• Aucun résultat trouvé

3.2.1. Les participants L2 et les conditions d’enregistrement

Lors de notre pré-enquête (Harnois-Delpiano, 2006; Harnois-Delpiano, Cavalla, et al., 2012) dont l’objet était une étude longitudinale de l’appropriation de la liaison chez l’apprenant coréen de FLE, nous avions eu l’opportunité d’enregistrer des étudiants coréens dans leur pays d’origine. En effet, il s’agissait de nos propres étudiants d’université, les contacts étaient donc déjà noués et il nous a été assez facile de suivre un groupe classe sur une période de 18 mois sans “perdre” de nombreux participants. Au moment de l’élaboration du protocole expérimental de cette présente étude, nous résidions au Japon, mais nous enseignions dans un établissement où les apprenants venaient suivre

des sessions de français sur des périodes plus courtes. Leur profil était par ailleurs très éclectique!:

maîtrisés qui auraient pu influer sur nos résultats. Comme nous n’avions pas de contact avec les universités japonaises, il nous a été plus aisé de retourner en Corée du Sud voisine où nous connaissions bien le milieu universitaire. Nous avons exclu de retourner dans la même université que notre pré-enquête car nous y avions envoyé les résultats. Les participants auraient alors été très au fait de notre recherche et nul doute qu’ils se seraient appliqués à réaliser le plus de liaisons possible. L’établissement choisi pour cette présente étude fut alors l’Université Nationale de Chungbuk de la ville de Cheongju dans la province du Chungcheongbuk en Corée du Sud. L'avantage de cet établissement public était qu’un des expérimentateurs avait enseigné dans le département de Langue et Littérature Françaises. Il connaissait donc très bien les lieux ainsi que le directeur, les professeurs, l’assistante pédagogique et même quelques étudiants, qui tous pouvaient encourager les apprenants du dépar tement à par ticiper à l’expérimentation. Ainsi, les enregistrements ont eu lieu dans l’ancien bureau de cet expérimentateur, son successeur ayant eu la gentillesse de le laisser à disposition.

Les enregistrements ont été effectués à l'aide d’un ordinateur portable et d’un micro-cravate. Les participants portaient le micro-cravate et l’ordinateur portable enregistreur était placé derrière eux, à un peu plus d’un mètre. Cette précaution empêchait que le micro ne capte le bruit des ventilateurs de refroidissement de l'ordinateur et permettait aux participants de se détendre plus rapidement puisqu’ils n’avaient ni le micro ni l’ordinateur dans leur champ visuel. Par ailleurs, nous avons utilisé de logiciel Soundforge 8.0. qui permettait d’enregistrer en 24 bit mono et en 44000 Hertz. Ce mode d'enregistrement est un compromis entre la qualité du son et le volume des fichiers. La qualité obtenue est largement suffisante pour la transcription des éléments phonologiques.

Le traitement des données recueillies a donc été réalisé au casque, à l’aide du logiciel Audacity qui possède les mêmes fonctionnalités de base que Soundforge mais en version libre et gratuite : mise en pause et retour à la lecture très aisée, visualisation de la représentation temporelle de l’intensité du signal sonore par un oscillogramme permettant de repérer les productions que l’on a pas eu le temps de transcrire afin de rapidement les sélectionner pour les écouter à nouveau, voire écouter en boucle celles qui seraient discutables. Pour ces dernières, dans les cas les plus difficiles, le logiciel nous permettait de les isoler en vue de les faire écouter à un second juge et de trancher pour l’un

ou l’autre élément phonologique après concertation. Par exemple, pour produire le phonème /œ̃/

qui n’est pas présent en coréen, certains étudiants y ajoutent la vélaire /ŋ/ qui existe dans leur langue première afin d’insister sur son trait nasal. Il est ensuite difficile de différencier un

enchaînement du type /œ̃ŋami/ d’une liaison /œ̃ nami/ sachant qu’ils peuvent également

entre trois enseignants de FLE dont deux ont enseigné en Corée du Sud. Les données de production ont donc été double codées en aveugle, une fois par nous-même et une fois par un autre juge. Les codages non concordants ont enfin été réexaminés afin de déterminer la réalisation à retenir.

3.2.2. La méthode longitudinale

Comme pour notre pré-enquête (Harnois-Delpiano, 2006; Harnois-Delpiano, Cavalla, et al., 2012), le choix d’une nouvelle étude longitudinale s’est imposé à nous, celle-ci nous paraissant rendre mieux compte du processus d’acquisition. En effet, contrairement à l’étude transversale qui s’attache à la connaissance linguistique des participants à un temps donné, l’étude longitudinale reflète l’évolution développementale des individus. Plus précisément, lors des études transversales, on s’intéresse à des groupes de participants différents à chaque temps donc si on constate des différences, on ne peut pas savoir s’il s’agit de différences développementales ou interindividuelles. En revanche, dans les études longitudinales, comme on s’intéresse au même groupe de participants à des moments différents, il y a davantage de chances que les différences entre les temps de l'étude résultent du processus d’acquisition lui-même. En outre, étant donné que les mêmes individus sont suivis sur une certaine période de temps, on peut ainsi reconstituer les enchaînements développementaux.

Comme pour la pré-enquête, les temps d’enregistrement ont été définis en fonction du calendrier de l’année universitaire coréenne qui ne nous laissait que très peu de liberté. En effet, débutant en mars et se terminant en décembre, elle est composée de deux semestres de quinze semaines, le premier s’étalant de mars à juin et le second de septembre à décembre. Entre chaque semestre, les étudiants profitent de plus de deux mois de vacances durant lesquels ils n’étudient généralement pas le français. Il n’était donc pas judicieux de les enregistrer en début de semestre puisque cette période ne permet que de réactualiser les acquis. Nous avons alors programmé nos passations à chaque fin de semestre, juste avant la semaine d’examens se déroulant la première semaine de juin et de décembre. Nous avons ainsi enregistré les étudiants trois fois en laissant un intervalle de six mois entre chaque enregistrement. Plus précisément, comme nous avons décidé de suivre des étudiants d’une même promotion dans le but de réduire les différences interindividuelles, nos passations ont eu lieu en novembre, à la fin de leur deuxième année universitaire, puis en mai et en novembre de leur troisième année universitaire. Partant de vingt-et-un apprenants qui ont accepté de participer à l’expérimentation au premier temps d’enregistrement, nous en avons perdu deux à chaque temps. Nous aurions souhaité ajouter un quatrième temps d’enregistrement mais il nous a

été financièrement impossible de retourner en Corée du Sud afin d’organiser cette dernière passation puisque nous n’habitions en Asie. Le risque était par ailleurs important de perdre de nombreux participants, la quatrième année d’étude universitaire étant pour beaucoup d’étudiants coréens précédée d’une année sabbatique ou alors une année de stages en entreprise. C’est pourquoi cette recherche repose sur dix-sept apprenants L2 suivis sur une période d’un an.

3.2.3. L’environnement langagier des participants L2

Tous les participants L2 sont donc étudiants en licence de langue et littérature françaises dans une université de Corée du Sud, pays non-francophone géographiquement éloigné des pays où l’on parle français. Malgré ce point commun, leur environnement langagier et leur motivation à apprendre le français peuvent être très hétérogènes. En effet, comme les universités coréennes sont soumises à un système de classement, les étudiants cherchent à intégrer les meilleures, quitte à entrer dans un département qui ne les intéresse pas du tout, comme par exemple celui de français. C’est pourquoi ils sont très libres d’organiser leurs études comme ils l’entendent en choisissant n’importe quelle Unité de Valeur dans tous les départements de l’université et ce, dès leur admission, sans être astreints à suivre des cours obligatoires. Cela n’empêche pas qu’à chaque fin de semestre, quelques uns des meilleurs étudiants tentent de changer d’université pour une plus renommée ou pour se réorienter. En outre, il est de coutume de prendre une année sabbatique pendant le cursus universitaire, et les hommes sont également tenus de faire environ deux ans de service militaire obligatoire qu’ils effectuent souvent à la fin de leur première année d’études, ce qui les éloigne de l’université en général pendant trois ans. Le redoublement étant inexistant en Corée du Sud, ces années de pause souhaitées ou forcées expliquent les écarts d’âge d’une année entre les jeunes femmes mais surtout le fait que les jeunes hommes soient plus âgés. L’environnement langagier français est ainsi forcément très différent entre un étudiant revenant de son service militaire, un étudiant en année sabbatique, un étudiant qui ne choisit qu’un cours de civilisation française et un étudiant qui choisit tous ses cours dans le département de langue et de littérature françaises, dont le cours de conversation assuré par le professeur natif. Ce dernier détail est très important car, en Corée, la majorité des cours de langue, de littérature ou de civilisation, assurés par les professeurs coréens, sont donnés en langue maternelle. Les apprenants ont donc très peu de contact avec l’oral des langues étrangères.

A la fin du dernier enregistrement, nous avons alors fait remplir aux 17 étudiants qui ont accepté de participer à l’étude, un questionnaire destiné à explorer leur environnement langagier francophone

(cf.!annexe 5 pour lire le questionnaire et ses résultats globaux). Ce questionnaire, composé de vingt questions rédigées en coréen, est le même que celui rempli par les participants de la pré-enquête. Il s’agit d’une adaptation du travail de Payre-Ficout (2007) originellement conçu pour des apprenants d’anglais langue étrangère de niveaux secondaire et universitaire. Les 5 premières questions (1 à 5) traitent de la présence des langues étrangères dans l’environnement langagier, passé ou présent, scolaire ou familial, des participants. Les six questions suivantes (6 à 11) traitent

de leur apprentissage explicite du français! : nombre d’heures de cours, résultats, stages

supplémentaires pris hors les murs de l’université. Les huit dernières questions (12 à 20) traitent de

leur pratique du français en dehors des salles de classe!: utilisation du français oral, participation à

des spectacles, jeux-concours ou examens, correspondance électronique, écoute (attentive ou non) de chansons, lectures et autres contacts avec la langue française. Les tableaux en annexe 6 permettent de découvrir, par ticipant par par ticipant, les résultats de ce questionnaire d’environnement langagier.

Cette exploration de l’input nous a permis de confirmer notre intuition, à savoir que même si deux d’entre eux (participants C06 et C13) ont commencé l’apprentissage du français au lycée ou en Alliance Française (participant C10), les apprenants ont tous un faible rapport à l'environnement langagier francophone. En effet, tous ont étudié l’anglais en première langue étrangère et tous parlent le coréen chez eux, excepté le participant C05 qui parle également l’anglais, dans une famille coréenne. Aucun d’eux n’a effectué de stage linguistique ou de séjour dans un pays francophone ni n’a pris de cours de français particulier (les enseignants de cours privés sont souvent des francophones natifs) et aucun ne parle régulièrement le français en dehors de l’université. Même si six d’entre eux ont passé ou réussi un Diplôme d’Etudes de Langue Française (DELF) de niveau A, les étudiants estiment tous leur niveau de français de très mauvais à mauvais, hormis les participants C05 (moyen) et C12 (bon).

De plus, comme présumé, le choix des enseignements dans le département de langue et littérature française est très variable selon les participants. Si les écarts ne sont pas très importants en

première année universitaire ―!de une à trois Unités de Valeur de trois heures par semaine

chacune!―, les choix se révèlent très marqués en troisième année!: de zéro à sept UV. Par ailleurs,

un seul participant (C02) n’a jamais suivi l’UV de conversation française avec l’enseignant natif, deux participants (C11 et C17) l’ont suivie seulement une fois lors du deuxième semestre de leur deuxième année (celui du temps 1 de l’étude longitudinale), cinq participants ont choisi ce cours deux semestres, quatre participants pendant trois semestres, quatre autres durant quatre semestres et un seul (C10) sur cinq semestres. Ce dernier participant étant le seul à avoir suivi cette UV dès la première année universitaire.

Concernant leur environnement langagier francophone hors université, quatre étudiants entretiennent une correspondance écrite sur l’Internet et cinq lisent des articles, des petits textes ou des contes. Par ailleurs, douze participants visionnent des films en version originale française sous-titrés en coréen (les films français ne sont pas doublés en coréen), un participant (C12)

regarde une chaîne de télévision francophone ―!probablement TV5 Monde!― et deux (C14 et

C15) écoutent une station de radiophonie francophone ―!probablement RFI sur l’Internet. Enfin,

sur les onze participants qui écoutent des chansons francophones, même si neuf essaient de les traduire, seuls deux (C14 et C15) portent attention aux paroles lors de l’écoute.

Cependant, que les étudiants aient un input oral ou écrit hors contexte universitaire se différenciant des autres, la fréquence de ces inputs se révèle toujours rare : tous répondent “parfois” ou “peu” lorsqu’ils décrivent leurs contacts à l’environnement langagier francophone. Cette rareté pourrait s’illustrer par le participant C16 lorsqu’il répond “marques et noms commerciaux” à la question

«!avez-vous d’autres contacts à la langue française en dehors de l’université ?!». Nous pouvons en

conclure que les résultats généraux de ce questionnaire d’input montrent que les participants qui ont accepté de participer à cette étude longitudinale ont un environnement langagier francophone assez homogène et rare.

3.3. Les choix concernant les participants L1