, très proches des verres allemands de

cette période. En revanche, les taux de silice des calciques après le xve sont plus élevés qu’en

Allemagne (56 wt% en moyenne, contre 51 wt%). Les verres potassiques existent sur toute la période que nous étudions, avec des taux comparables de potassium et de calcium (autour de

3.2. ÉVOLUTION DE LA COMPOSITION DU VERRE 67

20 wt% et 15 wt% respectivement au xiiie et xve siècle) et des taux de silice identiques aux

verres calciques de leurs périodes respectives (47 wt% et 56 wt%). Les taux de P2O5 sont bas

(moins de 3 wt%) mais les taux de MgO plus élevés qu’en Allemagne (3 à 6 wt% selon les

compositions et les périodes). L’article montre que les verres calciques à partir du xve siècle

ont une corrélation positive entre les concentrations de Na2O et Cl, et négative entre K2O et

Cl, ce qui indiquerait l’usage de sel dans la composition du fondant (et non directement du verre), le sel étant ajouté en concurrence de la matière première apportant le potassium.

Deux études de ce type existent en France.

La première, menée par Barrera et Velde en 1989 [57], compare des verres de fouilles menées sur 11 sites différents, de la Lorraine à la Normandie et à Poitiers, ainsi que près de Grenoble.

Les verres étudiés sont datés du xieau xviiie siècle, et proviennent de sites urbains ainsi que de

deux sites de production, en Isère et dans l’Argonne (en Champagne). L’étude montre que les verres sodiques sont aisément distinguables des autres verres potassiques et calciques. Le site

de production en Isère, actif du xiiieau xve siècle produisait majoritairement du verre sodique

et le site dans l’Argonne n’en a jamais produit. Dans l’Ouest de la France (jusqu’à Orléans et Meaux), des verres sodiques sont présents à toutes les périodes et dans une proportion croissante

(un quart des verres du xvie, plus de la moitié à partir du xviie). En revanche dans l’Est (à

partir de Châlons-en-Champagne), ils n’apparaissent qu’au xviiie siècle. Cette présence de

verres sodiques et leur multiplication serait due d’une part à l’importation des objets, d’autre

part à l’arrivée attestée de verriers italiens d’Altare (en Ligurie) à partir du xvie siècle. Les

autres verres (potassiques et calciques indifféremment) sont séparés en fonction de leur taux de magnésium et de sodium, les verres de l’Est étant relativement plus pauvres en ces deux éléments que les autres. En revanche les seuils utilisés varient selon les époques, autour de

3 wt% de MgO et 1 wt% de Na2O. La distinction entre les verres potassiques et calciques n’est

pas faite explicitement, mais nous remarquons qu’elle est nette et brutale dans l’Est (verres

potassiques avec des concentrations en calcium et potassium proches avant le xve siècle, et

verres calciques ensuite), alors que les verres calciques apparaissent rares à l’Ouest jusqu’au

xve et progressent jusqu’à représenter un tiers des verres non sodiques au xviie siècle.

internationale pour l’histoire du verre (AIHV) en 2003, publiée dans les annales de ce congrès [53] et plus récemment dans le catalogue de l’exposition Le Verre : un Moyen Âge inventif, qui s’est tenue en 2017 au Musée de Cluny [35e], ces travaux n’ayant pas fait l’objet d’une publication dans une revue à comité de lecture. L’étude porte sur les verres plats de la collection

du Musée de Cluny, à Paris, provenant de divers sites du xiiiesiècle (Sainte-Chapelle de Paris,

une abbaye francilienne, cathédrale et château de Rouen) et du xve siècle (Sainte-Chapelle de

Paris, Bourges, Provins et sites non-identifiés de Bretagne et Normandie). L’étude confirme

d’abord le constat fait par Brill [64] et Barrera [57] que les verres français du xiiiesiècle (moitié

ouest jusqu’à Paris) contiennent des taux de MgO supérieurs à 4 wt% tandis que les verres germaniques se placent sous ce seuil. De plus, l’étude distingue deux sous-groupes dans les verres de France occidentale : les verres d’Île de France tendent à avoir des taux de sodium faibles (inférieurs à 1.5 wt%) contrairement aux verres de Normandie, qui auraient des taux de sodium supérieurs à 1.5 wt%, en plus d’une corrélation entre les taux de sodium et de magnésium, absente des verres franciliens. Les auteurs attribuent ce fort taux de sodium à l’utilisation de sel, mais cela n’explique pas la corrélation sodium/magnésium et leurs données ne montrent pas de corrélation sodium/chlore. Les deux types de verres sont rencontrés à la Sainte-Chapelle, ce qui serait un signe de commerce de verre : le chantier de la Sainte-Chapelle demandant un très grand nombre de verre en très peu de temps, les peintres-verriers auraient été fournis (via les marchands) par de nombreux fabricants répartis sur le territoire. Une deuxième explication est avancée dans la catalogue de l’exposition, utilisant les taux d’éléments traces pour montrer que les matières premières proviendraient toutes d’Île-de-France et que des maîtres-verriers provenant de Normandie, avec leur propre recette, seraient venus en Île-de-France produire des verres pour la Sainte-Chapelle, aux côtés des verriers déjà sur place. Cette hypothèse est compatible avec l’aspect itinérant des maîtres-verriers de cette époque, mais l’analyse des taux d’éléments traces paraît peu convaincante car les proportions en éléments traces en Île-de-France et en Normandie sont proches. Les auteurs ne s’intéressent pas aux autres éléments, mais nous utiliserons leurs données dans la suite de l’étude.