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3.4. Le protocole expérimental

3.4.1. Le choix des mots cibles et du matériel

Comme pour la pré-enquête, le protocole expérimental de cette étude repose sur des séquences de deux mots qui, entrant en contact, impliquent la possible apparition d’une consonne de liaison. Toute la difficulté résidait dans le fait que les apprenants qui débutent leur apprentissage du français et les jeunes enfants ont non seulement un lexique très restreint mais aussi un lexique afférent à des centres d'intérêts différents. Autre difficulté!: les mots cibles choisis devaient être aisément représentables et identifiables sous forme de dessin (notamment en raison des enfants non lecteurs). Plus délicat encore, il fallait que les séquences pouvant impliquer une liaison puissent être représentées par un seul dessin alors qu’elles sont composées de deux signifiants, le M1 entrant possiblement en liaison avec M2. En effet, un reproche fait à la pré-enquête était l’utilisation de deux images, la première représentant le M1 (par exemple, “trois”) et la seconde le M2 (par exemple, “homme”). Cette manière de procéder pouvait suggérer un découpage de la séquence à produire en unités lexicales et donc induire un plus grand nombre d’omissions de la CL (Jean-Pierre Chevrot, communication personnelle).

Pour procéder au choix des M1, nous avons listé ceux impliquant les CL /n/, /z/ et /t/. Puis nous avons éliminé ceux renvoyant à un sens difficile à représenter par un dessin (par exemple, le déterminant de la quantité définie pluriel “les”). Afin de proposer des contextes de liaisons catégoriques, nous avons sélectionné un M1 singulier induisant la CL /n/, nous avons donc choisi “un” et un M1 pluriel induisant la CL /z/. Notre première intention était de choisir le M1 “deux” mais la prononciation des apprenants coréens de FLE pouvait être phonétiquement trop proche de son équivalent anglais “two”, nous avons alors choisi “trois”. Afin de proposer des contextes de liaisons variables, nous avons sélectionné des adjectifs qualificatifs pouvant être antéposé au nom, soit “petit”, “grand” et “gros”. Notre première intention était de choisir les M1 “gros” et “grand” mais les plus jeunes enfants ne font pas encore de distinction sémantique claire entre les deux. Nous devions donc faire un choix entre les deux et conserver “petit”, même si c’était celui que nous aurions souhaité éliminer. En effet, la forme liaisonnée de “petit” étant phonétiquement identique à sa forme du féminin enchaînée, “petite amie” /pətitami/ peut

aussi bien être “petit‿ami” que “petite amie”. Chez les apprenants de FLE, les erreurs d'accord en genre

de l'adjectif ne sont pas rares et nous voulions éviter de confondre une erreur morphologique et une erreur de liaison. Le M1 “petit” induisant la CL /t/, nous avons alors choisi le M1 “gros” qui lui induit la CL /z/. Afin d’obtenir d’autres résultats comme l’influence de la variante morphologique du féminin sur la production de la consonne de liaison, nous avons tout de même ajouté l’adjectif antéposé “grand” uniquement pour les apprenants de FLE qui, du fait de leur âge, pouvaient soutenir leur attention sur des tâches un peu plus longues que les jeunes enfants.

Le choix des M2 était lui aussi assujetti à diverses contraintes, la première d’entre elles étant qu’ils soient à initiale vocalique pour qu’une liaison puisse avoir lieu et la seconde qu’ils soient masculins car dans le cas contraire, les M1 “un”, “petit” et “gros” seraient suivis d’un enchaînement et non d’une liaison en devenant respectivement “une”, “petite” et “grosse”. Par ailleurs, outre ceux dont l’initiale vocalique est soumise à variation tels que “oeil /œj/ vs yeux /jø/”, “oeuf /œf/ vs oeufs /ø/” ou “os” prononcé /os/, /ɔs/ ou /o/, il nous fallait éviter ceux qui n'étaient pas compatibles avec les déterminants et les adjectifs choisis comme M1, que ce soit au niveau du sens (un “gros appartement”) ou de la représentation par une seule image (le dessin de “trois amis” est identifiable mais pas celui d’“un ami”).

Lors de la préparation de la pré-enquête, nous avions sélectionné des M2 à initiale vocalique

masculins et nous les avions mêlés à d’autres pour organiser une adaptation du jeu «!Pictionary!»

dans des classes de langue en Corée du Sud. Le but du jeu était que les étudiants tirent au hasard un mot noté sur un petit papier et le fassent deviner à leurs camarades en le dessinant au tableau. L’objectif était de faire un repérage des mots rapidement et aisément identifiés par celui qui allait le dessiner puis par ceux qui allaient le dénommer.

Plus récemment, pour préparer cette étude, nous avons effectué une recherche dans la Banque de

Données d’Images Informatisée BD2I (Cannard et al., 2006) qui fournit les premières normes 58

françaises d’identification et de dénomination des objets chez les enfants entre 3 et 8 ans. Certains

mots ont retenu notre attention!: “écureuil”, “arbre”, “escargot”, “oiseau”, “éléphant” et “avion”, tous

dénommés à plus de 80% chez les enfants dès trois ans à la vue du dessin correspondant. Nous

avons détaillé les résultats de la BD2I dans le tableau 14 ci-dessous!:

Tableau 14!- Pourcentages de dénomination des items par âge des enfants dans la BD2I chez des francophones natifs Sur les six mots qui ont retenu notre attention, nous avons conservé “arbre” car seuls deux participants L2 (sur 16) ne l’avaient pas dénommé lors du premier temps longitudinal de la pré-enquête. Nous avons en outre retenu “avion” qui fait partie du lexique du niveau des apprenants L2 car utilisé dans le thème des voyages rapidement abordé en classe de FLE. Contre toute attente, les

parties de «!Pictionary!» avaient également révélé que “éléphant” était assez bien connu grâce à sa

similarité en langue anglaise, tout comme “escargot” grâce à la curiosité que ce mets de la gastronomie française suscite pour les étudiants coréens. En revanche, nous avons écarté les mots souvent méconnus “écureuil” et “oiseau”, parfois prononcé /ɔjso/, /ɔjzo/ ou /ojiso/ au lieu de /wazo/ par les apprenants coréens. N’ayant pas d’autres noms masculins à initiale vocalique testé dans la BD2I, nous avons ajouté “enfant” et “ordinateur” qui nous paraissaient être communs au lexique usuel des participants L1 comme des participants L2.

item / âge→ dénomination à 3 ans dénomination à 4 ans dénomination à 5 ans dénomination à 6 ans homme 1!% 3!% 2!% 5!% âne 29!% 54!% 84!% inféré > 80% ananas 35!% 59!% 81!% inféré > 80% ours 65!% 78!% 96!% inféré > 80% hélicoptère 72!% 81!% 86!% inféré > 80% écureuil 81!% 86!% 94!% 100!% arbre 90!% 99!% 100!% inféré > 80% escargot 92!% 100!% 100!% inféré > 80% oiseau 94!% 93!% 95!% inféré > 80% éléphant 97!% 98!% 100!% inféré > 80% avion 100!% 98!% 100!% inféré > 80%

Banque de données consultable à l’adresse : http://web.upmf-grenoble.fr/Banque_images/recherch.php 58

Par ailleurs, le choix d'une étude longitudinale auprès de participants adultes présentait le risque que ceux-ci découvrent le véritable objectif de leur passation!: l'observation des liaisons. Une des conséquences possibles était qu’ils fassent particulièrement attention aux liaisons dans la suite de leur cursus et qu'ils progressent plus vite que des apprenants non impliqués dans une étude longitudinale. Nous avons donc tenté de détourner leur attention de la liaison. Ainsi, nous leur avons présenté ce protocole expérimental en expliquant que nous nous intéressions à la prononciation du français en général afin d’améliorer les manuels de FLE sur ce point. Nous avons en outre introduit des distracteurs, c’est-à-dire des mots qui n’impliquent pas de liaison, comme ceux à initiale consonantique.

Pour conclure sur ce choix des M2, nous avons retenu les suivants!: “arbre” (une syllabe),

“avion” (deux syllabes), “enfant” (deux syllabes), “éléphant” (trois syllabes), “escargot” (trois syllabes), “ordinateur” (quatre syllabes). La diversité syllabique a été introduite afin de nous permettre de définir si la longueur du mot influe sur la réalisation de la liaison. En outre, Dugua, Spinelli, Chevrot

et Fayol (2009!:!149) qui ont observé la fréquence de ces mots dans l’usage indiquent que les mots

“arbre”, “enfant” et “escargot” apparaissent plus souvent au pluriel tandis que “avion”, “éléphant” et “ordinateur” apparaissent plus souvent au singulier. Enfin, pour les mots distracteurs, nous avons choisi trois noms féminins!: “fleur”, “maison”, “banane” et trois masculins!: “chat”, “livre” et “bébé”, ce dernier pouvant, par opposition, aider à l’identification de “enfant” moins facile à dessiner du fait qu’il représente une catégorie. La sélection de distracteurs féminins et masculins pourra en outre nous permettre de vérifier la maîtrise qu’ont les participants L1 et L2 des variantes morphologiques des adjectifs antéposés.

Une fois les mots cibles choisis, il nous fallait les présenter sous forme de dessins pour qu’ils soient aisément identifiés, notamment par les plus jeunes participants. Nous avons tout d’abord sélectionné

les dessins représentant les mots cibles dans un catalogue d’images pour l’enseignement primaire . 59

Les images retenues pour les M2 sont visibles à l’annexe 7. Les M1 ne sont quant à eux pas représentés car nous avons décidé de jouer sur la taille et le nombre des images de M2 afin d’accéder à leur identification. Chaque séquence M1-M2 a donc été illustrée dans un cadre carré. Les cadres ont ensuite été informatiquement disposés sur une page A4 puis imprimés sur du papier blanc cartonné avant d’être découpés en petites cartes individuelles représentant chacune une séquence M1-M2. Par exemple, la figure 14 page suivante présente cinq cartes pour cinq

séquences!: “un arbre” impliquant une liaison catégorique en /n/, “trois arbres” impliquant une liaison

Ce catalogue d’images pour l’enseignement primaire était semblable aux illustrations provenant de Clic images 59

2.0 - Canopé académie de Dijon consultables à l’adresse Internet!: 
 http://www.cndp.fr/crdp-dijon/IMG/pdf/pdf_Liste_clic_images.pdf

catégorique en /z/, “un petit arbre” impliquant une liaison variable en /t/, “un gros arbre” impliquant une liaison variable en /z/, “un grand arbre” impliquant une liaison variable en /t/, cette dernière n’étant présentée qu’aux participants L2. Notons que les séquences attendues “adjectif qualificatif + nom singulier” sont précédées d’un déterminant. En effet, ce dernier n’étant pas exigé lors de la pré-enquête, il nous a été difficile d’interpréter les erreurs du type “grosse arbre”!; un indice apporté par la production de “une grosse arbre” ou “un grosse arbre” aurait alors été le bienvenu.

Figure 14!- Représentation des séquences “un arbre”, “trois arbres”, “un petit arbre”, “un gros arbre” et “un grand arbre” Exception faite de la tâche d’écriture, ce matériel de base a servi pour toutes les tâches expérimentales que nous allons détailler maintenant.