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formes lexicalisées

2.3. Appropriation de la liaison en français L2

2.3.4. Appropriation de la variation sociolinguistique

2.3.4.1. Influence de l’usage sur l’appropriation de la liaison en français

Comparé à d’autres phénomènes soumis à la variation sociolinguistique étudiés au travers de leur appropriation en français L2, telles que la particule “ne” de négation (Dewaele, 2004; Gautier & Chevrot, 2015; Regan, Howard, & Lemée, 2009; Thomas, 2015a; van Compernolle, 2013) ou l’alternance des clitiques sujets “nous!/!on” employés à la première personne du pluriel (Dewaele, 2002; Regan et al., 2009; Rehner, Mougeon, & Nadasdi, 2003; Thomas, 2015o; van Compernolle, 2008), le phénomène de la liaison en français a la particularité de non seulement comporter des variantes plus ou moins formelles mais aussi des réalisations obligatoires non soumises à la variation sociolinguistique. En effet, les variantes réalisée et non réalisée du “ne” de négation ou encore les variantes “nous” et “on” peuvent s’employer dans tous les contextes morphosyntaxiques et lexicaux. Le choix d’une variante informelle dans un contexte formel ou inversement peut éventuellement être remarqué ou induire une restauration stylistique (Viana Dos Santos, 2014) mais il ne sera pas considéré comme une erreur. En revanche, certains contextes interdisent la non réalisation de la liaison (contextes catégoriques) ou sa réalisation (contextes erratiques). Ainsi, les apprenants de FLE doivent d’une part s’approprier les différentes valeurs sociolinguistiques de la liaison variable (cf.!chapitre 1.3.3) et d’autre part la distinction entre les contextes de liaison variable et les contextes de liaison catégorique et erratique.

Lors de notre étude exploratoire (Harnois-Delpiano, 2006; Harnois-Delpiano, Cavalla, et al., 2012; Harnois-Delpiano, Chevrot, et al., 2012), nous avons constaté dès le niveau A1 du CECRL une avance dans l’appropriation de la liaison catégorique sur la liaison variable et ce, sur deux points!: le premier est que les apprenants produisent plus de liaisons catégoriques, l’écart étant significatif à tous les temps et le second est que leur taux de réalisation de la CL progresse plus tôt pour les liaisons catégoriques, tel que

Figure 12!- Comparaison de l’appropriation de la liaison selon le contexte catégorique ou variable lors de notre pré-enquête auprès d’apprenants coréens de FLE de niveau A1-A2 du CECRL

Cet écart entre réalisation de la liaison catégorique et de la liaison variable est également observé chez les apprenants de niveau un peu plus avancé. Par exemple, les taux de réalisation de liaison des locuteurs L2 italophones de niveau A2-B1 sont globalement deux fois plus élevés dans les contextes

catégoriques que dans les contextes variables (cf.!les résultats de Barreca & Floquet, 2015, exposés

dans les deux chapitres précédents). A un niveau encore plus avancé, Howard indique que les

apprenants anglophones «!semblent faire une distinction nette entre les contextes puisque les taux

de réalisation dans les contextes variables n’atteignent que 10%-35%!» (2013!:!210). Ces résultats

suggèrent que l’usage aurait une influence sur l’appropriation de la liaison en français. En effet, les

contextes de liaison catégoriques sont non seulement les plus fréquents (cf.!chapitre 1.2.3.2) mais

ils sont aussi toujours réalisés dans l’input que peuvent recevoir les apprenants de FLE par les dialogues des manuels, par les enseignants ou en milieu homoglotte. Par ailleurs, puisque la forme des productions est en général aussi importante que leur fonction communicative en classe de FLE, il est attendu des apprenants qu’ils réalisent également tous les contextes catégoriques. De plus, l’enseignant est susceptible de fréquemment répéter des séquences avec une réalisation de liaison catégorique lorsque celle-ci vient d’être omise par un apprenant.

Chez les apprenants anglophones avancés, Thomas constate qu’un long séjour en milieu homoglotte

n’a pas d’influence sur la réalisation de la liaison catégorique, «!où la nécessité du maintien est claire

pour tout le monde!» (2015a!:!192). Tous les apprenants de son étude longitudinale ont en effet progressé, qu’ils soient ou non partis étudier en France pendant huit mois. En revanche, cet environnement langagier semble influer sur la liaison variable puisque lors du second temps d’enregistrement, les apprenants ayant bénéficié d’un séjour en milieu homoglotte se rapprochent

Production de liaisons réalisées justes par des apprenants coréens de FLE de niveau A1-A2 du CECRL

0 % 20 % 40 % 60 % 80 % 100 %

T1 T2!= T1+6mois T3!= T2+6mois T4!= T3+6mois

20,8!% 19,4!% 29,7!% 37,0!% 51,3!% 60,9!% 69,5!% 76,6!% LCRJ = Liaison Catégorique 
 Réalisée Juste
 LVRJ = Liaison Variable 
 Réalisée Juste * * * * * * Progression statistiquement significative

de «!la prononciation réelle du français ordinaire!» (2015a!:!194). Ils choisissent par exemple

significativement plus de variantes non réalisées après “est” ―!dont le contexte morphosyntaxique

représente 73% du corpus!― que leurs homologues restés en Ontario. Howard (2013) constate

que d’un côté, les apprenants élargissent la réalisation de la liaison variable à des contextes morphosyntaxiques où ils ne la réalisaient pas avant de partir en milieu homoglotte. D’autre part, ils semblent établir au sein de ces contextes une règle lexicale qui induirait la réalisation de la liaison de manière catégorique après quelques mots spécifiques et la non réalisation de la liaison après les

autres. L’auteur suggère «!le rôle potentiel de la fréquence des contextes et des mots dans l’input

langagier pour l’acquisition de la liaison variable chez les apprenants!» (Howard, 2013!:!226).

S’intéressant au réseau social que tissent les apprenants de niveau B1-B2 du CECRL lors d’un séjour en milieu homoglotte, Gautier (2011c) montre que, soit ils présentent déjà un taux de réalisation de la liaison catégorique entre 97% et 100% au premier temps d’enregistrement, soit ils l’ont atteint

trois mois plus tard lors du T2. «!De même, les différences entre apprenants ne sont pas très

marquées, et ne […] permettent pas d'observer un lien entre sociabilité et [la réalisation de la

liaison catégorique]!» (2011a!:!83). Parallèlement, Gautier et Chevrot (2012, 2015) constatent que

les mêmes apprenants anglophones ayant un plus petit nombre de contacts avec des francophones

augmentent ou maintiennent un taux élevé de réalisation de la liaison variable «!tandis que ceux qui

ont un usage quotidien plus important de la L2 baissent ce taux et se rapprochent ainsi de l’usage non formel des natifs!» (2012!:!2080). Comme Howard (2013!:!210), les auteurs (2012, 2015) observent par ailleurs une grande variabilité interindividuelle dans la réalisation de la liaison variable

et ce, même après un séjour en milieu homoglotte!: de 6% à 36% pour Gautier et Chevrot (2012,

2015) et de 14% à 33% pour Howard (2013). Ce dernier remarque également des taux de réalisation de la liaison variable augmentant, diminuant ou se maintenant selon les apprenants enregistrés lors des temps longitudinaux. Selon l’auteur,

on ne peut conclure que le développement linguistique dont témoignent les apprenants en milieu naturel serait forcément lié à ce milieu. Il se peut que d’autres facteurs influencent ce développement. Ces facteurs incluent entre autres la motivation et les attitudes langagières des apprenants, qui peuvent évoluer à différents moments de leur séjour en milieu naturel, ainsi que leur réseau social dans ce milieu. Ils sont donc liés à l’intégration sociale de l’apprenant en milieu naturel de sorte qu’ils peuvent influencer différents aspects de l’input langagier du point de vue de la spécificité de l’interaction en L2 à laquelle participe l’apprenant. (Howard, 2013!:!211)

Enfin, Howard (2004, 2005, 2006c, 2013) et Thomas (2002, 2004, 2015a) remarquent que l’appropriation de la liaison variable en tant que phénomène sociolinguistique est tiraillée par deux tendances contradictoires!: celle de progresser dans la production de variantes formelles (liaison réalisée) plus valorisées en contexte académique et celle de progresser dans la production de

variantes neutres ou informelles (liaison non réalisée) permettant de «!faire natif!» (Regan, 1997!:!§33).

En bref, quel que soit sa position sur le continuum des situations d’appropriation (cf.!chapitre 2.4.1),

l’environnement langagier permettrait, dès le niveau A1, la distinction des liaisons catégoriques et variables grâce à la fréquence élevée des contextes morphosyntaxiques où la liaison doit être réalisée. A partir du niveau A2, il jouerait un faible rôle dans l’appropriation de la liaison catégorique, ce rôle se limitant au rythme de progression et à l’appropriation de contextes lexicaux comme les locutions figées (Howard, 2005, 2006a). En revanche, l’influence de l’environnement langagier serait plus important sur l’appropriation des liaisons variables puisque les apprenants bénéficiant de séjour en milieu homoglotte opteraient davantage pour les variantes non réalisées, faisant mécaniquement baisser leur taux de réalisation de la liaison variable. Par ailleurs, une forte variabilité interindividuelle dans l’appropriation de la liaison variable est observée alors même que les apprenants ont, par exemple, tous bénéficié d’un séjour en milieu homoglotte. Cette forte variabilité interindividuelle met non seulement en lumière l’importance de l’environnement langagier en tant que continuum de

situations d’appropriation mais «!souligne également la complexité qui caractérise l’acquisition de la

variation sociolinguistique!» (Howard, 2005!:!§36).

2.3.4.2. Appropriation de la variation diamésique

Nous avons retrouvé en lecture l’avance dans l’appropriation de la liaison catégorique sur la liaison variable. Pour cela, nous avons comparé les résultats de la tâche de dénomination d’images et ceux de la tâche de lecture de six courtes phrases comportant huit contextes de liaison catégorique, huit

de liaison variable et deux de liaison non attendue (Harnois-Delpiano, 2006) . Ainsi, lorsqu’ils lisent, 55

les apprenants L2 coréanophones de niveau A1-A2 du CECRL produisent plus de liaisons réalisées dans des contextes où la liaison est catégorique que dans ceux où elle est variable, l’écart étant significatif tout au long de l’étude longitudinale. En revanche, nous n’avons trouvé aucune différence significative induite par la tâche effectuée, ni entre les réalisations de liaisons catégoriques, ni entre celles de liaisons variables et ce, à chaque temps longitudinal. En lecture, les apprenants L2 coréanophones de niveau A1-A2 du CECRL ont ainsi produit 51,8% de liaisons catégoriques au T1, 62,9% au T2, 63,3% au T3 et 67,9% au T4. Contrairement à la tâche de dénomination d’images où il est significatif, l’accroissement global des réalisations de liaison en lecture ne l’est pas. Les apprenants

Le T4 n’avait pas été observé lors de l’étude longitudinale exploratoire de 2006 et nous n’avons pas présenté les 55

données de lecture dans les publications ultérieures (Harnois-Delpiano, Cavalla, et al., 2012; Harnois-Delpiano, Chevrot, et al., 2012)

ont par ailleurs produit 18% de variantes réalisées de la liaison variable au T1, 26,5% au T2, 25,8% au T3 et 31,3% au T4, l’accroissement global étant significatif. Cependant, l’augmentation de l’emploi de la variante réalisée n’est réellement significative qu’entre le T1 et le T2. Les résultats de l’étude longitudinale de l’appropriation de la liaison par les apprenants coréens de FLE sont présentés dans la figure 13 ci-dessous. Les résultats de la tâche de lecture sont indiqués par des courbes pleines et des étiquettes de valeur tandis que ceux de la tâche de dénomination d’images apparaissent sous la forme d’une courbe en pointillés, les valeurs pouvant être consultées aux chapitres 2.3.3.1 et 2.3.3.2.

Figure 13!- Comparaison de l’appropriation des liaisons selon la tâche de lecture et de dénomination d’images Comme en dénomination d’images, l’écart entre la réalisation de la liaison catégorique et la liaison variable en lecture pourrait être induit par l’usage. En effet, les séquences fréquentes à l’oral, tels

que les contextes «!déterminant + nom!» le sont aussi à l’écrit. Elles pourraient alors être

reconnues plus rapidement et nécessiter un coût cognitif moins important lors de leur oralisation que des mots moins souvent rencontrés. Chez les apprenants italophones (corpus de Rome) de

niveau A2-B1, Barreca et Floquet (2015!:!30) observent également un écart entre la réalisation de

la liaison catégorique (74% en lecture, 87% en parole semi-spontanée) et de la liaison variable (30% en lecture, 40% en parole semi-spontanée). Les auteurs indiquent par ailleurs que les taux plus faibles en lecture sont dus aux omissions de CL en contexte catégorique ou à la production de la variante non réalisée de la liaison variable ainsi qu’à des erreurs d’ajout de CL qui sont absentes des autres tâches sans support écrit. Concernant la liaison catégorique, Racine et Detey (2015!:!42) remarquent aussi que les apprenants italophones (corpus de Milan) de niveau A2-B1 réalisent moins de liaison en lecture (79,1%) qu’en conversation (98,9%) tandis que cela ne serait plus le cas pour les apprenants plus avancés, qu’ils soient italophones (corpus de Trieste), hispanophones (corpus de

Genève) ou anglophones (Mastromonaco, 1999!:!140).

Liaisons réalisées justes lors de la tâche de lecture par des apprenants coréens de FLE de niveau A1-A2 du CECRL

0 % 20 % 40 % 60 % 80 % 100 %

T1 T2!= T1+6mois T3!= T2+6mois T4!= T3+6mois

18,0!% 26,5!% 25,8!%

31,3!%

58,1!% 62,9!% 63,3!%

67,9!%

Lecture = Liaison Catégorique 


➝ valeurs affichées Lecture = Liaison Variable 


➝ valeurs affichées Dénomination d'images = 


Liaison Catégorique Réalisée Juste


Dénomination d'images = 


Liaison Variable Réalisée Juste *

*

En somme, les apprenants débutants commenceraient à développer des performances globales de réalisation de la liaison similaires en lecture oralisée et en production orale aussi bien pour les contextes catégoriques que variables. Les deux types d’output n’induiraient toutefois pas la même progression dans l’appropriation. D’un côté, les réalisations de liaisons catégoriques restent stables en lecture tandis qu’elles croissent production sans support écrit. De l’autre, les réalisations de liaisons variables progressent puis se stabilisent en lecture alors qu’elles sont d’abord stables puis croissent en production sans support écrit. Jusqu’à un niveau intermédiaire, il s’agirait plus d’une

appropriation de deux compétences distinctes ―!la lecture oralisée et la production sans support

écrit étant toutefois liées par une représentation graphophonique (cf.!chapitre 2.3.3.1). En effet, concernant l’appropriation de la variation diamésique, on attendrait plus de liaisons variables réalisées en lecture qu’en production orale (cf.!chapitre 1.3.2), tel qu’observé plus tard chez les

francophones natifs et les apprenants L2 avancés hispanophones (Racine, sous presse!:!5.3.2) et

italophones (Falbo et al., sous presse!:!§3.4).

2.3.4.3. Appropriation de la variation diaphasique

Observant les productions de liaisons dans des contextes impliquant le pluriel, Falbo et!al. (sous

presse!:!§3.4) montrent donc que les apprenants italophones avancés réalisent proportionnellement

moins de CL /z/ en entretien (libre ou semi-guidé) qu’en lecture et en interprétation (consécutive ou simultanée). Les auteurs restent toutefois prudents remarquant que cette dernière tâche a induit un plus grand nombre de contextes de liaisons catégoriques, bien maîtrisées par les apprenants de

ce niveau. Falbo et!al. indiquent aussi que les contextes de liaison variables sont peu réalisés, hormis

les séquences «!adjectif + nom!» telles que «!prochaines / dernières années!» (sous presse!:!§3.4). Cependant, principalement lors de l’interprétation, les auteurs constatent la réalisation de liaisons non attendues (par exemple, “cinq /z/ années”) pouvant être considérées comme hypercorrectives

(cf.! chapitre 1.3.4.2). Les apprenants se préparant à devenir interprètes, il semblerait qu’ils

considèrent cette situation de communication professionnelle comme plus formelle donc nécessitant plus de surveillance. Sensibles à la variation diaphasique, ils développeraient donc une

compétence métadiscursive toutefois pas encore très bien réglée. En effet, Falbo et!al. (sous

presse!:!§3.4) suggèrent que si leur taux de réalisation de la liaison variable se rapproche des

compétences natives ―!elle est plus faible en entretien que celui des apprenants débutants (corpus

de Milan)!―, une élévation de ce taux était attendue en interprétation, ce qui ne semble pas être le

2.3.5. Modélisation de l’appropriation du phénomène de la liaison en français L2