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3.4. Le protocole expérimental

3.4.4. La tâche de jugement d’acceptabilité

Nous avons élaboré cette tâche de jugement d’acceptabilité sur la base de l’hypothèse ④ selon

laquelle les apprenants L2 devraient juger plus favorablement la variante formelle de la liaison variable (réalisée avec liaison) que les enfants L1. Cette tâche, dont les résultats seront comparés à

ceux de la tâche de dénomination d’images, permettra aussi de tester l’hypothèse ⑥ selon laquelle

les enfants francophones natifs seraient engagés dans un processus d’abstraction et les apprenants

adultes de FLE seraient guidés dans un processus de procéduralisation (cf.!chapitre %︎-2.5).

Afin de pouvoir comparer les résultats avec ceux de la tâche de dénomination d’images, nous avons

conservé tous les M1, soit!: “un”, “trois”, “petit”, “gros” et “grand” ―!ce dernier pour les apprenants

de FLE uniquement. En revanche, pour éviter une tâche de jugements d’acceptabilité trop longue, nous avons éliminé deux M2 tout en prenant soin de préserver la diversité syllabique présente dans la tâche de production. Nous avons donc gardé des mots qui comportent un nombre de syllabes

différent! : “arbre” (monosyllabique), “avion” (dissyllabique), “éléphant” (trisyllabique) et

“ordinateur” (quadrisyllabique). Les jugements portaient sur des paires impliquant des liaisons catégoriques (entre le déterminant et le nom) et des liaisons variables (entre l’adjectif qualificatif et le nom). Comme pour la tâche de production, il y avait alternance entre les participants qui commençaient par des séries composées de l’un ou l’autre de ces deux contextes de liaison afin que les effets d’ordre et de fatigue ne s’expriment pas sur les mêmes paires données à juger.

3.4.4.1. Jugement d’acceptabilité de la liaison catégorique opposée à l’erreur

Concernant les liaisons catégoriques, nous avons opposé des liaisons catégoriques réalisées justes à

des liaisons catégoriques non réalisées, c’est-à-dire à des erreurs d’omission, par exemple /œ̃navjɔ̃/

vs /œ̃ avjɔ̃/ pour “un avion” (série A en annexe 10). Nous avons également opposé des liaisons

catégoriques réalisées justes à des liaisons catégoriques réalisées fausses, c’est-à-dire à des erreurs

de substitution, par exemple /trwazavjɔ̃/ vs /trwanavjɔ̃/ pour “trois avions” (série B en annexe 10).

Pour chaque série, les apprenants L2 jugeaient huit paires composées des M1 “un” et “trois” associés aux M2 “arbre”, “avion”, “éléphant” et “ordinateur”. Chaque paire était entendue et jugée deux fois,

une fois dans le sens juste-faux et une fois dans le sens faux-juste!; les apprenants de FLE ont alors

jugé seize paires de chaque série. Si tous les participants L2 ont donc jugé au total trente-deux paires impliquant les liaisons catégoriques, les enfants francophones natifs n’en ont eux jugés que seize. En effet, ces derniers ne pouvant soutenir leur attention sur une tâche aussi longue, nous nous sommes servie du grand nombre de participants L1 afin de réaliser cette alternance.

3.4.4.2. Jugement d’acceptabilité des deux variantes de la liaison variable

S’agissant des liaisons variables, nous avons opposé des liaisons variables réalisées justes à des

liaisons variables non réalisées, par exemple /œ̃gʁozavjɔ̃/ vs /œ̃gʁoavjɔ̃/ pour “un gros avion” (série

C en annexe 11, tableau A). Soulignons qu’une liaison variable non réalisée (série C) n’est pas une erreur d’omission au même titre qu’une liaison catégorique non réalisée (série A), nous ne pouvons

donc pas qualifier le sens d’énonciation de «!juste-faux ou faux-juste!». En effet, tous les locuteurs

francophones réalisent les liaisons catégoriques et en omettre peut être assimilé à une erreur. En revanche, les liaisons variables sont loin d’être toutes réalisées par l’ensemble des locuteurs francophones et leur non réalisation correspond à l’utilisation d’une des variantes offertes par la phonologie du français. Si tous les participants L2 ont donc jugé au total seize paires impliquant les deux variantes liaisons catégoriques, les enfants francophones natifs n’en ont eux jugés que huit. Comme pour les jugements de contextes de liaisons catégoriques, nous nous sommes servie du grand nombre de participants L1 afin de réaliser cette alternance.

3.4.4.3. Jugement d’acceptabilité de la liaison variable opposée à l’erreur

Nous avons par ailleurs opposé des liaisons variables réalisées justes à des erreurs de liaison. Contrairement aux séries A, B et C qui comportent chacune seize paires, les séries D, E et F n’en

comportent que huit. En effet, pour opposer des liaisons variables réalisées justes à des erreurs CL non attendue, par exemple /œ̃gʁozavjɔ̃/ vs /œ̃gʁosavjɔ̃/ pour “un gros avion”, (série D en annexe 11), nous n’avions que le M1 “gros” commun aux deux groupes de participants en production. Or les séries A, B et C comportent toutes deux M1, ce qui double le nombre de paires. Par ailleurs, tandis que les enfants francophones natifs ne jugeaient les paires proposées que dans un seul sens,

les apprenants de FLE entendaient et jugeaient deux fois les quatre paires de la série D!: une fois

dans le juste!-!faux et une fois dans le sens faux!-!juste.

En outre, pour les apprenants de FLE qui avaient dénommé des images en produisant le M1 “grand”, il nous paraissait important qu’ils puissent également en juger. Nous avons alors opposé des liaisons variables réalisées justes après le M1 “grand” à des erreurs CL non attendue, par exemple /œ̃gʁãtavjɔ̃/ vs /œ̃gʁãdavjɔ̃/ pour “un grand avion”, (série F en annexe 11 bis), pour les apprenants L2 uniquement. Les résultats de ces jugements ne seront pas utilisés lors de comparaisons avec les enfants francophones natifs. Pour ces derniers, nous avons également ajouté une série de huit paires (quatre par enfant L1) afin de pouvoir mieux observer les erreurs de substitutions qui sont attestées en production de liaison catégorique comme variable chez les enfants L1. Nous avons donc opposé des liaisons variables réalisées justes après le M1 “petit” à des

erreurs de substitution, par exemple /œ̃pətitavjɔ̃/ vs /œ̃pətizavjɔ̃/ pour “un petit avion”, (série E en

annexe 11 bis). Comme pour la série F, les résultats de la série E ne seront pas utilisés lors de comparaisons avec les apprenants de FLE.

3.4.4.4. Procédure

A l’instar de la condition expérimentale de contrôle et la tâche de dénomination d’images, la mise en place de cette tâche de jugement d’acceptabilité a dû être un peu différente pour les participants L2 et L1. Le point commun pour les expérimentateurs était que toutes les paires avaient été inscrites de manière à ce que la consonne de liaison à réaliser ou non soit explicitement indiquée pour chaque séquence. C’est pourquoi nous avons représenté l’absence de liaison par le

signe “”, et une liaison réalisée juste ou fausse par la CL à prononcer, par exemple!: “un N avion /

un avion”, ou “trois N ordinateurs / trois Z ordinateurs” (cf.!annexes 10, 11 et 11 bis).

Pour les apprenants de FLE, chaque paire a été découpée puis collée sur un carton beige pour celles impliquant des liaisons catégoriques ou sur un carton marron pour celles impliquant des liaisons variables. A l’instar des séries A et B, les séries C, D et F étaient alors mélangées entre elles entre chaque participant L2. Ensuite, l’expérimentateur commençait alternativement par les cartes

beiges ou par les cartes marron de sorte que l’effet de fatigue ne s’exprime pas sur les mêmes séries à juger. Par ailleurs, il prenait les cartes au hasard et énonçait les paires tirées au sort les unes après les autres dans le but de contrer l’effet d’ordre, ce dernier pouvant s’exprimer sur les mêmes paires si leur succession était identique. Cette tâche a été présentée aux apprenants de FLE comme un exercice de jugement de la prononciation française. Ils avaient pour consigne de dire quelle.s séquence.s de la paire étai.en.t bien prononcée.s. Par exemple, pour la paire “un gros Z avion / un gros S avion”, ils pouvaient non seulement répondre “1” ou “2” mais aussi “les deux” et “aucun”. L’expérimentateur étant seul, les réponses des participants L2 étaient enregistrées et transcrites plus tard.

Les enfants francophones natifs étant trop jeunes pour suivre une telle consigne, l’expérimentateur agitait deux marionnettes qui prononçaient chacune une séquence de la paire. Lors de la préparation de la tâche de jugement d’acceptabilité, deux dessins d’ourson d’environ 15 cm de haut

(cf.!annexe 7) imprimés sur une feuille cartonnée devaient être découpés puis scotchés sur une

paille ou un bâton de glace. Le rendu devait être absolument identique pour éviter qu’une préférence pour l’un ou l’autre ne s’exprime de la part des participants L1 auxquels il était demandé de désigner la ou les marionnette.s qui parlai.en.t bien. Comme pour la tâche de

dénomination d’images, les expérimentateurs étaient divisés en deux groupes –! le premier

commençant par les séquences impliquant une liaison catégorique, le second commençant par les

séquences impliquant une liaison variable!– et avaient reçu une liste d’ordre des paires (cf.!annexe

9). Ces listes ont été générées par un programme informatique adapté pour l’occasion qui prenait

en compte les quatre contraintes suivantes!:


- ne pas séparer les paires


- mélanger la série A avec la série B


- mélanger les séries C, D et E


- ne pas mélanger les séries A-B avec les séries C-D-E


Par ailleurs, l’étude de Nardy (2008) sur laquelle nous nous sommes basée pour créer cette tâche de jugement d’acceptabilité a révélé que les enfants répondaient majoritairement au hasard. Ce hasard était certainement dû à une compétence métalinguistique pas encore suffisamment développée chez les jeunes participants. Nous nous sommes demandé si cette tâche ne requérant pas de dénomination n’était pas un peu trop monotone pour leur faible capacité attentionnelle. Nous avons alors fait le choix d’introduire un support visuel à cette sollicitation uniquement auditive. Afin que l’attention des participants L1 soit attirée à chaque nouvelle paire, l’expérimentateur montraient l’image qui correspondait à celle qu’il prononçait, montrant par exemple la carte représentant un petit avion lorsqu’il devait faire juger “un petit Z avion / un petit T

avion”. Ainsi, l’expérimentateur énonçait les paires en suivant l’ordre de la liste qui lui avait été attribuée avec dans chaque main une marionnette ; à chaque nouvelle paire, il montrait la carte correspondante et il faisait parler une marionnette pour la première séquence et l’autre pour la seconde. L’enfant devait alors montrer quelle.s marionnette.s parlai.en.t bien, sachant qu’il pouvait désigner celle de droite, celle de gauche, les deux ou aucune.

3.4.4.5. Transcription

Contrairement aux apprenants L2 qui étaient enregistrés et qui énonçaient leurs jugements d’acceptabilité à voix haute, les jeunes enfants faisaient un geste ou donnaient une réponse ne

pouvant être transcrite comme “lui !”. Ne souhaitant pas les filmer , il fallait par ailleurs transcrire 60

en direct leurs réponses, ce que faisait un second expérimentateur présent lui aussi lors de cette tâche. Pendant la passation, il devait remplir deux tableaux composés de sept colonnes. Le premier listait les paires impliquant des liaisons catégoriques et le second (cf.!annexe 12 tableau B) listait

celles impliquant des liaisons variables ―!ou l’inverse, selon que le participant commençait par les

séries A-B ou par les séries C-D. Comme la seconde colonne présentait les paires à juger dans le même ordre pour tous les participants, l’expérimentateur devait indiquer le numéro de passage de chaque paire dans la première colonne. Il avait pour consigne de remplir cette colonne avant la passation, en suivant la liste d’ordre des paires qui lui avait été attribuée, ce qui permettait de rapidement vérifier que les alternances prévues pour contrer les effets d’ordre et de fatigue avaient bien été respectées. Les cinq colonnes suivantes se remplissaient pendant la passation, l’examinateur n’ayant plus qu’à cocher pour chaque paire la colonne qui correspondait à la réponse de l’enfant. Les jugements de tous les participants L1 et L2 étaient ensuite reportés avec le même codage

lettré que pour la tâche de dénomination d’images, tel que!:


- N ou Z ou T pour le choix de la réalisation de la consonne de liaison concernée


- O comme «!omission!» pour le choix de la non réalisation de la consonne de liaison


- ZN (pour Z au lieu de N, par exemple “un Z avion”) ou NZ (pour N au lieu de Z, par exemple “trois N avions”) pour le choix de l’erreur par substitution de la consonne de liaison dans les séries A et B, ainsi que ZT (pour Z au lieu de T, par exemple “un petit Z avion”) présente dans la série E proposée uniquement aux participants L1.

Le droit à l’image impose des procédures complexes qu’il est important de respecter. Certaines études ne 60

peuvent faire autrement que de les mettre en place (par exemple, l’appropriation de la langue des signes) mais dans notre protocole, il était préférable de choisir un autre moyen de recueillir les données.

- FF comme «!forme du féminin!» pour le choix de la CL non attendue dont la réalisation est

similaire à la forme morphologique du féminin présente dans la série D


- AE comme «!autre erreur!» pour les paires dont les deux séquences ont été jugées non

acceptables


- NR comme «!ne dit rien!» représente les paires qui n’ont pas été jugées

A la suite de cette tache de jugement d’acceptabilité était proposé une tâche d’écriture aux seuls apprenants de FLE, les enfants francophones natifs n’ayant pas encore développé suffisamment de compétences en graphie.