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1. La liaison en français ! : un kaléidoscope linguistique

1.2. Un phénomène linguistique

1.2.3. Le prisme morphosyntaxique

D’après Thurot, «!les grammairiens du XVIe siècle, depuis Palsgrave, attestent unanimement que la

consonne finale se prononçait presque toujours devant un mot commençant par une voyelle et faisait une syllabe avec cette voyelle initiale!» (1883!:!6) mais ce sont les linguistes du XVIIe siècle tels Chifflet ou Hindret qui commencent à décrire les conditions morphosyntaxiques dans lesquelles les liaisons peuvent ou non apparaître (1883!:!8).

Même si Thurot (1883!:!26), Passy (1906 [1887]!:!130-131) ou Martinon (1913!:!dès 358)

entreprennent de définir si la liaison se réalise ou non selon sa situation morphosyntaxique, c’est

Langlard (1928!:!29-101) qui effectue un classement des contextes de liaison répartis en trois

catégories!: obligatoires, facultatives et interdites dans la première monographie sur la liaison en

français ― !et la seule jusqu’en 1973 (Ågren, 1973!:!1). Près de 20 ans plus tard, Delattre

(1947!:!152-157; republié en 1951!:!30-35; puis en 1966!:!43-48) établit un tableau détaillé de cette tripartition afin d’en faciliter l’enseignement / apprentissage en FLE.

1.2.3.1. La classification des contextes de liaison

Alors que les travaux de Langlard (1928) sont quasiment passés dans l’oubli, le tableau de Delattre

(1947!:!152-157) fait toujours référence aujourd’hui. Il a donc été soumis à variation ou à

confirmation dans les nombreuses études réalisées sur la liaison en français, notamment dans celle

de Booij et De Jong (1987) ―!qui ont synthétisé les données de Ågren (1973), de Encrevé (1983),

de Malécot (1975), de Kovac (1979), de Morin et Kaye (1982), du corpus de Tours (Ashby, 1981; De Jong, Poll, & Woudman, 1981), du corpus de Montréal (Tousignant & Sankoff, 1979) ainsi que du

premier corpus d’Orléans (De Jong, 1994)21 !― ou celle de Mallet (2008!:!272) qui a formulé un

nouveau tableau de la tripartition des liaisons à la lumière des travaux ultérieurs à Delattre (tels

que Ågren, 1973; Ashby, 1981; Encrevé, 1988; Malécot, 1975; Ranson, 2008!; entre autres).

Mallet (2008!:!65) a par ailleurs préféré la terminologie variationniste initiée par Encrevé (1983) que

nous allons nous même reprendre au cours de cette présente étude afin de nous dégager de la

pression de la norme pour nous recentrer sur l’usage qui est fait des liaisons!:

-

obligatoire => catégorique

si la norme impose d’une liaison qu’elle soit réalisée obligatoirement, c’est qu’elle doit se réaliser catégoriquement (à 100%) quelque soit la situation et le locuteur. Si tel est réellement le cas, on peut parler de liaison catégorique.

-

facultative => variable

si la norme permet qu’une liaison soit réalisée variablement selon la situation ou le locuteur, on peut parler de liaison variable!; et si elle n’est réalisée qu’une fois sur cinq ou encore moins

(≤ 20%), on peut parler de liaison épisodique.

-

interdite => erratique

si la norme interdit la réalisation d’une liaison, alors le locuteur qui la réalise commet une erreur, on peut parler de liaison erratique.

Aujourd’hui, les deux terminologies coexistent au sein des deux classifications qui font référence!: la

classification prescriptive (aussi appelée normative), celle de Delattre (1947, 1951, 1966), qui fait foi dans les manuels de FLE et la classification descriptive, de plus en plus adoptée dans les études sur la liaison en français L1 comme L2 mais qui ne s’est pas encore diffusée dans les outils pédagogiques.

La tripartition descriptive la plus récente des contextes de liaisons est donc la suivante (synthétisé

de Adda-Decker et al., 2012; Booij & De Jong, 1987; Eychenne et al., 2014; Mallet, 2008)!:

Le premier corpus d’Orléans est maintenant nommé ESLO1, cf.!introduction du chapitre 1. 21

Contextes de liaison catégorique!:


- entre un déterminant et le substantif qui suit : 


desarbres, mesenfants, unexcellent travail, monavis…

- entre un proclitique et le verbe qui suit (ou le pronom) :


vous êtes, ona, ilsarrivent, vousy êtes, onenaura…

- entre un verbe et l’enclitique qui en dépend : 


vient-elle, allez-y, parlons-en, allons-nous-en

+ un contexte lexical!: dans certaines locutions figées!:


de!tempsen!temps, les Etats-unis, vingt-huit, un petitami (au sens de “l’amoureux”) Contextes de liaison erratique!:


- entre un sujet (autre que proclitique) et le verbe!:


Jean!ǁ!espère, l’enfant!ǁ!a réussi, les trains!ǁ!arrivent, les siens!ǁ!aiment, quelqu’un!ǁ!est venu
 - entre un nom singulier et ce qui le qualifie!:


l’univers!ǁ!entier, un accent!ǁ!espagnol, un coin!ǁ!immense, une maison!ǁ!à vendre

+ les cas de non cohérence syntagmatique (cf.!chapitre précédent!: 1.2.2.5)


Tous les autres contextes morphosyntaxiques sont donc des contextes de liaison variable que l’on peut alors réaliser ou non sans que le choix fait par le locuteur puisse induire une erreur. Si l’on regarde le kaléidoscope du phénomène de la liaison par ce petit prisme, il paraît finalement assez

simple. D’ailleurs, dans le domaine du FLE, Howard remarque que!:

Comme en témoignent leurs taux de réalisation quasi-catégoriques dans les contextes obligatoires, les apprenants sont […] très conscients de la distinction entre les contextes variables et obligatoires. Dans les contextes obligatoires, les études observent en moyenne des taux globaux de réalisation supérieurs à 90%. (2013!:!199)

D’autant que les études auxquelles fait référence Howard sont celles de Mastromonaco (1999), Thomas (2002, 2004), Howard (2004, 2005) et De Moras (2011) qui, en se basant sur les

classifications anciennes (Delattre, 1966![1947,1951]; Malécot, 1975), rendent obligatoires des

contextes aujourd’hui attestés comme variables chez les locuteurs L1 . En effet, comparant ses 22

données au corpus de Malécot, Thomas constate que «![ses] étudiants ont un comportement assez

proche du parler de la bourgeoisie parisienne (Malécot, 1975) pour les déterminants, les pronoms et les prépositions. Mais ce n’est plus le cas quand on passe aux adjectifs (surtout grand) et à la conjonction quand!» (2015a!:!185). Il en conclut que «!la liaison obligatoire contribue à elle seule à Pour plus de précisions sur les différentes études réalisées sur la production des liaisons en L2, cf.!chapitre 2.3.2 22

près de 20% de toutes les erreurs phonétiques relevées dans [son] corpus. C’est là une proportion

inquiétante pour un phénomène si répandu!» (2015a!:!185). Cette remarque semble quelque peu

alarmiste si l’on considère que les écarts les plus importants se font précisément sur des cas de liaisons classées comme variables dans la classification descriptive et ne doivent donc pas être considérés comme des erreurs. Pour preuve, Racine (2014) démontre très bien que le choix de la classification est loin d’être anodin dans l’analyse qui est faite des données recueillies, en comparant

les productions d’apprenants hispanophones et de francophones natifs qui ont lu le même texte!:

si l’on se base sur la classification [prescriptive] de Delattre (1951), le taux de réalisation de la liaison [obligatoire] est significativement moins élevé chez les deux populations d’apprenants (90.00% pour les apprenants sans séjour et 92.29% pour ceux avec séjour) que chez les natifs (99.41%, p<0.05), alors qu’ils ne se différencient pas des natifs si l’on se base sur la classification [descriptive] de Durand & Lyche (2008). (Racine, 2014!:!32)

C’est pourquoi, nous n’allons pas comparer les pourcentages globaux de liaisons catégoriques ou variables des études précédentes en L1 ou L2 mais nous allons nous attacher, soit à des contextes

précis (par exemple!: après ou avant tel élément morphosyntaxique ou bien tel élément lexical,

cf.!chapitre 1.2.4), soit à des comparaisons internes aux études qui permettent une suggestion utile

à notre propos (par exemple! : un même groupe d’apprenants réalise-t-il plus de liaisons

catégoriques au sens de telle classification après un séjour en milieu homoglotte!?).

Néanmoins, en prenant garde à la méthode de recueil de données , il est possible de comparer le 23

pourcentage total de réalisation de la liaison qui inclue tous les contextes morphosyntaxiques et donc ne pose pas le problème de la classification de référence. Racine indique qu’en lecture, chez

des apprenants de niveaux B2-C1 du CECRL, les «!hispanophones ne se distinguent pas des natifs

au niveau du taux global de réalisation des liaisons (59,43% pour les apprenants sans séjour, 58,83% pour ceux avec séjour et 56% pour les natifs [une analyse Anova montre que cette différence n’est pas significative]!» (2014!:!32). Tout semble alors aller pour le mieux dans l’appropriation de la liaison en français L2 mais en observant de plus près le spectre de la liaison variable, le kaléidoscope

devient à nouveau flou. En effet, Howard souligne que!:

La complexité de la liaison relève aussi du fait qu’il s’agit d’un phénomène qui peut être variable (liaison facultative) ou invariable (liaison obligatoire), ce qui n’est pas le cas pour d’autres variables sociolinguistiques dont la réalisation n’est pas obligatoire dans des contextes spécifiques dans la langue parlée, comme l’effacement du “ne” : “ne” peut s’effacer dans tout contexte (2013!:!193).

Pourtant, le fait de pouvoir choisir de réaliser ou omettre la liaison variable sans crainte d’erreur

paraît assez séduisant, mais Delattre indique que «!pour l'étranger qui cherche à perfectionner son

Nous verrons au chapitre 1.3.2 que les résultats ne sont pas les mêmes selon la tâche impliquée. 23

français, la difficulté est plus grande que pour les liaisons “obligatoires” ou “interdites” car elle

comporte un choix!» (1955!:!43). Or, sur quel.s prisme.s peuvent s’appuyer les apprenants lorsqu’ils

découvrent que pour un même contexte morphosyntaxique variable, tel que «!adjectif + nom!», la

liaison peut être soit variable “un!grand!hommage”, soit catégorique “un!grand‿homme” (locution

figée), soit erratique “un!grand!ǁ!homard” (M2 commençant par un “h aspiré”)!?

La liaison variable non réalisée n’étant pas une erreur, la tentation pourrait alors être grande d’opter pour une stratégie d’évitement en prenant le parti de ne pas réaliser de liaison variable, mais ce serait faire le choix de ne plus progresser dans l’appropriation de la liaison en français L2. En effet,

Howard (2005) relève que!:

[ses] apprenants ayant fait un long séjour en France […] s’éloignent [pourtant] nettement du locuteur natif en raison de l’absence totale de liaison dans certains contextes syntaxiques. Ceci a pour conséquence d’engendrer un sentiment de non respect de toutes les contraintes sur l’emploi de la liaison chez le locuteur natif. (Howard, 2005!:!§32)

Pour progresser, les apprenants L2 n’ont donc d’autre choix que de se lancer dans la réalisation de

liaisons variables, au risque de passer pour des «!livres parlants!», s’ils en produisent trop (Galazzi,

Falbo, Janot, Murano, & Paternostro, 2013!:!ch.1.2.1). En effet, selon Delattre, la «!difficulté est augmentée, pour l’étranger, par le fait que dans les innombrables liaisons facultatives, certaines se font plus fréquemment que d’autres.!» (1955!:!43).

1.2.3.2. La fréquence des contextes morphosyntaxiques

Indiquant qu’il «! existe donc toute une hiérarchie dans la fréquence des liaisons

facultatives! » (1955! :! 43), Delattre établit une échelle de fréquence des contextes

morphosyntaxiques en «!évalu[ant] leurs unions sur une échelle allant de 10 pour la plus forte à 1

pour la plus faible!» (1955!:!43), les coefficients 0 et 1 caractérisant la liaison erratique. Ainsi, il attribue un coefficient de 7 entre un auxiliaire et son participe passé “vous!avez‿aidé” et un coefficient de 4 entre un verbe et son complément “il!désirait‿un!cadeau”, ce qui sous-tend une liaison variable respectivement plus ou moins fréquemment réalisée. Autre exemple, il attribue un

coefficient de 10 entre un déterminant et un nom “les‿enfants”, ce qui sous-tend un contexte de

liaison catégorique, tout en signalant que d’autres facteurs peuvent modifier ce degré d’union

comme «!le déterminatif suivi d'un nom commençant par un h aspiré aurait le coefficient 0 au lieu

Les travaux récents (Durand et al., 2011; Eychenne et al., 2014; Laks & Calderone, 2014) montrent que l’intuition de Delattre de s’appuyer sur une échelle de fréquence afin de classer les contextes de liaison en une tripartition était bien inspirée. Toutefois, ils lui reprochent ne pas s’être basé sur une étude de la fréquence réelle de la liaison en français, dans l’usage qu’en font les locuteurs L1. En

effet, Delattre explique que «!pour mesurer le degré d'union, il faut mettre à l'épreuve la possibilité

de pause [afin de la] sentir!» (1955!:!45), ce qui suppose qu’il faut trouver des exemples à tester en

se référant entre autres à la littérature. Ainsi, dans la description des tendances générales de la liaison qui lui ont servi de base à sa classification, Delattre (1947!:!151) intègre l’exemple du

“savant!aveugle” déjà observable dans l’ouvrage de Grammont (1926 [1914])!:

On lie l’adjectif, même polysyllabique, lorsqu’il précède un substantif qu’il qualifie […] Mais on ne lie pas un substantif sur un adjectif qui le suit […] C’est ce qui permet de distinguer des phrases comme “un!savan(t)!t!aveugle” et “un!savan(t)!/!aveugle”!; dans le premier cas aveugle est substantif et savant adjectif, dans le second c’est le contraire!; dans la première phrase il s’agit d’un aveugle qui est savant, et dans la seconde d’un savant qui est aveugle. (Grammont, 1926 [1914]!:!132)

Eychenne!et!al. remarquent alors que «!certains exemples ont ainsi perduré (p. ex. le savant [t] anglais ou le sot [t] aigle, comme dans Féry, 2003) sans que beaucoup d’auteurs ne s’inquiètent de l’authenticité des données exploitées!» (2014!:!34). Il en résulte que le terme de “fréquence” a changé de signification. Selon Delattre (1955!:!45), la fréquence d’apparition de la CL dans un contexte donné est conditionnée par la force du lien qui unit le M1 au M2. La “fréquence” de

Delattre est donc renommée “cohésion” par Ågren (1973!:!16) qui est le premier à réunir un grand

corpus de français parlé afin d’étudier la fréquence de la liaison en français dans divers contextes de la classification prescriptive. Dans les études récentes (Durand et al., 2011; Eychenne et al., 2014;

Laks & Calderone, 2014), il y a deux fréquences!: la fréquence d’apparition réellement observée de

la CL dans un contexte donné et la fréquence d’apparition du contexte lui-même dans l’usage. La première est celle qui a permis d’établir la classification descriptive des liaisons, la classe des catégoriques ne comportant plus que quatre contextes (au lieu de huit, cf.!chapitre 1.2.5.3) où la liaison est effectivement réalisée à 100% par les locuteurs natifs (sauf exception).

Concernant la fréquence d’apparition des contextes de liaison, Liégeois observe dans le corpus

ALIPE (Chabanal et al., 2013) «!alors que les contextes morphosyntaxiques au sein desquels une

liaison peut être réalisée sont relativement nombreux et divers, près des trois quarts des liaisons réalisées […] ont été produites entre un déterminant et un nom ou entre un pronom et un

verbe!» (2014!:!254) qui sont tous deux des contextes où la liaison est catégorique. Dans la base

de données de conversation PFC, Durand!et!al. (2011) constatent que sur les 111 contextes

réalisées, ce qui veut dire que les 21 contextes les plus fréquents en représentent plus de 90% mais surtout, seulement trois contextes se partagent à eux seul près de 50% de toutes les liaisons réalisées!: il s’agit de “pronom + verbe” (ex!: “on est”), “déterminant + nom” (ex!: “les amis”) et

“préposition + déterminant + nom” (ex!: “aux animaux”). Par comparaison, alors qu’il est également

considéré comme un contexte de liaison catégorique dans la classification prescriptive, le contexte “adjectif qualificatif + nom” ne représente

que 0,64% de l’ensemble des liaisons réalisées. Au singulier, la séquence produit 0,88 % de liaisons, au pluriel 0,63 % des cas. Pour les non-liaisons, on a des attestations du type petit // accent, gros // immeuble, petits // entrepreneurs, longues // années ; ce qui démontre que les exemples les plus emblématiques des phonologues du français ne sont pas aussi réguliers que l’on a pu le prétendre. (Durand et al., 2011!:!116)

Les deux fréquences seraient donc liées, c’est-à-dire que plus un contexte liaisonné a d’occurrences en français parlé, plus les locuteurs seraient enclins à réaliser une liaison dans le même contexte lors de son apparition. Laks et Calderone (2014) suggèrent même que les contextes de liaison les plus fréquents se comportent comme des locutions figées. Après une étude des données les plus récentes du corpus PFC de conversation, les auteurs remarquent seulement trois ensembles de

contextes morphosyntaxiques qui conditionnent le plus la réalisation de la liaison!:

[un groupe de] constructions nominales où la catégorie principale “Nom” est préfixée par un modifieur [(“deux”, “nos”, “les”)]. 


[un groupe de] constructions verbales où la catégorie principale “Verbe” fléchie au présent ou à l’imparfait est préfixée par un pronom, très généralement “on”. 


S’adjoignent à ce groupe les constructions pronom+verbe (présent, imparfait) préfixées par “quand”.


Enfin, le dernier groupe […] comprend les constructions verbales composées d’un auxiliaire au présent suivi par un verbe au participe passé. (Laks & Calderone, 2014!:!83)

Les résultats montrent que si les deux premiers groupes font partie intégrante des contextes de liaison catégoriques, la conjonction “quand” suivie d’un proclitique et la liaison au sein d’une locution verbale au passé composé sont des contextes de liaison variable fréquemment présents liaisonnés dans le français parlé. Cet indice de fréquence représente donc un intérêt pour les apprenants de français L2 qui doivent apprendre à faire des choix dans la réalisation de la liaison variable, d’autant

plus que «!cette très grande fréquence des liaisons entre un modifieur [Déterminant, Pronom,

Adverbe] et une catégorie majeure [Nom, Verbe] plaide pour une analyse en termes de

figement! » (2014! :!74). Le choix des apprenants L2 pourrait alors, au sein d’un contexte

morphosyntaxique variable plus large, se limiter à la réalisation de la liaison dans des contextes plus précis qui induisent une liaison catégorique.

En effet, en observant certains contextes morphosyntaxiques variables de la classification

descriptive, Eychenne! et! al. remarquent que «! le degré de variabilité peut se révéler

considérable!» (2014!:!44), notamment dans le contexte “verbe être + M2”, ce qui nous donne

l’occasion de nous intéresser aux formes verbales.

1.2.3.3. Les formes verbales

Dans la classification de Delattre (1947, 1951, 1966), les liaisons qui suivent les verbes sont

catégoriques lorsque que le M2 est un enclitique (ex!: “vont-ils”, “allons-y”, “prends-en”) et lorsque

le verbe est “être” à la forme impersonnelle (ex! : “il est‿interdit de”, “c’est‿un livre”). A l’observation du premier contexte, on se rend compte que la liaison est clairement transcrite à

l’écrit au moyen d’un trait d’union (ex!: “ont-elles”) ―!et ce, même après le premier clitique si

celui-ci est suivi d’un second (ex!: “allons-nous-en”)!― ou bien d’une modification de la terminaison de

l’impératif (ex!: “va” → “vas-y”, “donne” → “donnes-en”) ou encore de l’insertion d’une consonne

épenthétique (ex!: “mange-t-elle!?”, “va-t’en”). Se rapprochant des locutions figées, ce contexte “verbe+enclitique” est donc conservé dans la classe des liaisons catégoriques dans la classification descriptive et ce, même si la faible fréquence de ses occurrences fait qu’il est rarement observé

dans les études sur la liaison en français L1 comme L2. En revanche, le contexte “verbe!être

impersonnel +!M2” est devenu variable dès la classification de Malécot suite à l’observation de son

corpus de français parlé «!de la classe dirigeante lorsqu’ils discutaient de sujets sérieux avec un

professeur d’université que la plupart d’entre eux rencontraient pour la première fois!» (1980

[1977]!:!2). Plus récemment, Eychenne!et!al. (2014!:!47) relèvent moins de 30% de réalisations de

liaison après “c’est” dans le corpus PFC.

Concernant les autres contextes morphosyntaxiques de “verbe +!M2”, les classifications prescriptive

comme descriptive s’accordent sur le fait qu’ils sont tous variables. Malécot est toutefois un peu plus précis car sa classification est une quadripartion des contextes de liaison qui scinde la catégorie

des liaisons variables en deux! : les «! facultatives dans la conversation et obligatoires dans

l’élocution [et les] rares dans la conversation et facultatives dans l’élocution!» (1980 [1977]!:!34) que nous nommerons respectivement “variables” et “épisodiques” afin de conserver la terminologie variationniste (cf.!chapitre 1.2.5.2). Seuls les contextes “auxiliaire + participe passé” (ex!: “je suis‿allé” ou “vous avez‿aimé”) et “verbe!être +!M2” (ex!: “il!est‿italien”, “ils!sont‿ici”) sont considérés comme variables. Les autres contextes de liaison sont épisodiques et sont divisés en deux!: “verbe!avoir +!M2” (ex!: “nous avons‿une fille) et “autres!verbes + M2” (ex!: “tu prends‿un livre”).

Cette nouvelle classification est notamment confirmée par les données d’Ågren (1973) extraites d’un corpus de conversations radiophoniques des années soixante. En effet, il comptabilise 88% de

réalisation dans les contextes “verbe!être impersonnel +!M2” et “verbe!être +!M2” qui ne sont pas

séparés dans ses résultats. Il trouve également 85% de réalisations de liaison dans le contexte

“auxiliaire! être + participe passé”, 61% dans “auxiliaire! avoir + participe passé”, 36% dans

“verbe!avoir +!M2” et 35% dans “verbe!semi-auxiliaire +!M2” (“aller”, “devoir”, “falloir”, “vouloir”

et“pouvoir”). Néanmoins, Eychenne!et!al. remarquent que le «!travail d’Ågren met également en

exergue le rôle de la fréquence lexicale dans la réalisation de la liaison variable et en particulier, les

différences observables au sein du même paradigme!» (2014!:!35). En effet, tout comme d’Ågren

(1973) et de De Jong (1994) qui a exploité le corpus ESLO1 (cf.!introduction du chapitre 1), Mallet

(2008) repère de grandes différences au sein même d’une sous-catégorie telle que “verbe!être

+!M2”. Par exemple 44,4% de liaisons sont réalisées après “nous!sommes” et aucune après “tu!es”

ou bien 20,8% de liaisons sont réalisées après “nous!avons” et aucune après “nous!avions” dans la

sous-catégorie “verbe!avoir +!M2”. De nombreux facteurs entrent en jeu tels que le mode (plus de

liaisons après l’indicatif), le temps (plus de liaisons après le présent), le registre (“nous!sommes” est

plus formel que “on!est”), la nature de la CL (plus de liaisons en /t/ après les verbes) ou le M2