Partie I G´ en´ eralit´ es et astrophysique de laboratoire 9
2.4 Syst`eme de l’hydrodynamique radiative
L’approche de Falize et al. [9] expos´ee dans cette section, utilise les transformations d’inva-riance d´evelopp´ees par Sophus Lie pour ´etudier la sym´etrie des ´equations aux d´eriv´ees partielles (EDP). Nous exposons le principe de cette d´emarche th´eorique, son application et les avanc´ees
par rapport `a l’analyse d´evelopp´ee par Ryutov 8.
Pour comprendre la m´ethode, nous l’appliquons d’abord `a une seule ´equation aux d´eriv´ees partielles, celle du transport de la chaleur. Ensuite, nous pr´esentons le cas g´en´eral appliqu´e
`a l’hydrodynamique radiative en consid´erant un plasma ´etant soit optiquement mince, soit optiquement ´epais.
2.4.1 Invariants par la th´ eorie des groupes de Lie
Afin de comprendre le principe de la d´emarche g´en´erale, fond´ee sur la th´eorie des groupes de Lie, nous prenons tout d’abord un exemple simple, l’´equation non lin´eaire du transport de la chaleur. Cette ´equation s’´ecrit sous la forme :
∂T
o`u T est la temp´erature etK(T) est la conductivit´e thermique. Pour un plasma ionis´e et chaud, on trouve :
K(T) = κ0Tn (2.42)
avec n=5/2 si le plasma est id´eal (mod`ele de Spitzer [85]). Les solutions, T, `a l’´equation (2.41) sont alors les fonctions de l’espace, x et du temps, t. Si on effectue un changement de variable dans le cadre des groupes d’homoth´etie (GH) [88, 89] :
x→x=aδxx, t→t=aδtt, et T →T =aδTT, (2.43) o`ua est une constante et s’appelle le param`etre de groupe 9 etδi des exposants arbitraires qui sont contraints par les consid´erations d’invariance pr´esent´ees ci-dessous [relation (2.45)].
Contrairement `a la m´ethode dimensionnelle pr´esent´ee dans la section 2.2.1, qui permet d’aboutir aux relations (2.5), la transformation entre les diff´erents syst`emes suit une forme dic-t´ee par le GH. Cette forme inclut et est beaucoup plus g´en´erale que l’analyse dimensionnelle (AD). En effet, l’AD conduit en g´en´eral `a plusieurs quantit´es sans dimension mais elle ne d´e-finit pas lesquelles sont pertinentes. Comme nous l’avons dit, le GH contient l’AD mais, en mˆeme temps, va plus loin en exhibant directement et de mani`ere syst´ematique et rigoureuse, les nombres sans dimension grˆace `a la d´etermination des invariants (voir plus loin). Ces pro-pri´et´es proviennent simultan´ement de la structure math´ematique des ´equations choisies pour la mod´elisation et des lois de transformations [par exemple, les ´equations (2.43)] impos´ees par le groupe [88, 89]. Signalons, enfin, que le GH conduit `a des solutions analytiques des ´equations du mod`ele ´etudi´e (elle va donc beaucoup plus loin que l’AD), mais cela sort du cadre de cette th`ese. Je dirige le lecteur cers la th`ese de E. Falize [82] pour plus de d´etail sur cette application particuli`ere de l’alg`ebre de Lie.
A partir des relations (2.43), l’´equation (2.41) s’´ecrit :
∂T syst`emes repr´esent´es par les variables (x, t, T) et (x, t, T), sont strictement identique si A= 1.
8Pour plus de d´etails, je dirige le lecteur vers la th`ese de E. Falize [82].
9le param`etre de groupe,a, est introduit par le formalisme des transformations homoth´etiques [88, 89] et ne n´ecessite pas d’ˆetre explicit´e comme nous le verrons par la suite.
Dans ces conditions, cette ´equation est diteinvariantepar les transformations homoth´etiques. la relation (2.45). Nous avons donc deux param`etres libres (par exempleδt etδx), le troisi`eme est alors d´eduit de l’´equation (2.45) 10.
Pour l’´equation de la chaleur, nous venons de d´emontrer que l’invariance par transforma-tion du groupe d’homoth´etie est possible. Par cons´equent les lois d’´echelle existent pour cette
´equation sous la contrainte de l’identit´e du facteur A. De la mˆeme mani`ere que la d´emarche dimensionnelle, l’´evolution des solutions dans chaque syst`eme d’´equation sont identiques selon ses variables propres repr´esent´ees par (x, t, T) ou par (x, t, T) si l’invariance est v´erifi´ee.
Il est important de discuter plus pr´ecis´ement de quelle mani`ere l’´egalit´e A= 1 apporte une richesse suppl´ementaire par rapport `a la d´emarche de Ryutov et al., en plus de la discussion r´ealis´ee `a la suite de l’´equation (2.43). En effet, on peut d´emontrer la relation suivante :
t
x2Tn = t
x2Tn≡ I (2.46)
La quantit´eI est un invariant du groupe d’homoth´etie, fixant une relation entre les quantit´es physiques des syst`emes. Pour obtenir cette relation, on utilise l’´equation (2.45) qui d´efinit la relation :
En cons´equence, nous avons l’´egalit´e :
Tnt
x2 = Tnt
x2 (2.50)
et la quantit´e (temp´erature)n × temps/(espace)2, prend la mˆeme valeur dans chacun des sys-t`emes. C’est donc un invariant du GH et c’est ce qu’exprime l’´equation (2.46). Le param`etre a n’a ´et´e qu’un ”interm´ediaire” et `a aucun moment nous n’avons besoin de sa valeur mais nous pouvons aussi l’expliciter sous la forme de :
a=
ainsi en identifiant les deux expressions du param`etre a, on trouve (t/t)1/δt = (x/x)1/δx, qui peut aussi s’´ecrire :
10Si nous allions plus loin dans l’analyse de ce cas particulier, nous devrions tenir compte de la conservation de l’´energie totale thermique. Cela m`enerait alors `a une deuxi`eme relation entre les trois quantit´esδx,δtetδT
Par cons´equent, connaissant les dimensions,xetx dans chaque syst`eme et le tempstdans l’un des deux, on d´eduit la valeur n´ecessaire detpour obtenir l’invariance ou, ce qu’on appelle aussi la loi d’´echelle. Cette loi exprime aussi, de mani`ere appropri´ee, l’invariance des solutions qui assure la correspondance entre la solution T(x, t) connue en x et t, avec T(x, t) `a n’importe quel temps t ou position x satisfaisant l’invariance I [expression 2.46] et on peut donc d´eduire la correspondance entre T etT.
2.4.2 Cas optiquement mince
Appliquons cette d´emarche `a l’´etude des plasmas optiquement minces. Dans ce cas les ´equa-tions g´en´erales sont donn´ees par :
∂ρ qui sont identiques aux ´equations (2.1), (2.2) et (2.4) sauf que l’´equation d’´energie contient maintenant la fonction de pertes radiativesL(ρ, T). Les relations entre les diff´erentes grandeurs astrophysiques et celles du laboratoire (variables barr´ees) sont :
r=aδ1r, t=aδ2t, ~v=aδ3~v, M =aδ4M , ρ=aδ5ρ, Pth =aδ6Pth,L=aδ7L, T =aδ8T , γ=aδ9γ
´ecrites de mani`ere analogue `a (2.43). Avant d’appliquer les transformations d’homoth´etie aux
´equations pr´ec´edentes, nous devons sp´ecifier la fonction des pertes radiatives :L(ρ, T). Ordinai-rement une loi de puissance enρet enT pourL(ρ, T) est repr´esentative de processus physiques r´ealistes (comme l’´emission par Bremsstrahlung). D’un autre cˆot´e, comme l’´equation d’´etat du milieu donne une relation entreρ,T etPth (la pression thermique), on peut ´eliminerT dans son expression et les pertes radiatives s’expriment de la forme de L(ρ, Pth) (voir section sur l’AD pour le mˆeme syst`eme d’´equation 2.4.3). Enfin, quelques auteurs [84] ajoutent une d´ependance explicite en fonction de la coordonn´ee radiale r. Dans ces conditions, on ´ecrit :
L=L0ρmPthnrl, (2.54)
o`uL0 est une constante.
Les pertes radiatives sous cette forme permettent de retrouver l’expression standard pour les processus d’´emission continue comme l’´emission du corps noirκPσT4 (κP est l’opacit´e moyenne de Planck) ou l’´emission par Bremsstrahlung∝ρ2T1/2. L’invariance des ´equations par le groupe des homoth´eties [88, 89] donne un ensemble de nombres sans dimension que l’on appelle ”inva-riants” du syst`eme consid´er´e :
I1 = vt/r=St (nombre de Strouhal), (2.55)
I2 = γ (coefficient polytropique), (2.56)
I3 = Ptht/ρvr=Eu×St=St/[γM2] (Eu : nombre d’Euler), (2.57)
I4 = Lt/Pth ∝t/tL, (2.58)
I5 = M/[ρr1+d] (conservation de la masse), (2.59) o`u tL est le temps caract´eristique des pertes radiatives L et d repr´esente la dimension de la g´eom´etrie du syst`eme : 0 = plane, 1 = cylindrique, 2 = sph´erique.
Les invariantsI1−6 [comme I dans le paragraphe 2.4.1 ´equation (2.46)]fixent les contraintes
`a v´erifier pour appliquer les lois d’´echelle concernant l’hydrodynamique radiative en milieu opiquement mince (voir la th`ese d’E. Falize [82]). En plus des invariants, qui d´elimitent le cadre
d’application des lois d’´echelle, nous pouvons ´egalement extraire de cette m´ethode les relations entre les exposantsδi. L’ensemble de ces relations est pr´esent´e dans le tableau 2.1. En fixant les exposants arbitraires a ainsi que δ5 et δ6 (tableau 2.1) d’apr`es les conditions initiales de (Pth) et (Pth) ainsi que (ρ) et (ρ) [voir (2.46) pour les lois de transformation de Pth etρ ], on d´eduit l’ensemble des autres param`etres plasma n´ecessaires pour obtenir la similarit´e.
Grandeurs physiques Param`etre d’´echelle
r/r aδ6−2δ5
ρ/ρ aδ5
Pth/Pth aδ6 t/t a(δ6−3δ5)/2 v/v a(δ6−δ5)/2
T /T aδ6−δ5
L0/L0 1
Tableau 2.1 Param`etres d’´echelle pour un plasma optiquement mince. Le refroidissement consid´er´e ici est l’´emission par Bremsstrahlung avec une fonction de la forme Λ∝ρ2T1/2 [90]
.
2.4.3 D´ emarche dimensionnelle pour un plasma optiquement mince
Afin de bien marquer la diff´erence entre la m´ethode des invariants (alg`ebre de Lie) et la d´emarche dimensionnelle (paragraphe 2.2.1), nous allons ici r´esumer l’´etude des plasmas op-tiquement minces pr´esent´ee dans l’article de Ryutov et al. [16]. Nous savons que la m´ethode du paragraphe 2.4.2 est plus g´en´erale et rigoureuse, c’est pourquoi nous souhaitons de fa¸con explicite, sur le mˆeme syst`eme, montrer les lacunes de l’approche dimensionnelle.
Comme nous avons vu dans l’´equation d’´energie du syst`eme (2.53), on inclut dans le cas d’un plasma optiquement mince, le terme des pertes radiatives dans l’´equation de conservation de l’´energie. En d´etaillant, l’´equation s’´ecrit :
∂Pth
∂t +v.∇Pth−γPth∇.v=−(γ−1)L(Pth, ρ). (2.60) D’apr`es la discussion relative `a l’expression (2.54), nous ´ecrivons :
L =L0ρmPthn, (2.61)
o`u nous ne tenons pas compte d’une d´ependance spatiale (r). Comme nous avons vu pr´ec´e-demment cette forme est raisonnable compte-tenu des plasmas astrophysiques observ´es. En utilisant les transformations sur les variables (pression, densit´e, etc...) de la mˆeme mani`ere que pour celles r´ealis´ees dans la section 2.2.1 [ρ = bρ1 et Pth =cPth1 et les relations (2.5)] et avec l’´equation (2.60), on obtient l’expression :
∂Pth1
∂t1
+v1.∇Pth1−γPth1∇.v1 =−(γ−1)L0ac(n−3/2)b(m+1/2)ρm1 Pth1n (2.62) Par cons´equent les deux syst`eme sont dits similaires s’ils v´erifient la contrainte suppl´emen-taire :
L0ac(n−3/2)b(m+1/2) =invariant. (2.63)
Le taux des pertes radiatives, L0, peut diff´erer d’un syst`eme `a l’autre mais les indices,m et n, doivent d’ˆetre ´egaux.
Nous constatons que les relations entre les variables, telles que la temp´erature, la densit´e ou le temps, ne sont pas ´etablies dans cette analyse rendant hasardeuse la recherche des pa-ram`etres exp´erimentaux ad´equats pour atteindre la similarit´e entre le syst`eme du laboratoire et l’astrophysique. De plus, cette approche n’est plus possible d`es lors que les pertes radiatives d´ependent de l’espace (de la variable r) contrairement `a la m´ethode de d´emonstration fond´ee sur l’alg`ebre de Lie, pr´esent´ee dans le paragraphe 2.4.2.
2.4.4 Cas optiquement ´ epais
Dans le cas pr´esent´e dans ce paragraphe, on consid`ere un plasma optiquement ´epais sans aucune hypoth`ese particuli`ere sur les termes radiatifs : la densit´e d’´energie,ER, la pression,PR
et le flux radiatif,F~R. Leurs expressions en fonction des variables du probl`eme sont consid´er´ees de la forme : ER=aRT4 (Loi de Stefan pour un plasma `a l’´equilibre thermodynamique local), PR = ER/3 et F~R = −κR∇~T o`u κR est la conductivit´e radiative suppos´ee ob´eir `a la forme particuli`ere : κR =κ0ρmTn.
Contrairement au cas optiquement mince, il faut appliquer les transformations homoth´e-tiques `a l’ensemble de ces termes radiatifs :
F~R =aδ10F~R;κR=aδ11κR;κ0 =aδ12κ0;ER=aδ13ER;PR=aδ14PR.
En appliquant le raisonnement pr´esent´e dans le paragraphe 2.4.1, on montre que les lois d’´echelle sont possibles [90, 82] avec comme nouveaux invariants, en plus de ceux du cas optiquement mince :
I7 = PRt/(ρvr) = EuR×St ; EuR est le nombre d’Euler radiatif, (2.64) I8 = ER/Pth ∝1/R ;R est le nombre de Mihalas, (2.65) I9 = tFR/(Pthr) = 1/Bo ;Bo est le nombre de Boltzmann. (2.66) Le tableau des param`etres d’´echelle pour le cas optiquement ´epais existe ´egalement. Si besoin est le lecteur peut se r´ef´erer `a l’article [9].
R´ecapitulatif :Le formalisme math´ematique de l’alg`ebre de Lie, utilis´e pour d´emontrer l’exis-tence des lois d’´echelle [9] a permis :
– D’obtenir les relations directes entre les param`etres physiques satisfaisant l’invariance, – De d´emontrer l’existence des lois d’´echelle pour les plasmas optiquement minces avec une
fonction ´etendue des pertes radiatives et optiquement ´epais en tenant compte de l’ensemble des termes radiatifs.