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La systématisation progressive d’un traitement féministe de la cause des femmes

Mentions de l'expression "égalité des sexes" par groupe parlementaire

B) La systématisation progressive d’un traitement féministe de la cause des femmes

L’activité de l’Assemblée Nationale ne peut pas être réduite aux questions au gouvernement, malgré leur médiatisation plus importante. L’hypothèse que nous soutenons ici est que les autres formes d’activité parlementaire devraient peu ou prou suivre l’évolution du nombre de questions au gouvernement mentionnant les termes sus-cités. Il s’agit donc de tester dans quelle mesure les questions au gouvernement sont un bon indicateur des autres formes d’activité parlementaire, en examinant l’évolution de la production d’autres types de documents parlementaires. Autrement dit, en complétant les analyses précédentes, nous cherchons à déterminer si l’intérêt manifesté par les députés pour la cause des femmes lors des séances de questions au gouvernement se traduit par des actions plus concrètes. Bien entendu, il faut prendre en compte, dans une telle étude, la structure des opportunités politiques, et notamment le rapport de forces entre familles politiques. Il va de soi que la capacité de légiférer pour des partis dans l’opposition est bien moindre que celle de la majorité ; sans oublier le fait que la majorité parlementaire même ne conserve parfois qu’une marge de manœuvre limitée vis-à-vis du gouvernement et de ses projets dans les institutions de la Vème lorsqu’elles sont soumises au fait majoritaire. Nous conjecturons donc que l’évolution du nombre d’amendements et propositions de loi sera fortement déterminée par ces facteurs, en tout cas bien plus que les comptes-rendus de séances, rapports parlementaires et questions au gouvernement. Aussi, nous pensons que cette sous-section accréditera l’hypothèse de la surdétermination de l’activité parlementaire relative à la cause des femmes par certains éléments de la structure des opportunités politiques. Les XIVème et XVème législatures devraient, selon nous, constituer des environnements favorables au traitement de la cause des femmes d’un point de vue institutionnel. Nous examinerons donc également, en plus de la production de documents parlementaires, d’autres facteurs susceptibles de dévoiler des éléments de la structure des

265 Laure Bereni et Anne Revillard, « Movement Institutions: The Bureaucratic Sources of Feminist Protest »,

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opportunités politiques pertinents relativement au traitement de la cause des femmes dans l’État, notamment l’activité d’autres institutions au sein de l’État, et les possibles liens entre les partis au pouvoir et les mouvements féministes.

1/ L’évolution de la production de documents parlementaires concernant la cause des femmes

Pour ce qui est des documents parlementaires, nous nous servirons à nouveau du moteur de recherche du site Internet de l’Assemblée Nationale. Celui-ci permet d’avoir accès à de nombreux types de documents publics : comptes-rendus de séances et de réunions de délégations, rapports, textes adoptés, propositions de lois, amendements, ou encore propositions de résolutions. Il est alors possible de compléter les analyses commencées à l’aide des questions au gouvernement et d’infirmer ou confirmer les premières hypothèses qui en ont été tirées. Tous les types de documents sus-cités ont été inclus, ce qui exclut donc les questions au gouvernement. En revanche, il apparaît qu’il n’existe aucune donnée précédant l’année 2002, ce qui nous amène à penser que les documents précédant cette époque ne sont pas numérisés ni même répertoriés dans les bases de données du site web de l’Assemblée Nationale - à l’exception des questions au gouvernement. Nous recensons cette fois la présence des expressions « féminisme », « sexisme », « égalité des sexes » ainsi que « droits des femmes ». Nous rappelons que cette dernière expression faussait les résultats de notre recherche concernant les questions au gouvernement par la prise en compte de résultats incluant notamment les problématiques sanitaires pour les périodes où les Secrétariat d’État aux Droits des Femmes était sous la tutelle du Ministère de la Santé. Pour autant, ce problème n’a pas lieu ici. Les documents parlementaires susceptibles d’être sélectionnés « par erreur » avec cette expression sont les compte-rendus de réunion de la Délégation parlementaire aux Droits des Femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont la production concerne par définition les droits des femmes.

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Figure 5. Répartition des documents parlementaires contenant les expressions « féminisme », « sexisme », « égalité des sexes » et « droits des femmes » par année, à l’exclusion des questions au gouvernement.

La figure 5 ci-dessus montre la répartition des documents parlementaires contenant les expressions pré-citées par année. On peut, plus que pour les questions au gouvernement, clairement distinguer les législatures en fonction du nombre de documents publiés sur les sujets étudiés. Ainsi, la XIIIème législature marque une première étape, les années 2008 et 2009 se caractérisant par une forte hausse de la production parlementaire. Cependant, c’est surtout la XIVème législature qui se distingue par une augmentation très significative de la production de ces documents dès 2013. La hausse est d’ailleurs plus nette que pour les questions au gouvernement. La XVème législature semble prendre le même chemin, bien qu’on ne puisse l’affirmer avec certitude avant son achèvement : l’année 2018 pourrait n’être que l’exception. On constate également que l’expression « droits des femmes » est bien plus utilisée que les autres. Etant donné qu’il s’agit également de l’intitulé du Ministère ou du Secrétariat d’État dédiés lorsqu’ils existent, on peut en déduire que le cadrage des questions de genre sous l’angle

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des droits reste largement dominant et officiellement endossé, ce qui confirme l’idée que celui-ci reste un master frame266, comme cela avait été montré pour les États-Unis concernant la réception du féminisme et des mouvements pour les droits civils267. Le nombre plus élevé d’occurrences pour ce terme donne aussi une plus grande fiabilité à leurs fluctuations. Si cette observation peut faire regretter l’impossibilité d’étudier l’évolution de ce terme parmi les questions au gouvernement, toujours est-il que la comparaison entre les figures 1 et 5 nous donnent quelques renseignements précieux relativement à la question qui nous intéresse : à savoir, peut-on affirmer qu’il existe un regain de l’intérêt pour la cause des femmes au sein du personnel et des institutions politiques depuis l’année 2010 ? En effet, on constate que, pour les questions au gouvernement, l’année 2010 marque une rupture qui permettrait de soutenir une telle hypothèse, alors que les données sont moins claires pour la production de documents parlementaires. Ainsi, l’année 2009 marque un pic avec une augmentation très claire de la production, et il serait aisé de diviser le graphique entre ce qui précède cette année et ce qui la suit. Pour autant, bien que les nombres soient bien plus faibles, les années précédentes se caractérisent également par des taux de croissance de la production parlementaire très élevés sur ces sujets : ainsi l’année 2008 marque-t-elle une augmentation de 95% de celle-ci par rapport à 2007, qui enregistre elle-même une hausse de 60% par rapport à l’année 2006. Il peut également sembler intuitif, à la vue de ces seules données, de considérer que 2013 constitue l’année charnière, étant donné qu’on y constate une croissance de 330% de la production parlementaire sur ces sujets.

Néanmoins, considérant que la question qui nous occupe vise à démontrer l’existence d’une hausse de l’intérêt des parlementaires sur les questions de genre depuis 2010, ces données nous permettent d’affirmer que cet intérêt est en effet en hausse entre 2007 et 2013, et qu’il reste à des niveaux considérablement plus élevés que pendant la période qui précédait 2013 jusqu’en 2018 inclus. L’idée qu’il existerait une année précise qui marquerait une rupture est moins importante que le constat d’une hausse de cet intérêt. En outre, il est important de souligner la différence de nature qui existe entre les données qui composent la figure 1 et la figure 5. Nous les avions distinguées parce que nous supposions les questions au gouvernement plus proches du calendrier médiatique que le reste des activités parlementaires, plus susceptible de refléter le rapport de force politique, ou plus concrètement la politique promue par un gouvernement donné sous une législature donnée. Il ne s’agit pas d’affirmer que ces dernières

266 BENFORD Robert et SNOW David, « Framing processes and social movements : an overview and assessment », Annu. Rev. Sociol., 2000.

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activités sont en elles-mêmes déconnectées de la vie médiatique, elles sont cependant moins à même d’être directement médiatisées, à moins qu’une loi particulière suscite un débat sociétal, ce qui se reflèterait de toute façon dans les questions au gouvernement. Aussi, il est normal de constater une différence dans les évolutions de ces deux activités. La figure 5 nous permet d’effectivement constater que la production de documents parlementaires autres que les questions au gouvernement évolue de manière plus fidèle à la succession des législatures et à l’alternance politique. Pour autant, la question des liens entre traitement médiatique et traitement politique des sujets qui nous intéressent reste à développer et pourrait éclairer ces phénomènes. C’est pourquoi nous réitérons les précautions mentionnées dans la sous-section précédente : il est nécessaire d’adjoindre l’analyse du traitement médiatique de la cause des femmes à celle de l’intérêt qu’elle suscite au sein des institutions politiques, ce qui sera fait dans les sections suivantes.

Pour l’instant, et à titre indicatif, il est possible de cumuler l’ensemble de nos données afin de donner un aperçu global de l’évolution du traitement de la cause des femmes en fonction des mots-clés que nous avions sélectionnés. Tout en restant attentifs au fait que les données aggrégées mesurent des objets obéissant à des logiques légèrement distinctes.

Figure 6. Evolution du nombre de documents parlementaires et questions au gouvernement contenant les expressions « féminisme », « sexisme », « égalité des sexes » ou « droits des femmes ».

0 100 200 300 400 500 600 700

Evolution du nombre de documents parlementaires et